1 décembre 2017

La distillerie disparue de Senneville

Distillerie de Senneville

Senneville. Une usine dans les champs.


Nous sommes sur le plateau, et plus précisément à Senneville, connu pour son élégant manoir du 16ème, et souvent l’ignore, pour une usine rurale, une distillerie de betteraves implantée plus loin, dans la plaine, il y a 100 ans.

Pour preuve, en sortant de hameau, si l’on évite de tourner à gauche vers le Plessis, ou à droite vers Vatteville, on accède par le « Chemin aux Anes », au lieu-dit « La Distillerie ». Une appellation a priori surprenante, mais qui pourtant fait référence à une usine aujourd’hui disparue, et dont la fondation remonte aux premières années du siècle dernier. Pour l’époque il s’agissait de travaux de grande envergure, dont il reste peu de traces aujourd’hui : une maison, quelques bâtiments, et en plaine des tuyaux de circulation d’eau, que les travaux de labour déterrent encore parfois. Et aussi, cachée par des buissons au bord de la route de Connelles, peu avant le hameau de Vatteport, une petite construction en briques ayant renfermé une pompe capable de monter l’eau depuis un forage jusqu’à la Distillerie, via la ferme de Senneville.

Aujourd’hui, il est encore difficile de suivre l’évolution d’un tel projet, tant les informations restent rares. A l’origine on trouve un entrefilet paru le 14 février 1912 dans l’Echo des Andelys, qui précisait : « Les cultivateurs d’un certain nombre de communes du plateau du Vexin : Amfreville les champs, Amfreville sous les Monts, Bacqueville, Houville, Heuqueville, Vatteville, Flipou, Daubeuf, viennent de décider au cours d’une réunion, la création sur le territoire d’Amfreville sous les Monts, d’une distillerie d’alcool de betteraves. » A la même date l’autre journal des Andelys xxxxxxxxxxx ajoutait que la réunion s’était déroulée au Manoir de Senneville.

Vraisemblablement les cultivateurs impliqués par le projet, ont dû définir les objectifs et les statuts de leur coopérative, et les soumettre aux autorités préfectorales, car aujourd’hui, en consultant les Archives Départementales de l’Eure, on trouve un document officiel daté du 22 11 1912, signé par M. le Sous-préfet des Andelys, « autorisant M. Callerot ingénieur agronome, Directeur de la Distillerie Coopérative de Senneville, à établir une distillerie d’alcool de betteraves ». (M. Callerot résidait alors au Manoir de Senneville et exploitait la ferme attenante.)

Les travaux pouvaient débuter. En vérité ils avaient déjà commencé, puisque dans une lettre, M. Callerot exprime combien il est satisfait de la manière dont a été réalisée la pose des canalisations en septembre 1912. Une tâche importante, puisqu’il convenait de creuser une tranchée 2 570 mètres depuis le bas de la colline jusqu’à la plaine, de placer les tuyaux, et de les enfouir.

Enfin la Distillerie est officiellement inaugurée le 16 février 1913, en présence d’un représentant du Ministère de l’Agriculture, et d’un représentant du Service des Améliorations Agricoles. Il faut croire que l’on devait attendre de nombreux visiteurs, puisque la lettre d’invitation portait les horaires des trains en provenance de Paris, Rouen et Gisors. La cérémonie prévoyait la visite du site, suivie d’un banquet servi au Manoir (Prix du banquet 5 francs, soit 17 euros). Ce devait être un évènement important, dont nous ne possédons aucun compte rendu. On peut cependant imaginer combien il a dû être très compliqué d’assurer l’accompagnement des invités depuis l’usine, le Manoir et la gare de Pont-Saint-Pierre, dans la froidure d’un mois de février.
Distillerie de Senneville
Sur la construction proprement dite de la Distillerie, nous ne disposons d’aucun document, et nous ignorons même le nom des entreprises qui ont monté les bâtiments. En revanche le système mis en œuvre pour le captage et l’élévation de l’eau jusqu’au site sont connus grâce à un document/inventaire. Lequel distingue, au niveau du forage une pompe verticale couplée à un moteur électrique et à la Distillerie, une génératrice produisant le courant électrique qu’un réseau aérien conduisait dans la vallée, jusqu'à la pompe, sur plus de 2 500 m, donc.

Voilà tout ce que des documents d’archives nous ont révélé, tandis que sur le terrain, le site d’origine est toujours visible. (En vérité il se situe sur le territoire de Flipou). Là, on remarque sur un périmètre bien délimité de 2 ha environ, une petite maison d’habitation et des bâtiments construits par les propriétaires successifs ; parmi lesquels un cultivateur, un berger, un gardien de chenil, ainsi qu’un braconnier/panneauteur très réputé en son temps…

Aujourd’hui encore, quelques habitants conservent des images du passé. C’est ainsi que les jeunes septuagénaires du hameau se souviennent avoir vu se dresser la cheminée de l’usine avant sa démolition, au début des années 50, où dans le même temps on comblait les fosses, alors que quelques poteaux électriques restaient encore debout. Ils désignent également l’emplacement d’une bascule servant à peser les tombereaux chargés de betteraves.

Quand et pourquoi la Coopérative a-t-elle cessé son activité, une activité jugée insuffisamment rentable ? On l’ignore. La production betteravière se serait-elle ouverte vers d’autres marchés ? Possible, si l’on considère qu’après la fin de la 1ère Guerre Mondiale la sucrerie d’Etrépagny et son antenne de Brémule, près d’Ecouis, ont connu un regain d’activité après modernisation, entrainant de fait un besoin accru de matière première, et par conséquent permettant d’offrir une opportunité nouvelle aux cultivateurs du plateau, qui auraient pu alors être tentés de diriger leurs tombereaux vers Brémule. Mais ce n’est là qu’une hypothèse…

Evidemment toutes les informations recueillies sont nettement insuffisantes pour connaitre l’histoire complète de la Distillerie de Senneville. Il reste encore beaucoup de points d’interrogation, par exemple : les statuts de l’entreprise, le nom des cultivateurs à l’origine du projet, dont les descendants pourraient éventuellement fournir de précieux renseignements.

