La taillanderie au début du XXème siècle (la semeuse sur fond rouge sans sol a été imprimée de 1906 à 1910) |
Romilly : La Taillanderie
Plus
ancienne entreprise industrielle de la vallée de l’Andelle, la Taillanderie,
alias Soubeyran, Vergez et Blanchard, aujourd'hui Meslin, a eu de nombreuses
appellations au fil des années, mais ce qui n'a pas varié, c'est la
localisation de l’usine : l'ancien moulin Bétille, et sa fabrication : des
outils de coupe haut de gamme pour artisans du cuir (selliers, bourreliers,
maroquiniers, harnacheur, relieurs, bottiers et cordonniers) et tapissiers.
Blanchard, le fondateur, la référence
C'est le nom le
plus ancien : première mention en 1823. Louis René Blanchard est alors
coutelier, rue des Gravilliers à Paris, puis il est cité dans le catalogue de
l’exposition de 1827, comme coutelier,
rue des Prouvaires, quand il reçoit la médaille de bronze.
Il
s’associe ensuite avec un dénommé Mercier : la société devient Mercier,
Blanchard et Cie. En 1844, Louis Hippolyte Simonin prend la succession et
obtient de Mercier le droit de marquer sa production Mercier Blanchard, ou
simplement Blanchard. La société devenue Simonin dit Blanchard et Cie en 1845,
sera dissoute en 1876, mais le nom de Blanchard reste une référence, et
réapparaît dans les sociétés suivantes.
Les Soubeyran : Romilly
En 1898 apparaît Adrien Soubeyran,
celui qui en 1904 installera la fabrication à Romilly, bureaux et magasins
restant à Paris. (voir plus loin)
La société porte successivement le nom de Soubeyran, Chavanne et Cie, Simonin Blanchard, Soubeyran, Chavanne et Cie, dirigée par Adrien Soubeyran puis par son fils Jean, et en 1966 par son petit-fils Jean-Claude.
En 1987 la raison sociale Soubeyran-Chavanne cède la place à Vergez-Blanchard (25 à 35 ouvriers), la marque Vergez fabricant d'outils de tapisserie ayant été rachetée par Simonin Blanchard dès 1910, et prenant plus d’importance dans les années 1950 avec le déclin de la bourrellerie, avant que l'industrie automobile relance la fabrication d'outils pour le caoutchouc.
Mais la diversification de la production s’était imposée dès le début du XXème siècle : outils pour les forestiers (hachette forestière avec marteau numéroteur pour marquer les arbres), les sylviculteurs (griffes pour la saignée des hévéas, vendus en Indochine, ébavurage des pneus, pour les couvreurs en ardoise, etc, et plus généralement outils sur mesure fabriqués sur les plans du client.
Adrien Soubeyran
Entré à l'Ecole Polytechnique en 1877, mais peu
attiré par la vie militaire, il sollicite son inscription à l'Ecole des Mines,
où on l’accepte comme élève externe. Il se spécialise alors dans l'électricité,
une technologie toute récente (la lampe à incandescence d’Edison est mise au
point en 1878).
En 1889, il est ingénieur attaché au service mécanique et électrique de la direction de l'exploitation de l'exposition universelle de 1889 où une galerie des machines vantera le dernier cri industriel de la France, qui veut célébrer avec éclat le centenaire de la Révolution (Eiffel, constructeur de ponts se voit confier l'édification d'une tour métallique de 300 m)
En 1889, il est ingénieur attaché au service mécanique et électrique de la direction de l'exploitation de l'exposition universelle de 1889 où une galerie des machines vantera le dernier cri industriel de la France, qui veut célébrer avec éclat le centenaire de la Révolution (Eiffel, constructeur de ponts se voit confier l'édification d'une tour métallique de 300 m)
André Soubeyran, deuxième à droite sur le chantier de l'Exposition universelle de 1889 |
En 1897-1899, il est ingénieur principal à la Société anonyme d'éclairage électrique du secteur de la place Clichy à Paris. L'électricité distribuée en courant continu permet à des lampes électriques équivalant à 25 W de remplacer peu à peu les becs de gaz et les lampes à pétrole.
