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4 janvier 2025

Les chalets de la verrerie à Pîtres

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Crue de1910
Crue de 1910


Les chalets de la rue des moulins à Pîtres

 

Les cités ouvrières

Les termes de « cités ouvrières » désignent généralement des ensembles de logements groupés, pavillonnaires ou collectifs, bâtis par une même entreprise pour y loger tout ou partie de son personnel. L’essentiel de cette production d’habitat remonte à la fin du xixe siècle et surtout au début du xxe siècle, quand les patronats des secteurs industriels traditionnels, confrontés à « la dérobade », arme ouvrière pour mettre en concurrence les employeurs, essaient de fixer la main-d’œuvre...

Ce type de production s’est progressivement tari dans la seconde moitié du xxe siècle, avec la prise massive de relais de la construction et de la gestion de logements sociaux par l’État. 


Dans la vallée de l’Andelle

Les premiers logements ouvriers recensés dans la vallée sont édifiés en 1782 par les Fonderies de Romilly, mais ensuite, durant le XIXe siècle, alors que l’expansion industrielle est à son maximum dans la vallée et se conjugue avec une forte croissance démographique, l’habitat ouvrier s’y développe très peu. Au total, quelques dizaines de logements ouvriers sur l’ensemble du secteur, alors qu’en 1866 l’industrie textile emploie à elle seule plus de 3 000 personnes dans la vallée de l’Andelle. Cela peut s’expliquer par la plupart des hommes et des femmes qui travaillent dans les usines sont d’anciens travailleurs agricoles attirés par des salaires plus élevés et recrutés sur place. Ils logent donc au cœur des bourgs de fond de vallée ou dans les villages situés dans un rayon de 5 km, et les trajets quotidiens domicile-usine s’ajoutent aux dures conditions de travail.

Cet habitat se compose systématiquement de petites maisons en bande, construites en brique ou en pan de bois sur le même modèle. Les plus rudimentaires comprennent deux pièces (une cuisine et une chambre) mais disposent d’un grenier, d’un cellier et d’un jardinet.

Le contrat de location figure dans le contrat de travail et si l’ouvrier quitte son emploi il doit abandonner sa maison.

 

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Avant et après…On distingue bien les parcelles en longueur sur le cadastre actuel, alors qu'au XVIIIème siècle, c'est le bout du village, vide
Avant et après…On distingue bien les parcelles en longueur sur le cadastre actuel, alors qu'au XVIIIème siècle, c'est le bout du village, vide

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Avant et après…On distingue bien les parcelles en longueur sur le cadastre actuel, alors qu'au XVIIIème siècle, c'est le bout du village, vide


Les chalets de Pîtres
Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Capture d'écran de Google street
Capture d'écran de Google street

Ils se composent de deux fois cinq maisons accolées, construits en 1893 par l’entreprise Goupillières, rue Lafayette à Rouen. On sent une volonté esthétique, avec des motifs en briques rouges et jaunes, agrémentés de décors en céramique qui devaient être de bonne qualité puisque 120 ans après, ils sont toujours intacts.

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres

Contrairement à ce que l’on voit, ces chalets ne sont pas parfaitement identiques. Si en façade ils ont tous la même largeur, ils n’ont pas la même longueur. Ceux de l’ouest sont plus longs et ont deux chambres à l’étage alors que ceux de l’est n’en ont qu’une. Différences entre contremaitres et ouvriers, ou taille de la famille. D'autre habitation avaient été construites rue de la gare à Romilly, plus près, donc, de la verrerie, et semblaient conçus pour les cadres.

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres

Au fond du long jardin, chaque chalet dispose d’un bâtiment lui aussi de bonne construction : un cellier, un grenier, eux aussi accolés par cinq.

Au fil des années, ces logement ont été modifiés, agrandis mais les façades restent identiques. Les habitants actuels se disent très satisfaits de leur logement et les trouvent très bien isolés. Tous ont rajouté des garages, et sont propriétaires des bâtiments qui ne sont plus au fond du jardin mais séparés par une allée qui leur permet l’accès.

