Un Pistrien dans la Campagne d’Orient
suite et fin
Nous avons laissé René Cobert le 12 novembre 1918 quand il apprend que l’armistice
est signé. Il se trouve alors en Roumanie près de Giurgiu dans une maison
paysanne. La guerre est finie mais son périple au cœur de l’Europe n’est pas
terminé.
« Le 13 novembre : Les
paysans nous font comprendre que les Allemands leur ont tout emmené, ils n’ont
laissé que du maïs qu’ils font cuire avec de l’eau, c’est ce qui leur sert de
pain. La bonne femme nous en fait un plat, ce n’est pas trop mauvais, mais ça
n’a aucun goût et il faut vraiment avoir faim pour en manger, les porcs chez
nous en mangeraient pas, les paysans appellent ça de la mamaligne.
Le 14 novembre : nous partons
pour Giurgiu 20893 habitants sous la neige pour cantonner dans les casernes
roumaines, On est acclamé tout au long du parcours, on sort en ville et on
tombe enfin dans un bistro qui débite du café turc, on s’en tape chacun un tout
en écoutant la musique jouant à tour de bras les hymnes nationaux. A chaque
instant ce ne sont que des cris vive la Francia qui retentissent dans tous les
coins.
Maisons de Giurgiu détruites par l'artillerie allemande installée en Bulgarie, de l'autre côté du Danube |
Le 16 novembre le général Berthelot qui
nous commande fait son entrée solennelle à Giurgiu. On lit les conditions de
l’armistice accepté par les Boches. Quelle tuile qu’ils prennent avec des
conditions comme ça, ils ne sont pas prêts de recommencer la guerre et ça va
amener la Révolution en Allemagne*. »
* Effectivement,
l'Allemagne va connaître en 1918-1919 une série de tentatives révolutionnaires,
dans la foulée de la révolution russe, qui échoueront (spartakistes à Berlin,
conseils ouvriers en Bavière). Affaiblie, quelques années plus tard, la
République dite de Weimar succombera sous les coups d'une autre opposition
violente, le nazisme. En Hongrie, que traversera René Cobert, c'est le même
scénario qui se répète, et la tentative de révolution communiste de Bela Kun
laisse place à la dictature de l'amiral Horthy.
Jusqu’au 6 décembre, il est malade
et soigné avec de la quinine à cause du froid supporté durant les gardes. Les
hommes espèrent être rapatriés de Constantza à Marseille, le général Franchet
d’Esperey donne des ordres pour que toutes les troupes soient bien logées, bien
habillées, bien nourries. Mais "C’est dégoutant d’être en guenilles
et pieds nus par des temps pareils. Avec un morceau de savon pour 5 hommes, on
peut tout juste laver une chemise et un caleçon … et les colis qui n’arrivent
pas ". Ils finissent par toucher un chandail, des gants et un
passe-montagne et 14 cigarettes de la marque l’Entente offerte aux troupes
françaises par le roi de Roumanie Ferdinand.
« Le 10 décembre nous avons la
visite du général Franchet d’Esperey qui fait un tour dans la cour de la
caserne. Je reçois un colis avec du pain grillé mais c’est manque de chance car
il est moisi. Je vais avec mon cabot jusqu’au port de débarquement du Danube où
tous les jours des prisonniers Algériens travaillent à décharger notre
ravitaillement. »
Il est nommé cycliste du bataillon,
« c’est pas trop dur, il n’y a qu’à porter le courrier officiel tous les
jours au bureau du colonel et compte rendu journalier à l’ID ».
A Noël, ils se régalent de dinde et
d’oie rôtie mais on les avise qu’ils vont quitter Giurgiu.
« Le 26 décembre, je rejoins
le peloton qui quitte la caserne à 7h30. Nous arrivons à Putineu à 11h, le 27
décembre : arrivée à Atarmani , le 28 arrivée à Alexandria, on va faire un
tour . La ville n’est pas trop mal d’ailleurs, il y a 15810 habitants. »
Le 30 décembre ils embarquent en
chemin de fer et passent à Plosca, Rossori, Slatina 9817 habitants, Piatra-Olt
18 000 habitants Craïova 51973 habitants.
« Le 1er janvier, on a bien fait de
faire Noël car nous passons le 1er
de l’an en chemin de fer marchant toujours direction Hongrie. Passage à
Turnu-Séverin 23765 habitants. À partir d’ici nous suivons le Danube. Arrivée à
Verçiorova gare frontière, ici nous restons 24 h dans les wagons sans bouger de
place en attendant des wagons hongrois.
Le 2 janvier départ de Verçiorova, passage
de la frontière roumano hongroise en laissant en arrière et sur la gauche, la
Bulgarie de l’autre côté du Danube ainsi que la Serbie à gauche, à notre droite
la Transylvanie, an arrière la Roumanie et devant nous la Hongrie. Nous sommes
juste au coin de toutes les puissances ».
