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29 février 2020

Deux excursions de société savante dans la vallée de l'Andelle



1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle
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1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens

dans la vallée de l'Andelle


En faisant des recherches sur internet, on peut avoir de bonnes surprises, depuis que de nombreux sites ont numérisé et mis en ligne des textes qui sinon dormiraient dans la poussière des bibliothèques, parmi lesquels les bulletins des sociétés savantes, mine de récits vivants et de témoignages intéressants de notre passé. Ainsi, une société savante d'Elbeuf ayant fait deux expéditions de botanistes, dans la vallée de l'Andelle, nous a laissé deux comptes rendus de style fleuri...
 

Extraits du BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ D'ENSEIGNEMENT MUTUEL DES SCIENCES NATURELLES D'ELBEUF, 1881-1882 

(les résumés et commentaires sont en italiques)

[…] Cette sortie est du nombre des choses dont un poète, qui aima la nature et la chanta merveilleusement, a dit que le souvenir est toujours agréable.] […] dès 5 heures un quart du matin, la cour de la gare de Saint-Aubin présentait un aspect inaccoutumé. Environ cinquante personnes de tout âge y étaient groupées.
1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - La gare de Radepont en 1905
La gare de Radepont en 1905

[…] Cette sortie est du nombre des choses dont un poète, qui aima la nature et la chanta merveilleusement, a dit que le souvenir est toujours agréable.] […] dès 5 heures un quart du matin, la cour de la gare de Saint-Aubin présentait un aspect inaccoutumé. Environ cinquante personnes de tout âge y étaient groupées.
[…] La descente s'effectue à Radepont à 7 h 23; le court trajet qui sépare la gare de l'entrée du parc est promptement franchi, et les habitants de cette commune, toujours jolie mais bien déchue de son ancienne prospérité industrielle, se livrent visiblement à des conjectures variées sur cette invasion d'hommes armés d'instruments bizarres. Leur perplexité cesse en nous voyant recueillir avec empressement le chenopodium bonus-henricus L.*, ils en concluent, non sans raison, que des gens si passionnés pour les végétaux ne sauraient être des anthropophages.

* Appelé aussi "ansérine bon-Henri", on le trouve à l’état sauvage un peu partout en France dans les terres riches et ombragées. Ses feuilles riches en calcium, fer et phosphore se consomment crues en salade ou cuites comme les épinards. (Rustica)

1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - ansérine bon-Henri

Par la grille grande ouverte, nous pénétrons dans l'admirable parc de M. Ch. Levavasseur, qui nous en avait  accordé l'entrée le plus courtoisement du monde. Il faudrait un cadre moins resserré que celui dont je dispose pour décrire les beautés de ce domaine princier, dont l'enceinte enferme des plaines et des coteaux, des taillis et des futaies, une rivière poissonneuse et des sources jaillissantes, un château moderne et deux ruines historiques.
Il y aurait bien des choses intéressantes à raconter sur ce vieux château dont les restes imposants abritent encore le tombeau des seigneurs de Radepont et auquel Philippe-Auguste fit, en 1203, les honneurs d'un siège en règle. Peut-être même n'y en aurait-il guère moins à dire sur l'ancienne abbaye de Fontaine-Guérard, communauté de femmes de l'ordre de Citeaux. Mais l'espace et le temps nous sont mesurés.
1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Château de Radepont
Ce château de Radepont faisait partie d'une  ligne de fortifications érigée par Richard Cœur de Lion pour se protéger de son rival Philippe-Auguste. En faisaient partie Orival, Moulineaux, et bien sûr Château-Gaillard. Construit en 1194-1195, par Richard Cœur de Lion pour servir d'appui à Château-Gaillard, Mais comme Philippe-Auguste s'empare de Château-Gaillard en 1204, et par là-même de la Normandie, il n'aura pas servi longtemps.

