1 décembre 2019

Alizay, son histoire

Alizay


ALIZAY


Le nom apparaît à la fin du XIIe siècle-début XIIIe, dans des documents de Robert de Meulan et de Louis VIII sous la forme de Alisi et Alisiacum. L'écriture Alisay a laissé place à Alizay depuis le XIXe.
Trois explications peuvent être données à ces noms :
- le nom serait de la même origine qu'Alésia, et signifierait la falaise (falisia)
- il existait à l'époque gallo-romaine un domaine appartenant à un dénommé Alithius.
- un bois d'alisiers s'y trouvait, à proximité de l'église Saint-Germain
Alizay - Plan représentant Alizay à l'époque féodale, aux alentours de l'an mille. On remarque les multiples îles sur la Seine, dont certaines ont disparu. Le domaine de Rouville est sur une légère élévation, à l'abri des inondations
Plan représentant Alizay à l'époque féodale, aux alentours de l'an mille. On remarque les multiples îles sur la Seine, dont certaines ont disparu. Le domaine de Rouville est sur une légère élévation, à l'abri des inondations


Préhistoire

Les fouilles récentes, depuis 2007, faites par l'INRAP dans la plaine alluviale de la Seine sur les terrains de Lafarge et de la Cémex montrent une occupation s'étendant sur plus de 10 000 ans. Nous attendons avec impatience la synthèse de ces fouilles qui ont mobilisé une trentaine de spécialistes sur un site considéré comme d’une importance de niveau européen de par sa continuité chronologique exceptionnelle, qui apportera de nombreuses connaissances non seulement sur les hommes qui ont occupé les lieux mais également sur leur environnement durant cette longue période.
Alizay - Fouilles archéologiques, En s'enfonçant à partir du niveau du sol actuel, on traverse 10 000 ans de crues successives de la Seine qui ont préservé de nombreuses traces du passé
En s'enfonçant à partir du niveau du sol actuel, on traverse 10 000 ans de crues successives de la Seine qui ont préservé de nombreuses traces du passé.


Gaulois et gallo-romains

Les découvertes anciennes d'aménagements funéraires en limite de la commune du Manoir lors de l'exploitation de carrières et en haut de la rue Dubosc indiquent une occupation remontant au moins à la période gallo-romaine.


Vikings

En 886, les Vikings qui voulaient remonter la Seine vers Paris furent bloqués par le pont fortifié et la levée de terre barrant la vallée construite à l'initiative de Charles le Chauve, qui séjournait souvent à Pîtres. Immobilisés, ils s'installèrent dans un camp sur la rive droite de la Seine, et c'est là que les Francs dirigés par Renault, comte du Mans allèrent les affronter après avoir assisté à une messe célébrée à la chapelle Saint-Germain qui, pense-t-on, pouvait se trouver à l'emplacement de l'église paroissiale actuelle.
Alizay - Les camps danois (vikings), le pont fortifié de Charles le Chauve et le château de Pîtres
Les camps danois (vikings), le pont fortifié de Charles le Chauve et le château de Pîtres

Plus habiles, les Vikings l’emportèrent et s'ouvrirent ainsi le chemin de Paris. Leurs raids prirent fin avec le traité de 911 de Saint-Clair sur Epte, créant le premier territoire normand (terme qui désignait plus communément les Vikings : hommes du nord) concédé à Rollon par Charles le Simple.
Alizay - Rollon
Rollon

Moyen-âge

Au XIe siècle la paroisse comprenait trois fiefs : Rouville, la Bosse, et la Motte.

1. Rouville

Le nom signifie domaine de Rou, ou Rolf (Rollon), et aurait été lié au Rollon premier duc de Normandie ou à un autre Rollon d'origine scandinave qui se serait installé ultérieurement sur ces terres présentant bien des intérêts pour la culture et la proximité de la Seine.
Alizay - Le château de Rouville à la fin du XIXe
Le château de Rouville à la fin du XIXe

Les propriétaires de ce domaine prirent le nom de seigneurs de Rouville et eurent de l'importance compte tenu de la position des îles qui permettent le franchissement de la Seine et de l’Eure, ce à quoi s'ajoutait l'obligation de halage des bateaux du fait du pont. Tout un trafic s'installa sur la rive droite de la Seine : un port dénommé le « port au chanvre », une hôtellerie, la maison rouge. Cet ensemble indique qu'il y avait un passage humain relativement important. Halage, pont et hôtellerie devaient être une source de revenus appréciables pour le seigneur de Rouville, sans compter les droits de pêche.
Alizay - La ferme de Rouville, qui a disparu dans l'implantation de la SICA
La ferme de Rouville, qui a disparu dans l'implantation de la SICA

2. La Bosse

Le fief de la Bosse était situé sur la rive droite de la Seine près du château de Limaie qui protégeait l'entrée nord de Pont de l'Arche. Cette appellation pouvait venir d'une altération du nom des propriétaires de la boche ou de la bosse que formait le lit de la Seine à cet endroit. Il fut rattaché au domaine de Rouville vers 1400, à la suite de son achat par Pierre Gougeul dit Moradas.