 

La verrerie, vraiment ?

On les a toujours appelés les chalets de la verrerie, mais huit ans d'écart entre la date de construction et l'ouverture de la verrerie en 1901 pouvaient créer le doute, heureusement levé par un acte notarié gentiment transmis par un des actuels habitants.

"...lotissement en onze parcelles numérotées au plan de un à onze de la propriété de la société des "Verreries de Romilly sur Andelle sise à Pitres, lieudit rue des moulins, et cadastrée section B numéros 163 à 173 pour une superficie globale de soixante ares neuf centiares ".

Cependant, en 1901, on ne trouve encore que deux verriers. Par contre en 1926, qui est la période faste de la verrerie, en utilisant, le recensement nous donne sept familles de verriers et dans une même famille plusieurs travaillent à la verrerie :

Malivoir René et Maurice, verriers et Malivoir Rachel, ouvrière

Pain Gaston, journalier de l’usine, et Pain Edouard, verrier (ils sont 7 dans ce logement)

Boucry Hyacinthe, verrier

Cordier Alphonse, Marcel, Eugène tous trois verriers (7 aussi dans ce logement)

Bourdet, magasinier

Bourgoin Emile, Fernand, André tous trois verriers et Bourgoin Charles

Mention spéciale pour les Bourgoin qui venaient de la verrerie de Saint Evroult, dans la vallée de la Charentonne (Orne). Pourquoi sont-ils venus à Romilly ? Meilleures salaires ? Possibilité de logement ?

 

La verrerie de Romilly

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Verrerie de Romilly

En 1782 l'usine dite de Perpignan est établie à l'emplacement de deux moulins à foulon fondés à la fin du XVIe siècle. C'est l'unité de production principale (le laminoir) des fonderies de Romilly jusqu'à leur fermeture en 1896.

En 1901, elle est reconvertie en verrerie spécialisée dans le flaconnage pour la parfumerie et la pharmacie par la société des Verreries de Romilly. (L’entreprise Delamare située légèrement en amont est productrice de pharmacie)

En 1923, la verrerie emploie 240 ouvriers. Face à la concurrence des verreries de la vallée de la Bresle, l'usine de Romilly ferme définitivement ses portes dans le courant des années 1950.

Après le Seconde Guerre mondiale, l'usine est morcelée et reprise par différentes entreprises ou artisans qui y exercent des activités variées (stockage, ferronnerie et soudure, production d'aliments pour animaux. Couvoir de l’Andelle..).

Les chalets sont parfois vendus aux ouvriers, et des descendants de ce personnel de la verrerie y habitent toujours, mais on trouve aussi dans les recensements beaucoup de cimentiers, travaillant dans l'entreprise Fréret (voir bulletin n°2).

 

Les "bousillés"

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Un "bousillé" typique, très coloré
Un "bousillé" typique, très coloré

Une tradition bien établie voulait que le verrier puisse parfois en fin de journée se fabriquer pour son compte des petits objets avec les chutes de verre et les fonds de four, leur patron y trouvant aussi son compte puisqu'il améliorait ainsi ses compétences

Des habitants de Pîtres ou de Romilly possèdent encore de ces objets, comme ce poisson ci-dessus, peut-être inspiré par les verres de Murano (Venise).

 

Quelques autres cités ouvrières dans la vallée de l'Andelle 

(photos Christophe Kollmann)

Elles sont presque toujours liées aux usines textiles, qui assurent la majorité de l'emploi dans la vallée au XIXème siècle et au début du XXème.

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Fleury sur Andelle
Fleury sur Andelle

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Perriers sur Andelle
Perriers sur Andelle

Les chalets de la rue des moulins à Pîtres - Cité Réquillard à Charleval, logements de la filature
Cité Réquillard à Charleval, logements de la filature

 

Sources

- Site Patrimoine normand, articles d'Emmanuelle Real

- Archives de l'Eure, recensements

 

Liliane Ebro