1 juillet 2017

Jeu : étonnante diversité des étymologies...

Association Histoire du Val de Pîtres

VIE DE L’ASSOCIATION en 2013


Mars. Musée des Antiquités de Rouen.

Une quinzaine de membres de l’association se sont donné rendez-vous place de la Fraternité, pour rejoindre Rouen en covoiturage.
Association Histoire du Val de Pîtres
Nous y avons retrouvé les fibules et les épées pliées de Pîtres, des pièces de monnaie et autres objets antiques de notre commune, ainsi qu’une copie du casque d’Amfreville sous les Monts. puis la visite s’est poursuivie à travers les salles où nous avons admiré de splendides vitraux représentant les mois de l’année au travers de l’agriculture, diverses statues, retables et sculptures.

Bernadette Hélouin


Juin. Musée des Beaux-Arts de Rouen

De nouveau, covoiturage vers l’exposition Eblouissants reflets, les Impressionnistes peintres de l’eau, visite accompagnée d’une guide, qui nous a expliqué comment l’arrivée de la photographie au milieu du XIXe siècle avait créé un nouveau mode de représentation et formé le regard des futurs impressionnistes, tels Degas, Caillebotte, Monet ou Renoir, notamment dans les scènes de bord de l’eau. Ils ont peint les bords de Seine, parfois à bord d’un bateau, des scènes de la vie ordinaire, le travail des hommes, les ports, les premiers ponts métalliques, les premiers loisirs au bord de l’eau avec des baigneurs, des rameurs, des canotiers.
Pierre-Auguste Renoir .  La yole - Rouen Musée des Beaux-Arts
Pierre-Auguste Renoir. La yole

Pour eux, la peinture doit représenter l’instant présent et non un effet de l’imagination et, pour bien le montrer, ils ont souvent peint le même sujet à divers moments de la journée, comme Monet avec la cathédrale de Rouen.
Certains ont continué leur balade au fil de la Seine en allant visiter l’Armada.

Monique Loos


Octobre. Le barrage de Poses

Hubert Labrouche, président de l’association Les Anciens et Amis de la Batellerie, à l’origine du Musée de la batellerie, a bien voulu «traverser l’eau» pour venir nous faire une très intéressante conférence, illustrée de nombreux documents projetés, sur la construction du barrage de Poses, ou plutôt des barrages, puisque, construit à la fin du 19ème siècle, il sera plusieurs fois modifié.
Association Histoire du Val de Pîtres
Cette conférence sera reprise sous forme d’un article dans le prochain numéro.

Le Musée de la batellerie de Poses, sur l'ancien chemin du halage, présente du matériel illustrant l'histoire de la batellerie et du halage, des maquettes d'écluses et de barrages, une machine à vapeur et des moteurs anciens, et le remorqueur de 1928 Fauvette, classé monument historique.
Nous organiserons une visite au printemps.

Hubert Labrouche


*****

JEU DE MOTS











Les noms à trouver ont en commun une même syllabe. 
1. De l’indo-européen pelpo, ouvrage en bois
2. Du grec ἐπιστολή, lettre 
3. Du latin ocior, plus rapide et peto, voler 
4. Du latin capitulum, diminutif de caput, tête 
5. Réunion au début de laquelle on lisait un capitulum de la règle
6. Du latin pedester, qui va à pied, donc de condition inférieure. Mais pourrait venir aussi du vieux français désignant le pétrisseur, le boulanger.
7. L'histoire commencerait avec l'installation d'un certain Peter sur un cap, mais comme il y pousse aussi  un agave pite ou pitera, on peut hésiter …
8. Dérivé du latin pista, meule, d'une racine signifiant broyer

Quelques indices supplémentaires, façon mots-croisés, dans le désordre...
Pierre, Paul, Jacques, ou les deux autres
Place du chef
Un brin de lecture
Droit de l'ouvrir
Petits et grands ducs, buses et faucons
Amuse la galerie
Sur l'Andelle mais pas sur Andelle
Et non saillie de bouffon

Réponses dans le prochain numéro


Alizay : de la SICA à Double A

Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay


SICA, ALICEL, ALIPAP, MODOPAPER, M-REAL, Double A
Histoire du site industriel d'Alizay


L'origine de l’entreprise est en relation avec les dommages de guerre exigés de l’Allemagne après la Seconde guerre mondiale. En effet, un groupe de Français est chargé de trouver des matériels démontés par les Allemands dont l'hexagone peut disposer en compensation des dommages subis sur son sol. L'équipe est menée par Georges Cardi, officier de marine et ingénieur des arts et métiers.

Au début des années 1950, l'équipe de Français sympathise avec les dirigeants d'une usine de pâte construite à EHINGEN ; ville allemande située dans le Bade-Wurtemberg sur le Danube au sud ouest d'Ulm. Cette entreprise fabriquait de la pâte pour les textiles artificiels (fibranne). L'avant projet fût réalisé par des ingénieurs et techniciens allemands.

Pourquoi le choix d'Alizay ?

Le chef de la délégation Paul Peronne, maire des Damps, était exploitant forestier et a sans doute favorisé le choix du site.

En 1950-1951 la famille de la Potterie met en vente le domaine de Rouville, le château et les terres, aussitôt rachetés.

La vie de château

Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay château
Le château accueillait non seulement les personnes pour des réunions administratives, le bureau d'études, pour les repas, mais aussi les salariés élus pour les réunions sociales mensuelles (comité d'entreprise et délégués du personnel). A propos des activités sociales, le CE disposait d'une somme confortable. Ainsi de nombreuses commissions ont été créées : voyage, entrée en 6ème, labo photo, les anciens, bourse d'étude, équipes de foot etc... De nombreuses aides sociales ont été accordées aux personnes en difficulté.

La SICA l'une des plus grandes usines du département, possédait une véritable organisation syndicale puissante et structurée.

En 1971, une loi a été votée en rapport avec la formation continue pour adultes, à l’initiative de Bertrand Schwartz. La direction principale pressentait déjà les problèmes d'emploi. Ainsi trois personnes : deux cadres, une maitrise ont été détachées de leur poste respectif pour permettre aux salariés d'accéder à un nouveau métier de leur choix. Ils obtenaient ainsi ce qu'on appelait le CAPPUC (CAP par unité capitalisable) après avoir franchi les deux étapes. En effet une partie de la formation était assurée par les formateurs et l'autre par l'Éducation Nationale. Une dizaine de salariés a été reçue avec succès.

