Petromantalum = Pîtres ?
Pîtres se trouverait-il mentionné dans le
premier guide voyage connu, puis sur la carte à laquelle il a servi de
référence ?
Petromantalum, ce n'est qu'une mention sur
une carte ancienne, dite Table de Peutinger, mais comme il s'agit de la
première carte précise du monde connu au IVe siècle de notre ère, on comprend
que la présence de Pîtres peut nous paraître un sujet d'importance.
L’itinéraire d’Antonin, guide Michelin du fonctionnaire impérial
Cet Itinéraire est le document à partir
duquel a été élaborée la carte. Il décrit des trajets, plutôt que le tracé de
voies romaines sur toute leur longueur. Il recense et décrit 372 voies sur
85 000 kilomètres dans tout l'Empire romain, de la Grande Bretagne à
l'Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Deux éditions françaises de l’Itinéraire. Ci-dessus on repère les étapes
de Paris à Lillebonne et ci-dessous on compare avec la carte de Cassini.
|
Il s’agit vraisemblablement d’un recueil
de mansiones (haltes) comportant des
greniers où l’on stockait des approvisionnements, qui servaient de relais, à
l'usage des officiels et des fonctionnaires amenés à parcourir l'Empire.
Datation
Bien qu'on le désigne sous le nom
d'Itinéraire d'Antonin (donc datant du IIème siècle de notre ère), il date
plutôt du règne de Dioclétien, c’est-à-dire de la fin du IIIème siècle. Malgré les erreurs qu’il
comporte, surtout de chiffres, c’est une source très précieuse sur la géographie
de l’Empire, plus précise que la Géographie de Ptolémée, rédigée vers
150.
Le monde connu de Ptolémée, reconstitué d’après les coordonnées de sa Géographie, et ci-dessous-un
agrandissement de la partie qui deviendra la France
|
La carte de Peutinger
Dessinée en 1265 par un moine de Colmar et constituée de onze parchemins
hauts d'environ 34 cm qui, mis bout à bout, font une bande de 6,74 m.de long. Elle
se retrouve en 1507 chez un érudit d'Augsbourg, Conrad Peutinger, d'où le nom
qui lui est resté.
(voir notamment www.tabula-peutingeriana.de ou gallica.bnf.fr)
C'est manifestement le résultat de copies successives avec des surcharges
de diverses époques, à partir d'originaux antiques. Les informations les plus
anciennes datent vraisemblablement d'avant 79 apr. J.-C. puisque Pompéi est
indiquée.
Elle compile différents itinéraires écrits
sous forme de catalogues, dont l'Itinéraire d'Antonin. Il en résulte qu'elle
fonctionne comme un plan de métro. Les trajets sont dessinés de façon à être
clairement lisibles sans tenir compte de l'échelle ni de l'exacte orientation
géographique, l'essentiel étant de montrer les distances et les croisements de
voies et non la topographie des lieux.
Ce sont ces caractéristiques qui
engendreront, entre autres, les débats sur la position réelle de Petromantalum,
qui sur la carte est devenu petrum-viaco.
Etymologie
Le toponyme Petromantalum qui se trouve sur
l'itinéraire d'Antonin viendrait du gaulois petro, quatre et mantalum route, ce qui expliquerait
qu'un millénaire plus tard, viaco (de
via, route en latin), ait
remplacé mantalum.
On remarquera que de nombreux sites ont
porté ce genre de nom, qui après romanisation complète devient quadrivium, qui
donnera en français nos carrouges, carouge, etc. : le carrefour.
D'autre hypothèses existent, mais moins
probables : matalum
= station, halte, ou vient d'une racine signifiant balance, ce qui suggérerait
un péage.
Les hypothèses les plus fréquentes
Elles se centrent, il faut bien le
reconnaître sur le Vexin, puisque l'Itinéraire situe Petromantalum entre
Pontoise (Briva Isara) et Radepont (Ritumagus).
Les candidats au titre sont Magny, Mantes,
Tillet, Cléry, Saint-Clair sur Epte. Entre les diverses conversions que l’on
adopte pour les milles romains ou les lieues gauloises, et ce que l’on accepte
ou dénonce comme des erreurs de transcription, les hypothèses convaincantes ne
manquent pas.
Le Compte-rendu des travaux de la Conférence des Sociétés
Savantes, Littéraires et Artistiques du département de la Seine-et-Oise, septième session tenue à
Mantes en 1924, fait le point dans un article de Léon Plancouard intitulé :
« La question du véritable emplacement de
Petromantalum-Petrum-Viaco »
Celui-ci déclare : " il est étrange
que le vocable petromantalum ne se soit pas perpétué.
Son souvenir paraissait encore vivant à l'époque carolingienne. On croyait
alors que Pîtres, localité célèbre, était l'antique petromantalum. Cette
opinion n'a jamais été discutée, ni anciennement, ni même récemment. Pour
l'importante question qui nous intéresse, elle n'est pas soutenable." On restera donc en Seine-et-Oise, ou plutôt
dans le Vexin.
Et pourtant…
Les annales de Saint-Bertin, dites aussi
Chronique de Fontenelle (aujourd'hui Saint-Wandrille), qui relatent les
incursions des vikings en 855 disent qu'ils étaient arrivés jusqu'au camp
retranché (castrum) de Pîtres, « qui autrefois était appelé petremamulum ».