Peut-être des lecteurs de ces lignes, faisant appel à leur mémoire, viendront enrichir nos recherches ?

Un autre site voisin.

Distillerie de Senneville
Pour rester dans le domaine de l’évocation historique, plus lointaine, il faut savoir que, proche de la Distillerie, sur la route qui mène au Londe, on trouve une parcelle (elle figure sur la carte I G N 2012 O T), signalée sous le triste nom de « Gibet », et elle est proche du « Chemin de la Justice », conduisant au hameau du Buc : de quoi alimenter l’imagination ...


Claude Certain





Des retraités de l'industrie écrivent un roman

atelier "Racontons une histoire" à Louviers

Les Seniors à l’ouvrage !


L'atelier Racontons une histoire a réuni chaque semaine, d'avril à septembre 2016 à la médiathèque de Louviers, des résidents de la maison de retraite et des habitants autour de séances d'écriture collective. 
A partir de son activité professionnelle passée, chacun d'entre nous a "voyagé" dans le temps pour retrouver des souvenirs. Puis nous avons proposé des idées, des réflexions en vue de bâtir la trame d'une l'histoire. 
Celle-ci commence en août 1944. Un jeune ingénieur, notre héros, travaille dans une entreprise qui fabrique des piles. Il est sur le point de trouver une formule qui doit améliorer la qualité de ce produit quand une bombe tombe sur le toit et entraine la destruction de cuves de produits chimiques. Il tombe dans une sorte de coma, y reste pendant 25 ans, et grâce aux nouvelles technologies médicales, émerge de son sommeil accidentel. Il découvre alors une ville nouvelle avec des immeubles, une circulation intense, des centres commerciaux, l'électrophone, la télévision, la cuisine moderne, etc.
atelier "Racontons une histoire" à Louviers
Pour fêter la publication, le groupe a animé l'histoire du livre en présence d'un public conquis ; trois résidentes (97, 96, et 72 ans) ont lu quelques chapitres, puis des auteurs devenus acteurs en ont "joué" d'autres, et nous avons chanté sur l'air de Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux, en compagnie du public à qui on avait remis le texte.

Ce livre est le 16ème de la collection. J'espère de tout cœur que d'autres séniors pourront participer à semblable aventure humaine.


Christiane Bonnefoy






Activités 2017


Sorties

Outre la visite en mai des deux expositions sur la Seine, relatée en page 27 et la visite du musée de la céramique de Rouen en décembre, l'association a participé le 10 novembre à la projection de « sillons de feu » organisée par Eva Pille à la bibliothèque de Pîtres, et fourni quelques documents et objets à exposer pour les semaines suivantes.

Conférences

Un de nos membres, Jean Barette, a commencé, à la médiathèque de Romilly, une série de conférences, dont deux ont déjà eu lieu : la première concernait les tableaux de la légende des deux amants exposés dans la salle Aragon, leur histoire, et comment les communes de la vallée ont pu les acheter avant qu'ils ne partent pour les États-Unis, et la seconde les moulins de Romilly (qui feront l'objet d'un article dans le prochain numéro). Prochain sujet : le cimetière mérovingien de Saint Crespin et le prieuré.

Perspectives

Pour l'année 2018, outre la confection du bulletin numéro 10, nous avons quelques pistes, qui seront explorées dans nos prochaines réunions (visite des différentes fortifications établies depuis le moyen âge dans la vallée, et s'il y a assez d’inscrits, organisation de visites guidées (le vieil Évreux... Péronne...)

 Internet

La mise en ligne des bulletins déjà parus, avec moteur de recherche interne, prise en charge par Vincent Toubeau, est maintenant presque terminée sur le site histoireduvaldepitres.blogspot.fr.

L'indexation du contenu, qui ne dépend pas entièrement de nous, mais des moteurs de recherche, semble avancer lentement mais sûrement, et c'est là le point essentiel : permettre à tout internaute faisant des recherches de trouver de l'information sur notre site, et rendre ainsi à la communauté virtuelle des amateurs d’histoire et historiens ce que, pour rédiger nos articles, nous avons souvent utilisé, tout en y ajoutant le résultat de nos propres recherches (Archives, contacts locaux, documents personnels, etc.)

Charles Levavasseur, portrait nuancé

Le Baron Charles Levavasseur

portrait nuancé

L'édification de la Grande Filature (voir article précédent) n'est pas le premier (ni le dernier) exemple d'un coup de folie transformé par l’Histoire en coup de génie ou vu comme un symbole représentatif d'une époque. La célébrité posthume récemment acquise par Charles Levavasseur grâce aux ruines de sa Grande Filature pourrait être modérée.

L'homme politique

Né le 31 mars 1804 à Rouen, député des arrondissements de Dieppe de 1842 à 1846 et de Rouen de 1846 à 1848, représentant du peuple à l'Assemblée constituante en 1848 et à l'Assemblée nationale en 1849, rallié au coup d'État du 2 décembre 1851, il s'associa au rétablissement de l'Empire et fut élu député au Corps législatif comme candidat du gouvernement en 1852. Il échoua à l'élection législative de 1857, ayant perdu le bénéfice de la candidature officielle (accordée à son voisin et rival Pouyer-Quertier qui avait des usines à Vascoeuil, Perruel, Fleury-sur-Andelle, et près de Rouen au Petit-Quevilly. Il ne réussit pas davantage à se faire réélire en 1863.
Pouyer-Quertier
Pouyer-Quertier

Ses positions sur l'esclavage

Charles Levavasseur - Question colonialeCharles Levavasseur - Esclavage de la race noire aux colonies françaises