Du personnel à la hauteur !

Au cours de la période précitée Jacques Meslay, un homme de haute taille, était chef du personnel et son adjoint, moitié moins grand, venait du Midi. C'est très gentiment et avec respect qu'il était nommé le « demi de mêlée ».

Mais revenons dans les débuts de la construction. Le site d'Alizay est retenu aussi pour de multiples raisons : la proximité de la voie ferrée, la gare de Pont-de-l'Arche, la voie fluviale, la nappe phréatique. La S.I.C.A est construite à l'image de l'usine Ehingen et elle est dirigée par Georges Cadi assisté de Monsieur Bickell-Haupt qui est devenu son ami.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay
Les travaux de construction ont été amorcés en 1951. L'usine a démarré en octobre 1954. Elle était prévue pour produire 30 000 tonnes. Elle a été inaugurée par Pierre Mendès-France.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay

La première production de pâte n'était pas blanchie. L'atelier blanchiment a été mis en route début 1955 ; une inondation en janvier 1955 a généré un arrêt d'usine jusqu'en février ; date de la mise en route du blanchiment.

Le directeur avait installé son bureau au château, et au sous-sol un espace lui était réservé. Au dessus du hublot, une ancre était fixée. Par ailleurs, il s'exprimait en utilisant des termes de marin. A l'usine la distribution du courrier était assurée par le mousse. Grâce aux factions, l'usine tournait en continu. Les 3x8 étaient appelés les quarts. Ainsi la salle de contrôle de la nouvelle chaîne construite en 1962-1963 qui dominait les ateliers était appelée passerelle.
Au-dessus du laboratoire central, était aménagée une petite pièce contenant un lit de camp réservé pour le repos d'un factionnaire ingénieur qui était à la disposition du personnel en cas de problème.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay - G.Cardi  en 1962 à côté de sa Ferrari au départ du onzième tour de France
G.Cardi en 1962 à côté de sa Ferrari au départ du onzième tour de France

Georges Cardi logeait dans une maison située dans le parc du château. Dans ce dernier, la salle à manger des cadres était réservée au mess. Lorsqu'il y avait des travaux de nuit le directeur débarquait avec sa provision de sandwichs et de boissons pour alimenter le personnel ouvrier. Tout le monde était dans le même bateau.

Il était aussi passionné par l'automobile, et vice-président de l'automobile club de Rouen des Essarts. Il participa à l'organisation du grand prix des Essarts à proximité de l'usine. Les essais eurent lieu sur les routes toute proches et au moment de la course l'atelier de mécanique se transforma en atelier de réparation automobile. Le réservoir de Fangio avait crevé. Il n'y en avait pas de rechange ; il fallut le ressouder.

Travail pénible des salariés.

L’activité physique s'imposait à ceux qui étaient chargés de tordre un fil d'acier autour de la balle, de même le débouchage des crépines à l'intérieur des lessiveurs, qui servaient à « cuire » le bois. Le travail s'effectuait dans les relents de gaz des autres lessiveurs, les vannes des circuits n'étaient pas très étanches. C’est pourquoi une prime était accordée aux ouvriers qui changeaient les crépines. Toutes les interventions s'effectuaient dans une atmosphère de poussière et de gaz. Dans les premières années, la ventilation était inexistante ou inefficace. C'est pourquoi pendant une bonne partie de la faction l'ouvrier devait travailler avec un masque à gaz, porté lors des vidanges des lessiveurs. Par ailleurs, après de nombreuses années des cabines de protection ont été installées dans divers ateliers (lessivage, presse-pâte chaufferie etc.). Les salariés étaient protégés du bruit pour inscrire les informations liées à la production, et se restaurer à la pause.

Date mémorable : février 1955

A l'origine, le choix de la fabrication était axé sur la production de textile artificiel car les débouchés étaient assurés (l'usine de Cellophane à Mantes, Roanne, Bezons près de Paris).

Au début de la fabrication, les difficultés techniques ont imposé aux ouvriers des moments difficiles (Ex : éclatement du diffuseur). La nature de la lessive utilisée (bisulfite de calcium) était aussi une source de problèmes car les dépôts de calcium bouchaient les crépines d'aspiration de la lessive. La pâte obtenue devait être de qualité (basse viscosité) ce qui était difficile à obtenir. Il y avait nécessité à maintenir un débit régulier.

Pierre Mendès-France inaugure la S.I.C.A.

Le 31 janvier 1955 Pierre Mendès-France se rend sur place pour inaugurer la S.I.C.A. En février 1955, la première tonne de pâte textile est produite. C'est la célèbre balle 3016 qui deviendra par la suite l'étalon de référence pour le C.T.A (comptoir textile artificiel).

Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay
Après un démarrage difficile, l'année 1957 a été bonne tant pour la production que pour les prix de vente. En décembre, la direction prévoit un production avoisinant les 130 tonnes. C'est plus du double de celle de 1955. L'objectif est d'atteindre les 100 000 tonnes rapidement. Cela est prévu pour mars 1958. Georges Cardi organise une grande fête lors de la production de la cent millième tonne.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay 100000t

En mai 1960, de passage en France, Kroutchev, secrétaire général du Parti Communiste de l’URSS, visite quelques fleurons de l'industrie française. La SICA fait partie de la liste sans doute grâce aux relations de Georges Cardi qui souligne que la SICA. est une des usines de cellulose les plus modernes d'Europe. L'usine est embellie ; les bâtiments sont repeints, les routes sont goudronnées, des arbres sont plantés. Léon Zitrone est pressenti pour rendre compte de l'évènement. Mais c'est Kossyguine, moins connu, qui viendra visiter l’usine à la suite d’une modification de calendrier.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay - Kossyguine à la SICA
Kossyguine à la SICA

En 1961, les marchés de la pâte textile chutent. Pour résoudre les difficultés, en 1962 est lancée la construction de la chaine 2. Une nouvelle lessive, le bisulfite de sodium, est utilisée pour « cuire » le bois.

