ALIZAY
Le nom apparaît à
la fin du XIIe siècle-début XIIIe, dans des documents de Robert de Meulan et de
Louis VIII sous la forme de Alisi et
Alisiacum. L'écriture Alisay a laissé place à Alizay depuis le XIXe.
Trois explications
peuvent être données à ces noms :
- le nom serait de la même origine
qu'Alésia, et signifierait la falaise (falisia)
- il existait à l'époque gallo-romaine un
domaine appartenant à un dénommé Alithius.
- un bois
d'alisiers s'y trouvait, à proximité de l'église Saint-Germain
Préhistoire
Les fouilles récentes, depuis 2007, faites par l'INRAP dans la plaine alluviale de la Seine
sur les terrains de Lafarge et de la Cémex montrent une occupation s'étendant
sur plus de 10 000 ans. Nous attendons avec impatience la synthèse de ces
fouilles qui ont mobilisé une trentaine de spécialistes sur un site considéré
comme d’une importance de niveau européen de par sa continuité chronologique
exceptionnelle, qui apportera de nombreuses connaissances non seulement sur les
hommes qui ont occupé les lieux mais également sur leur environnement durant
cette longue période.
En s'enfonçant à
partir du niveau du sol actuel, on traverse 10 000 ans de crues successives de
la Seine qui ont préservé de nombreuses traces du passé.
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Gaulois et gallo-romains
Les découvertes anciennes d'aménagements
funéraires en limite de la commune du Manoir lors de l'exploitation de
carrières et en haut de la rue Dubosc indiquent une occupation remontant au
moins à la période gallo-romaine.
Vikings
En 886, les
Vikings qui voulaient remonter la Seine vers Paris furent bloqués par le pont
fortifié et la levée de terre barrant la vallée construite à l'initiative de
Charles le Chauve, qui séjournait souvent à Pîtres. Immobilisés, ils
s'installèrent dans un camp sur la rive droite de la Seine, et c'est là que les
Francs dirigés par Renault, comte du Mans allèrent les affronter après avoir
assisté à une messe célébrée à la chapelle Saint-Germain qui, pense-t-on,
pouvait se trouver à l'emplacement de l'église paroissiale actuelle.
Les camps danois (vikings), le pont fortifié de Charles le Chauve et le château de Pîtres |
Plus habiles, les Vikings l’emportèrent et s'ouvrirent ainsi le chemin de Paris. Leurs raids prirent fin avec le traité de 911 de Saint-Clair sur Epte, créant le premier territoire normand (terme qui désignait plus communément les Vikings : hommes du nord) concédé à Rollon par Charles le Simple.
Moyen-âge
Au XIe siècle la paroisse comprenait trois
fiefs : Rouville, la Bosse, et la Motte.
1. Rouville
Le nom signifie
domaine de Rou, ou Rolf (Rollon), et aurait été lié au Rollon premier duc de
Normandie ou à un autre Rollon d'origine scandinave qui se serait installé
ultérieurement sur ces terres présentant bien des intérêts pour la culture et
la proximité de la Seine.
Les propriétaires
de ce domaine prirent le nom de seigneurs de Rouville et eurent de l'importance
compte tenu de la position des îles qui permettent le franchissement de la
Seine et de l’Eure, ce à quoi s'ajoutait l'obligation de halage des bateaux du
fait du pont. Tout un trafic s'installa sur la rive droite de la Seine : un
port dénommé le « port au chanvre », une hôtellerie, la maison rouge.
Cet ensemble indique qu'il y avait un passage humain relativement important.
Halage, pont et hôtellerie devaient être une source de revenus appréciables
pour le seigneur de Rouville, sans compter les droits de pêche.
2. La Bosse
Le fief de la Bosse était situé sur la
rive droite de la Seine près du château de Limaie qui protégeait l'entrée nord de
Pont de l'Arche. Cette appellation pouvait venir d'une altération du nom des
propriétaires de la boche ou de la bosse que formait
le lit de la Seine à cet endroit. Il fut rattaché au domaine de Rouville vers
1400, à la suite de son achat par Pierre Gougeul dit Moradas.
3. La Motte
La Motte |
Pendant une très
longue période, de 911 à l'arrivée de Robert Gougeul, au début du XIVe siècle,
le territoire comprenant l'actuelle commune changea souvent de seigneurs au gré
de nombreuses luttes intestines de cette époque.
Ainsi Renaud de
Dammartin, devenu comte de Boulogne en 1192, s'opposa au roi de France
Philippe-Auguste, prenant position pour le roi d'Angleterre Jean sans Terre,
mauvais choix qui entraîna la perte de ses possessions jusqu'au mariage de sa
fille Mathilde avec l'un des fils de Philippe Auguste, Philippe de Hurepel …
Philippe Auguste ramenant à Paris Ferrand de Flandre, et Renaud de Dammartin après la bataille de Bouvines |
Les Gougeul
En 1324, Jean
Gougeul achète le moulin
aux Danois
situé sur le pont de Pont de l'Arche et le roi Charles IV rattache ce moulin
aux fiefs d’Alizay et de Rouville.