[…] Avant de descendre pour effectuer notre visite au vieux château de Douville, nous jetons un coup d'œil sur le délicieux panorama qu'embrassent nos regards. A notre gauche, les ombrages du parc que nous parcourions tout à l'heure; en bas, la monumentale filature de M.Ch. Levavasseur, détruite par un incendie voilà quelques années, et si vaste, qu'avec ses quatre murs aux fenêtres ogivales et ses tours élevées, on la prendrait pour le vaisseau d'une immense cathédrale; devant nous, au  milieu de la prairie où l’Andelle semble vouloir s'attarder, les ruines du manoir de Longempré, où Henri IV recevait sa mie Gabrielle.
Ici l'auteur fait une confusion que l'on retrouve souvent, y compris sur quelques sites internet, entre le château dit de Douville, même s'il se trouve sur la commune de Pont-Saint-Pierre et celui de Pont-Saint-Pierre, qui s'appela Longempré, de Gabrielle, Malemaison, et que l'article d'un précédent bulletin sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre tente d'éclairer.


1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Côte des deux amants
[…] à droite, ouvrant magistralement la vallée, la côte des Deux-Amants, de romanesque mémoire. Pendant que, saisis, enchantés, ravis par le tableau dont nous venons de tracer une si pâle esquisse, nous agitons sérieusement les moyens de ne plus quitter les coteaux de Fontaine-Guérard, notre trésorier, qui guide l'excursion et dispense le temps à chaque partie du programme, nous rappelle au sentiment de la réalité. Inflexible comme l'heure qu'il consulte, il multiplie les appels. Force nous est de nous résigner et d'obéir aux injonctions de sa corne de chasse, dont les sons harmonieux (?) servent de ralliement aux excursionnistes.

1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Hôtel de l'Union à Pont-Saint-Pierre
Nous aurons la franchise d'avouer, et nous sommes certains de n'être démenti par personne, que le déjeuner (à Pont-Saint-Pierre, Hôtel de l'Union), auquel nous avaient préparés six heures de marche, tenait alors une place prépondérante dans nos  aspirations. Nous y fîmes donc honneur, en gens dont la  conscience est tranquille mais l'appétit turbulent; il convient d'ajouter qu'il y eut quelque chose de plus intarissable que notre fringale, ce fut la gaité. Notre président, M. Noury, à son entrée dans la salle à manger, avait été l'objet d'une attention délicate; une aimable enfant, la fille de notre amphitryon, avait souhaité la bienvenue au cher maître en lui offrant un superbe bouquet. Ce petit incident, non inscrit au programme, nous avait fait grand plaisir à tous et avait encore ajouté à l'entrain général.
Après le déjeuner, qui finit à deux heures, les uns s'acheminent vers l'emplacement où s'élevait la forteresse d'Eustache de Breteuil, (le Catelier, voir l'article sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre) dont il ne reste plus que des vestiges sans importance; les autres visitent un beau parc dont l’entrée leur est gracieusement octroyée par Mme la baronne d’Houdemare (propriétaire du château de Pont-Saint-Pierre)

[…] A 3 heures 20, nous prenons le train pour Pont-de-l’Arche, où l'un de nos collègues, qui n'avait pu se joindre à nous et qui avait fait une visite à la côte des Deux-Amants, nous remet quelques échantillons de Biscutella *[…]
Cette vallée de l'Andelle est décidément une terre privilégiée : la nature y est splendide, les gens courtois, les tables bien servies. Nous y reviendrons.

1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Biscutelle de Neustrie
 

* La Biscutelle de Neustrie, très rare et en grand danger d'extinction, affectionne les pelouses calcaires, sur sol écorché ou éboulis .Son aire de répartition est limitée au département de l'Eure.


M. Louis Muller




Nouvelle excursion, 22 mai 1887

 
[…] à 8 heures du matin, les voitures de l’entreprise Lequeux déposaient, à la grille du parc de Radepont, 25 excursionnistes elbeuviens. Mise en goût par la première excursion organisée il y a cinq ans, la Société avait témoigné le désir de revoir, cette année, la riante vallée de l'Andelle.
 Pour cette seconde  excursion, on a donc préféré la route, en louant les services d'une entreprise de transport de personnes, dont les voitures devaient ressembler à cela :
1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Omnibus Photo ND
Omnibus Photo ND