En 1963 ce fût donc le démarrage d'une deuxième chaîne de production dédiée à la pâte à papier. L'année était subdivisée en campagne de production ; tantôt pâte textile, tantôt pâte papetière. Jusqu'en 1971 la chaîne 2 fabriquera alternativement de la pâte pour textile et de la pâte papetière.

En 1968 est né le Groupement Européen de la Cellulose, qui comprend trois usines : la Cellulose d'Aquitaine, les Ardennes, et la SICA. Elles sont liées par une convention d'assistance. Un tonnage de pâte papetière est prévu pour chacune d'entre elles, soit 90 000 tonnes de pâte pour la cellulose d'Aquitaine, 116 000 tonnes pour les Ardennes, et 130 000 tonnes pour la S.I.C.A.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay - La station d’épuration
La station d’épuration

L'année 1970 marque une étape fondamentale dans l'évolution des techniques de production. La SICA se met à produire de la pâte selon le procédé kraft mieux adapté à la fabrication du papier et moins polluant. L'entreprise construit alors sa station d'épuration de dimension équivalente à celle d'une ville de près de 800 000 habitants ! Malheureusement ce procédé génère de fortes odeurs désagréables s'apparentant aux odeurs de chou, ce qui amène une réaction de la part des habitants. (voir encadré ci-après)

En 1977  le marché de la pâte papetière s'effondre. La surcapacité mondiale est menaçante. A cette époque, les usines finlandaises créent une unité qui, à elle seule, produit 600000 tonnes, l'équivalent de la capacité totale des quatre usines du GEC (la Cellulose de Strasbourg avait rejoint les trois autres unités).

En 1978, le GEC signe un protocole de redressement avec les pouvoirs publics. La SICA doit réduire ses effectifs : de 730 salariés elle ne doit en compter que 650. Dans le même temps, la chute du dollar pénalise fortement les profits. Dans le groupe, les prix de revient à la fabrication dépassent le chiffre d'affaires.

Le 27 novembre 1980, le GEC est mis en redressement judiciaire. Le syndic nommé pose immédiatement l'avenir de la chaîne 1, faisant écho aux préoccupations de la Direction. Début décembre, la fermeture de la chaîne 1 est officialisée : 206 licenciements sont programmés. Le CIRI fixe au 15 décembre 1982 la date butoir pour rétablir la santé financière du site.

Le 6 décembre 1980, le comité d'entreprise a connaissance de la liste. Les noms ont été affichés à la sortie de l'usine. Les personnes concernées viennent et repartent en pleurant. D'une seconde à l'autre, leur vie bascule. Alors commence la bataille pour l'emploi, les entretiens avec les personnalités se multiplient. Les syndicats se mobilisent pour refuser les licenciements car chaque salarié licencié est au pied du mur.
L'unité salariale se lézarde ; certains pointent au château tandis que les autres campent devant les grilles. Le 24 décembre pendant la nuit près de 300 agents enfoncent les grilles.

La chaîne 1a été arrêtée et 200 salariés ont été licenciés. Les salariés craignaient l'arrêt définitif de la SICA et pourtant l'usine redémarre dans un contexte favorable.

Témoignage  

1975, la SICA, très éclairée, impressionnante par ses dimensions hors normes, est aussi environnée de fumées qui se font sentir à des kilomètres à la ronde : l'air est empuanti par une odeur de chou pourri, celle d'un gaz extrêmement volatile, le mercaptan.
C'est une odeur nauséabonde, voire irrespirable, qui se répand extrêmement vite au gré des vents d'Ouest dominants sur le Manoir, Pîtres, Poses, Romilly, Pont-Saint-Pierre et parfois même Fleury, le Plessis, Senneville .….
Au sud, les Damps sont aux premières loges, les maisons se bradent, prendre l'air par beau temps est devenu impossible. Les arbres et les potagers sont touchés également.
Cette situation est intolérable. Deux amis des Damps me proposent de créer une "association de défense contre les nuisances", ce qui est fait dans la foulée et une bagarre commence, qui va durer quatre ans.
Nous passons nos loisirs à organiser des réunions, à coller des affiches dans toutes les communes concernées (l'une représente un enfant avec un masque à gaz, jouant dans son jardin) et adressons à tous : maires, administrations, Préfet de l'Eure, Chambres de commerce, Premier ministre, Président de la république, radios et télévisions régionales et nationales, et enfin quotidiens et hebdomadaires, un dossier très documenté avec photos à l'appui. Des articles paraissent, dont un dans le Canard enchaîné, qui titre « La vallée de chou pourri », tant et si bien que la direction de la SICA qui refusait tout dialogue, commence à prendre cela au sérieux et à recevoir les responsables de l'association.
Un ingénieur suédois, polytechnicien de surcroît, nous lance, en guise de boutade : "que voulez-vous, c'est l'odeur de l'argent !" Il deviendra un ami …
Petit à petit, des mesures sont prises pour capter le mercaptan avant sa diffusion dans l'atmosphère. Près d'un million de francs de l'époque y sont consacrés, et au bout de trois ans la situation est redevenue presque normale …
La leçon à retenir est qu’il ne faut jamais baisser les bras et accepter passivement une telle atteinte à l'environnement sous prétexte d'activité économique. On doit concilier les deux, même si le coût est relativement élevé. Les syndicats, qui n'étaient guère favorables à notre action car ils craignaient pour l'emploi, verront par la suite que ce n'était pas là le problème.
(Roger Sionnière)

1981 Adieu SICA, bonjour ALICEL

Quel grand moment ce redémarrage ! « Nous nous sommes battus pour la réouverture » diront les salariés actifs dans ce combat. L'espoir habitait ces hommes qui ont défendu leur cause en indiquant au Directeur de Cabinet du Préfet qu'il était possible de porter la production de 350 tonnes par jour à 600 tonnes. D'ailleurs certains salariés qui avaient reçu leur lettre de licenciement ont dû revenir dans l'entreprise. Il fallait produire sans le soutien des banques. Peu à peu la confiance a été restaurée entre les différents intervenants.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay

Deux ou trois mois après la reprise, le dollar s'envole. La pâte se vend soudain au plus haut prix, alors l'entreprise se met à gagner de l'argent. Quelques investissements sont réalisés (une dizaine de millions de franc), consistant à réutiliser du matériel de la chaîne 1 pour augmenter la production de la chaîne 2. La date butoir est toujours fixée au 15 décembre 1982.