Avant 1848, lorsque la Chambre délibérait sur des mesures d'adoucissement de la condition des esclaves aux colonies, il se déclara hostile à toute intervention législative et se borna à souhaiter que l'émancipation des esclaves (pour autant qu'ils la souhaitassent eux-mêmes et qu'ils y eussent intérêt !) fût l'œuvre du temps et de la bonne volonté des colons (voir son opuscule : Esclavage de la race noire aux colonies françaises. Paris Delaunay, 1840 et Journal des Débats, 5 juillet 1840). Il fut brocardé par Schœlcher comme "l'avocat que les colons entretiennent à la chambre", "le député salarié de l'esclavage" ou "l'homme des colons" (voir V. Schœlcher, Histoire de l'esclavage pendant les deux dernières années, Paris, Pagnerre, 1847). La famille Levavasseur s'est-elle enrichie dans la traite négrière ? Certains l'affirment, mais ne donnent pas leurs sources (Gilles Pichavant, Le Fil rouge N°39, 2011, notes de lecture sur La traite des noirs et l'esclavage, du siècle des Lumières au temps des abolitions par Eric Saunier). Sans citer nommément la famille Levavasseur, Saunier mentionne le soutien apporté aux thèses esclavagistes par les milieux commerciaux rouennais et en particulier par la juridiction consulaire de Rouen, dont Pierre Jacques Amable Levavasseur fut président de 1792 à 1799. Un indice supplémentaire peut se trouver dans l'ouvrage précité, où Charles Levavasseur déclare s'être inspiré de seules considérations objectives et d'intérêt général et se défend de prendre en compte ses intérêts familiaux, de quoi on peut induire que ces intérêts existaient. En tout cas les rôles, tenus au port du Havre au XVIIIème siècle, des navires armés pour le commerce triangulaire ne font pas mention de l'armement Levavasseur (P. Dardel. Commerce, Industrie et navigation à Rouen et au Havre au XVIIIème siècle, Rouen, 1966), ce qui n'est pas en soi une preuve puisque le commerce maritime se faisait alors fréquemment sous forme de sociétés en participation, où le nom des associés n'apparaît pas aux yeux des tiers, ou de "prêt à la grosse aventure", dans lequel le prêteur partage avec l'emprunteur les risques de l'expédition.

Ses positions sur le travail

Ch. Levavasseur combattit toute fixation d'un nombre maximum d'heures de travail pour les ouvriers, même les enfants (que par humanité on ne devait pas séparer de leurs parents !) (Robert, Bourloton & Cougny. Dictionnaire des Parlementaires français depuis le 1er mai 1-89 jusqu'au 1er mai 1889. Paris, Bourloton éditeur, 1891).

L'homme d'affaires

Les documents contentieux que nous avons pu consulter ne le présentent pas sous un jour plus sympathique comme homme d'affaires : peu respectueux de ses voisins, fournisseurs, et clients, usant de la chicane pour se dérober à ses obligations ou exiger plus que son dû. On trouve dans toutes les affaires des plaintes récurrentes sur les abus que les frères Levavasseur tentent de tirer de leur fortune. L'abondant contentieux que les nombreux barrages établis sur l'Andelle ont suscité au XIXème siècle en fait foi. Un mémoire de 1852 dénonce : "la fortune colossale de MM. Levavasseur, jointe à l'habileté qui les distingue, à l'esprit d'envahissement qui les anime, à l'invincible persévérance qu'ils déploient, à leur adresse pour donner à toutes choses l'apparence de la raison en plus du bon droit, des moyens spécieux en place des véritables principes...". Ainsi Levavasseur a-t-il édifié l'immense filature, prolongé le canal et installé le barrage sans aucune autorisation, ou plus exactement sous couvert d'un arrêté de 1852 qui autorisait un tout autre projet. Et ce n'est que sur les protestations des propriétaires en aval, dont les installations étaient tantôt mises à sec tantôt submergées, et après que l'usine fonctionnait depuis près de deux ans, que l'administration, mise devant le fait accompli, a pris l'arrêté le 27 octobre 1862 portant règlement d'eau, demeuré en vigueur jusqu'à un arrêté du 28 février 2014 qui l'a remplacé.

Le plaideur malhonnête

On apprend encore qu'au moment où il faisait plaider devant la Cour de Rouen que le retard de mise en marche de sa filature était imputable à la défaillance du fournisseur des chaudières (Duméry), il reconnaissait dans un autre cadre qu'il ne trouvait pas la main d'œuvre nécessaire. Le fait accompli semble pour lui une pratique courante. Dans une autre affaire, au terme d'une démonstration serrée, Me Dufour s'exclame : "M. Levavasseur est un adversaire bien redoutable, il l'a prouvé depuis quinze ans; mais devant la justice, il n'y a de puissance que celle du droit et de la vérité!" (Tribunal de commerce de Rouen, affaire Mutel c/ Levavasseur, Rouen, Imprimerie Lapierre, 1862). Dans deux autres affaires, il refuse d'honorer des lettres de change émises pour règlement des frais d'avitaillement de son navire baleinier Ville de Rennes, avancés à Honolulu et à Hong-Kong en 1857 et 1858, au motif que les billets à ordre émis en son nom ne sont pas signées du capitaine mais du second, alors pourtant que la lettre de crédit dont ils étaient munis les habilitait l'un comme l'autre à emprunter pour le compte du navire : "vous pouvez être certains de mon empressement à faire honneur à toutes les traites que vous fournir[ont] MM. Troude et Leguédois, en paiement des dépenses du navire et de son séjour". A l'occasion d'une nouvelle relâche à Honolulu, où l'attendait le créancier alerté par le retour de son billet impayé, le navire échappe à une saisie et n'obtient de nouvelles avances nécessaires à son retour au Havre que par l'intervention du consul de France qui, en application de l'article 234 du Code de commerce, autorise le capitaine à mettre en gage "le corps et la quille du baleinier, ... ensemble le chargement d'huiles et fanons ". Pour refuser de payer, Levavasseur contestait le pouvoir du second de signer une traite, exigeait les justificatifs de l'emploi des fonds dans l'intérêt du navire, enfin offrait l'abandon du navire et du fret, prétendant limiter sa responsabilité à la « fortune de mer ».
Les deux affaires, strictement identiques, donnent matière à méditer sur les aléas de la Justice. Statuant d'abord sur l'action d'un premier créancier, la Maison Vaucher, qui avait avancé des fonds à Hong Kong, la Cour de Rouen rejeta sa demande par le motif que le bénéficiaire du billet ne rapportait pas la preuve de la cause de sa créance, motif inexact car la charge de la preuve incombait ici au débiteur (Rouen 27 mars 1860, Vaucher frères, Journal de jurisprudence commerciale et maritime, T. 38, 1860, II, p.112). Mais statuant ensuite sur la réclamation d'un second créancier, Melchers et Cie, qui avait avancé les fonds à Honolulu, la même Cour d'appel jugea plus exactement que le porteur du billet n'avait pas à rapporter cette preuve et condamna donc Levavasseur à en payer le montant. Il ne semble pas que ces arrêts aient été frappés de pourvoi en cassation.