Il était environ 8 heures 1/2, lorsque les excursionnistes escaladaient les chemins qui conduisent au sommet de la roche sur laquelle fut construit l'ancien château fort de Radepont.
Il est onze heures lorsque nous nous trouvons en vue du vieux château de Longempré, connu aussi sous le nom de château de Gabrielle … (même confusion que précédemment)
A une heure et demie, nous levons le siège et nous prenons le chemin qui doit nous conduire à l’établissement métallurgique des Fonderies de Romilly.
En arrivant, nos regards sont attirés par une plaque commémorative indiquant que la fondation de l’établissement remonte à l’année 1782. En face des tas de minerai, des amoncellements de barres de cuivre du Chili, des fours à fusion et des laminoirs de diverses formes et de toutes dimensions, des marteaux à vapeur; renseignement, dispensé par des voix autorisées.
Les spécimens des travaux que la Société a pu voir : plaques pour foyers de locomotives, enveloppes de foyers, tubes, barres, planches, etc., etc., ont donné une idée de ces transformations. Nous citerons comme ayant vivement intéressé les visiteurs, l’atelier où se fabriquent les ceintures d’obus. D'énormes presses hydrauliques, dans lesquelles l’application du principe de Pascal, sur l'incompressibilité de l'eau, se montre dans toute sa force brutale, permettent de pétrir le cuivre avec une facilité qui surprend au premier abord.
Nous ne dirons rien des quantités innombrables de ceintures d'obus** qui se fabriquent constamment à Romilly et qui, parties perfectionnées d'un tout plus perfectionné encore, doivent servir à confectionner des engins de destruction dont les effets terribles jetteront peut-être un jour l'épouvante dans les nations civilisées; aussi laisserons-nous de côté les réflexions que nous suggère un état de choses qui amène l'espèce humaine à chercher, sans trêve ni repos, les moyens, les plus efficaces, d'assurer son propre anéantissement.

** la ceinture de rotation : anneaux de métal très malléable (cuivre ou plomb) sertis sur la circonférence  
Voilà des considérations qui tranchent sur l'état d'esprit revanchard de la France d'avant 1914, et qui, mieux partagées, auraient pu éviter la boucherie.  
En sortant de l'établissement de Romilly, dans lequel nous nous trouvions avoir empiété un peu sur l'heure du retour, arrêtés que nous étions toujours par quelque fait intéressant, nous nous rendons au pied de la côte des Deux Amants. Plusieurs d’entre nous qui bien des fois avaient fait le rêve de cette ascension, purent, après avoir convoité la coupe de loin, donner libre cours à leur ardeur. L'ascension de cette côte se fit promptement; il y eut bien quelques poitrines essoufflées et il se produisit aussi quelques glissades, mais au sommet la caravane était au complet. Nous nous trouvions là à l’altitude de 138 mètres, à peine la moitié de la hauteur de la tour Eiffel ! ***

*** la tour Eiffel, haute de 332 mètres, est construite en deux ans, entre 1887 et 1889, donc postérieurement à cette escalade, et à la rédaction de l'article. Sa future hauteur devait suffisamment impressionner pour être un point de comparaison obligé.



 T. Lancelevée


1 décembre 2018

Les châteaux de Pont-Saint-Pierre


Les châteaux de Pont-Saint-Pierre

Les châteaux de Pont-Saint-Pierre


La conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066 a réuni sous une même couronne la Normandie et l'Angleterre, mais la succession de Guillaume se passe mal, avec en arrière-plan les rois de France, toujours prêts à tenter d'agrandir leur domaine, d'où parfois une certaine difficulté à suivre le jeu des alliances et leurs renversements. On se trahit, on se bat on se réconcilie, et les seuls perdants sont toujours les habitants accablés d’impôts qui, bien pire, voient les troupes passer chez eux : pillages, massacres, viols, incendies des récoltes et des villages...

Châteaux construits à Pont-Saint-Pierre

On peut considérer qu'il y a eu cinq demeures seigneuriales sur le territoire de l'actuelle commune de Pont Saint-Pierre, dont un seul reste debout de nos jours. Ce sont :

1. Le Catelier, château fortifié du XI et XIIe siècles, qui dominait la paroisse de Saint-Pierre
2. la Malmaison, qui se trouvait sur le site de l'actuel château de Pont Saint-Pierre
3. le château de Douville, construit presque en même temps que la Malmaison.
4. Bernière, alias la Garenne ou les Maisons, dont il reste peu de traces, dans un bouquet d'arbres, entre l'église de Pont-Saint-Pierre et le château de Douville .
5. Logempré, l'actuel château de Pont Saint-Pierre

Chronologie simplifiée :

