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29 février 2020

Deux excursions de société savante dans la vallée de l'Andelle



1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle
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1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens

dans la vallée de l'Andelle


En faisant des recherches sur internet, on peut avoir de bonnes surprises, depuis que de nombreux sites ont numérisé et mis en ligne des textes qui sinon dormiraient dans la poussière des bibliothèques, parmi lesquels les bulletins des sociétés savantes, mine de récits vivants et de témoignages intéressants de notre passé. Ainsi, une société savante d'Elbeuf ayant fait deux expéditions de botanistes, dans la vallée de l'Andelle, nous a laissé deux comptes rendus de style fleuri...
 

Extraits du BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ D'ENSEIGNEMENT MUTUEL DES SCIENCES NATURELLES D'ELBEUF, 1881-1882 

(les résumés et commentaires sont en italiques)

[…] Cette sortie est du nombre des choses dont un poète, qui aima la nature et la chanta merveilleusement, a dit que le souvenir est toujours agréable.] […] dès 5 heures un quart du matin, la cour de la gare de Saint-Aubin présentait un aspect inaccoutumé. Environ cinquante personnes de tout âge y étaient groupées.
1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - La gare de Radepont en 1905
La gare de Radepont en 1905

[…] Cette sortie est du nombre des choses dont un poète, qui aima la nature et la chanta merveilleusement, a dit que le souvenir est toujours agréable.] […] dès 5 heures un quart du matin, la cour de la gare de Saint-Aubin présentait un aspect inaccoutumé. Environ cinquante personnes de tout âge y étaient groupées.
[…] La descente s'effectue à Radepont à 7 h 23; le court trajet qui sépare la gare de l'entrée du parc est promptement franchi, et les habitants de cette commune, toujours jolie mais bien déchue de son ancienne prospérité industrielle, se livrent visiblement à des conjectures variées sur cette invasion d'hommes armés d'instruments bizarres. Leur perplexité cesse en nous voyant recueillir avec empressement le chenopodium bonus-henricus L.*, ils en concluent, non sans raison, que des gens si passionnés pour les végétaux ne sauraient être des anthropophages.

* Appelé aussi "ansérine bon-Henri", on le trouve à l’état sauvage un peu partout en France dans les terres riches et ombragées. Ses feuilles riches en calcium, fer et phosphore se consomment crues en salade ou cuites comme les épinards. (Rustica)

1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - ansérine bon-Henri

Par la grille grande ouverte, nous pénétrons dans l'admirable parc de M. Ch. Levavasseur, qui nous en avait  accordé l'entrée le plus courtoisement du monde. Il faudrait un cadre moins resserré que celui dont je dispose pour décrire les beautés de ce domaine princier, dont l'enceinte enferme des plaines et des coteaux, des taillis et des futaies, une rivière poissonneuse et des sources jaillissantes, un château moderne et deux ruines historiques.
Il y aurait bien des choses intéressantes à raconter sur ce vieux château dont les restes imposants abritent encore le tombeau des seigneurs de Radepont et auquel Philippe-Auguste fit, en 1203, les honneurs d'un siège en règle. Peut-être même n'y en aurait-il guère moins à dire sur l'ancienne abbaye de Fontaine-Guérard, communauté de femmes de l'ordre de Citeaux. Mais l'espace et le temps nous sont mesurés.
1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Château de Radepont
Ce château de Radepont faisait partie d'une  ligne de fortifications érigée par Richard Cœur de Lion pour se protéger de son rival Philippe-Auguste. En faisaient partie Orival, Moulineaux, et bien sûr Château-Gaillard. Construit en 1194-1195, par Richard Cœur de Lion pour servir d'appui à Château-Gaillard, Mais comme Philippe-Auguste s'empare de Château-Gaillard en 1204, et par là-même de la Normandie, il n'aura pas servi longtemps.