Or, petremamulum, petromantalum, surtout en écriture
caroline, c'est à peu près la même chose. Le problème est que l'auteur des
annales, moine dans l’abbaye de Fontenelle, avait fort peu de chances de
connaître l'itinéraire d'Antonin, ce n’était pas le genre de document qu’on
devait trouver dans la bibliothèque du monastère, et évidemment pas la table de
Peutinger.
Seule autre explication envisageable : si
Bertin fait cette assimilation de Pîtres à petremamulum/petromantalum, c’est qu’il devait y avoir
encore au IXe siècle le souvenir d'une localité importante,
Pîtres-Petromantalum, bien avant la carte de Peutinger.
Retour rapide sur l’étymologie
L’étymologie supposée Pîtres = Pistis =
meules, moulins, entre en contradiction avec Pîtres = Petromantalum, qui a d’un
autre côté l’avantage d’expliquer l’apparition inopinée d’un « r »
dans
l’hypothèse traditionnelle, qui souffre d’une autre faiblesse : comment se
fait-il que l’on ne trouve que cette seule attestation, alors que d’innombrables
moulins donnent en France des toponymes transparents : Moulins, Molins, etc. ?
La chaussée Jules César
C’est un des
principaux arguments des partisans de telle ou telle location dans le Vexin :
la présence sur la voie romaine, dite chaussée Jules César, qui reliait Lutèce
(Paris) à Juliobona (Lillebonne) en passant par Briva Isarae (Pontoise) et
Rotomagus (Rouen), et qui est largement parallèle à l’actuelle nationale. Il
est admis que cette voie passait à Radepont, le Ritumagus de l’Itinéraire d’Antonin,
soit à une petite dizaine de kilomètres de Pîtres, agglomération, elle, de
réelle importance, possédant théâtre et bains, et donc tout à fait susceptible
de figurer comme une étape à recommander avant Rouen, et ce d’autant plus qu’on
y trouve un passage moins abrupt sur le plateau (l’actuelle côte d’Ymare) que
si on aborde le relief à Radepont ou Fleury.
Un soutien inattendu à Pîtres
L’archéologue Jean-Pierre Laporte écrivait,
dans un article
du Bulletin
archéologique du Vexin français de 1976-77 intitulé « Pîtres (Eure), un nouveau
Petromantalum» :
« Pîtres est bien le
Petromantalum de la voie antique Paris-Rouen, qui ne réduisait pas à la voie
directe [...]
Par un malicieux paradoxe, est
écarté du débat le seul site de la région qui présente les trois
caractéristiques minimales à exiger des « candidats », en plus d’une
proximité de la voie antique Paris-Rouen :
- continuité toponymique (assurée
par la Chronicon Fontanellense)
- site d’un intérêt géographique
certain expliquant son occupation (ici les points de passage de la Seine et de
l’Andelle)
- occupation importante à l’époque
romaine (découvertes de Léon Coutil)
Pour tous les autres sites proposés
à ce jour, sans exception, manquent soit l’une, soit l’autre de ces conditions,
voire les trois pour les hypothèses les plus fantaisistes. »
Saluons l’ouverture d’esprit de cette
publication du Vexin qui publie de tels propos ! On sait effectivement que sur
le site de Pîtres existait une importante agglomération gallo-romaine, avec un
théâtre, des thermes, et vraisemblablement des fortifications (voir à ce sujet nos premiers bulletins), c’est
ensuite largement une question d’appréciation de le rejeter ou non car il ne se
trouve pas exactement sur la chaussée Jules César.
Une hypothèse qui pourrait tout changer
C’est la direction
dans laquelle s’est engagé l’archéologue Thierry Lepert.
« Une
nouvelle hypothèse de travail se dessine quant à l’évolution de l’organisation
du chef-lieu de Cité des Véliocasses. A la fin de l’âge du Fer cette fonction
pourrait être assurée par le binôme Pîtres-Orival. L’émergence de Rouen, dans
les deux décennies précédant notre ère et le faible développement de Pîtres au
Haut Empire est compatible avec un transfert du site de Pîtres vers Rouen,
vraisemblablement pour des raisons d’approvisionnement en eau »
(Th. Lepert et C. Basset, Regards croisés sur l'oppidum d'Orival
et la boucle du Rouvray in Association française pour l'étude de l’âge du fer, bulletin n°31,
2013)
Mais par ailleurs, que d’eau, que d’eau !
Dans les Annales de
Normandie, en
1953, Paul Mansire vantait la situation de
Pîtres en ces termes :
« [...] plus riche nœud de routes
hydrographiques de la Seine, entre Paris et la mer. Cette vaste cuvette dont la
partie plane dépasse en superficie celle de Rouen, - et de loin ! - est le cœur
de quatre vallées larges et profondes [...] : l'Andelle est un spacieux couloir
qui s'enfonce [...] jusqu'au centre du pays de Bray. [...] cette voie se
poursuit au sud par l'Eure, chemin du pays d'Evreux et de la Beauce, habitée
par les Carnutes, l'une des plus actives peuplades gauloises. La Seine complète
ce système qui dépasse en ampleur le site rouennais, moins largement
dégagé... »
Alors, pourquoi Rouen ?
« L'abondance des marais dans
la vallée de Pitres. Au temps des Gaulois, elle est impraticable, endroit
insalubre que les hommes fuient. Toute cette plaine n'est que sable et gravier,
lie, vase et roseaux : aucune vie ne peut s'y acclimater avant le Moyen âge.» Mais pourquoi un
théâtre, alors …. ?