Autorité reconnue, Adrien Soubeyran
décline pourtant l'offre qu'on lui fait pour l'Exposition universelle de 1900,
et n'accepte qu'un rôle de consultant, car peu à peu, il s'oriente vers
l'industrie de fabrication et prend une part active dans la fabrique
d'outillage Simonin, Blanchard et compagnie, qui jouit d'une réputation
universelle de qualité, mais dont l’activité est bridée car ses ateliers
manquent d’espace à Paris. Adrien rachète une participation dans l'entreprise
et investit dans les frais de déménagement hors de Paris.
La taillanderie
L'usine Chatillon, du nom du propriétaire, était un des bâtiments de la Fonderie
de Romilly, implanté sur le site du moulin des deux amants. M. Chatillon était
un forestier auvergnat ambulant venu exploiter dans les forêts voisines qui
avait acheté l'usine, sous laquelle passait l'Andelle. Celle-ci permettra
d'alimenter l'ensemble des machines de la nouvelle usine grâce à une turbine
hydraulique, qui remplacera la chaudière à vapeur utilisée à Paris.
L’usine étant à l'arrêt depuis plusieurs années, les travaux de remise en état débutent très vite et, une partie seulement des ouvriers parisiens acceptant de venir en Normandie, on embauche sur place le reste des 50 postes de travail. Tout est démonté et chargé à dos d'homme puis dans des voitures à cheval jusqu'à la gare de marchandises.
en 1905 |
L'usine change rapidement de nom : au sein du village on l'appelle taillanderie, en référence à la coutellerie et aux outils coupants (taillants) qui figurent parmi ses fabrications.
Deux ou trois ans plus tard, on remplace la vieille roue par une turbine horizontale totalement immergée dans la rivière, d'un rendement très supérieur, ce qui permet l'acquisition de nouvelles machines. Cette turbine, à la pointe de l'innovation technique, est citée dans une revue technologique de 1900, et turbinera l'eau de l’Andelle jusqu'en 1986.
Les outils Blanchard s'exportent, Adrien Soubeyran est désigné comme conseiller de commerce extérieur en 1904. La société Simonin Blanchard avait alors démarché l’Amérique centrale et du Sud, et toute l'Europe, Moscou, Vienne, Prague, Madrid, Stockholm etc. Il fallait sans cesse veiller à la concurrence étrangère des contrefacteurs, ce que montrent de nombreux comptes-rendus de procès pour défense de marque déposée.
Turbiner…
…c'est beaucoup de travail : la rivière
s'embarrasse, il faut curer presque chaque année, bois flottants et feuilles
mortes demandent le nettoyage constant des grilles de protection, il faut assurer le réglage en
fonction des précipitations. Le maintien d'un dénivelé entre le bief amont et
le bief aval conditionne le bon fonctionnement de la turbine pour cela il faut
fermer les vannes pour faire monter l'eau amont jusqu'au niveau du déversoir
puis ensuite réguler le débit nécessaire pour travailler tout en laissant
passer l'eau excédentaire dans le cours principal.
A
partir de 1970, un raccordement au secteur double l'énergie de la rivière qui
devenait insuffisante pour les besoins des machines-outils.
Mais dans
les années 80, le marché se restreint, et l'entreprise Soubeyran-Chavannes se
trouve en faillite, sans repreneur. Fort heureusement, un outilleur salarié de
l'entreprise, Guy Meslin, décide de de tenter le sauvetage. L'espoir un temps
caressé de pouvoir garder l'usine dans l'état se révéla rapidement illusoire,
il fallait absolument moderniser les locaux pour survivre, et en 1993, la
Taillanderie est transférée de quelques centaines de mètres, au lieu-dit les
clônettes, acquis par la Communauté de Communes de l'Andelle puis revendu à
Guy Meslin, pour devenir les établissements Vergez-Blanchard. Les machines sont démantelées. Seul le pilon est transféré, les machines anciennes ne pouvant plus assurer un niveau de production suffisant et ne répondant plus aux normes.