En mars 1982, une solution transitoire est alors mise en place sous l'égide du grand groupe papetier suédois MODO et les papeteries Maresquel. En effet, MODO qui a depuis 1968 une papeterie à Pont-Sainte-Maxence (PSM) signe alors un contrat de location gérance temporaire avec l'administration judiciaire de la SICA. Rapidement l'usine de PSM achète la moitié de la production de la SICA.

Début 1983, deux projets de développement sont étudiés en partenariat avec le Comité interministériel redressement industriel :
 - première possibilité, porter la production de la pâte papetière à 480000 tonnes.
 - deuxième possibilité, maintenir la production aux environs de 100000 tonnes et investir dans une machine à papier sur le site. C'est donc à cette période que germe l'idée de construction d'une machine à papier. Lors de la faillite du GEC, MODO est intéressé par l'acquisition du site d'Alizay, mais l'affaire ne sera pas conclue ; sans doute que les responsables politiques de l'époque ne souhaitaient pas céder un outil stratégique à un groupe étranger.

Le 23 février 1985, la SICA est adjugée pour 5 millions de francs à un groupe d'actionnaires constitué autour de Jacques Lejeune, Directeur Général de PSM. Ce groupe crée la société ALICEL. MODO est actionnaire à hauteur de 17%
ALICEL devient une société financière au capital de 30 millions de francs dont 10 millions de francs sont détenus par le groupe Sopargés–Mafipa autrement dit par Jacques Lejeune.

Une nouvelle usine voit le jour. Des investissements vont améliorer le parc à bois, la cuisson et le lavage pour la phase 1, et pour la phase 2 le blanchiment. La salle de contrôle du parc à bois est complètement automatisée. Ces changements techniques ont donné lieu à une réorganisation des postes de travail ; là où ils étaient 120 en 1960, puis 80 avant transformation, ils ne sont plus que 40 environ. Les autres salariés sont reclassés ou partent en préretraite. Depuis l'arrêt de la chaîne 1, on évite les licenciements. Après les 2 premières phases, suit la phase 3 en rapport avec l'évaporation, la chaudière, le four à chaux et la caustification. La phase 4 en relation avec la machine à papier sur le site d'Alizay demeure toujours un projet. On en parle sérieusement vers 1985. Les études débutent vers 1987 qui dureront 2 ans.

En 1989 250 000 tonnes de pâte est le niveau de production record atteint. La construction d'une machine à papier est décidée.

Il y avait eu deux chaudières CAIL, puis une BABCOCK (BW). Il y aura désormais une nouvelle chaudière, la STEIN. Elle démarre un jour de fête, le 15 août 1990. Les CAIL brûlent des écorces et du fuel. La BW était dimensionnée pour une usine produisant 180 000 tonnes de pâte kraft ; la chaudière STEIN l'est pour 300 000 tonnes. Avec la machine à papier, la demande d'énergie augmente sur le site, il devient économiquement très avantageux de convertir la BW à la combustion à écorces. Il faut savoir que le fuel ou le gaz coûtent beaucoup plus cher que la biomasse (déchets de végétaux comme par exemple les écorces, les morceaux de palettes la sciure, etc.).

Une bonne nouvelle satisfait les salariés et la direction. En effet grâce à la cuisson continue, il n'y a plus d'arrivée sporadique des gaz et des explosions de joints qui libéraient des odeurs. Avec le débit continu, le problème dû aux odeurs a été diminué.

L'entreprise investit dans une nouvelle turbine 27 700 kilowatts appelée TA4. Les chaudières CAIL sont arrêtées. On cesse aussi d'utiliser les deux anciennes turbines : 4500 et 8100 kW. La nouvelle TA4 transforme en électricité la vapeur recueillie de la chaudière Stein.

Début 1990, création de la société ALIPAP. Le génie civil démarre. La machine est abritée dans un long bâtiment : 22m de hauteur pour 235 m de long et 40 m de large. C'était une des plus grosses du monde à l'époque de sa construction et encore aujourd'hui une des plus importantes d'Europe. La machine à papier a produit des bobines à la vitesse de 1000 m de papier par minute et 8,60m de large. Désormais ALICEL et ALIPAP se côtoient sur le même site. Les salariés traversaient le parking pour aller d'une usine à l'autre.

Modopaper

En 1991, l'usine est reprise par le groupe MODO et le 22 décembre sort la première feuille.

Au début de l'année 1994, la filière papier traverse la crise la plus profonde depuis les années 1930. Toutes les usines de pâte à papier françaises connaissent des déficits importants. ALICEL perd plus de mille francs à la tonne de pâte. « Jusqu'à quand le groupe MODO soutiendra t-il un de ses seuls sites à perdre de l'argent ? » relatait un article de Paris-Normandie le 12 janvier 1994.

En 1997, un nouveau pas est franchi avec le lancement de la production de ramettes de format A4 A3 et l'installation d'une première coupeuse. C'était à l'époque, la première coupeuse au monde avec trois lignes de conditionnement qui pouvaient fonctionner en même temps. Les futurs coupeurs, pour voir fonctionner sur le terrain ce dont ils avaient entendu parler, se rendent dix jours en Suède, avant d'aller passer trois semaines à Pont Sainte-Maxence et à Hambourg. Moment de détente en Allemagne, le fournisseur offre un soir une séance géante de karting sur un circuit couvert juste à côté de l'usine. Le premier septembre 1997 est un grand jour : c'est le démarrage de la production. Des visiteurs étrangers sont là, Brésiliens, Russes… En octobre le service finition A4 est à l'honneur. L'ambassadeur de Suède se rend sur le site pour assister à son inauguration officielle. C'est la fête à ALIPAP. L'ambassadeur appuie sur le bouton pour démarrer la coupeuse et c'est parti pour environ 5 à 6 heures. Puis un souci d'automate engendrera quelques heures d'arrêt.

La tempête de 1999 a fait vivre un exploit humain.