Ses écrits

On doit encore à Ch. Levavasseur quelques écrits assez fades (De l'influence de l'art mécanique sur l'abolition de l'esclavage antique, Rouen, Esperance Cagniard, 1884.- Une visite chez le Roi Louis-Philippe, Rouen, Esperance Cagniard, 1888), divers rapports sur la marine marchande, les taxes sur les sucres (où étaient en conflit les sucres de canne en provenance des colonies et les sucres indigènes récemment fabriqués en métropole grâce à la culture des betteraves) et quelques communications à l'Académie de Rouen, à laquelle il fut élu sur le tard en 1883.

Vie privée. Une fille rebelle mais respectueuse...

Voilà pour l'homme public et l'homme d'affaires. Pour ce qui est du père de famille, laissons la plume au chroniqueur du Second Empire Xavier Marmier, qui prend à la médisance un plaisir trop visible pour que son objectivité ne soit pas suspectée. Avec un siècle et demi de distance, on peut néanmoins apprécier la vivacité du style et trouver dans ces lignes un roman bien enlevé. "Mlle [Mathilde] Levavasseur est la fille d'un riche armateur de Rouen qui n'a pas moins de 15.000.000 de fortune. Sa sœur aînée est mariée avec M. le Duc de Conegliano, petit-neveu du Maréchal Moncey, chambellan de l'empereur, député du Doubs. Elle déserta la maison il y a quelques années avec M. de Bondy, fils de l'ancien préfet de la Seine, beau et aimable garçon, et qui doit avoir un jour 100.000 livres de rente. Accord de cœur des deux côtés, promesses formelles encouragées par la mère et le père de Mlle Mathilde. Tout semble parfaitement arrangé quand vient un beau jour M. de Conegliano qui représente à sa belle-mère qu'elle a eu grand tort de donner sa fille à un orléaniste, qu'elle va se retrouver par là dans une position embarrassante vis-à-vis du gouvernement, tandis que si elle prenait pour gendre un des amis du pouvoir, elle aurait les plus belles entrées à toutes les fêtes de la Cour. Mme Levavasseur, vaniteuse et sotte, prête l'oreille à ces deux propos, se repend d'avoir pensé au mariage de M. de Bondy, prend la résolution de le rompre, et impose à son mari la même pensée. Tous deux alors essaient d'endoctriner leur fille, de lui démontrer quel grand avantage serait pour elle d'épouser un des hommes brodés de la Cour, et sont fort étonnés de ne pouvoir la persuader. Ils insistent, elle se regimbe. Enfin, dans leur ardeur de conversion, ils en viennent aux menaces, puis aux mauvais traitements. Un beau jour, M. Fontenilliat, grand-oncle de Mlle Mathilde, est réveillé en sursaut à 5 heures du matin et voit devant lui cette jeune malheureuse héritière qui lui dit qu'elle a été obligée de se soustraire aux cruautés de ses parents, et qu'elle vient lui demander asile. M. Fontenilliat, après lui avoir doucement démontré la gravité de la résolution qu'elle vient de prendre, la voyant décidée à ne pas retourner dans la maison paternelle, ne peut lui refuser un refuge dans la sienne, et la met sous le patronage de Mme Fontenilliat" (Xavier Marmier, Journal (1840-1890), Librairie Droz, Genève, 1968). Convocation devant l'Impératrice Eugénie, en présence de l'Empereur qui écoute par une porte entrouverte, mise à la retraite de M. Fontenilliat démis d'office de ses fonctions de receveur général, projet de la faire déclarer folle, aucune promesse ni menace n'entamera la détermination de Mathilde. Devenue majeure, elle épousera M. de Bondy sans le consentement de ses parents, après leur avoir délivré des "actes respectueux", comme l'exigeait alors l'article 151 du Code civil. Sur la scène des "actes respectueux", tempête familiale que les deux notaires requis tentent de calmer en maniant bon sens débonnaire et froideur du droit, on lira avec intérêt Balzac, La Vendetta : « Nous sommes envoyés, mon collègue et moi, pour remplir le vœu de la loi et mettre un terme aux divisions qui paraîtraient s'être introduites entre vous et mademoiselle votre fille au sujet de son mariage.... Du moment, monsieur, où une jeune personne a recours aux actes respectueux, elle annonce une intention trop décidée pour qu'un père - et une mère, dit-il en se tournant vers la baronne - puissent espérer la voir suivre leur avis. Alors la résistance paternelle étant nulle par ce fait, d'abord, puis étant infirmée par la loi, il est constant que tout homme sage ... lui donne la liberté ... Rien n'est plus affreux que les raisonnements exacts d'un notaire au milieu des scènes passionnées où ils ont coutume d'intervenir...)


Vincent Delaporte




Effets d'une éruption volcanique sur nos paroisses

volcan Laki Islande

Le Laki : Un volcan révolutionnaire ?


Une éruption volcanique

On se souvient de l’éruption en 2010 de ce volcan d'Islande au nom imprononçable, l'Eyjafjallajökull, qui entraina la formation d'un important panache de vapeur d'eau, de gaz volcaniques et de cendres. Ces dernières, poussées par les vents dominants qui les rabattirent sur l'Europe continentale, entraînèrent d'importantes perturbations dans le transport aérien dans le monde avec la fermeture de plusieurs espaces aériens et de nombreuses annulations de vols jusqu'au 20 avril.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783
Une autre éruption en Islande a eu elle aussi des conséquences désastreuses : celle du Laki, ou Lakagigar (en fait une chaîne de volcans) qui fut une des plus importantes des temps historiques., en 1783. Les cendres recouvrirent l’île, et de 50% à 80% des animaux d’élevage moururent. Il s'ensuivit une famine chez la population islandaise qui entraîna la mort de 9 336 personnes, soit près d'un quart de la population de l'époque (40 000 habitants), ainsi qu'un important exode.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783

Conséquences sur le climat

Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. En rouge les régions touchées par le brouillard sec. On voit nettement que l’Eure et la Seine-Maritime en font partie
En rouge les régions touchées par le brouillard sec. On voit nettement que l’Eure et la Seine-Maritime en font partie

Cette catastrophe eut des conséquences climatiques sur tout l'hémisphère nord. Par son intensité elle produisit un nuage de pollution appelé par les scientifiques de l’époque «le brouillard sec", parce qu’il n’influençait pas les hygromètres, qui allait séjourner de longs mois sur la France. Ce nuage était constitué principalement de dioxyde sulfurique et d'acide fluorhydrique.