1066 : Guillaume, duc de Normandie, remporte la bataille d'Hastings et devient roi d'Angleterre
1087 : il meurt et ses fils Guillaume (le Roux), Robert (Courteheuse) et Henri (Beauclerc) commencent à se disputer l'héritage. Série de partages, d'alliances, trahisons et batailles dont Henri sort vainqueur …
1106 : Henri Ier Beauclerc réunit l'Angleterre et la Normandie, qui reste pendant un siècle sous domination anglaise
1135 : guerre de succession à la mort d'Henri Ier, qui dure jusqu'en 1154 (Henri II Plantagenêt monte sur le trône d'Angleterre, son mariage avec Aliénor d'Aquitaine sera sources de nouveaux conflits)
1204 : Philippe Auguste prend Château-Gaillard, étape décisive dans sa reconquête de la Normandie sur Richard Cœur de Lion
1346-1453 : Guerre de Cent ans entre Anglais et Français




1. Le Catelier


Castellier, castelet, châtelet, etc. : c'est un ouvrage fortifié. Celui de Pont-Saint-Pierre a été construit vraisemblablement avant 1050, date à laquelle Pont-Saint-Pierre est mentionné comme burgus (agglomération autour d'un château) dans la Grande Charte de Lyre*.
* une charte décrit les donations, les contrats, etc. passés entre des individus ou des collectivités, ici l'abbaye de Lyre, près de Conches, et Guillaume Fitz Osbern, ami très proche du futur Guillaume le Conquérant



Description

L'ouvrage était, pour cette époque, relativement important : 160 à 170 m dans sa plus grande dimension, des fossés de 20 m de large entourant une enceinte de 100 m sur 70 m, avec une tour sur un tertre qui, bien qu'il ait été arasé dépasse encore de 6 m le niveau du château. La pente des talus reste encore aujourd'hui très forte, il s'agissait d'un bon ouvrage de défense.
Il était complété d'un poste d'observation, que l'on appelle la motte du bourg, situé à environ 300 m, dont il reste une butte encore importante. L'hypothèse selon laquelle cette motte serait le reste d'une construction érigée lors d'un siège a été évoquée.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Le Catelier
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Le Catelier

Historique

D'après Nicolas Koch, archéologue de l'Université de Rouen, le Catelier faisait vraisemblablement partie d'ouvrages construits dans le deuxième quart du XIème siècle, lors de la minorité du duc Guillaume, destinés à former une ligne de défense contre les rois de France.
On sait par Orderic Vital** que ce château a été donné par Robert Courteheuse (fils de Guillaume le Conquérant), à Eustache de Breteuil, (petit-fils de Guillaume Fitz Osbern, le plus proche compagnon de Guillaume le Conquérant). Cet Eustache avait épousé Juliana, fille d’Henri Beauclerc, et donc petite fille de Guillaume le Conquérant, mais se retournant contre son beau-père (voir le récit qui suit) Eustache fait fortifier le Catelier en 1119.
** Né en Angleterre, il est confié à l’âge de dix ans au monastère de Saint-Évroult, qui jouit d'une bonne réputation dans le domaine de l'enseignement. Spécialisé dans la lecture et la copie d'ouvrages, il lui est demandé d'écrire une histoire du monastère. C'est le point de départ de l’Historia ecclesiastica, terminée en 1141/1143, source de premier ordre pour l'histoire de la Normandie ducale et de l'Angleterre normande.


Un film d'horreur …

C'est à cette occasion qu'eut lieu l'épisode qui montre à quel point les mœurs de l'époque étaient restées barbares... Le voici, raconté par Orderic Vital, que tous les récits postérieurs recopient plus ou moins (l'orthographe est celle de la traduction du 17ème siècle) :