On s'en souvient, le matin du dimanche 26 décembre 1999, une tempête d'une violence rare dévaste le nord de la France. Dehors, les arbres tombent, à l'intérieur on a l'impression que les fenêtres vont exploser. Quand le vent se calme, on constate que le convoyeur de copeaux est tombé sur le bâtiment du parc à bois. Paysage apocalyptique. Toute la journée, les opérateurs et le personnel d'astreinte s'affairent à mettre l'usine en sécurité.

Le lendemain, les salariés découvrent les conséquences de ce séisme. On ne peut plus alimenter la cuisson en copeaux. Inquiets, les salariés touchés s'organisent : un magnifique élan de solidarité naît. En dix jours, les services techniques montent une alimentation provisoire par soufflerie, récupérée sur un site suédois. Le 12 janvier 2000, la cuisson est à nouveau alimentée en copeaux. Dans un temps record, les salariés et les entreprises sous traitantes travaillent à la reconstruction du convoyeur à copeaux, et le 19, c'est chose faite.

En janvier 2001 est installée la coupeuse 7, totalement dédiée au A4, format devenu à cette époque le format standard en raison de l'utilisation de plus en plus importante des ordinateurs. Le démarrage est très difficile : elle ne commence à produire des ramettes qu'un mois plus tard.

Les projections sur l'évolution du marché du papier sont alors optimistes. Le savoir-faire est important. Toute approximation est immédiatement sanctionnée. Par exemple, si le couteau est usé, la qualité de la tranche de papier sera mauvaise, et chez le client, la sanction est immédiate : réclamation. De plus, les manipulations informatiques ne peuvent être effectuées qu'avec une parfaite connaissance de l'outil. Les problèmes ont fait chuter le rythme. Aux rebobineuses il est tombé de 70 000 tonnes à l'année à 40 000 tonnes. La réclamation client à la tonne passait de 50 centimes à 4 euros. Des sessions de formation avec les fournisseurs, une optimisation des plans de maintenance portent leurs fruits. Peu à peu, le fonctionnement redevient normal.

C'est aussi en 2001 que le stock automatique est installé, mais un nouvel incident viendra ternir ces améliorations constantes. Pendant les travaux du génie civil, par une nuit d'orage, les eaux sont remontées par les égouts qui n'étaient pas encore raccordés. la fosse devant accueillir le stock automatique est transformée en piscine. Après bien des aventures l'atelier finira par fournir un papier de qualité aux divers clients.

L'activité des labos.

A l'époque de la SICA, il y avait deux laboratoires : l'un assurait les contrôles, l'autre la recherche. Au total treize personnes travaillaient à la journée dans ce secteur. Par ailleurs, des factionnaires effectuaient des contrôles pour assurer un bon suivi de la fabrication. L'ambiance de travail était très bonne. Un salarié raconte qu'il lui arrivait d'acheter de l'extrait d'anis aux transporteurs italiens de passage à l'usine, pour fabriquer du pastis. Malgré les hottes d'aspiration, de « fines odeurs » subsistaient. L'odeur de l'usine imprégnait les murs et les vêtements. Les salariés avaient hâte de rentrer chez eux pour se changer.

En 1990, un laboratoire avait été installé dans le bâtiment de la machine à papier. Il comptait huit personnes à la journée et douze personnes en faction pour assurer les contrôles quotidiens sur la pâte et le papier, la recherche et le développement étant effectués ailleurs dans le groupe M-Real. En juin 2000, le groupe suédois Modo-paper est repris par le finlandais Mesta-Serla, et devient de ce fait M-Real.

M-Real et l’environnement

M-Real va se préoccuper davantage de la qualité et du respect de l'environnement. L'usine obtient les certifications de qualité ISO* puis la certification environnement ISO 14001. Un audit de renouvellement a lieu tous les trois ans. L'engagement de progrès s'applique aussi en amont de l'usine : en 2003 M-real a obtenu la certification PEFC (Pan European Forest Certification), qui garantit que la chaine d'approvisionnement de bois répond aux exigences de la gestion du bois et des forêts.

Le passé, chiffons, l'avenir, le bois.

Au XIXème siècle la pénurie de chiffons destinés à la fabrication du papier suscita l'émergence d'une nouvelle matière première, le bois. L’Europe était alors riche en bois, et le coût élevé des transports fit que les papeteries se trouvèrent près des zones de production. Mais la donne change à la fin du XXème siècle. Des pays que l’on appelait du Tiers-Monde, souvent anciennement colonisés, s’industrialisent. L'Indonésie ou le Brésil dans lesquels le bois pousse six à sept fois plus vite qu'en Europe construisent de gigantesques usines de pâte. Les salariés s'interrogent. En effet, il se peut que dans l'avenir la rareté du bois bouleverse l'implantation des usines de pâte. Depuis 1996, des wagons traversent une partie de la France pour transporter à Alizay des milliers de tonnes de bois du Morvan. Les salariés s'interrogent: qu'en sera t-il dans quelques années ?

De 2005 à 2011 l'activité de l'entreprise semble présenter de sérieuses difficultés, que la direction justifie par l'important déficit récurrent du site normand et de très mauvaises perspectives.

M-Real menacée.

L'information tombe en mai 2011 : « Le groupe papetier finlandais M-Real a indiqué mercredi qu'il envisageait la fermeture de son usine d'Alizay qui emploie 330 salariés et dont les performances financières et les perspectives sont selon lui « très mauvaises » ». Dans un communiqué, le groupe précise qu'il convie les repreneurs potentiels à se manifester dans le cadre d'un « processus public » dont la date est fixée au plus tard fin septembre 2011. Dans l'hypothèse où aucun repreneur crédible ne serait retenu par M-Real dans le délai imparti, la fermeture de la papeterie d'Alizay est envisagée.

Octobre 2011. Les représentants du personnel ont rencontré le ministère de l'agriculture le 5. Le PDG du groupe papetier finlandais a promis de ne pas engager la fermeture de l'usine avant la fin des négociations avec les deux repreneurs restant en compétition, alors même qu'il avait convoqué le 3 octobre à Helsinski un comité d'administration du groupe pour obtenir son feu vert à la mise en route de cette fermeture.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay

La fermeture de l'usine de pâte à papier du site, d'une capacité de 250 000 tonnes, a lieu en juillet 2010. Est-ce la fin ?