Caserne de cavalerie hongroise
|
Enfin le 3 janvier ils arrivent à Szegedin
ville hongroise de 250000 habitants et cantonnent dans des baraquements à
l’extérieur de la ville. « Je vais reconnaitre les hôtels où seront
logés les officiers, aidé d’un capitaine hongrois qui cause très bien le
français et je conduis les officiers à leurs hôtels… j’en ai déjà marre car il
y a au moins 2km pour aller au centre de la ville et impossible de rouler autre
part que sur les trottoirs, les rues étant remplies d’une boue très épaisse
d’environ 20 à 25 cm.
Le 7 janvier, on
touche chacun une grande couverture, il n’est pas trop tôt, il y a également
distributions de pantalons hongrois et chaussures hongroises mais comme
toujours il n’y en a pas pour tout le monde cependant il y aurait besoin d’une
paire neuve par homme ». De nouveaux officiers sont nommés : le
commandant Magdelaine, le capitaine Topinet et les colonels Malandrin et
Boblet.
Le 12 janvier « je vais dans la journée
chercher mon sac car tous les sacs et ballots restés à Monastir sont arrivés
hier en gare de Szeged -en français Szegedin-, ce n’est pas trop tôt que je
retrouve tout mon linge pour pouvoir me nettoyer; aussitôt arrivé, je déballe car
tout est trempé je m’aperçois qu’une paire de souliers toutes neuves étant
montée sur le sac à jouer un air (je suppose qu’il veut dire qu’elles ont disparu). L’après-midi je porte mon
rasoir en ville à affuter et à nettoyer car il est rouillé depuis le 20
septembre qu’il est enfermé dans mon sac.
Le 13 janvier : aujourd’hui nous
touchons au ravitaillement le supplément du 1er janvier n’ayant pu parvenir
plus tôt faute de transports : 1l de vin, des confitures, 1 bouteille de
champagne pour 5 et 1 cigare pour deux.
Le 14 janvier je fais aujourd’hui maints
et maints voyages au bureau du colonel au sujet des rapatriables jusqu’au 31
janvier qui doivent partir d’un jour à l’autre. »
Le 15 janvier départ des permissionnaires
rapatriables c’est-à-dire ayant 17 mois1/2 et 18 mois d’Orient » Les
différents bataillons déménagent plusieurs fois dans la ville. Le 6ème
bataillon est dissous.
Le 27 janvier : « le matin
astiquage pour la revue, traversée de la ville au pas cadencé et arme sur
l’épaule; décoration de 3 officiers de la légion d’honneur et Médaille
Militaire; présentation du Drapeau et défilé. Il commence à neiger et nous
rentrons complétement frigorifiés."
Le 28 janvier « aujourd’hui on reçoit
un courrier de France daté du 3 et 4 janvier et je reçois également un colis
avec du linge demandé en décembre étant à Giurgiu. Le colonel demande la liste
des rapatriables jusqu’au 28 février. J’en suis pas encore mais ce sera
surement le prochain tour, enfin je crois que j’y arriverais tout doucement.
Le 29 janvier l’ordre arrive par message
qu’il y a des troubles à Mako à 20 km d’ici et qu’aucun officier ni homme de
troupe ne doivent sortir à l’extérieur de la ville jusqu’à nouvel
ordre. "Le 5ème bataillon, un bataillon
d’infanterie hongroise et une compagnie de mitrailleuses se portent à Mako en
chemin de fer pour maintenir l’ordre.
Le 2 février « je revois plusieurs
poilus qui m’interpellent au sujet des perm « tu n’as pas de tuyaux toi qui est
cycliste du bataillon… j’apprends de ces poilus que je devrais partir au
prochain départ car le temps d’Orient compte de l’embarquement à Marseille,
alors ça change au lieu de Tarente et ça me fait gagner un tour ».
Le 5 février je me renseigne et apprend
que je ne suis pas porté sur la liste. Le 6 février je demande des
renseignements au sujet du temps d’Orient. Il y a tellement d’ordre dans les
bureaux qu’il y a des compagnies qui comptent à partir de Tarente et d’autres à
partir de Marseille. Je m’explique avec le chef qui est tout épaté que je sois
si bien renseigné; enfin pour en finir je promets de poser une réclamation si
je n’y suis pas. La dessus, un scribouillard me demande les renseignements
nécessaires et l’après-midi mon nom va au colonel pour figurer sur la liste des
rapatriables comme ayant 18 mois de présence en Orient; voilà ce que c’est ici
je n’aurais pas réclamer, je sautais à la corde. »
Rien à signaler, le cycliste du bataillon
porte des courriers, le temps est très froid, il neige mais les journées sont
parfois ensoleillées, les officiers changent.
Le 16 février « il parait une note
informant le régiment qu’une librairie rue Zrinzi met en vente dès aujourd’hui
et journellement les journaux et livres français venant de France par la
compagnie des chemins de fer hongrois; les journaux quotidiens sont au prix de 0.30cts
et de 0,80 en argent hongrois.