L’été 1783 fut particulièrement chaud avec des ciels rouges le soir qui créaient des paniques et de violents orages. Les récoltes furent perturbées : fourrages brulés, chenilles dans les pommes, blé qui n’arrivait pas à maturité, grappes de vignes (eh oui ! il y avait de la vigne en Normandie) dévorées par les insectes. Lui a succédé un hiver des plus rigoureux. La neige commença à tomber en décembre, elle dura dans certaines provinces plus de deux mois. Les dégâts provoqués par le dégel furent très importants, notamment à Rouen où le pont de bateaux fut emporté par la débâcle des glaces.
Les années qui ont suivi l'éruption du Laki en 1783 furent marquées par des phénomènes météo extrêmes, dont des sécheresses et des hivers très rigoureux, puisqu’on disait que le pain et la viande gelaient sur la table de la cuisine et les corbeaux en plein vol. On vit un accentuation du petit âge glaciaire. La ligne de grains orageux qui traversa la France du sud au nord, dans l'été 1788, détruisit toutes les récoltes 
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783.

Conséquences sur la santé

Les mauvaises récoltes, la pollution atmosphérique et l’hiver rigoureux ont entrainé une surmortalité très importante. A cette époque, les épidémies étaient nombreuses et l’Etat (c’est-à-dire le roi !) s’en préoccupait. La Normandie avait sa part de «fiévreux» comme on les appelait à l'époque.

La toute jeune Société de médecine fondée en 1778 est mobilisée. C’est la naissance des thèses hygiénistes : des médecins veulent démontrer l’influence de la qualité de l’air sur la santé. Des mesures prophylactiques sont prises mais 160 000 personnes auraient au total succombé en Europe.

Le célèbre docteur Louis Lepecq de la Clôture, «hippocrate normand» qui exerçait à Rouen depuis une vingtaine d'années avait été désigné par Vicq d'Azir, secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine, comme médecin des épidémies de la Normandie. Il relata toutes les affections qui se produisirent alors en plus grand nombre que les autres années : scorbut, paludisme, choléra, dysenterie. Ce sont les zones de plaines avec rivières et marécages qui sont le plus touchées, comme le relate le docteur. « Ainsi se terminait notre été le plus injecté des vapeurs atmosphériques et le plus fécond en maladie que j'ai vu depuis vingt ans que j'écris les maladies régnantes. Je suis en état d'attester que la contrée de Caux et du Roumois étaient dans une situation désolante par la quantité de maladies qui y régnaient. Les cantons de plaines dans ces deux contrées se trouvaient infestés des fièvres d'accès irrégulières et souvent malignes. Les paroisses les plus rapprochées des bois, des rivières étaient atteintes de coliques bilieuses et dysentériques qui s'établissaient d'une manière inquiétante. »

Comme le montre la courbe ci-dessous, il y a effectivement un plus grand nombre de décès en 1783. Mais ce n’est pas le seul pic de mortalité. Il y en avait eu un autre en 1779-1780 car une grave crise de dysenterie provoqua 132 000 morts en Bretagne. Ensuite une pneumonie infectieuse s’installa dans l’Ouest.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. Cumul des décès de 1779 à 1788 Étude portant sur 36850 décès relevés dans 97 paroisses de Normandie et du Maine En gris, nombre de décès, en rouge, moyenne mobile sur 3 mois des décès pour l'ensemble des paroisses entre 1779 et 1788. Noter l'augmentation de plus de 50% par rapport à la moyenne dans les 6 mois qui suivent l'évènement (automne-hiver 1783-84) puis la diminution du même ordre dans les 6 mois suivants. Le trait vertical rouge marque la date de l'éruption du volcan Laki en Islande (fin mai - début juin 1783) qui est à l'origine des brouillards délétères qui ont obscurci le ciel d'Europe dans les semaines et mois qui suivirent. La ligne verte est la moyenne mensuelle globale pendant les 10 années 1779-1788.

Cumul des décès de 1779 à 1788

Étude portant sur 36850 décès relevés dans 97 paroisses de Normandie et du Maine

En gris, nombre de décès, en rouge, moyenne mobile sur 3 mois des décès pour l'ensemble des paroisses entre 1779 et 1788. Noter l'augmentation de plus de 50% par rapport à la moyenne dans les 6 mois qui suivent l'évènement (automne-hiver 1783-84) puis la diminution du même ordre dans les 6 mois suivants. Le trait vertical rouge marque la date de l'éruption du volcan Laki en Islande (fin mai - début juin 1783) qui est à l'origine des brouillards délétères qui ont obscurci le ciel d'Europe dans les semaines et mois qui suivirent. La ligne verte est la moyenne mensuelle globale pendant les 10 années 1779-1788. 

Qu’en est-il dans nos villages ?

En consultant les registres d’état civil des baptèmes, mariages et sépultures de Pîtres, Romilly, Pont-Saint Pierre (à l'époque deux paroisses) et Pont de l’Arche, on constate, bien que la recherche porte sur un nombre d’habitants peu élevé, que les pics de mortalité correspondent bien aux années de la courbe ci-dessus portant sur 97 paroisses (voir plus loin).