Légende Armand Launay |
La famille est bien connue et restera en possession de l'ensemble des terres jusqu'en 1684.
Pierre Gougeul dit
Moradas, né en 1337, tenait le fief de Rouville, et accompagna son parent
Pierre de Villaines en Espagne dans la guerre contre Pierre de Castille, dit le
Cruel. Il est mort à Azincourt en 1415
Les armoiries des Gougeul : deux goujons |
Les Gougeul se montrent généreux vis-à-vis du clergé, particulièrement du prieuré des Deux amants et de l'abbaye de Bonport, allant jusqu'à offrir à chaque religieux de celle-ci une tasse en argent.
Pierre Gougeul de
Rouville, après avoir défendu Pont de l'Arche en 1418 contre les Anglais se vit
confisquer tous ses biens par Henri V roi d'Angleterre, mais en 1419 il sut
rentrer en grâce auprès de celui-ci et tout récupérer.
En 1664 François de Rouville, bien que
criblé de dettes, obtint que la seigneurie de Rouville soit érigée en comté !
Poursuivi par ses créanciers, tous ses biens furent vendus et ses seigneuries
furent adjugées en 1684 à Gilles Hallé, seigneur d’Orgeville-Saint-Vaast
(aujourd'hui Flipou), président à mortier au Parlement de Rouen.
En 1760 Gilles
Louis Hallé obtint de Louis XV des lettres patentes érigeant la terre de
Rouville en comté pour la seconde fois. En 1784 Louis Guillaume, lui aussi
criblé de dettes, allait vendre les domaines de Rouville et d’Alizay à Madame
Frault, veuve Berruyer. Bien que ne possédant plus rien à Alizay, Louis
Guillaume Hallé n'en garda pas moins le titre de comte de Rouville jusqu'en
1790.
Le château de
Rouville et une partie de ses terres furent vendus en l’an VIII (1800) par les
héritiers de Mme Frault à M. Philippe Bizet dont hérita Mme de la Poterie, et
les descendants de celle-ci vendirent le domaine en 1951 à la SICA (Société
industrielle de cellulose d’Alizay)*.
* L'histoire de SICA et de ses successeurs
a fait l'objet d'un article très complet de Christiane Bonnefoy dans notrenuméro 3.
Cultures
L'appellation port au chanvre sur la rive de la Seine dans
les plaines de Rouville nous rappelle que le chanvre, plante à tisser ayant un
excellent rendement et demandant peu de soins, était cultivé localement (il
était aussi utilisé pour fabriquer des cordages......)
Le chanvre |
Au XIIIe siècle la culture de la gaude et de la guesde, plantes servant à teindre les draps, était importante à Alizay. La gaude, dite aussi réséda des teinturiers, servait à jaunir, et la guède, dite pastel des teinturiers, fournissait l'indigo
La guesde |
La gaude |
En 1560, 500 acres
de terre de Rouville étaient plantés en vigne, qui devait fournir un vin de
qualité médiocre. Elles furent arrachées au XVIIe siècle sous Louis XIII.
À cette époque,
Alizay était connu pour une boisson au jus de cerise qui était renommée dans
les alentours. Plus tard, la jouvence de l’abbé Soury connaîtra une bien plus
grande renommée.
Les trièges
Le triège, ou
triage est un ensemble de parcelles agricoles sur lesquelles est pratiqué le
même système de rotation triennale des cultures, d'où son nom. Il est étonnant
de constater le nombre important de lieux-dits (39) concernant le territoire
relativement petit de la commune : 862 ha. C'est que les parcelles y sont très
petites, l'agriculture s'y apparente plus à du jardinage, ce ne sont pas les terres
à blé des plateaux.
La gare
En 1842 la
municipalité avait concédé des terrains à la compagnie du banquier Charles
Lafitte chargé de créer une ligne de chemin de fer entre Paris et Rouen. En
1843, lors de la mise en service, une station fut ouverte à Alizay sous le nom
de gare de Pont de l'Arche, en raison de l'importance de cette ville. En 1896,
une nouvelle ligne fut créée entre Alizay et Gisors, et la municipalité obtint
de la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest que le nom d’Alizay soit accolé à
celui de Pont de l'Arche.
Les camps militaires
Etant donné sa
situation proche de Pont de l'Arche, et de débouché de la vallée de l’Andelle,
il n'est pas étonnant qu'Alizay ait été mêlé à de multiples conflits :
- en 890 : un camp
viking
- en 1466 : logement des troupes de
Louis XI (1461-1489) pendant le siège de Rouen
- lors de la guerre de 1870, le 7
décembre, soit deux jours après la capitulation de Rouen, un bataillon prussien
pénétrait dans Alizay et 300 cavaliers s’y installèrent pendant trois mois,
laissant un souvenir fort désagréable puisqu'il avait fallu les loger et
nourrir.