Double A

Au printemps 2013, l'usine longtemps arrêtée est rachetée par le département de l'Eure, ce qu'Arnaud Montebourg qualifie de « micro nationalisation locale temporaire », pour être revendue aussitôt à la société thaïlandaise Double A, qui relance la production quatre mois après le rachat. Elle annonce avoir expédié aux Émirats Arabes Unis six conteneurs de papier de qualité supérieure. Les papiers de haute qualité sont produits à partir de fibres courtes en provenance de Thaïlande, à partir d'arbres d'élevage à croissance rapide, cultivés par plus de 1,5 millions d'agriculteurs sous contrat et plantés au sein ou autour des champs de riz et d'autres cultures, assurant ainsi la biodiversité de ces espaces, annonce l'entreprise.

Et l’avenir ?

L’activité sur le site a toujours été en dents de scie, mais l’usine a encore une fois réussi à renaître de ses cendres grâce à la confiance et la solidarité de tous.
Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay
C l’Eure. Septembre 2013

Sources :

Sica Alicel Alipap Modopaper M-Real Double A Alizay
- 1954-2004 De la SICA à M-REAL, coordonné par Bernadette Le Page, publié par le Comité d’édition du groupe de projet de M-Real et Etat d’esprit
- articles de Paris-Normandie et de La dépêche
- témoignages du personnel


Christiane Bonnefoy



Une bombe sur Pîtres

Août 44 Vallée de l'Andelle - 2ème guerre mondiale
Dessin de l’auteur

Août 44 - Vallée de l’Andelle 
(témoignage)


Après la percée de la poche de Falaise, c'est le début de la retraite des armées allemandes vers le nord et l'est de la France.

Pour la Werhmacht, il faudra passer la Seine à tout prix, l'infanterie traversera sur des ponts de bateaux à Poses, quant aux blindés lourds et à l'artillerie, le point désigné sera Rouen. Pourquoi Rouen, très exposé aux attaques aériennes alliées ? C'est que les ponts y sont protégés par les batteries antiaériennes allemandes postées sur la côte Sainte-Catherine. Mais la concentration de blindés de la septième armée allemande sur la rive gauche permettra à l'aviation alliée, composée d'avions d'assaut type Mitchell de les bombarder à l’aide de bombes incendiaires, ce qui fera un affreux spectacle de ferraille et de corps calcinés.

La déroute

En ce qui concerne notre vallée, il faut savoir que les Américains ont occupé Louviers dans l'attente des Canadiens, très en retard. Arrivé sur le terrain désigné, les Canadiens se sont déployés, et une tête de pont a été lancée à Criquebeuf, pour s'enfoncer dans la vallée de l'Andelle, direction nord est. Les troupes allemandes, paniquées et surexcitées par l’arrivée imminente des alliés, vont enfermer 63 otages dans l’église de Criquebœuf, qui seront, heureusement, sains et saufs, et abandonner une bonne partie de leur matériel pour fuir à la nage sur des planches ou même dans des baquets.

Objectif Le Manoir

Nous savons que le pont de chemin de fer du Manoir était l'objectif numéro un des bombardiers alliés après le débarquement : bombardiers américains le jour, anglais la nuit. Les habitants du Manoir étaient les plus exposés, bien sûr, à ces bombardements continus, c'était l'enfer ! Les avions arrivaient par vagues successives au-dessus de la Seine et larguaient des bombes d’une tonne, mais comme ces bombardements s’effectuaient à haute altitude, la cible, à savoir le pont de chemin de fer, ne fut, hélas, pas touché. Le village fut par contre détruit à 70 % et ses habitants dispersés dans les villes et villages avoisinants. Au moulin de Pîtres, nous avons accueilli l'institutrice du Manoir et une famille rouennaise.

Bien entendu, la défense de ce pont était assurée par les batteries antiaériennes allemandes, légères et lourdes, comme les 88 Flack postées dans le secteur de Pîtres, à la Fosse aux loups, au Camp Albert, aux Flotteaux. Le PC, ou poste de commandement, était la maison carrée blanche près de l'église de Pîtres. Curieusement, ce PC a été sous surveillance permanente des chasseurs Mustang d'observation des alliés, qui n’étaient jamais inquiétés par les tirs, car les Allemands économisaient leurs munitions.

La pression alliée sur les armées allemandes devenait de plus en plus forte. C'est pour cette raison  qu'une nuit, le moulin de Pîtres a été occupé par de l'artillerie allemande (canons de 105 tirés par des chevaux) et choisi comme séjour pour une remise en ordre de ce régiment. Le capitaine et son état-major devaient occuper la maison, mais compte tenu du nombre de réfugiés, il préféra aller voir plus loin et s'installa dans la maison du grand-père de Robert Fréret.
Août 44 Vallée de l'Andelle - 2ème guerre mondiale - Une batterie allemande
Une batterie allemande

La défense antiaérienne allemande était toujours active dans notre secteur. Le soir du 9 août, un coup au but a descendu le Mustang du capitaine Wallace, le chasseur en flammes est tombé sur la route qui prolonge la rue des Moulins vers Romilly, et le moteur Packard s’y est profondément enfoncé ; il y est d’ailleurs resté, faisant une bosse, jusqu’à ce que la DDE l’en extraie en 1980 ; le pilote, gravement brûlé, fut conduit au PC de la maison blanche et put à sa demande se faire soigner à Rouen. Mais ce crash n’a pas été enregistré, ce qui explique la confusion dont nous reparlerons. Par contre, Camille Fréret a témoigné des faits, puisqu’il servit d’interprète entre le capitaine Wallace et le lieutenant allemand Prokoff.
Août 44 Vallée de l'Andelle - 2ème guerre mondiale - Pîtres Le capitaine Wallace, mort en captivité le 15 février 1945
Le capitaine Wallace, mort en captivité le 15 février 1945
Sources :
- Bureau de renseignement de la Werhmacht Westbar - Klesterwald, 20 février 1945, Oflagluft West décès du capitaine Wallace N. Emmer, 0- 73 04 22 (signé) par le major et vice-commandant.
- témoignages d’habitants

Pour terminer, les Canadiens et Polonais sont arrivés le 29 août 1944, il y eut des échanges de tirs et sur la route (alors) nationale, une automitrailleuse canadienne a sauté sur une mine, faisant des blessés parmi les occupants. Ce même jour, vers 14 heures, Pîtres a été arrosé d'obus incendiaires, des tirs de dissuasion en direction des Allemands, si bien qu'un bâtiment du moulin a pris feu en quelques minutes. C'était la panique, les Allemands attaqués couraient dans tous les sens, les français porteurs d'eau s'activaient dans l'autre !
Enfin, ce 29 août, la bonne nouvelle est arrivée : c'était la Libération, la fin du cauchemar.