"... Eustache de Breteuil, gendre de Henri, fut engagé par ses compatriotes et ses parens à quitter le parti du Roi (Henri), si ce monarque ne lui rendait pas la tour d'Ivri* qui avait appartenu à ses prédécesseurs. Le Roi différa de le satisfaire en cela pour le présent, mais il le lui promit pour l'avenir, et, par des paroles flatteuses, le retint à son service, et dans des dispositions pacifiques. Comme ce prince ne voulait pas être mal avec Eustache, parce que celui-ci était un des plus puissans seigneurs de la Normandie, avait beaucoup d'amis et de vassaux, et possédait des places très-fortes, il lui donna en otage, pour lui servir de garantie et se l'attacher plus fidèlement, le fils de Raoul-Harenc, qui gardait la tour d'Ivri*, et reçut de lui en échange ses deux filles, qui étaient les petites filles du Roi. Cependant Eustache ne se comporta pas bien à l'égard de l'otage qu'il avait reçu: car, par le conseil d'Amauri de Montfort, qui ourdissait adroitement des trames perverses, […] il arracha les yeux au jeune homme, et les envoya à son père qui était un vaillant chevalier. Le père, irrité de cette action, alla trouver le Roi, et lui raconta les malheurs de son fils. Ce monarque en fut vivement affligé, et livra ses deux petites filles à Raoul pour qu'il se vengeât aussitôt de tant de déloyauté. Raoul Harenc, avec la permission du Roi en courroux, prit les filles d'Eustache, et, pour venger son fils, leur arracha cruellement les yeux et leur coupa l'extrémité du nez. ….. Quand ils eurent appris cette mutilation, le père et la mère s'affligèrent à l'excès. Eustache fortifia ses châteaux de Lire, de Glos, du Pont-Saint-Pierre et de Paci. Il en ferma soigneusement l'accès, afin que le Roi ou ses partisans n'y pussent pénétrer. "
* Ivry la bataille . Henri 1er l'avait promise à Eustache, mais commençait à se méfier et faisait davantage confiance à Raoul de Harenc



Dans le monde féodal, les fidélités s'achètent, à coups de fiefs (abbayes, terres, châteaux, droits fiscaux...), et les changements de camp sont fréquents, les guerres perpétuelles. De ce fait il était courant de procéder à des remises d'otages, souvent des enfants qui vivaient en pension chez celui qui les détenait, en général bien traités tant qu'il n'y avait pas de problèmes…

Siège et incendie du Catelier, parricide raté, vengeance, indigestion

Malgré les travaux de fortification d'Eustache, Henri Beauclerc réussit à prendre le château, qu'il incendie et fait raser (Eustache défendait pendant ce temps son château de Lyre, tandis que Juliana résistait à son père dans Breteuil, et tentait même de l'assassiner traitreusement, après l'avoir invité à une entrevue pour négocier (à sa décharge, celui-ci avait quand même livré ses deux filles pour qu'on leur arrache les yeux), mais elle rate son coup, et, raconte Orderic Vital : " elle rendit le château à Henri, mais ne put obtenir de lui de sortir en liberté. D'après l'ordre du roi, elle fut forcée de se laisser glisser du haut des murs sans pont et sans soutien, et descendit ainsi honteusement jusqu'au fond du fossé, en montrant ses fesses nues. Le fossé du château était rempli des eaux de la saison, et la gelée, qui les glaçait, refroidissait justement, d'une manière cruelle, la chair délicate de la princesse qui s'y plongea dans sa chute.. »
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Henri Beauclerc
Henri donne le fief, contenant le val de Pîtres et Pont-Saint-Pierre, à Raoul de Tosny. Son fils Roger reconstruit le Catelier, de manière efficace car en 1136 il résiste à un mois de siège avant d'être pris, dans le cadre d'une guerre de succession qui survient après la mort sans héritier direct d'Henri Ier Beauclerc, mort d'une indigestion d'anguilles, ou de lamproies, à Saint-Denis-en-Lyons (aujourd'hui Lyons-la-forêt).
Puis les Tosny, qui ont récupéré leur fief de Pont-Saint-Pierre après réconciliation, abandonnent le château, semble-t-il en bon état, et font construire la Malmaison sur le bord de l'Andelle. Ils cherchent vraisemblablement plus d'espace, et la proximité de la rivière.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Envahi depuis très longtemps par les arbres, le Catelier reste un site impressionnant, par ses dénivelés et son aspect sauvage, qui mériterait d’être protégé.
Envahi depuis très longtemps par les arbres, le Catelier reste un site impressionnant, par ses dénivelés et son aspect sauvage, qui mériterait d’être protégé.

2. La Malmaison


On sait peu de choses sur ce château, si ce n'est que sur son emplacement sera construit Logempré (le château actuel) avec l’argent obtenu comme dédommagement de sa destruction.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Blason des Hangest
Blason des Hangest

Ce n'est pas la mauvaise maison, mais la "mâle maison ", ce qui suggère qu'il s'agissait encore d'une construction fortifiée, qui est détruite en 1359, sous le règne de Jean II le Bon, roi de France, alors prisonnier en Angleterre depuis sa défaite à Poitiers, sur les ordres du futur Charles V, exerçant alors la régence. Depuis 1204, la Normandie est française, les Tosny cèdent la place aux Hangest, qui tiendront pendant deux siècles Pont-Saint-Pierre, première baronnie (dans l'ordre protocolaire) de Normandie.  