Entrée de la gare de Szegedin |
Le 21 février rassemblement; on fait ses
adieux, le capitaine nous serre la main à tous et nous souhaite un bon voyage
on charge les sacs dans des voitures; arrivée à la gare, embarquement de suite
dans des wagons à bestiaux; la compagnie de chemin de fer étant en grève, les
mécaniciens et chauffeurs ne veulent pas nous emmener; on demande par téléphone
au colonel des ordres qui lui envoie une patrouille pour renforcer le poste
français de la gare et fait mettre un sous-officier armé du revolver sur la
machine pour forcer le mécanicien à emmener le convoi : enfin nous
partons. »
Fiume port autrichien, deviendra Rijeka (Croatie) |
Toujours en chemin de fer, ils arrivent le
23 à Zagreb « par ici on ne voit que des costumes blancs, nous sommes en Yougoslavie;
les femmes sont habillées tout en blanc avec des jupes à plis et courtes
marchant pieds nus et coiffés d’un bandeau de drap noir; elles portent toutes
leurs commissions sur la tête comme en Grèce ». Le voyage se poursuit avec
quelques arrêts « en attendant une machine de secours celle de notre
convoi ayant un joint de sauté. »
« Le 24 février nous arrivons en gare
de Fiume, débarquons … et cantonnons dans un ancien moulin gite d’étapes de la
division; enfin ils feraient mieux de nous embarquer de suite pour Marseille.
Ici toutes les femmes portent des hottes et vont au marché avec leur panier
dans le dos tenus par deux bretelles autour des épaules : chaque pays
chaque mode. Il court dans ce moulin un tas de bobards de toutes sortes; il
parait que nous devons embarquer que le 1er
mars mais ce n’est pas officiel; alors ça c’est la barbe de rester là 5 à 6
jours.
Le 25 février nouveau bobard on embarque
dans 4 jours pour Venise; on ne sait pas quoi faire et on se fait des cheveux à
20 sous de l’heure. »
Venise, Lagune |
Le 27 février l’ordre arrive
d’embarquement immédiat puis contre ordre « les officiers jouent à la
balle avec notre tête; c’est bien du métier militaire il ne faut pas chercher à
comprendre. »
« Le 1er mars changement de
cantonnement, le vrai gite d’étapes français qui se tient au bord de la mer, un
ancien camp de prisonniers serbes l’ancien convent de la ville le Lazareth San
Francisco … on est mieux qu’au moulin, on respire l’air de la mer. Enfin le 4
mars embarquement à bord du « Salona » bateau yougoslave le 5 mars
nous passons devant le port de Pola grande base de bateaux de guerre
autrichiens il y a un peu de roulis, nous arrivons au port de Venise Italie
puis nous débarquons sur des bateaux mouche qui nous conduisent au quai; on va
loger dans une caserne. On pose tout le fourbi à terre et on part faire un tour
dans différents quartiers. La ville est belle et c’est un plaisir de s’y
promener, les rues sont des rivières et les trottoirs des quais, on ne voit
aucune voiture ni bicyclette ce ne sont que des gondoles ». Chaque jour
des bobards sur le départ, enfin le 7 mars embarquement dans des péniches pour
la gare de Venise « nous embarquons de suite dans le train spécialement formé
pour nous ce ne sont que des wagons de voyageurs c’est étonnant et ce qui nous
surprend le plus c’est que nous partons tout de suite. »
Certains
historiens soutiennent que les soldats de 14-18 n’avaient pas un grand souci de
l’hygiène. Ce carnet montre tout le contraire. La vie quotidienne y est décrite
avec les problèmes de ravitaillement mais aussi la recherche de femmes pouvant
blanchir le linge, de proximités de points d’eau pour pouvoir se
« débarbouiller ». Il regrette de n’avoir qu’un morceau de savon pour
quatre juste assez pour laver une chemise et un caleçon. Dans ses courriers à
sa famille il réclame de l’alimentation, bien sûr, et du linge.
Le 9 mars débarquement à Milan puis départ
en direction de Gênes Vintimille … passage à Menton première gare française « on
est acclamé par tous les civils qui probablement savent que nous venons
d’Orient, ici changement d’heure au lieu de 8h30 heure de l’Europe Centrale
7h30 heure française…. enfin arrivée à Puget sur Argens… nous devons rester 2
jours pour nous réaffecter dans les dépôts les plus proches de notre résidence
et pour donner les permissions; vivement qu’on la tienne cette perm et qu’on
fiche le camp car on en a marre du train comme ça depuis le 21 février.
Le 11 mars distribution des perms départ
individuellement et arrivée à Marseille; que c’est chic quand même d’être libre
à présent pour 2 mois. »
Le 12 mars après un arrêt à Lyon il arrive
à Paris gare de Lyon à 19h15 « il y a foule et c’est avec bien du mal qu’on
arrive à passer au guichet, je saute dans l’autobus pour St Lazare et
j’apprends que je n’ai un train qu’à 22h15 donc sans perdre de temps je bondis
à la cantine militaire « Saint-Lazare, la seule gare où le militaire mange
gratuitement .»
« Le 13 mars arrivée à Pont de
l’Arche à 3h du matin, train se dirigeant vers Gisors à 6h20. Arrivée à Pitres
à 6h30 enfin ce coup-là je suis arrivé et que ça semble bon de revoir le pays,
les parents, les amis et de passer une bonne permission de 2 mois qui
malheureusement passera trop vite. »
Et voilà mon carnet de notes de ma
campagne d’Orient terminé.