Flipou 1943. Lumières dans la nuit.
Nous
sommes en 1943, un voyageur sort de la gare de Pont-Saint-Pierre. Il arrive de
Paris, après avoir changé de train à Pont de l’Arche où l’attendait l’omnibus
de la vallée ; il se dirige maintenant, à pied, en direction de Flipou. La
route qui monte vers le village est longue et sinueuse, aussi prend-il le
raccourci de la Mouquillonne, qui le conduit bientôt sur le plateau entre
Flipou et le Plessis, où il est attendu.
Déjà la nuit est tombée, et le noir absolu recouvre la campagne, isolée par un silence total. Ce pourrait être angoissant, tout au plus dépaysant, pour un garçon qui vient de la ville, mais non, il poursuit son chemin tranquillement.
Cependant, le voilà soudain qui s’arrête, surpris : à quelques dizaines de mètres de lui, sur sa gauche, une lueur blanche apparaît brusquement, trouant violemment la nuit ; un certain temps immobile, elle se déplace bientôt, fouillant le noir, comme si elle cherchait… Soudain elle se fige, dirigeant son flux lumineux vers le sol. Et c’est alors qu’éclatent des cris stridents, soulignés par le son métallique de grelots. Cette scène surprenante dure, dure, sans que notre spectateur involontaire en comprenne ni l’origine, ni le pourquoi.
Et puis tout s’arrête, plus de lumière, plus de bruit, sauf quelques chuchotements. Donc rien de surnaturel, une activité humaine, que le voyageur ne veut pas connaître, mais qu’il estime illicite. Cette supposition l’incite à hâter le pas, car en ces temps troubles, on ne sait jamais…
Cinq
minutes plus tard il arrive chez son ami, auquel il raconte sa mésaventure. Le
copain pas du tout, surpris s’exclame en riant : «pardi rien de
surprenant, c’est 'core l’Adrien qui s’ravitaille en gibier, et pour çà il
panneaute dans la plaine » ; une affirmation spontanée qui mérite
explication. Souvenons-nous, en 43 c’est toujours l’Occupation, les chasseurs
étant privés de leurs fusils depuis trois ans, le gibier n’a fait que
proliférer ; comme par ailleurs la viande est rare, il est tentant de braconner,
en choisissant comme « l’Adrien » la méthode la plus
« rentable », qui est : le panneautage ! Cependant cette
technique réclame quelques investissements, tels un grand filet, de hautes
perches, une lampe à carbure, des grelots, et surtout un réel savoir faire, de
même que la connaissance des mœurs du gibier, en l’occurrence, les perdrix. Cet
oiseau vole peu, il court sur le sol, et niche à terre ; là il se
rassemble en « compagnies » de plusieurs membres et c’est précisément
cette particularité qu’exploitent les braconniers. Dans la journée ils repèrent une compagnie, puis le soir venu installent leur filet de manière à former un large piège en forme de triangle. C’est alors que les
panneauteurs utilisent la lumière crue de l’acétylène et le bruit des grelots,
pour affoler les oiseaux, et les diriger vers leur triste destin.
Et
voilà levé le mystère de la scène surprenante à laquelle vient d’assister le
jeune promeneur. Il apprendra plus tard que le délinquant, s’il a été dénoncé
–pratique courante à cette époque- n’a jamais été inquiété, car selon les
mauvaises langues (ou des gens bien informés), il comptait des gendarmes parmi
sa
clientèle…