3. Le château de Douville.


Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Cette carte postale, comme bien d’autres, reprend la confusion devenue courante entre Douville et Logempré...
Cette carte postale, comme bien d’autres, reprend la confusion devenue courante entre Douville et Logempré...
Il est construit avant 1195, d'après Reigner, donc avant la Malmaison, dans le cadre d'une ligne de défense anglo-normande contre les visées du roi de France. Il présentait la particularité de posséder une tour carrée. Un document de 1203 montre Jean sans Terre (roi d'Angleterre) faisant payer les arrérages de soldes des soldats qui le gardent et envoyer une nef (un bateau) du vin, sans doute pour soutenir le moral de ses troupes.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Château-Gaillard aux Andelys

Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Philippe Auguste
Après la chute de Château gaillard en 1204, qui permet à Philippe Auguste d'asseoir son pouvoir sur l'ensemble de la Normandie, le château n'a plus d'intérêt défensif, mais reste une habitation qui passe entre les mains de famille françaises successives: Longchamp, Ponthieu, Calleville, Monfort, puis il est pris sans coup férir par les Anglais en 1418 , soit trois ans après de désastre d'Azincourt.
Le célèbre John Talbot le refuse alors, lui préférant et obtenant celui de Pont-Saint-Pierre.

D'après Auguste Le Prévost, un mariage y a été célébré en 1492, ce qui montre qu'il devait encore être habité. Ensuite, il servira de carrière de pierres, comme beaucoup de ces ouvrages fortifiés.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Château de Douville, Comme au Catelier, la reprise du site par la végétation continue

Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Château de Douville, Comme au Catelier, la reprise du site par la végétation continue

Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Château de Douville, Comme au Catelier, la reprise du site par la végétation continue
Comme au Catelier, la reprise du site par la végétation continue

4. Bernières


Il n'en reste presque plus de traces, à part un bouquet d'arbres qui montre qu'à cet endroit la terre pleine de pierres n'est pas labourable…
C'était plutôt un manoir, dont on sait qu'il existe en 1204, car Philippe Auguste, nouveau maître du territoire qu’il vient de reprendre aux Anglais, le donne à Raoul de Boulogne, alors que la Malmaison est remise aux Hangest, partage de fief qui suggère des tensions entre les vainqueurs.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Bernières
Duchemin signale qu'un Guillaume Maignard, sieur de Bernières et conseiller du roi, obtient en 1404 l'autorisation de créer un pigeonnier*.   
* seuls les nobles ayant le droit de posséder des pigeonniers, leur construction était souvent un moyen de montrer son ascension sociale. Les paysans des alentours par contre n'appréciaient pas de voir leurs récoltes pillées, mais n'avaient pas le droit de s'attaquer aux pigeons….



On trouve aussi la trace d'une autorisation par le propriétaire de château de Douville de prendre de l'eau dans l'Andelle pour alimenter le manoir.
Le manoir sera vendu et revendu, il passe entre autres dans les mains d'Olivier Le Daim, barbier et âme damnée de Louis XI, jusqu'à arriver en possession des Roncherolles, qui au 17ème train réunifient le fief de Pont-Saint-Pierre (ils rachètent Douville, Romilly, La Neuville) autour du château de Logempré et en 1646, la construction d'une chapelle Saint-Jacques fait penser que nous sommes peut-être sur une branche de chemin de Compostelle.

5. Logempré, le château actuel


C'est bien l'actuel château de Pont-Saint-Pierre, et non celui de Douville, quoi qu'en aient dit de nombreux auteurs du 19ème se recopiant à qui mieux mieux (ce qui continue sur Internet).
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Logempré

Un héritier qui proteste

Aubert de Hangest, qui avait sept ans lors de la destruction de Malmaison en 1359, devenu adulte, va protester plus de quinze ans après contre cette destruction auprès du roi Charles V
qui lui accorde en 1377 des crédits (20 000 francs or) pour reconstruire la Malmaison, nom que l'on trouve encore employé en 1391.

