1 décembre 2019

L'abbaye de Fontaine-Guérard


Abbaye de Fontaine-Guérard -


L'abbaye de Fontaine-Guérard


 
Abbaye de Fontaine-Guérard - L'abbaye de Fontaine Guérard sur la carte de la forêt de Longboël dressée en 1565 sur ordre de Charles IX (Archives de France). La carte est orientée sud-nord.
L'abbaye de Fontaine Guérard sur la carte de la forêt de Longboël dressée en 1565 sur ordre de Charles IX (Archives de France). La carte est orientée sud-nord.

1135-1190 : La fondation


 * L'abbaye est classée monument historique depuis 1934 et ses abords constituaient un site inscrit depuis 1942.
A proximité de Pîtres, qui fut une résidence royale sous Charles le Chauve et accueillit plusieurs conciles, la fondation de Fontaine-Guérard remonte au XIIe siècle.
En 1135, alors que le duché de Normandie appartenait au roi d'Angleterre ou plus exactement quand la couronne d'Angleterre appartenait au roi de Normandie, Aimery, comte deMeulan, institua le monastère féminin de Fontaine-Guérard, qui fut ensuite enrichi d'une donation de Robert de Beaumont dit Blanches mains, ou Robert de Breteuil, troisième comte de Leicester**
** pour plus de précisions, voir notre article consacré aux procès des pâtures, dans ce numéro
Les fondateurs disposaient sur place des pierres nécessaires à l'édification des bâtiments : en remontant dans la forêt qui borde la grande Aulnaie, vous passerez devant les carrières de Fontaine-Guérard taillées à flanc de coteau, maintenant cachées par la végétation, où se trouvent encore des blocs inachevés, abandonnés sur place.
Abbaye de Fontaine-Guérard - L'abbaye, l'Andelle, la grande aulnaie
L'abbaye, l'Andelle, la grande aulnaie

A la même époque, en 1194, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, construisit un château à Radepont, consolidé après son décès en 1199 par son frère Jean sans Terre. La prise de Radepont était une étape nécessaire à la conquête de la Normandie par le roi de France, Philippe Auguste, qui fit donc en août 1203 le siège du château de Radepont, avant de se diriger sur les Andelys pour s'emparer du Château-gaillard en mars 1204. Cette conquête assura la réunion de la Normandie à la couronne de France.
Abbaye de Fontaine-Guérard - Ruines actuelles, enfouies sous la végétation, du château de Richard Cœur de Lion
Ruines actuelles, enfouies sous la végétation, du château de Richard Cœur de Lion

La communauté féminine de Fontaine-Guérard, d'abord constituée en prieuré, fut érigée en abbaye en 1153, selon ce que rapporte l'archevêque Eudes Rigaud dans le journal de ses visites pastorales.
Louis IX (Saint-Louis) accordera aux moniales de Fontaine-Guérard l'exemption perpétuelle de tout droit de péage pour les marchandises qu'elles feraient transporter, et en 1324, Charles IV le Bel confirmera l'ensemble de ces donations et franchises.
Sous la domination anglaise au XVe siècle, l'abbesse de Fontaine-Guérard obtiendra des lettres de protection du roi d'Angleterre.
Les effectifs de l'abbaye ne paraissent pas avoir été très importants. Fournée, auteur de l'étude la plus approfondie sur l'abbaye (dactylographiée, CRDP Haute-Normandie 1878) se réfère à un amendement royal du 19 mai 1549 nous apprenant qu'elle comptait 18 religieux à cette époque. L'abbaye avait sur l'Andelle un moulin à blé et jouissait d'un droit exclusif de pêche.

Fournée rapporte également un intéressant journal des dépenses du 1er janvier au 30 novembre 1790 qui donne un aperçu de la vie de l'abbaye à la veille de sa dispersion. Elle employait alors vigneron attitré (le coteau situé au-dessus était alors une vigne, et le promeneur peut toujours voir les terrasses sous la végétation). Divers journaliers et vendangeurs travaillent occasionnellement pour l'abbaye. Les "dames de Fontaine-Guérard" entretiennent des pêcheries sur l'Andelle. Elles ont aussi un jardinier, divers domestiques, trois charretiers, un sacristain, un régisseur, un chapelain, logés sur place, dont nous connaissons les rémunérations. Une part importante des dépenses est consacrée au culte. Beaucoup d'abbesses appartenaient à l'aristocratie du pays. La dernière fut Marie-Madeleine Éléonore Dubosc, nommée en 1777, qui se retira dans sa famille à Radepont en 1790 lors de la dispersion du monastère.
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Fontaine-Guérard était encastrée entre les coteaux de la forêt de Longboël et une forêt sombre et marécageuse, plantée d'aulnes, partagée entre la petite et la grande aulnaie.
Pour plus de détails sur la période antérieure à 1192, nous tenons à votre disposition le mémoire de Jean Fournée sur l'abbaye de Fontaine-Guérard, publié en 1978 par le Centre régional de documentation pédagogique de Haute-Normandie, qui est sans conteste l'étude la plus approfondie sur notre sujet, infiniment supérieur à l'ouvrage de Fallue, plus souvent cité, mais qui se réduit à un amas d'anecdotes inconsistant. Vous pouvez aussi consulter l'itinéraire de Normandie de Buisson-Aubenay, publié d'après le manuscrit original avec notes et éclaircissements par le chanoine Porée, Rouen, Lestringant.
Abbaye de Fontaine-Guérard - Le château de Radepont, à quelques centaines de mètres de l'abbaye
Le château de Radepont, à quelques centaines de mètres de l'abbaye

François Guéroult, architecte rouennais réputé, qui connaissait la région pour avoir fait les plans du château de Radepont construit en 1788 à la veille de la Révolution, acquit* en avril 1792 l'abbaye Notre-Dame de Fontaine-Guérard, qui était devenue bien national à la suite de la confiscation des biens ecclésiastiques par le décret du 2 novembre 1789. Cette acquisition n'était pas motivée par l'amour des vieilles pierres ni par l'intérêt architectural et historique, mais par un projet industriel. Guéroult avait déjà construit la manufacture royale de laine de Louviers et vu le parti qui pouvait être tiré de la force hydraulique de l'Andelle renforcée par la source de Fontaine Guérard. Il constitua avec d'autres rouennais une société pour filer le coton "en grand et à la manière anglaise"

* sur cette acquisition faite aussitôt après adjudication et qui permit à l'adjudicataire de réaliser une substantielle plus-value, sur les débuts de l'exploitation et sur les difficultés entre les associés, voir les renseignements très précis fournis par E.Perrée dans Les origines de la filature mécanique de coton en Normandie. Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles lettres et arts de Rouen, 1922, et P.Sement dans le Bulletin de la société industrielle de Rouen, 1923

Vincent Delaporte



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