1 décembre 2019

Léon Minet, peintre de la vallée de l'Andelle


Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers 


Qui a peint le Val de Pîtres ? (5)


Aujourd'hui, suivons notre ami et sémillant historien, notamment des Deux Amants, Jean Barette, qui publie dans ce bulletin, un excellent article sur Alizay. Marchons donc dans ses traces et étudions ''La mare d'Alizay'', de Louis Émile Minet.

Né à Rouen en 1841 (Claude Monet est né en 1840), il fera toute sa carrière artistique dans la région normande, où il acquiert une réputation certaine, comme le confirme l'achat de cette œuvre auprès de l'artiste par le Musée de Louviers en 1903.
Louis Emile Minet en 1900
Louis Emile Minet en 1900

Nonobstant, comme tout peintre recherchant la reconnaissance de ses pairs avant d'envisager une notoriété nationale, il envoie ses toiles au Salon (1) dès 1876. Le succès est au rendez-vous, puisqu'en 1882 le Salon le gratifie d'une Mention Honorable pour Les foins à St Aubin (Seine inférieure). Puis, en 1886, L'appel au passeur lui vaut la Médaille d'Or au Salon Municipal de Rouen. Fort de ses succès, il succède à Gaston Le Breton au poste de Conservateur du Musée des Beaux-Arts de Rouen, charge qu'il conserve de 1905 à 1922. Il décède l'année suivante à Vernon.
(1) : Salon des Artistes Français à Paris : célèbre Salon centenaire, recevant chaque année plusieurs centaines de milliers de visiteurs.

Il connaît parfaitement bien notre région puisqu'il débute sa formation comme dessinateur 'd'indiennes' sur étoffe à Elbeuf, riche cité industrielle de filature, tissage, teinture... depuis le milieu du XVIIIème siècle. Un temps, il envisage même la création, avec son père, d'une fabrique d'apprêt pour drap. Attiré par les Arts, il intègre l'Académie de Rouen sous la direction de Gustave Morin, puis complète sa formation à Paris dans les ateliers de Lefebvre et Guillemet. Lié d'amitié avec le peintre Edmond-Adolphe Rudaux (1840-1908) de Saint-Pierre-lès-Elbeuf, durant son séjour elbeuvien, il parcourt les sites pittoresques des alentours et se prend de passion pour les rives de la Seine et ses activités artisanales, un intérêt qu'il conservera toute sa carrière durant.

Même si Camille Pissarro (1830-1903) séjourna à l'automne 1892 chez Octave Mirbeau (1848-1917) aux Damps (2), la construction de la gare d'Alizay en 1896 (3) permit à de nombreux artistes de découvrir notre vallée de l'Andelle et les environs de Pont-de-L'arche ; citons Gustave Loiseau qui achète une maison à Saint-Cyr-du-Vaudreuil en 1899, Léon Suzanne (1870-1923) à Poses (4) ou Joseph Delattre (1858-1912) à Pont-de-L'arche entre autres. Il est à parier que c'est lors de l'une de ses visites dans notre région, probablement en descendant du train, que Louis-Émile Minet découvre la mare d'Alizay.
(2) : Cf. bulletin 7. Pissarro y peint des toiles impressionnistes merveilleuses montrant « Le Jardin d’Octave Mirbeau », avec la plaine d’Alizay pour fond.
(3) : La ligne ferroviaire Paris-Rouen ouvre en 1843 ; deux gares se succèdent à Alizay : une première lors de la création de la ligne, puis une seconde de marchandises en 1896.
(4) : Cf. bulletin 10. Léon Suzanne y rencontre 'LE' peintre de Poses, Marcel Niquet.
  


Détaillons un peu, si vous le voulez bien, La mare d'Alizay.

- sa composition est plutôt académique ; comme le décrit Michel Natier, Conservateur du Musée de Louviers : « Les œuvres de Minet ne sont pas à proprement parler d'une facture impressionniste. Il reste dans le traitement relativement classique du paysage avec ce souci du détail, notamment botanique. Il traite de scènes pittoresques, pêcheurs, rue de Rouen... » (5) En effet, l'étude de l'éclairage par notre peintre, se conclut par une lumière ambiante, là où un impressionniste aurait éclaboussé l'eau de taches vives des trouées de ciel dans les arbres.
(5) : in Paysages d'eau, catalogue d'exposition, Musée de Louviers, 2013, éd. Point de vues


Louis Emile Minet - Pêche à la violette devant Elbeuf, 1887, Musée d'Elbeuf
Pêche à la violette devant Elbeuf, 1887, Musée d'Elbeuf
Ainsi que nous le notions quelques lignes auparavant, plus que le paysage fluvial, c'est sa description des activités artisanales liées au fleuve, qui caractérise l’œuvre de Minet. A l'instar de Pissarro, son discours est, avant tout, social. Le labeur des petites gens constitue son sujet de prédilection. Évidemment, ici s'arrête la comparaison avec le Maître Impressionniste, leurs factures picturales se positionnant aux antipodes.