En étudiant en détail mois par mois les décès de 1785, on constate à Pîtres une surmortalité sur les mois MDP (Mois Dysenterie Paludisme). On voit donc sur Pîtres une petite augmentation en 1783 (29 décès) mais ce sont surtout 1780 et 1785 qui sont les années les plus meurtrières.
Et ce sont évidemment les enfants qui sont les plus touchés : sur les 17 décès d’octobre, dix sont des enfants de moins de 10 ans.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. Décès dans le Val de Pîtres

Le paludisme était donc encore endémique à cette époque, et jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il provoquait des comas mortels chez les jeunes enfants Il en est malheureusement encore ainsi dans les pays où sévit cette terrible maladie. Le quinquina, seul traitement efficace à l’époque, était horriblement cher pour le peuple.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. Décès en 1785 à Pîtres
Décès en 1785 à Pîtres

Les fortes chaleurs consécutives à l’éruption ont été favorables au développement du moustique qui provoque le paludisme : « la lave du volcan a réveillé indirectement la larve du moustique »
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. Décès en 1780 à Pîtres
Décès en 1780 à Pîtres

- En 1780 ce doit être la pneumonie infectieuse qui cause le plus de décès qui ont lieu en février (16 morts) et mars (9 morts) sur les 49 de l’année à Pîtres.
- A Pont de l’Arche, les courbes montrent aussi des pics en 1780, 1785 et 1788 mais l’influence des cendres du Laki semble s’y être plus fait sentir qu’à Pîtres, avec 77 décès, et un pic de mortalité en mai sans qu’on puisse trouver une explication.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. Décès en 1783 à Pont de l'Arche
Décès en 1783 à Pont de l'Arche

- A Romilly, il en est de même avec 16 décès en 1783 et une année 1780 très meurtrière avec 19 décès.

Un volcan révolutionnaire ?

Dès 1784, des troubles de disette sont signalés partout et en particulier en Normandie. Les causes de révolte sont la cherté des grains mais aussi des soupçons de spéculation. Les fermiers sont accusés de stocker ou d’exporter clandestinement. Les seigneurs aussi amassent dans leurs châteaux.
Cette spéculation fut très mal supportée par le peuple et serait une des causes de la révolution. La situation des paysans était si désespérée que la révolution éclata en 1789. Ces modifications climatiques et le volcan Laki ne sont peut-être pas seules en cause, mais certains historiens admettent que leur influence fut considérable dans les événements politiques qui mirent fin à la royauté.
Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783. Prix du froment à Rouen, de 1779 à 1788, en livres par hectolitre
Prix du froment à Rouen, de 1779 à 1788, en livres par hectolitre

Pour d’autres, c’est là un « serpent de mer porté par les Anglo-Saxons et les géologues », car, au contraire, le pouvoir royal débloqua 3 millions de livres pour aider les victimes, soit 1% du budget de l’État. L’image de Louis XVI « le Bienfaisant » en sortit renforcée, ce serait même le début de l’État providence ...

Les orages des 13 et 14 juillet 1788 qui ravagèrent les cultures céréalières seraient plus en cause que le volcan, ainsi que l’hiver très rigoureux de 1788 (ci-dessous le commentaire du curé de Notre Dame de Bonneval paroisse près de Conches, qui n’existe plus de nos jours). C’est ce que les climatologues appellent le « petit âge glaciaire» dont Emmanuel Le Roy Ladurie, l'un des précurseurs de l'étude de l'histoire du climat en France, fixe la fin vers 1860.

Sources

Etat-civil de Pîtres, Romilly, Pont de l'Arche aux Archives Départementales de l'Eure
La tribune de Genève blog 2010
Epidémies et famines en France
Eruption du Laki juin 1783 de Michel Letourneur 2012


Liliane EBRO




Eruption du volcan Laki (Islande) en 1783.
L’histoire ne fournit point d’exemple d’un hiver aussi long, aussi froid et aussi constant que celui de cette année 1788. Le 24 novembre, la gelée commença à se manifester par un vent d’est nord-est. Depuis ce jour, le froid est allé en augmentant, gelant à toutes les heures du jour et de la nuit.
Le 31 décembre, le baromètre a 28 pouces trois lignes et demie. Les thermomètres marquaient 18 degrés(*) et trois quart au dessous de la glace.
Le grand froid de 1776 fut observé aux mêmes thermomètres à 16 degrés et un quart, celui de 1740 à dix degrés et demi, au dessous de la glace. Celui de 1709 à 15 degrés au dessous de la congélation. Le froid du 31 décembre n’a donc pas d’exemple ni dans la rigueur ni dans la durée.
* en degrés peu différents de l’échelle actuelle

Journal du curé de Notre-Dame de Bonneval

Orage le 13 juillet 1788. Coupure de presse. Transcription : « 1788, 13 juillet. Le dimanche 13 du mois de juillet mil sept cent quatre vingt huit, vers les onze heures du matin, il s’est élevé un orage terrible venant du sud : la pluye, la grèle, le vent et le tonnerre ont fait un ravage effroyable dans une grande partie de la France ; peu de provinces ont été épargnées par le fléau ; la grêle principalement en a dévasté une grande partie ; les bleds et les autres denrées ont été entièrement perdues dans beaucoup d’endroits, dans d’autres à moitié et dans certains autres au tiers et au quart ; les villes et les grandes maisons ont souffert des dommages considérables : les ardoises et les vitres ont été fracassées. La misère est devenue des plus grandes, le prix du bleds est devenu excessif et pour comble de disgrâce, l’hiver a été le plus long et le plus rigoureux que l’on ait jamais vu ; joint à tout cela le mauvais état des affaires du Royaume, qui est cause que le Monarque ne peut donner à son peuple le soulagement à de si grands maux. La misère est à son comble : Dieu veuille y mettre fin et nous bénir tous. Amen "    
Archives de la mairie de Fresnoy le grand (Aisne)


La taillanderie (Vergez et Blanchard)

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. La taillanderie au début du XXème siècle (la semeuse sur fond rouge sans sol a été imprimée de 1906 à 1910)
La taillanderie au début du XXème siècle (la semeuse sur fond rouge sans sol a été imprimée de 1906 à 1910)


Romilly : La Taillanderie


Plus ancienne entreprise industrielle de la vallée de l’Andelle, la Taillanderie, alias Soubeyran, Vergez et Blanchard, aujourd'hui Meslin, a eu de nombreuses appellations au fil des années, mais ce qui n'a pas varié, c'est la localisation de l’usine : l'ancien moulin Bétille, et sa fabrication : des outils de coupe haut de gamme pour artisans du cuir (selliers, bourreliers, maroquiniers, harnacheur, relieurs, bottiers et cordonniers) et tapissiers.

