Beaucoup
connaissent déjà cette vue du carrefour de la rue des moulins et de la rue du
bosc, mais qui sait encore que l'entreprise Boulard qui se trouve derrière
cette façade a employé jusqu'à 50 personnes à Pîtres ? |
Les abattoirs de PîtresSociété Boulard
Les origines
Armand Boulard épouse Maria Halley avant la guerre de
39-45, et Gaston, leur fils, épouse après la guerre Georgette Téaubon, pour
gérer cette entreprise. En 1952, M. et Mme prennent la succession de la
boucherie-charcuterie, uniquement le magasin. L'abattoir, créé en petit comité,
comptait dans les années 1970 de
30 à 50 membres du personnel
Au bureau Michelle, Agnès, Sylvie, Françoise,
Martine, Marie, Christine, Michelle Delamarre, madame Leclerc, Martine
Quenneville, Christine Manifel, Agnès, Martine Legon, Christine, Françoise
Fréret, Edith Cheval.
Chez les bouchers, à l’abattage et à la préparation
Claude, Jean, Daniel, Bernard, Jean-Claude, Gérard, Jean-Jacques, Jean-Pierre,
et les multiservices, Tasir, Dédé, Yvon et son frère Roger, et à l'entretien
Claude, René, Robert, Alain, Gianni et Jean-Paul.
On peut aussi bien sûr ajouter le vétérinaire et les deux
rabbins chargés du rituel pour la viande casher.
Les chauffeurs forment un groupe important :
Henri, Gino, Nounours, Jean-Guillaine, Jean-Pierre, Jacques et Robert. C’était
Gaston (le patron) qui payait les permis.
Les bouchers sont la cheville ouvrière :
Claude Lallemand et son frère Jean, Daniel, un autre Jean, assez fort,
Jean-Claude, Gérard.
Leurs aides : André, Loulou, Raymond, Aubry du
Calvados.
Les mécanos, sans qui les camions seraient
souvent à l’arrêt : Claudio, René, Jean-Paul et Gianni. Les véhicules sont nombreux et
demandent beaucoup de personnel. Ce que l'on transporte, que ce soit mort ou
vivant, supporte difficilement les retards prolongés, il faut donc que le
matériel, même d'occasion, reste fiable.
Pour le bétail, un semi-remorque Berliet TLR, un Mercédès
240, qui peine sur l'autoroute, un semi-remorque à un seul essieu, le
camion-benne Unic, et les bétaillères GLR, Strader 10, et J7. En tout donc sept
véhicules de transport de bêtes vivantes.
Après l’abattage, il y a les frigos roulants : le
Stradair de Gino, le GBK d’Henri, et le HY Citroën. Le G3 benne de Raoul
emporte le suif à Mesnil-Esnard et le cuir aux tanneries de Louviers.
A cela s’ajoutent les voitures, une Opel jaune, une R5
bleue, et l’Estafette pour les cochons, et un tracteur agricole pour tirer la
tonne à sang.
On peut ajouter un camion frigo statique, non roulant, pour
conserver l’arrière des bêtes pendant la semaine.
Le fonctionnement de l'abattoir
La journée commence d’ordinaire par un café chez Gaétan, et à l’arrivée à six heures, le ballet du chargement des camions commence, avec Gaston Boulard, le patron, à la manœuvre.
L’arrière-cour |
Les bacs, avec les morceaux et les plombs attestant de la qualité de la viande sont là. On charge, les gars, portant leur pièce de viande qui vient d’être décrochée — c'est lourd, parfois près de cent kilos - montent la rampe qui mène dans le camion frigo d'un pas assuré. Trois bonnes heures seront nécessaires au chargement, et à 9h c’est le casse-croûte à côté de l'atelier en bas. C’est Pierrot qui fournit le casse-croûte, la viande, c'est l'abattoir (steak).
Deux belles bêtes primées |
A 9h30, et les camions partent et la tuerie commence, dans l'odeur spécifique de viande et de sang.
Les bêtes récemment livrées s'ajoutent à celles qui sont
remontées à pied sur la route des étables vers l'abattoir. Elles sont
lentes... On les pousse dans le couloir. Les rabbins sacrificateurs sont
arrivés de Paris, le rituel commence.
La première est retournée par treuil, la tête en arrière.
