L'abbaye de Fontaine-Guérard
L'abbaye de Fontaine Guérard sur la carte
de la forêt de Longboël dressée en 1565 sur ordre de Charles IX (Archives de
France). La carte est orientée sud-nord.
1135-1190 : La fondation
* L'abbaye est classée
monument historique depuis 1934 et ses abords constituaient un site inscrit
depuis 1942.
A proximité de Pîtres, qui fut une résidence royale sous
Charles le Chauve et accueillit plusieurs conciles, la fondation de
Fontaine-Guérard remonte au XIIe siècle.
En 1135, alors que le duché de Normandie appartenait au roi
d'Angleterre ou plus exactement quand la couronne d'Angleterre appartenait au
roi de Normandie, Aimery, comte deMeulan, institua le monastère féminin de
Fontaine-Guérard, qui fut ensuite enrichi d'une donation de Robert de Beaumont
dit Blanches mains, ou Robert de Breteuil, troisième comte de Leicester**
**
pour plus de précisions, voir notre article consacré aux procès des pâtures,
dans ce numéro
Les fondateurs disposaient sur place des pierres
nécessaires à l'édification des bâtiments : en remontant dans la forêt qui
borde la grande Aulnaie, vous passerez devant les carrières de Fontaine-Guérard
taillées à flanc de coteau, maintenant cachées par la végétation, où se
trouvent encore des blocs inachevés, abandonnés sur place.
L'abbaye, l'Andelle, la grande aulnaie
|
A la même époque, en 1194, Richard
Cœur de Lion, roi d'Angleterre, construisit un château à Radepont, consolidé
après son décès en 1199 par son frère Jean sans Terre. La prise de Radepont
était une étape nécessaire à la conquête de la Normandie par le roi de France, Philippe
Auguste, qui fit donc en août 1203 le siège du château de Radepont, avant de se
diriger sur les Andelys pour s'emparer du Château-gaillard en mars 1204. Cette
conquête assura la réunion de la Normandie à la couronne de France.
Ruines actuelles, enfouies sous la végétation, du château de Richard Cœur de Lion |
La communauté féminine de
Fontaine-Guérard, d'abord constituée en prieuré, fut érigée en abbaye en 1153,
selon ce que rapporte l'archevêque Eudes Rigaud dans le journal de ses visites
pastorales.
Louis IX (Saint-Louis) accordera
aux moniales de Fontaine-Guérard l'exemption perpétuelle de tout droit de péage
pour les marchandises qu'elles feraient transporter, et en 1324, Charles IV le
Bel confirmera l'ensemble de ces donations et franchises.
Sous la domination anglaise au XVe
siècle, l'abbesse de Fontaine-Guérard obtiendra des lettres de protection du
roi d'Angleterre.
Les effectifs de l'abbaye ne
paraissent pas avoir été très importants. Fournée, auteur de l'étude la plus
approfondie sur l'abbaye (dactylographiée, CRDP Haute-Normandie 1878) se réfère
à un amendement royal du 19 mai 1549 nous apprenant qu'elle comptait 18 religieux
à cette époque. L'abbaye avait sur l'Andelle un moulin à blé et jouissait d'un
droit exclusif de pêche.
Fournée rapporte également un
intéressant journal des dépenses du 1er janvier au 30 novembre 1790 qui donne
un aperçu de la vie de l'abbaye à la veille de sa dispersion. Elle employait
alors vigneron attitré (le coteau situé au-dessus était alors une vigne, et le
promeneur peut toujours voir les terrasses sous la végétation). Divers
journaliers et vendangeurs travaillent occasionnellement pour l'abbaye. Les
"dames de Fontaine-Guérard" entretiennent des pêcheries sur
l'Andelle. Elles ont aussi un jardinier, divers domestiques, trois charretiers,
un sacristain, un régisseur, un chapelain, logés sur place, dont nous
connaissons les rémunérations. Une part importante des dépenses est consacrée
au culte. Beaucoup d'abbesses appartenaient à l'aristocratie du pays. La
dernière fut Marie-Madeleine Éléonore Dubosc, nommée en 1777, qui se retira
dans sa famille à Radepont en 1790 lors de la dispersion du monastère.
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle,
Fontaine-Guérard était encastrée entre les coteaux de la forêt de Longboël et
une forêt sombre et marécageuse, plantée d'aulnes, partagée entre la petite et
la grande aulnaie.
Pour plus de détails sur la période
antérieure à 1192, nous tenons à votre disposition le mémoire de Jean Fournée
sur l'abbaye de Fontaine-Guérard, publié en 1978 par le Centre régional de
documentation pédagogique de Haute-Normandie, qui est sans conteste l'étude la
plus approfondie sur notre sujet, infiniment supérieur à l'ouvrage de Fallue,
plus souvent cité, mais qui se réduit à un amas d'anecdotes inconsistant. Vous
pouvez aussi consulter l'itinéraire de Normandie de Buisson-Aubenay, publié
d'après le manuscrit original avec notes et éclaircissements par le chanoine
Porée, Rouen, Lestringant.
Le château de Radepont, à
quelques centaines de mètres de l'abbaye |
François Guéroult, architecte rouennais réputé, qui
connaissait la région pour avoir fait les plans du château de Radepont
construit en 1788 à la veille de la Révolution, acquit* en avril 1792 l'abbaye
Notre-Dame de Fontaine-Guérard, qui était devenue bien national à la suite de
la confiscation des biens ecclésiastiques par le décret du 2 novembre 1789.
Cette acquisition n'était pas motivée par l'amour des vieilles pierres ni par
l'intérêt architectural et historique, mais par un projet industriel. Guéroult avait
déjà construit la manufacture royale de laine de Louviers et vu le parti qui
pouvait être tiré de la force hydraulique de l'Andelle renforcée par la source
de Fontaine Guérard. Il constitua avec d'autres rouennais une société pour
filer le coton "en grand et à la manière anglaise"
* sur cette
acquisition faite aussitôt après adjudication et qui permit à l'adjudicataire
de réaliser une substantielle plus-value, sur les débuts de l'exploitation et
sur les difficultés entre les associés, voir les renseignements très précis
fournis par E.Perrée dans Les origines de la filature mécanique de coton en
Normandie. Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences,
belles lettres et arts de Rouen, 1922, et P.Sement dans le Bulletin de
la société industrielle de Rouen, 1923
Vincent Delaporte
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