 - structure : trois plans se succèdent : la berge avec ses herbes folles ; la mare calme ; et le fond d'arbres à la riche frondaison.
Quelques trouées ténues dans le feuillage laissent percer un ciel laiteux, seuls mais suffisants espaces de respiration, dans une composition plutôt fermée.
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers

- la touche est lisse ; cependant, le premier plan ainsi que le dernier, montrent une touche libérée qui fait bien ressortir, par contraste, le calme des eaux à la touche bien fondue.
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers

- la chromatie, un camaïeu de verts de différentes valeurs ; l'emploi du jaune simulant la végétation surnageante apporte toute la lumière à la composition.
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers
Et puis, dans la frondaison, retenons ces touches laiteuses, très claires en comparaison avec les tonalités de verts employés, qui 'ouvrent' profitablement la composition et permettent au spectateur de mieux 'respirer'.
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers


Quelques remarques intéressantes :

Louis-Émile Minet a parfaitement retranscrit l'impression de mare : eau peu profonde, très peu de reflets ; pas de bleu, pas de touches rapides dépeignant une eau vive.
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers

Notre peintre en fait une mare d'une certaine largeur et importance. En effet, les extrémités du plan d'eau débordent du cadre de sa composition ; il se rapproche d'un cadrage photographique ! Le spectateur peut ainsi s'imaginer que La Mare d'Alizay possède une étendue certaine (cqfd).
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers
Les trois petits canards au col blanc, au milieu de la mare ont deux fonctions : ils amènent un peu de vie et participent, discrètement mais fort efficacement, à la construction de l'échelle de la composition.
Louis Emile Minet, La Mare d'Alizay, HST, 40x56, sbg, 1903, Musée Municipal de Louviers

La qualité de dessin et d'agencement de notre toile, anodine pour l'époque et le goût classique des amateurs d'art, car ne décrivant une scène ni historique ni mythologique, montre le savoir-faire des peintres sortis des Académies et des ateliers classiques. Dessin, méthodologie, rigueur technique sont les piliers du paysagisme français dont sont issus, quasiment durant un siècle et demi, les peintres, toutes mouvances confondues, qu'ils soient réalistes, impressionnistes, fauves, cubistes, et même abstraits.

Quid de notre mare aujourd'hui ?
Selon M. Yves Grenier, élu local et historien d'Alizay, notre étang aurait appartenu à la propriété Lessière, ''Villa Les Glycines'', dont le manoir se trouve encore au 59 rue de L'Andelle. Le parc se poursuivait de l'autre côté de la rue de la Garenne, à laquelle l'imposante bâtisse est adossée. Et ce parc forestier abritait une mare, aujourd'hui asséchée et remplacée par des maisons modernes. Ajoutons que la ''Villa des Glycines'' fut transformé en hébergement, ''L'Hôtel des Deux Lions'', en activité jusque vers les années 1998 (6).

(6) : Nous remercions M. Grenier pour ses précieuses informations sur l'histoire d'Alizay.



Eric Puyhaubert


voir notre article suivant sur Georges Cyr

Bibliographie :

Musée de Louviers
Base Joconde
Eisenberg et Lespinasse, La Seine Editions des falaises, 2013
Jeanne-Marie David, Au fil de l'eau, seine de travail, catalogue d'exposition, 2017, Musée de L’Hôtel Dieu, Mantes-la-Jolie
Archives personnelles


Colette à Alizay

Alizay - Villa des Glycines, Hôtel des deux lions
Venue se reposer à "château d'Alizay", elle écrit :
"Ce n’est pas un château, c’est une petite maison restauration. Ce n’est pas une demeure isolée, elle est dans le village. On ne voit pas la Seine, il n’y a pas assez de pente. Il n’y a pas de parc, c’est un jardin assez petit. Tout cela admis, nous ne sommes pas mal." (12 mai 1939, Alizay)

La diversité des constructions semble l'impressionner : "Que c'est beau, une verdure si profonde. Deux, trois, quatre châteaux à la file sont blancs, rouges, carrés et emmerdants, mais vient un cinquième qui n'est que folie, conception de Robida ...."


Carlos Schwabe, (1866 1926), artiste-peintre né allemand, naturalisé suisse, vécut en France, de 1884 jusqu'à sa mort.
Illustrateur renommé des œuvres de Mallarmé, Baudelaire, Zola , José-Maria de Heredia, Pierre Louÿs, Catulle Mendès, etc., il est considéré comme un précurseur de l'Art nouveau, et comme l'un des symbolistes les plus personnels, ayant des préoccupations religieuses et sociales.
En 1905 il écrit qu'il se "débarrasse de cette formidable maison d'Alizay" (c'était le château), où il a vécu de 1902 à 1907, avant de s'installer à Neuilly 
Alizay - Carlos Schwabe, La vague. 1907
Carlos Schwabe, La vague. 1907