Entrée en scène des Roncherolles

La sœur et héritière d'Aubert de Hangest épousant un Roncherolles, le château devient possession de cette illustre famille qui rassemble la baronnie de Pont-Saint-Pierre en rachetant le fief de Bernières.
Mais en 1418, c'est sous le nom de Logenpré (loge en pré) qu'il est rendu, en même temps que celui de Douville, à Henri V (d'Angleterre).
Donné en 1428 par Henri VI, roi d'Angleterre, à Talbot (prononcer talbotte)...,, qui sera grandement courroucé d'apprendre en 1449 que son château a été repris, saccagé et incendié par les Français, après que la trentaine d'hommes de la garnison, commandée par un capitaine natif des environs de Louviers, se furent rendus, ayant été autorisés à ranger leurs armes et bagages dans l'église Saint-Pierre, encore existante à l'époque.
Les châteaux de Pont-Saint-Pierre - Logempré - Estampe à la plume du 17ème montrant le premier niveau du château, la cour étant alors fermée par des salles aujourd'hui disparues (fonds Gaignières, Gallica.bnf )
Estampe à la plume du 17ème montrant le premier niveau du château, la cour étant alors fermée par des salles aujourd'hui disparues (fonds Gaignières, Gallica.bnf )

Les Roncherolles, rentrés en possession du château incendié, ne commenceront à y résider qu'à partir de 1548, soit un siècle plus tard.
Les conflits France-Angleterre s'éloignent de la Normandie, mais les guerres de religion du XVIème siècle prennent le relais, et si Henri IV vient trois fois séjourner à Pont-Saint-Pierre, c'est, au moins la première fois (août 1589), pour y recevoir la reddition de Pont de l'Arche. Ensuite la petite histoire, qui a fait d'Henri IV le Vert-Galant, se complait à raconter ses rencontres avec Gabrielle d'Estrées ...

Ventes successives

Le château sera vendu en 1760 à Anne-Pierre de Montesquiou-Fésenzac, aristocrate éclairé qui se ralliera à la Révolution, et deviendra général en chef de l'armée des Alpes.
En 1778 le château et le fief de la baronnie de Pont-Saint-Pierre sont rachetés par Louis Caillot de Coquereaumont, conseiller de Louis XVI, qui émigre dès le début de la Révolution.
Ses possessions deviennent alors biens nationaux, dont la gestion est confiée dans un premier temps à la commune de Pont-Saint-Pierre qui sera destituée de cette fonction en 1793.
Une partie des biens est mise en vente et rachetée par la famille d'Houdemare de Vandrimare, descendant des Coquereaumont.
Le château devient ensuite propriété d'Adrien Josse, maire de Pont-Saint-Pierre comme l’avait été le baron d'Houdemare, puis passera aux mains de la famille Descamps-Béghin (alliance du textile et du sucre).

Bibliographie

Bruno Lepeuple Châteaux et paysages dans la vallée de l'Andelle (XI-XIIème siècles) Mémoire de maîtrise d'archéologie médiévale, Université de Rouen, 2001 (Très complet concernant le Catelier, et Douville)
Louis Régnier L'église Saint-Nicolas de Pont-Saint-Pierre et les châteaux de Douvile et Logenpré . Notes historiques et archéologiques. Caen,. Henri Delesques imprimeur-éditeur 1909
L.Delisle et L.Passy Mémoires et notes de M.Auguste Le Prévost pour servir à l'histoire du département de l'Eure; Réimpression de l'édition 1862-1869. Editions Page de garde une de nos meilleures sources
Léon Coutil Archéologie gauloise, gallo-romaine, franque et carolingienne 1895-1921
Nicholas Koch Un bourg castral aux XIè-XIIè siècles: Pont-Saint-Pierre. Haute-Normandie Archéologique, tome 10, 2005
Léon de Duranville. Notice sur Pont-Saint-Pierre Revue de Rouen et de Normandie 1847
Pierre Duchemin La baronnie de Pont-Saint-Pierre 1894 réédition Page de garde
Orderic Vital Histoire de la Normandie (Réédition de la publication française par Guizot, 1826) Ed Page de garde


Une sortie de début d’été, à l’initiative d’Eric Puyhaubert et guidée par Jean Barette a mené une dizaine de membres de l’association sur les vestiges des châteaux de Pont-Saint-Pierre.
                                  


Jean Barette

Michel Bienvenu