1 septembre 2017

Qui a peint le val de Pîtres ?

Pierre Le Trividic La plaine de Pîtres

Qui a peint le Val de Pîtres ?


Dans le domaine des arts graphiques et plus particulièrement de la peinture, Rouen a vu passer les plus grands noms, quelle que soit l’époque ou la nationalité, de Richard Parkes Bonington (anglais, 1802-1828) à Marcel Duchamp (1887-1968), en passant par William Turner (anglais, 1775-1851), Camille Corot (1796-1875), Johan Barthold Jongkind (hollandais 1818-1891) ou Claude Monet (1840-1926). Cet environnement favorable a vu l’éclosion de « L’Ecole de Rouen », mouvement essentiellement paysagiste, tout d’abord ‘impressionniste’ avec Albert Lebourg (1849-1928) puis ‘fauve’ avec Robert-Antoine Pinchon (1886-1943), soit une trentaine de peintres nés entre 1850 et 1900 et formés à L’Ecole des Beaux Arts de Rouen. Citons également Pierre Le Trividic (1898-1960), portraitiste des rues et du port de Rouen.

Mais quel grand nom a bien pu venir peindre dans notre Val de Pitres ?

Aujourd’hui, les peintres amateurs foisonnent et nombre sont les expositions municipales qui les présentent au cours d’un week-end annuel. Force est de constater que cet engouement est récent et date des années 1950 pour les plus anciennes manifestations (1). Avant la seconde guerre mondiale, dans notre Basse Vallée de l’Andelle, le temps alloué aux loisirs, quand il existait, était plutôt consacré aux choses aratoires (chasse et pêche), qu’aux choses artistiques. De plus, nos familles rurales ayant besoin des bras de l’ensemble de la famille et des revenus en découlant pour vivre, elles voyaient inopportun un dessein artistique dans sa progéniture. Les désirs artistiques des enfants ne pouvaient être compris et assouvis que dans les milieux plus aisés, souvent urbains, et sensibles aux choses de l’Art.

1. Rouen inaugure sa première exposition municipale en 1833, sous l'égide du Conservateur du Musée des Beaux Arts, Louis Garneray (1783-1857), peintre de Marines au parcours artistique tumultueux ; quant à Paris, le « Salon » voit le jour en 1737, et même en 1667 par Colbert dans sa version d’origine, prétexte à montrer au Roi les œuvres créées par les artistes sous tutelle.

En fait, c’est dans l’amélioration des voies et des moyens de transport que se trouve la raison de la venue d’artistes dans nos campagnes. La ligne ferroviaire Paris-Rouen ouvre en 1843. Et c’est souvent, sur l’invitation de proches que l’on voit arriver ces peintres et leur palette. Ainsi Camille Pissarro (1830-1903) débarque aux Damps en septembre 1892, près de Pont-de-l’Arche sur l’invitation d’Octave Mirbeau (1848-1917), écrivain et critique d’art, qui possède une magnifique résidence sur les bords de l’Eure et y réside de 1888 à 1892 (2). Pissarro nous laisse quelques toiles montrant « Le Jardin d’Octave Mirbeau », où la plaine d’Igoville s’éclaire des lumières dorées des champs de blé.

2. Cette propriété existe toujours. 

PISSARRO Le Jardin d'Octave Mirbeau  73x92 coll. Mayer Chicago
PISSARRO Le Jardin d'Octave Mirbeau 73x92 coll. Mayer Chicago

Tout comme Georges Sporck (1870-1943), compositeur et grand collectionneur, qui incite Pierre Dumont (1884-1936) (3) à peindre sa magnifique propriété anglo-normande qui se dresse sur les quais du Petit-Andely.

3. Peintre renommé appartenant à la seconde génération de « L’Ecole de Rouen » et ami intime de Pinchon et Marcel Duchamp.

Dumont Le petit Andely   81x100, 1923
Dumont Le petit Andely 81x100, 1923

Toujours au Petit-Andely, Paul Signac (1863-1935) s’y installe durant l’été 1886 et compose une dizaine de toiles divisionnistes (pointillistes), qui sont aujourd'hui au Musée d’Orsay, à la National Gallery, etc., œuvres devenues de référence pour ce mouvement néo-impressionniste. 
SIGNAC Les Andelys 65x81 Musée d'Orsay
SIGNAC Les Andelys 65x81 Musée d'Orsay

Afin de ne pas nous disperser, nous tairons les peintres locaux andelysiens, mais toutefois reconnus, de la fin du XIXème et première moitié du XXème siècles, tels Eugène Clary, Georges Le Meilleur, René Sautin, deux des fils Pissarro (Ludovic Rodo et Georges Manzana), etc
POUSSIN Autoportrait 98x74 Louvre
POUSSIN Autoportrait 98x74 Louvre
POUSSIN Autoportrait 98x74 Louvre - détail de l'autoportrait
détail de l'autoportrait

Parmi les "très grands", vous me direz que Nicolas Poussin (1594-1665) est né Aux Andelys. Mais, en fait, il n’a jamais représenté quelque paysage normand que ce soit, le « paysage », art mineur à cette époque, servant de fond de composition ou confortant le message pictural du peintre dans les meilleurs cas. Nonobstant, Poussin ne renia jamais ses origines normandes, les exhibant même fièrement dans une de ses dernières œuvres, un autoportrait, en 1650 : « Nicolai Poussini Andelyensis Pictoris »
LEBOURG La Seine à Muids 46x80 coll. part.
LEBOURG La Seine à Muids 46x80 coll. part.