- en septembre 1939 un camp anglais est
installé pour quelque temps près du cimetière actuel et de la plaine qui le
jouxte.
- de 1940 à 1944, ce sera un camp
allemand, puis de 1944 à 1948 un camp américain englobant pendant quelque temps
un espace pour les prisonniers allemands.
L'église
Elle a fait
l'objet de nombreuses transformations depuis l'époque romane, dont il reste une
partie du chœur. Une petite chapelle tardive au nord, dite de la Sainte Vierge,
et donnant sur le chœur, était réservée aux seigneurs de Rouville, les
« de la Poterie » en avaient encore l'usage lors de leur départ
d’Alizay en 1950.
Une confrérie fut créée en 1415 pour venir
en aide aux plus démunis ; elle fut réorganisée en 1628 en Charité par le curé
Hugues Letourneur. Elle avait pour mission d'assister matériellement et
spirituellement les pauvres et de leur offrir les derniers hommages funèbres.
Ses membres avaient le devoir de visiter les malades et de leur apporter de la
nourriture.
Sources
Le Prévôt, Notes éditées par de Delisle,
1862
Chanoine Lebeurier, Notices historiques sur
quelques communes du département de l’Eure, 1867, réédité en 1900
Charpillon-Caresme Dictionnaire
historique 1868
Doinel Notices historiques, 1880 avec notes
manuscrites, réédité en 2004
Armand Launay magazine La fouine numéros 5,6 et 9 (2004-2005)
et Pont de l'Arche, ma ville (site internet)
Les remparts de Normandie (site internet)
Pierre Molkhou Alizay et le souffle de
l'histoire,
1995
INRA : divers documents sur les
fouilles 10 000
ans d'histoire à Alizay-Igoville
Jean Barette
Annexes
La jouvence de l'abbé Soury
Son
histoire est liée à celle d'Alizay. En 1790, Pierre Hamelot, curé d’Alizay bien
qu'il eut prêté serment à la Constitution civile du clergé, fut interdit
d'exercer son ministère, et le chapelain de la chapelle du château, Gilbert Soury, né à
Celloville en 1732, accepta de le remplacer pour célébrer la messe. Mal lui en
prit, car, lui-même étant réfractaire (n'ayant pas voulu prêter serment), il
fut arrêté et mis en prison à Évreux. Il était alors connu pour un sirop qu'il
fabriquait sous le nom de Tisane
des deux abbés,
en hommage à son maître ès plantes, l'abbé Delarue, curé de Celloville. C'est
grâce à ce mélange de plantes qu'il fut libéré en janvier 1795 grâce à
l'intervention du citoyen Robert Lindet, ancien membre du Comité de salut
public, qu'il avait soigné d'un mal supposé incurable...
C'est un médicament phytothérapeutique indiqué dans le cas d'insuffisance veineuse.
Phytothérapie car
il contient un ensemble de plantes, mais dont le nombre diminue au fil des
années selon les préconisations de l’Agence du Médicament. On y compte, à ce
jour, de l’acore (roseau) odorant, de l’anis, de la cannelle, du condurango
(liane), de l’hamamélis, de la piscidie, de la viorne.
Traitement de
l’insuffisance veineuse, car les plantes citées sont vasculoprotectrices,
c’est-à-dire qu’elles renforcent la tonicité de la paroi des veines.
On utilise
traditionnellement la Jouvence de l’Abbé Soury dans le cas de jambes
‘’lourdes’’ et, pourquoi pas à doses plus élevées, dans le cas de crises
hémorroïdaires. Autrefois, le nombre de plantes était plus important, chacune
avec ses caractéristiques et propriétés propres, conférant au breuvage un
éventail d’indications très large, de la tonicité vasculaire comme nous venons
de l’analyser, à la tonicité physique, psychologique voire intellectuelle, d’où
la dénomination de "Jouvence’’, laissant supposer que son heureux
utilisateur allait recouvrer une jeunesse perdue.
Eric Puyhaubert
Les sobriquets
Les habitants
d'Alizay étaient appelés les sorciers, comme carnages ceux de
Pont de l'Arche, carcasses ceux d’Igoville, manats du Manoir et capons
souffleurs ceux de Pîtres, brûleurs d'ânes de Criquebeuf.... Les raisons de
ces surnoms, toujours péjoratifs, restent mystérieuses, seul celui du Manoir, manants,
est transparent.
Le centre d'Alizay sur le cadastre napoléonien (1834). On y distingue parfaitement la motte et le manoir |
Photo de classe d'Alizay en 1941-42. Des lecteurs peuvent peut-être s'y reconnaitre, eux ou leurs parents. L'auteur de l’article est deuxième en partant de la gauche sur le rang du haut |
Alizay sur le cadastre dit napoléonien de 1834 |
Le château d'Alizay, au milieu du village, à ne pas confondre avec le château de Rouville |
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