Quelques faits

Pont-Saint-Pierre 31 mai 1944 11:53
Un bombardier américain B26 Marauder est abattu sur le territoire de Pont-Saint-Pierre au lieu-dit l'Hermitage. Cinq occupants ont sauté en parachute (un tué, un prisonnier, trois évadés). L’équipage se composait de: U W. Miller, TJ Yates, DB Braine, D.E. Mitchell, A M Staffo, et S. Tirpak.

sources : 
Archives départementales de l’Eure


Romilly sur Andelle, le 9 septembre 1943
Un avion allemand tombe dans la rue, met le feu à plusieurs maisons. Il s’était délesté de ses bombes avant de tomber. Le pilote, Gegefreiter Willy Jungfer, est inhumé à Beauvais.

Sources :
- Témoignage privé : l’avion s'est écrasé au 16 rue des ormes à Romilly, Sur la propriété Julien. Un voisin, M. Caradec, a été tué dans son jardin.
- Archives départementales de l’Eure


Pont-Saint-Pierre, juillet 1944
Chute d'un avion allemand à Pont-Saint-Pierre, le 18 juillet à 10h30, abattu dans ladite commune à proximité de l'usine Tron et Berthet, dans un pré, l'avion est totalement détruit. Le pilote, qui a sauté en parachute, est sain et sauf. Aucune victime, aucun dégât.

sources : 
- Rapport de la Gendarmerie nationale

La bombe volante V1 et la fusée V2.

Il y avait plus de 600 rampes de lancement en Seine-Maritime. Si le compas de route se déréglait, la trajectoire était faussée et la bombe errait dans les airs jusqu'à épuisement du carburant en une descente silencieuse précédant l'explosion. À signaler que quelques pistriens ont vu passer ces engins diaboliques.

En 1940, la Werhmacht était totalement motorisée, mais en 1944 la majorité des divisions allemandes d'infanterie et d'artillerie est hippomobile. Pour le cheval il est prévu un masque à gaz modèle 41 et des lunettes protectrices.

La retraite allemande se faisait aussi à bicyclette, c'est pour cette raison que des perquisitions étaient organisées dans les villes et villages. À Pîtres, les Allemands à la recherche de vélos, grenades au ceinturon, faisaient des fouilles de la cave au grenier dans toutes les maisons.

Après chaque bombardement du Manoir, les hommes valides recevaient un avis de réquisition en vue de déblayer pour une remise en état de la ligne de chemin de fer, avec la surveillance aérienne des alliés le danger était permanent.

Facéties…

Des éléments de l’armée allemande de passage à Pîtres se sont arrêtés devant la boulangerie, en vue d'un casse-croûte, et, pour appuyer ses exigences l'un d'entre eux a posé sa mitraillette sur le comptoir pour convaincre notre boulanger, qui s'est exécuté. Cette générosité valait bien une confidence: « nous, repousser Américains ! ». La suite des événements prouvera le contraire.

Le miracle de Poses-Amfreville.

L’US Airforce n'a pas inscrit Poses comme site à bombarder, sachant que dans une opération carpet bombing, un objectif de 1000 m² devait être arrosé de bombes sur une surface de 1 km², seule solution pour les forteresses B17 volant à 10 000 m d'altitude pour anéantir l'objectif désigné, comme pour le Manoir, devenu un paysage lunaire.
La traversée de la Seine sur un pont flottant, le seul que les Allemands aient construit, a été établie entre Poses et le Val Pitan. Pour que ce pont ne soit pas attaqué par les avions alliés, il n’était utilisé que de nuit et démonté au matin, les trois éléments étant cachés le long des berges dans la journée. Plus de 16 000 véhicules ont franchi ce pont entre le 19 et le 24 août 1944, à l'exclusion des chars de plus de 40 t qui devaient être détournés vers les bacs d’Elbeuf. À retenir cette révélation de l'ingénieur Courtois, chargé des questions relatives à la Seine et au barrage, qui a examiné avec le colonel Schultz la possibilité de faire passer la Seine à marée basse, c'est-à-dire à sec, aux chars lourds types Panther et Tigre... Le projet, considéré comme farfelu, a été abandonné.

À moi de me déplacer pour voir les lieux de plus près, dans ce dédale d'îles, j'étais accompagné par M. Hubert Labrouche, maire de Poses, qui a désigné l'île Gribouillard Vadenay comme la planque du pont flottant de Poses. Ce même jour nous avons rencontré Casimir, un habitant de Poses qui se souvient très bien de la retraite allemande, il avait 14 ans à l'époque, plus de 100 000 hommes ont franchi la Seine sur ce pont ! Mais au dernier jour des soldats ont reçu des tirs de la part de résistants et n'ont pas hésité à revenir dans le village pour débusquer l'ennemi, quatre posiens qui ont ainsi été exécutés; c'est le seul incident avec la population.

Lors du bombardement du 6 juillet 1944 vers 19 h, il y eut deux morts aux écluses, démolition du bajoyer de la grande écluse sur 85 m et destruction des postes de transformation, en plus des tirs de roquettes par des avions sur les péniches, qui ont fait des victimes parmi les mariniers.