Blanchard, le fondateur, la référence

C'est le nom le plus ancien : première mention en 1823. Louis René Blanchard est alors coutelier, rue des Gravilliers à Paris, puis il est cité dans le catalogue de l’exposition de 1827, comme coutelier, rue des Prouvaires, quand il reçoit la médaille de bronze.
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Simonin Blanchard
Il s’associe ensuite avec un dénommé Mercier : la société devient Mercier, Blanchard et Cie. En 1844, Louis Hippolyte Simonin prend la succession et obtient de Mercier le droit de marquer sa production Mercier Blanchard, ou simplement Blanchard. La société devenue Simonin dit Blanchard et Cie en 1845, sera dissoute en 1876, mais le nom de Blanchard reste une référence, et réapparaît dans les sociétés suivantes.
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Simonin Blanchard

Les Soubeyran : Romilly

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Adrien Soubeyran
En 1898 apparaît Adrien Soubeyran, celui qui en 1904 installera la fabrication à Romilly, bureaux et magasins restant à Paris. (voir plus loin)

La société porte successivement le nom de Soubeyran, Chavanne et Cie, Simonin Blanchard, Soubeyran, Chavanne et Cie, dirigée par Adrien Soubeyran puis par son fils Jean, et en 1966 par son petit-fils Jean-Claude.

En 1987 la raison sociale Soubeyran-Chavanne cède la place à Vergez-Blanchard (25 à 35 ouvriers), la marque Vergez fabricant d'outils de tapisserie ayant été rachetée par Simonin Blanchard dès 1910, et prenant plus d’importance dans les années 1950 avec le déclin de la bourrellerie, avant que l'industrie automobile relance la fabrication d'outils pour le caoutchouc.

Mais la diversification de la production s’était imposée dès le début du XXème siècle : outils pour les forestiers (hachette forestière avec marteau numéroteur pour marquer les arbres), les sylviculteurs (griffes pour la saignée des hévéas, vendus en Indochine, ébavurage des pneus, pour les couvreurs en ardoise, etc, et plus généralement outils sur mesure fabriqués sur les plans du client.

Adrien Soubeyran

Entré à l'Ecole Polytechnique en 1877, mais peu attiré par la vie militaire, il sollicite son inscription à l'Ecole des Mines, où on l’accepte comme élève externe. Il se spécialise alors dans l'électricité, une technologie toute récente (la lampe à incandescence d’Edison est mise au point en 1878).

En 1889, il est ingénieur attaché au service mécanique et électrique de la direction de l'exploitation de l'exposition universelle de 1889 où une galerie des machines vantera le dernier cri industriel de la France, qui veut célébrer avec éclat le centenaire de la Révolution (Eiffel, constructeur de ponts se voit confier l'édification d'une tour métallique de 300 m)
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. André Soubeyran, deuxième à droite sur le chantier de l'Exposition universelle de 1889
André Soubeyran, deuxième à droite sur le chantier de l'Exposition universelle de 1889

En 1897-1899, il est ingénieur principal à la Société anonyme d'éclairage électrique du secteur de la place Clichy à Paris. L'électricité distribuée en courant continu permet à des lampes électriques équivalant à 25 W de remplacer peu à peu les becs de gaz et les lampes à pétrole.
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Adrien Soubeyran, Simonin Blanchard
Autorité reconnue, Adrien Soubeyran décline pourtant l'offre qu'on lui fait pour l'Exposition universelle de 1900, et n'accepte qu'un rôle de consultant, car peu à peu, il s'oriente vers l'industrie de fabrication et prend une part active dans la fabrique d'outillage Simonin, Blanchard et compagnie, qui jouit d'une réputation universelle de qualité, mais dont l’activité est bridée car ses ateliers manquent d’espace à Paris. Adrien rachète une participation dans l'entreprise et investit dans les frais de déménagement hors de Paris.

La taillanderie

L'usine Chatillon, du nom du propriétaire, était un des bâtiments de la Fonderie de Romilly, implanté sur le site du moulin des deux amants. M. Chatillon était un forestier auvergnat ambulant venu exploiter dans les forêts voisines qui avait acheté l'usine, sous laquelle passait l'Andelle. Celle-ci permettra d'alimenter l'ensemble des machines de la nouvelle usine grâce à une turbine hydraulique, qui remplacera la chaudière à vapeur utilisée à Paris.

L’usine étant à l'arrêt depuis plusieurs années, les travaux de remise en état débutent très vite et, une partie seulement des ouvriers parisiens acceptant de venir en Normandie, on embauche sur place le reste des 50 postes de travail. Tout est démonté et chargé à dos d'homme puis dans des voitures à cheval jusqu'à la gare de marchandises.
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. en 1905
en 1905

L'usine change rapidement de nom : au sein du village on l'appelle taillanderie, en référence à la coutellerie et aux outils coupants (taillants) qui figurent parmi ses fabrications.

Deux ou trois ans plus tard, on remplace la vieille roue par une turbine horizontale totalement immergée dans la rivière, d'un rendement très supérieur, ce qui permet l'acquisition de nouvelles machines. Cette turbine, à la pointe de l'innovation technique, est citée dans une revue technologique de 1900, et turbinera l'eau de l’Andelle jusqu'en 1986.

Les outils Blanchard s'exportent, Adrien Soubeyran est désigné comme conseiller de commerce extérieur en 1904. La société Simonin Blanchard avait alors démarché l’Amérique centrale et du Sud, et toute l'Europe, Moscou, Vienne, Prague, Madrid, Stockholm etc. Il fallait sans cesse veiller à la concurrence étrangère des contrefacteurs, ce que montrent de nombreux comptes-rendus de procès pour défense de marque déposée.