Le rabbin jette un peu d'eau et tranche la gorge en récitant des mots
incompréhensibles. La bête râle et meurt. Elle est reprise au treuil et part
vers la découpe de la peau, qui est faite avec soin, et l'éviscération. Les
abats sont enlevés : cœur, foie, poumon, suivant le rituel casher. Le vétérinaire
inspecte alors tout et si les rabbins ont posé les plombs, la bête est considérée
comme casher.
De la bête sur pied…..
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Une
journée en 1972.
7h45. J'arrive. Ouverture des
portes de l'atelier. Entretien complet du SG 3 benne : préparation mine,
éclairage, vidanges, etc.
A 10h30, le téléphone sonne :
« Viens vite ! L'abattoir est bloqué... »
J’accours avec la caisse à outils.
Plus de courant, et la tuerie qui a commencé…. Les gars me
renseignent : « là-bas, au pied du treuil, on a vu des
étincelles… »
Je patauge dans les morceaux de
fils coupés, pas rassuré du tout ! Je raccroche avec des dominos et
ça marche… Je récupère ma caisse, mes outils, et je quitte les lieux, avec les
yeux des vaches qui me poursuivent. C’est à 18h que la journée se termine. Dur,
dur...
Notre travail, à nous les mécanos,
ce sont les véhicules, qui souffrent beaucoup, et l’entretien de
toutes les installations : soudure, peinture, mécanique et électricité.
La remise en état des véhicules
d'occasion y prend une grande place. Soudures, peinture, rouge garance pour le
bas et jaune paille pour le haut. Contrôle de l’éclairage tous les matins,
niveaux d’huile, freins... Pas le droit à la panne, mais ça peut quand même
arriver…
Ah! Les rats ! ... Toujours ouvrir
les boîtes électriques, toujours, ... pour faire fuir les rats.
GL
Ensuite, elle est coupée en deux, puis l'avant est séparé
au niveau de la treizième côte, tamponné et plombé sous contrôle du vétérinaire
et part en direction des boucheries casher. L’arrière étant considéré comme
impropre pour la religion juive part en Allemagne en camion frigo.
Pour le nettoyage, les tripes sont plongées dans l'eau de
grandes cuves
Pour la viande traditionnelle, on utilise le matador dans
cette procédure, la bête est assommée, et le découpage normal est identique,
sans mise de côté de l’arrière.
La viande part en direction des boucheries régionales et de
la grande distribution. L'abattoir fournit deux boucheries à Rouen, une à
Louviers et des restaurateurs.
Pour un petit abattoir, la production est importante : une
moyenne de 40 à 50 bêtes est tuée par semaine, en fonction des commandes des
boucheries, du mardi au vendredi.
Pîtres, années 1970 |
et au Louvre, un Rembrandt de 1655 ... |
Quelques
anecdotes
La cabane à Gaston (c’est le
patron), qui lui servait de bureau afin de contrôler le transport des
carcasses : elle a été peinte assez rapidement, la peinture n'a pas eu le
temps de sécher et elle a été livrée avec la paille du camion collée sur la
peinture, ce qui donne l'impression qu'il s'agit d'un camouflage… On repeint
aussi les meubles, et tout va bien durant l'été, mais dès qu'on allume le
poêle, les mélanges n’étant pas au point, les meubles, supposés pourtant être
d'un beau jaune se mettent à virer au noir...
La partie déclassée est livrée pour être transformée chez
Olida pour les animaux.
Ce qui peut paraître paradoxal dans un environnement
casher, une activité parallèle a été créée : une porcherie. Les cochons
sont nourris par les déchets de l'abattoir et des bananes récupérées sur le
port de Rouen, un bel exemple de non gaspillage (serait-ce encore possible
aujourd’hui, quand, pour des raisons d’hygiène, il est même interdit de nourrir
des porcs avec les déchets des cantines scolaires ?).
Le vendredi, ou bien c'est un camion de la maison qui part
livrer vers l'Allemagne, avec un chauffeur qui n’oublie pas de prévoir sa
couverture sur les genoux en hiver pour ne pas trop se geler et de frotter des
oignons sur le pare-brise pour éviter le givre, ou bien ce sont les Allemands
qui viennent prendre livraison des arrières à Pîtres. Les cuirs, eux, partent
pour Cherbourg en fin de semaine.
Sources
- souvenirs personnels et enquête auprès des anciens de l'abattoir
- internet pour le tableau de Rembrandt,