3. La Motte

Alizay - La Motte
La Motte
Le fief se situait à l'emplacement actuel de la mairie. En 1265 un Guillaume d’Alizay en était propriétaire, peu de temps après ce fief fut rattaché à Rouville, mais les propriétaires gardèrent le nom de sieurs de la Motte. En 1979, la municipalité leur acheta la propriété pour en faire la mairie.
Alizay - La mairie actuelle
La mairie actuelle

Pendant une très longue période, de 911 à l'arrivée de Robert Gougeul, au début du XIVe siècle, le territoire comprenant l'actuelle commune changea souvent de seigneurs au gré de nombreuses luttes intestines de cette époque.
Ainsi Renaud de Dammartin, devenu comte de Boulogne en 1192, s'opposa au roi de France Philippe-Auguste, prenant position pour le roi d'Angleterre Jean sans Terre, mauvais choix qui entraîna la perte de ses possessions jusqu'au mariage de sa fille Mathilde avec l'un des fils de Philippe Auguste, Philippe de Hurepel …
Alizay - Philippe Auguste ramenant à Paris Ferrand de Flandre, et Renaud de Dammartin après la bataille de Bouvines
Philippe Auguste ramenant à Paris Ferrand de Flandre, et Renaud de Dammartin après la bataille de Bouvines


Les Gougeul

En 1324, Jean Gougeul achète le moulin aux Danois situé sur le pont de Pont de l'Arche et le roi Charles IV rattache ce moulin aux fiefs d’Alizay et de Rouville.
Alizay - Goujeul, Légende Armand Launay
Légende Armand Launay

La famille est bien connue et restera en possession de l'ensemble des terres jusqu'en 1684.
Pierre Gougeul dit Moradas, né en 1337, tenait le fief de Rouville, et accompagna son parent Pierre de Villaines en Espagne dans la guerre contre Pierre de Castille, dit le Cruel. Il est mort à Azincourt en 1415
Alizay - Les armoiries des Gougeul : deux goujons
Les armoiries des Gougeul : deux goujons

Les Gougeul se montrent généreux vis-à-vis du clergé, particulièrement du prieuré des Deux amants et de l'abbaye de Bonport, allant jusqu'à offrir à chaque religieux de celle-ci une tasse en argent.
Pierre Gougeul de Rouville, après avoir défendu Pont de l'Arche en 1418 contre les Anglais se vit confisquer tous ses biens par Henri V roi d'Angleterre, mais en 1419 il sut rentrer en grâce auprès de celui-ci et tout récupérer.
En 1664 François de Rouville, bien que criblé de dettes, obtint que la seigneurie de Rouville soit érigée en comté ! Poursuivi par ses créanciers, tous ses biens furent vendus et ses seigneuries furent adjugées en 1684 à Gilles Hallé, seigneur d’Orgeville-Saint-Vaast (aujourd'hui Flipou), président à mortier au Parlement de Rouen.
En 1760 Gilles Louis Hallé obtint de Louis XV des lettres patentes érigeant la terre de Rouville en comté pour la seconde fois. En 1784 Louis Guillaume, lui aussi criblé de dettes, allait vendre les domaines de Rouville et d’Alizay à Madame Frault, veuve Berruyer. Bien que ne possédant plus rien à Alizay, Louis Guillaume Hallé n'en garda pas moins le titre de comte de Rouville jusqu'en 1790.
Le château de Rouville et une partie de ses terres furent vendus en l’an VIII (1800) par les héritiers de Mme Frault à M. Philippe Bizet dont hérita Mme de la Poterie, et les descendants de celle-ci vendirent le domaine en 1951 à la SICA (Société industrielle de cellulose d’Alizay)*.
* L'histoire de SICA et de ses successeurs a fait l'objet d'un article très complet de Christiane Bonnefoy dans notrenuméro 3.