Turbiner…

…c'est beaucoup de travail : la rivière s'embarrasse, il faut curer presque chaque année, bois flottants et feuilles mortes demandent le nettoyage constant des grilles de protection, il faut assurer le réglage en fonction des précipitations. Le maintien d'un dénivelé entre le bief amont et le bief aval conditionne le bon fonctionnement de la turbine pour cela il faut fermer les vannes pour faire monter l'eau amont jusqu'au niveau du déversoir puis ensuite réguler le débit nécessaire pour travailler tout en laissant passer l'eau excédentaire dans le cours principal.

A partir de 1970, un raccordement au secteur double l'énergie de la rivière qui devenait insuffisante pour les besoins des machines-outils.
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard.
Mais dans les années 80, le marché se restreint, et l'entreprise Soubeyran-Chavannes se trouve en faillite, sans repreneur. Fort heureusement, un outilleur salarié de l'entreprise, Guy Meslin, décide de de tenter le sauvetage. L'espoir un temps caressé de pouvoir garder l'usine dans l'état se révéla rapidement illusoire, il fallait absolument moderniser les locaux pour survivre, et en 1993, la Taillanderie est transférée de quelques centaines de mètres, au lieu-dit les clônettes, acquis par la Communauté de Communes de l'Andelle puis revendu à Guy Meslin, pour devenir les établissements Vergez-Blanchard. Les machines sont démantelées. Seul le pilon est transféré, les machines anciennes ne pouvant plus assurer un niveau de production suffisant et ne répondant plus aux normes.

L'énergie hydraulique

Comme d'autres propriétaires de vannages et d'installations hydrauliques sur la vallée de l'Andelle, Guy Meslin a tenté depuis près de 20 ans de remettre en route la turbine de l'usine. Cependant le problème n'est pas technique, celle-ci serait d'ailleurs prête à fonctionner dès demain, mais administratif. Une longue tradition d'opposition à la remise en route des turbines ou roues à aube, malgré l'intérêt évident qu'il y aurait à fournir de l'électricité verte, fait que tous les arguments administratifs sont régulièrement invoqués pour retarder cette mise en route, et l'eau continue en pure perte à passer sous les ponts….
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Le vannage .  Photo Rodolphe Delorme
Le vannage. Photo Rodolphe Delorme

Annexes

Les marques

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard.
La levrette reste la marque de fabrique bien connue de l'entreprise. Elle date de la coutellerie de la rue des Gravilliers. Cette pratique du marquage des outils n'était pas nécessaire dans l'ancien temps quand les artisans savaient toujours qui était le spécialiste, forgeron en général, qui leur avait fourni leur outillage mais par la suite avec l'industrialisation croissante et le développement du commerce, d'innombrables fabricants se trouvèrent en mesure de réaliser tout et n'importe quoi…
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard.

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Contrefaçons
Pour imiter la levrette, on vit des fabricants se servir d’un chat, d'un chien ou d'autres animaux. Ou, le nom de Blanchard étant bien connu, certains pouvaient proposer leur produits en indiquant par exemple : « M. Portrait était ancien ouvrier de la maison Blanchard ». D'autres furent moins scrupuleux : un ancien contremaître à Paris quitta la maison en emportant tous les modèles d'outils, le catalogue général et les listes de prix et de clients pour créer son entreprise, et il fallut un procès pour restreindre cette concurrence.
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Aujourd'hui, les collectionneurs s'arrachent les outils aux marques anciennes.
Aujourd'hui, les collectionneurs s'arrachent les outils aux marques anciennes.

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Une griffe à frapper, outil d'une extrême précision, et son utilisation.
Une griffe à frapper, outil d'une extrême précision

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Une griffe à frapper, outil d'une extrême précision, et son utilisation.
et son utilisation.
            

Le personnel

Nous avons retrouvé quelques anciennes photos du personnel. Certains peuvent sans doute y retrouver un ancêtre
Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Tout derrière : Jean Soubeyran,   puis de g. à dr. : Noël Eronte, Valet, Lainé, ?????,  Désiré Cavelier , ?????
Tout derrière : Jean Soubeyran, puis de g. à dr. : Noël Eronte, Valet, Lainé, ?????, Désiré Cavelier, ?????

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. De g. à dr. : André Lefebvre, Chapuis, Marie Bulot, Désiré Cavelier   assis : Henry
De g. à dr. : André Lefebvre, Chapuis, Marie Bulot, Désiré Cavelier assis : Henry

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Photo prise entre 1945 et 1949. De g. à dr. : André Lefebvre, Evode Campigny, Chapuis, Mme Campigny, concierge, avec derrière elle Jeanne Grégoire Levacher, Marie Bulot, M. Campigny, Désiré Cavelier
Photo prise entre 1945 et 1949. De g. à dr. : André Lefebvre, Evode Campigny, Chapuis, Mme Campigny, concierge, avec derrière elle Jeanne Grégoire Levacher, Marie Bulot, M. Campigny, Désiré Cavelier 

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Un forgeron hors-pair, Monsieur Neveu
Un forgeron hors-pair, Monsieur Neveu

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard.

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. La presse dans les nouveaux locaux (photo E. Catherine)
La presse dans les nouveaux locaux (photo E. Catherine)

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Didier Nantu, outilleur très pointu...
Didier Nantu, outilleur très pointu... 

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Jean-Pîerre Hudiment et Guy Meslin
Jean-Pîerre Hudiment et Guy Meslin


Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Extraits de l'article de Célia Mick in Paris Normandie 4/2/2016
Extraits de l'article de Célia Mick in Paris Normandie 4/2/2016

Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. Pour insister sur la qualité française….
Pour insister sur la qualité française….


Romilly sur Andelle : la Taillanderie. Vergez et Blanchard. couteau mécanique
couteau mécanique

Sources :

- Multiples sites internet spécialisés dans l'outillage ancien ou moderne pour le cuir et le tissu, dont craft'n'tools, très complet, qui présente toute la gamme Vergez et Blanchard
- http://romilly-sur-andelle.com/adrien-soubeyran.html (avec nos remerciements à M.Jacob qui nous a permis de puiser largement dans sa documentation)
- Archives Vergez et Blanchard
- Photos Eric Catherine (Ballades au fil de l'eau)
- Paris-Normandie


Michel Bienvenu