Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm. |
Philippe ZACHARIE (1849-1915) L'alcool
Philippe Zacharie est un peintre académique français.
Réputé en son temps, oublié du grand public aujourd’hui, il fait partie de
cette cohorte dans laquelle les historiens d’art empilent les peintres
classiques du XIXème et début du XXème siècles.
De formation académique à l’Ecole de Dessin et de Peinture
de Rouen, de la même promotion qu’Albert Lebourg qui, lui, deviendra un fervent
peintre impressionniste, Philippe Zacharie y enseignera à son tour, dès 1874,
dont la plupart des Peintres de l’Ecole de Rouen, suivront un long et rigoureux
apprentissage, faisant d’eux des dessinateurs et peintres sans faille
technique, dans le pur style de l’Art Français du XIXème siècle.
Lauréat de plusieurs récompenses tant aux expositions
régionales qu’au Salon Parisien (il obtient la Médaille de 3ème classe au Salon
de 1883, puis de 2ème classe en 1911), ses plus belles œuvres sont conservées
au Musée des Beaux-Arts de Rouen. L’apparente désuétude dont souffre
aujourd’hui l’académisme de son œuvre, tient au fait que ce mouvement classique
a essuyé la révolution impressionniste, puis celles cubiste, surréaliste,
expressionniste et enfin l’art abstrait pour ne citer que les plus connues !
Mais cette peinture, raillée durant plus d’un siècle par les critiques d’art,
affublée pour une certaine frange du pseudonyme d’Art Pompier, verrait
poindre une reconnaissance fragile. Car il faut bien se remémorer que les
meilleurs chefs de file de ces différents mouvements, sont passés par les
fourches caudines des enseignements classiques et intransigeants, leur
procurant ainsi une base technique incontournable.
Mais, me direz-vous, quel rapport entre le ‘’val de Pîtres’’
et Zacharie ?
Deux raisons font que notre peintre est le sujet de cet
article : la première est qu’il soit né à Radepont et la seconde, qu’il ait
pris pour thème de l’une de ses œuvres ‘’l’alcoolisme’’
De Radepont, selon nos connaissances actuelles, seulement
quelques dessins de jeunesse de chaumières. Du côté de la municipalité, aucune
rue ni autre à son nom… Pour ce qui est de l’alcoolisme, Zacharie nous propose
une vraie leçon de peinture, une prouesse technique, un morceau de bravoure
intellectuelle.
Un homme au regard noir et sauvage, apparemment plus dans
son état normal, vient de tirer mortellement sur son épouse et son jeune
enfant, à l’aide d’un pistolet qu’il braque maintenant sur le spectateur. Dans
sa main gauche, il tient précieusement une bouteille. Malgré tout, les deux
malheureuses victimes ne semblent pas avoir été violentées, comme si l’homme
avait fait irruption dans la chambre, sous l’emprise d’une furie
toxicomaniaque, butant sur la fragile chaise qu’il fracasse, avant d’expulser
les deux membres de sa chère famille hors du lit qu’il met sens dessus-dessous.
La simplicité de la chaise paillée comme l’habillement de
l’homme avec sa casquette enfoncée jusqu’aux sourcils, témoignent de la
modestie du niveau social.
Essayons ensemble d’analyser cette sublime toile :
- Titre : Zacharie donne un double titre à sa peinture :
‘’L’absinthe’’ ou ‘’L’alcool’’ (et même un troisième ‘’L’alcool rend fou’’) ;
de plus il date 1909 ; ajoutons que cette œuvre a été exposée au Salon de 1909.
- Taille Ses grandes dimensions (1,20m x 2,00m) prouvent que notre peintre destinait sa toile pour le Salon parisien. En effet, pour être plus facilement aperçu parmi les deux mille cinq cent toiles, environ, que le Salon abritait chaque année, les artistes avaient pris la fâcheuse habitude de créer des œuvres de plus en plus imposantes.
- Dessin : évidemment parfait, avec ses ‘’raccourcis’’ comme la semelle de l’homme ou sa main droite braquant l’arme, ou le bras droit de la femme avec le coude en avant.
- Construction : une redoutable ligne de construction débute dans le coin bas gauche de la toile, emprunte la jambe de l’enfant puis le bras droit de sa mère pour aboutir à la bouteille, réelle auteur de la tuerie ;
notons une troisième, de structure, parallèle à la deuxième afin d’asseoir le dessin, passant par la ligne des épaules de l’homme.
Deux autres belles lignes de construction parallèles, cette
fois-ci transversales, donnent toute la puissance et la tonicité au tableau :
celle de gauche démarre par le pied de la chaise cannée, passe dans la semelle
puis longe la main armée et l'édredon ; celle de droite relie la bretelle de la
robe de chambre et la bouteille.
- Chromatie : on pourrait s’attendre à une composition
toute de rouge-sang maculée ; eh bien non ! Notre peintre joue plus finement en
ne déposant cette couleur que sur le drap qui enserre le criminel, mais certes
presqu’au plein centre de la toile et sur le sol, mais non d'une façon
dégoulinante.
- Touche : elle est visible, notamment au niveau du canon du pistolet afin de bien marquer les reflets de lumière sur le métal ;
Insistons bien sur
le fait que la robe de chambre de la victime est immaculée de sang, à l'instar
d'une sainte au linceul blanc ; et que son visage est d'une grande douceur, au
dessin soigné et délicat ; tout le contraire pour l'homme.
A première vue, le peintre semble proposer un fatras total
bien en relation avec le thème qu'il désire aborder. Nonobstant, l'étagement
des plans, enfant – femme – homme – édredon d'une part, et le quadrillage des
lignes de construction d'autre part, stabilisent réellement le tableau, dans
une construction finement et savamment étudiée, qui prouve le grand talent
artistique de Philippe Zacharie.
De plus, en ces temps où les dépendances à l'alcool comme à
l'absinthe ravageaient les bas niveaux sociaux, notre peintre exécute, à sa
manière, un message social fort, l'image remplaçant avantageusement tout écrit
moralisateur.
Sources :
- Musée des Beaux-Arts de Rouen
(merci à Catherine Regnault)
- Base Joconde
- François Lespinasse :
'L'Ecole de Rouen'
- François Lespinasse : in
'Frechon et les salons', catalogue Rétrospective Charles Frechon
- archives personnelles