Cultures

L'appellation port au chanvre sur la rive de la Seine dans les plaines de Rouville nous rappelle que le chanvre, plante à tisser ayant un excellent rendement et demandant peu de soins, était cultivé localement (il était aussi utilisé pour fabriquer des cordages......)
Alizay - Le chanvre
Le chanvre

Au XIIIe siècle la culture de la gaude et de la guesde, plantes servant à teindre les draps, était importante à Alizay. La gaude, dite aussi réséda des teinturiers, servait à jaunir, et la guède, dite pastel des teinturiers, fournissait l'indigo
Alizay - La guesde
La guesde

Alizay - La gaude
La gaude
En 1254 elles furent l’objet d’une discussion sur le partage de la dîme entre l'Archevêque de Rouen et le curé d’Alizay. Celui-ci prétendait en effet que la dîme de toutes les plantes cultivées dans la paroisse devait lui revenir en totalité comme petite dîme, alors que l'Archevêque soutenait qu'il s'agissait d'une grosse dîme et qu'en conséquence les deux tiers devaient lui revenir. Les arbitres choisis d'un commun accord (les chanoines de Rouen) décidèrent le 22 mai 1255 que la dîme revenait en totalité au curé pour la guesde et la gaude cultivées dans les enclos et jardins, mais que les deux tiers devaient revenir à l'Archevêque lorsque ces plantes étaient cultivées dans les champs...
En 1560, 500 acres de terre de Rouville étaient plantés en vigne, qui devait fournir un vin de qualité médiocre. Elles furent arrachées au XVIIe siècle sous Louis XIII.
À cette époque, Alizay était connu pour une boisson au jus de cerise qui était renommée dans les alentours. Plus tard, la jouvence de l’abbé Soury connaîtra une bien plus grande renommée.


Les trièges

Le triège, ou triage est un ensemble de parcelles agricoles sur lesquelles est pratiqué le même système de rotation triennale des cultures, d'où son nom. Il est étonnant de constater le nombre important de lieux-dits (39) concernant le territoire relativement petit de la commune : 862 ha. C'est que les parcelles y sont très petites, l'agriculture s'y apparente plus à du jardinage, ce ne sont pas les terres à blé des plateaux.
Alizay - Trièges, Liste établie par le Chanoine Lebeurier édition 1867
Liste établie par le Chanoine Lebeurier édition 1867


La gare

En 1842 la municipalité avait concédé des terrains à la compagnie du banquier Charles Lafitte chargé de créer une ligne de chemin de fer entre Paris et Rouen. En 1843, lors de la mise en service, une station fut ouverte à Alizay sous le nom de gare de Pont de l'Arche, en raison de l'importance de cette ville. En 1896, une nouvelle ligne fut créée entre Alizay et Gisors, et la municipalité obtint de la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest que le nom d’Alizay soit accolé à celui de Pont de l'Arche.
Alizay - Gare


Les camps militaires

Etant donné sa situation proche de Pont de l'Arche, et de débouché de la vallée de l’Andelle, il n'est pas étonnant qu'Alizay ait été mêlé à de multiples conflits :
- en 890 : un camp viking
- en 1466 : logement des troupes de Louis XI (1461-1489) pendant le siège de Rouen
- lors de la guerre de 1870, le 7 décembre, soit deux jours après la capitulation de Rouen, un bataillon prussien pénétrait dans Alizay et 300 cavaliers s’y installèrent pendant trois mois, laissant un souvenir fort désagréable puisqu'il avait fallu les loger et nourrir.
- en septembre 1939 un camp anglais est installé pour quelque temps près du cimetière actuel et de la plaine qui le jouxte.
- de 1940 à 1944, ce sera un camp allemand, puis de 1944 à 1948 un camp américain englobant pendant quelque temps un espace pour les prisonniers allemands.
Alizay - Prise d'armes devant le café de la mairie, aujourd'hui disparu, rue de l'Andelle
Prise d'armes devant le café de la mairie, aujourd'hui disparu, rue de l'Andelle


L'église

Elle a fait l'objet de nombreuses transformations depuis l'époque romane, dont il reste une partie du chœur. Une petite chapelle tardive au nord, dite de la Sainte Vierge, et donnant sur le chœur, était réservée aux seigneurs de Rouville, les « de la Poterie » en avaient encore l'usage lors de leur départ d’Alizay en 1950.
Une confrérie fut créée en 1415 pour venir en aide aux plus démunis ; elle fut réorganisée en 1628 en Charité par le curé Hugues Letourneur. Elle avait pour mission d'assister matériellement et spirituellement les pauvres et de leur offrir les derniers hommages funèbres. Ses membres avaient le devoir de visiter les malades et de leur apporter de la nourriture.
Alizay - Eglise