L'énergie hydraulique
Comme
d'autres propriétaires de vannages et d'installations hydrauliques sur la
vallée de l'Andelle, Guy Meslin a tenté depuis près de 20 ans de remettre en
route la turbine de l'usine. Cependant le problème n'est pas technique,
celle-ci serait d'ailleurs prête à fonctionner dès demain, mais administratif.
Une longue tradition d'opposition à la remise en route des turbines ou roues à
aube, malgré l'intérêt évident qu'il y aurait à fournir de l'électricité verte,
fait que tous les arguments administratifs sont régulièrement invoqués pour
retarder cette mise en route, et l'eau continue en pure perte à passer sous les
ponts….
Le vannage. Photo Rodolphe Delorme |
Annexes
Les marques
La levrette reste la marque de fabrique
bien connue de l'entreprise. Elle date de la coutellerie de la rue des
Gravilliers. Cette pratique du marquage des outils n'était pas nécessaire dans
l'ancien temps quand les artisans savaient toujours qui était le spécialiste,
forgeron en général, qui leur avait fourni leur outillage mais par la suite
avec l'industrialisation croissante et le développement du commerce,
d'innombrables fabricants se trouvèrent en mesure de réaliser tout et n'importe
quoi…
Pour
imiter la levrette, on vit des fabricants se servir d’un chat, d'un chien
ou d'autres animaux. Ou, le nom de
Blanchard étant bien connu, certains pouvaient proposer leur produits en
indiquant par exemple : « M. Portrait était ancien ouvrier de la
maison Blanchard ». D'autres furent moins scrupuleux : un ancien
contremaître à Paris quitta la maison en emportant tous les modèles d'outils,
le catalogue général et les listes de prix et de clients pour créer son
entreprise, et il fallut un procès pour restreindre cette concurrence.
Aujourd'hui, les collectionneurs s'arrachent les outils aux marques anciennes. |
Une griffe à frapper, outil d'une extrême précision |
et son utilisation. |
Le personnel
Nous avons
retrouvé quelques anciennes photos du personnel. Certains peuvent sans doute y
retrouver un ancêtre
Tout derrière : Jean Soubeyran, puis de g. à dr. : Noël Eronte, Valet, Lainé, ?????, Désiré Cavelier, ????? |
De g. à dr. : André Lefebvre, Chapuis, Marie Bulot, Désiré Cavelier assis : Henry |
Photo prise entre 1945 et 1949. De g. à dr. : André Lefebvre, Evode Campigny, Chapuis, Mme Campigny, concierge, avec derrière elle Jeanne Grégoire Levacher, Marie Bulot, M. Campigny, Désiré Cavelier |
Un forgeron hors-pair, Monsieur Neveu |
La presse dans les nouveaux locaux (photo E. Catherine) |
Didier Nantu, outilleur très pointu... |
Extraits de l'article de Célia Mick in Paris Normandie 4/2/2016 |
Pour insister sur la qualité française…. |
couteau mécanique |
Sources :
- Multiples sites internet spécialisés dans
l'outillage ancien ou moderne pour le cuir et le tissu, dont craft'n'tools,
très complet, qui présente toute la gamme Vergez et Blanchard
-
http://romilly-sur-andelle.com/adrien-soubeyran.html (avec nos remerciements à M.Jacob qui nous
a permis de puiser largement dans sa
documentation)
- Archives Vergez
et Blanchard
- Photos Eric
Catherine (Ballades au fil de l'eau)
- Paris-Normandie