KNIGHT Le moulin de Muids coll. part.

En nous rapprochant de la Vallée de l’Andelle, nous trouvons Muids qui accueillit Albert Lebourg durant l’été 1903. Quelques années auparavant, en 1895, le peintre américain Aston Knight (1873-1948) avait portraituré « Le Moulin de Muids ».
Louis Aston Knight, comme toute une colonie de peintres américains qui parcouraient la Normandie, "fournissait" pour le marché outre-atlantique. Il répondait à une clientèle de collectionneurs friands du côté romantique et exotique « à la française ».

Niquet.  Neige à Poses, 1916  54x65
Niquet. Neige à Poses, 1916 54x65

De l’autre côté des écluses, Léon Suzanne (1870-1923), peintre de ‘L’Ecole de Rouen’, puis son disciple, Marcel Niquet (1889-1968), né à Poses et y ayant effectué toute sa carrière, ont peint les bords de Seine et ses activités de batellerie ou de pêche.
           
DELATTRE Pont de l'Arche 54x65 coll. part.
DELATTRE Pont de l'Arche 54x65 coll. part.

Un peu plus loin, un pilier de « L’Ecole de Rouen », Joseph Delattre (1858-1912) est venu peindre la plaine du (vieux) Vaudreuil et ses peupliers vers 1895, ainsi que le pont qui enjambe la Seine à Pont de l’Arche. Gustave Loiseau (1865-1935) a régulièrement posé son chevalet dans la campagne euroise et, tout particulièrement celle des fermes de St Cyr-du-Vaudreuil.

Oui, il y a bien la dynastie Langlois à Pont-de-l’Arche, Hyacinthe (1777-1837) et son fils Polyclès Langlois (1814-1872), mais leurs sujets de prédilection se tournent vers les monuments rouennais.
LOISEAU St Cyr du Vaudreuil 60x73 coll.part.
LOISEAU St Cyr du Vaudreuil 60x73 coll.part.

Concernant enfin la basse Vallée de l’Andelle, notons que Philippe Zacharie (1849-1915), Professeur de dessin aux Beaux Arts de Rouen dès 1879 et ainsi maître de toute une génération de peintres dont Pinchon et Le Trividic, est né à Radepont. A notre connaissance, aucune vue de sa ville natale de sa main.
MALENCON Edmond terrassant le sanglier, tel saint Georges le dragon
MALENCON Edmond terrassant le sanglier, tel saint Georges le dragon

Certes, le Château de Pont-Saint-Pierre a bien été reproduit en gravure, mais dans un but plus descriptif et historié qu’artistique. C’est également un peu le cas de Paul Malençon, avec ses cinq tableaux sur la Légende des Deux Amants, peintre au cœur des recherches de notre ami Jean Barette (voir notre bulletin n°4). Idem pour Eugène Cauchois (1850-1911), grand peintre de natures mortes, né à La-Neuville-Chant-d’Oisel, mais sans paysage local laissé.

Il faut connaître cette anecdote croustillante mais navrante : le grand Claude Monet aimait à demander à Michel, son second fils, de le conduire dans la côte des Deux Amants, afin de jouir du point de vue. En effet, Claude Monet posséda l’une des premières automobiles du département, une Panhard-Levassor. Et Michel, conducteur passionné, prenait alors le volant (4). Mais Claude Monet ne peindra rien de notre vallée de l’Andelle, hélas !

4. Michel Monet perdra la vie, d’ailleurs, d’un accident de la route en 1960

Mais tout cela ne nous dit pas qui a posé son chevalet au Val de Pitres ! Deux noms prestigieux liés à « L’Ecole de Rouen » se dégagent et que nous traiterons dans un prochain article.

Allez, je vous le dis : Robert-Antoine Pinchon et Pierre Le Trividic.
Lire aussi les articles sur Marcel Niquet et Léon Minet

Eric Puyhaubert




Bibliographie

Lespinasse L'école de Rouen
Michel de Decker Claude Monet
Pissaro et Venturi Catalogue raisonné (archives personnelles)

N.B. une partie des tableaux ici représentés ne se trouvent pas sur internet