Après le départ des Allemands, j'ai vu une équipe de gamins de Pîtres qui se chargeaient de démonter les obus dans les postes abandonnés de DCA, pour récupérer cuivre et poudre, souvent cachés dans les greniers des maisons à l'insu des parents. Pour ma part, j'avais récolté une quantité d'éclats d'obus provenant des tirs de la DCA, ainsi que des conteneurs de fusées éclairantes, mais au retour du régiment je n'ai plus rien retrouvé de mes collections…


La stèle de la rue des Moulins. Confusion sur les noms

Août 44 Vallée de l'Andelle - 2ème guerre mondiale - Stèle de la rue des Moulins Pîtres
Elle est dédiée à un crash qui a eu lieu ailleurs, à la suite d’une confusion avec celui dont nous avons parlé plus haut…
Havoc A-20, bombardier moyen du 410ème groupe de bombardement basé à Gosfield en Angleterre, parti le 4 août 1944, avec pour objectif le pont d’Oissel. A 20h08, arrivés sur l'objectif, les six appareils font un premier passage, la visibilité est nulle, mais la défense antiaérienne allemande est active ; c'est au cours du deuxième passage que l'un des trois avions, volant à basse altitude est atteint par un obus qui le coupe dans la partie arrière du fuselage. À bord, c'est la panique. À l'appel du mitrailleur qui crie à l'évacuation, le pilote, Walsh, ne semble pas sortir de son cockpit, Fred Herman, l'observateur et Karl Hauser, le mitrailleur sauteront, malgré l'angoisse qui les étreint car ils n'ont jamais sauté en parachute. Les deux parties du bombardier tomberont aux Essarts (parcelle 90) non loin de la route du Milthuit. Il y eut une formidable explosion et le pilote se trouva éjecté à quelques mètres des débris de l'avion, mortellement blessé. C'est le lendemain vers 7 heures qu'on signale à M.Houel, de la Défense passive de Grand-Couronne que le corps d’un des aviateurs a été trouvé en forêt.
Il fallait donc organiser l'inhumation de ce soldat, ce sera le 5 août en présence de l'adjudant Chaigneau et de l'officier allemand chef de la place de Grand-Couronne. Le pilote sera placé dans le carré militaire à côté des soldats français morts au champ d'honneur. Dans son témoignage, M. Houel, qui a déposé son rapport en mairie, se souvient de cette période où la tombe du pilote a toujours été entretenue, fleurie par la population de Grand-Couronne. Dans notre enquête, nous avons rencontré M. Schneider, historien de cette ville, grand résistant, qui se souvient d'avoir serré la main le 4 août 1944 aux deux aviateurs rescapés, quelques instants avant l'arrivée des soldats allemands.
Août 44 Vallée de l'Andelle - 2ème guerre mondiale - L’équipage avant une mission
L’équipage avant une mission

Sur les injonctions pressantes de M. Karl Hauser, dans sa lettre de Cayucos, Californie, du 5 mars 1995, nous tentons de retrouver cet endroit. Je lui signale qu'une reconnaissance sur le terrain est nécessaire, et rendez-vous est pris le 4 mars 1997 entre M. Haeuser, venu de Cayucos, M. Barthélemy, M. Goujon, et moi-même. Nous nous rencontrons dans la maison des gardes forestiers de la forêt des Essarts.
Le garde nous a guidés sur les parcelles enregistrées comme étant les points de chute des aviateurs ainsi que celui du bombardier de ce 4 août 1944.

M. Karl Hauser fut pleinement satisfait d'avoir retrouvé l'endroit où il avait pris contact avec le sol français. Ces démarches n'ont pas été expéditives comme dans son premier voyage mais ont demandé un certain temps pour obtenir des pièces justificatives valables que les archives nous ont communiquées.

Ces témoignages qui se recoupent proviennent d’archives de l'USAir force et de la Flak allemande mais aussi des témoins oculaires : M. Langlois, président des anciens combattants de Grand Couronne ; M. Masson, journaliste, qui a serré la main à un aviateur nommé Herman ; M. Quéquiner, qui a vu le pilote mortellement blessé.

Le 1er juillet 1945, un membre de l'armée américaine, aidé de quatre prisonniers allemands, a pratiqué l'exhumation du corps du pilote qui sera inhumé près du Havre. Après la guerre, sa famille demandera le retour de ses restes vers les États-Unis où il sera inhumé dans un cimetière civil en Pennsylvanie. Les habitants de Grand-Couronne peuvent aussi lire sur la stèle que les sergents Karl Haeuser et Fred Herman ont été faits prisonniers.

Dans un rapport allemand en date du 8 mars 1944, on trouve « Havoc A-20, Grand-Couronne, prison à Évreux de deux sergents prisonniers de guerre, pour intelligence. Camp à Chartres ». Un passage à la Kommandantur pour les questions rituelles et ils prirent le chemin d’un camp pour aviateurs en Allemagne, dans l'attente de la libération prochaine.

Sources :
- Albert Houel, témoin de la Défense passive de Grand couronne ; M. Schneider, historien, rencontré à son domicile.
service historique des armées alliées, Normandy Office, officer in charge.
Grand-Couronne se souvient (archives municipales) pour la transmission du souvenir

Que s'est-il passé à Pîtres le 6 août 1944 ?

D'après le témoignage d'un archiviste des Ponts et chaussées au mois d'août 1944, un groupe de bombardiers A-20 (bimoteur) a été vu au-dessus des écluses de Poses et l'un d'eux s'est subitement détaché et a envoyé plusieurs projectiles dans la passe numéro 1, la rendant inutilisable. Puis il a dû être touché par la Flak allemande, a évolué très bas afin de repérer un point de chute pour se délester de ses bombes : ce sera la cour de la ferme Meslin à Pîtres…
Août 44 Vallée de l'Andelle - 2ème guerre mondiale - Au fond du cratère de la ferme Meslin (fonds privé Meslin) Pîtres
Au fond du cratère de la ferme Meslin (fonds privé Meslin)

A cet instant, je faisais la queue à l'épicerie Malivoir en compagnie d'un réfugié, pour notre ration de beurre. L’explosion assourdissante a déclenché un Notre-Père, prière apaisante dans pareilles circonstances. Quant à l'avion, il se posera sur le ventre au Buc près de Louviers et deux corps y seront découverts, ceux de Thomas Magnus et de John Lapointe, relevés début 1945 pour une nécropole militaire américaine, probablement Saint-Laurent de Colleville.



Jacques Lavialle