Sources

Le Prévôt, Notes éditées par de Delisle, 1862
Chanoine Lebeurier, Notices historiques sur quelques communes du département de l’Eure, 1867, réédité en 1900
Charpillon-Caresme Dictionnaire historique 1868
Doinel Notices historiques, 1880 avec notes manuscrites, réédité en 2004
Armand Launay magazine La fouine numéros 5,6 et 9 (2004-2005) et Pont de l'Arche, ma ville (site internet)
Les remparts de Normandie (site internet)
Pierre Molkhou Alizay et le souffle de l'histoire, 1995
INRA : divers documents sur les fouilles 10 000 ans d'histoire à Alizay-Igoville


Jean Barette



Annexes

La jouvence de l'abbé Soury

Son histoire est liée à celle d'Alizay. En 1790, Pierre Hamelot, curé d’Alizay bien qu'il eut prêté serment à la Constitution civile du clergé, fut interdit d'exercer son ministère, et le chapelain de la chapelle du château, Gilbert Soury, né à Celloville en 1732, accepta de le remplacer pour célébrer la messe. Mal lui en prit, car, lui-même étant réfractaire (n'ayant pas voulu prêter serment), il fut arrêté et mis en prison à Évreux. Il était alors connu pour un sirop qu'il fabriquait sous le nom de Tisane des deux abbés, en hommage à son maître ès plantes, l'abbé Delarue, curé de Celloville. C'est grâce à ce mélange de plantes qu'il fut libéré en janvier 1795 grâce à l'intervention du citoyen Robert Lindet, ancien membre du Comité de salut public, qu'il avait soigné d'un mal supposé incurable...
Alizay - Jouvence de l'Abbé Soury
C'est un médicament phytothérapeutique indiqué dans le cas d'insuffisance veineuse.
Phytothérapie car il contient un ensemble de plantes, mais dont le nombre diminue au fil des années selon les préconisations de l’Agence du Médicament. On y compte, à ce jour, de l’acore (roseau) odorant, de l’anis, de la cannelle, du condurango (liane), de l’hamamélis, de la piscidie, de la viorne.
Traitement de l’insuffisance veineuse, car les plantes citées sont vasculoprotectrices, c’est-à-dire qu’elles renforcent la tonicité de la paroi des veines.
On utilise traditionnellement la Jouvence de l’Abbé Soury dans le cas de jambes ‘’lourdes’’ et, pourquoi pas à doses plus élevées, dans le cas de crises hémorroïdaires. Autrefois, le nombre de plantes était plus important, chacune avec ses caractéristiques et propriétés propres, conférant au breuvage un éventail d’indications très large, de la tonicité vasculaire comme nous venons de l’analyser, à la tonicité physique, psychologique voire intellectuelle, d’où la dénomination de "Jouvence’’, laissant supposer que son heureux utilisateur allait recouvrer une jeunesse perdue.
Eric Puyhaubert

Les sobriquets
Les habitants d'Alizay étaient appelés les sorciers, comme carnages ceux de Pont de l'Arche, carcasses ceux d’Igoville, manats du Manoir et capons souffleurs ceux de Pîtres, brûleurs d'ânes de Criquebeuf.... Les raisons de ces surnoms, toujours péjoratifs, restent mystérieuses, seul celui du Manoir, manants, est transparent.


Alizay - Le centre d'Alizay sur le cadastre napoléonien (1834). On y distingue parfaitement la motte et le manoir
Le centre d'Alizay sur le cadastre napoléonien (1834). On y distingue parfaitement la motte et le manoir

Alizay - Photo de classe d'Alizay en 1941-42. Des lecteurs peuvent peut-être s'y reconnaitre, eux ou leurs parents.  L'auteur de l’article est deuxième en partant de la gauche sur le rang du haut
Photo de classe d'Alizay en 1941-42. Des lecteurs peuvent peut-être s'y reconnaitre, eux ou leurs parents. L'auteur de l’article est deuxième en partant de la gauche sur le rang du haut

Alizay - Alizay sur le cadastre dit napoléonien de 1834
Alizay sur le cadastre dit napoléonien de 1834

Alizay - Le château d'Alizay, au milieu du village, à ne pas confondre avec le château de Rouville
Le château d'Alizay, au milieu du village, à ne pas confondre avec le château de Rouville


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