[…] Avant de descendre pour effectuer notre visite au vieux château de Douville, nous jetons un coup d'œil sur le délicieux panorama qu'embrassent nos regards. A notre gauche, les ombrages du parc que nous parcourions tout à l'heure; en bas, la monumentale filature de M.Ch. Levavasseur, détruite par un incendie voilà quelques années, et si vaste, qu'avec ses quatre murs aux fenêtres ogivales et ses tours élevées, on la prendrait pour le vaisseau d'une immense cathédrale; devant nous, au  milieu de la prairie où l’Andelle semble vouloir s'attarder, les ruines du manoir de Longempré, où Henri IV recevait sa mie Gabrielle.
Ici l'auteur fait une confusion que l'on retrouve souvent, y compris sur quelques sites internet, entre le château dit de Douville, même s'il se trouve sur la commune de Pont-Saint-Pierre et celui de Pont-Saint-Pierre, qui s'appela Longempré, de Gabrielle, Malemaison, et que l'article d'un précédent bulletin sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre tente d'éclairer.


1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Côte des deux amants
[…] à droite, ouvrant magistralement la vallée, la côte des Deux-Amants, de romanesque mémoire. Pendant que, saisis, enchantés, ravis par le tableau dont nous venons de tracer une si pâle esquisse, nous agitons sérieusement les moyens de ne plus quitter les coteaux de Fontaine-Guérard, notre trésorier, qui guide l'excursion et dispense le temps à chaque partie du programme, nous rappelle au sentiment de la réalité. Inflexible comme l'heure qu'il consulte, il multiplie les appels. Force nous est de nous résigner et d'obéir aux injonctions de sa corne de chasse, dont les sons harmonieux (?) servent de ralliement aux excursionnistes.

1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Hôtel de l'Union à Pont-Saint-Pierre
Nous aurons la franchise d'avouer, et nous sommes certains de n'être démenti par personne, que le déjeuner (à Pont-Saint-Pierre, Hôtel de l'Union), auquel nous avaient préparés six heures de marche, tenait alors une place prépondérante dans nos  aspirations. Nous y fîmes donc honneur, en gens dont la  conscience est tranquille mais l'appétit turbulent; il convient d'ajouter qu'il y eut quelque chose de plus intarissable que notre fringale, ce fut la gaité. Notre président, M. Noury, à son entrée dans la salle à manger, avait été l'objet d'une attention délicate; une aimable enfant, la fille de notre amphitryon, avait souhaité la bienvenue au cher maître en lui offrant un superbe bouquet. Ce petit incident, non inscrit au programme, nous avait fait grand plaisir à tous et avait encore ajouté à l'entrain général.
Après le déjeuner, qui finit à deux heures, les uns s'acheminent vers l'emplacement où s'élevait la forteresse d'Eustache de Breteuil, (le Catelier, voir l'article sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre) dont il ne reste plus que des vestiges sans importance; les autres visitent un beau parc dont l’entrée leur est gracieusement octroyée par Mme la baronne d’Houdemare (propriétaire du château de Pont-Saint-Pierre)

[…] A 3 heures 20, nous prenons le train pour Pont-de-l’Arche, où l'un de nos collègues, qui n'avait pu se joindre à nous et qui avait fait une visite à la côte des Deux-Amants, nous remet quelques échantillons de Biscutella *[…]
Cette vallée de l'Andelle est décidément une terre privilégiée : la nature y est splendide, les gens courtois, les tables bien servies. Nous y reviendrons.

1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Biscutelle de Neustrie
 

* La Biscutelle de Neustrie, très rare et en grand danger d'extinction, affectionne les pelouses calcaires, sur sol écorché ou éboulis .Son aire de répartition est limitée au département de l'Eure.


M. Louis Muller




Nouvelle excursion, 22 mai 1887

 
[…] à 8 heures du matin, les voitures de l’entreprise Lequeux déposaient, à la grille du parc de Radepont, 25 excursionnistes elbeuviens. Mise en goût par la première excursion organisée il y a cinq ans, la Société avait témoigné le désir de revoir, cette année, la riante vallée de l'Andelle.
 Pour cette seconde  excursion, on a donc préféré la route, en louant les services d'une entreprise de transport de personnes, dont les voitures devaient ressembler à cela :
1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens dans la vallée de l'Andelle - Omnibus Photo ND
Omnibus Photo ND

Il était environ 8 heures 1/2, lorsque les excursionnistes escaladaient les chemins qui conduisent au sommet de la roche sur laquelle fut construit l'ancien château fort de Radepont.
Il est onze heures lorsque nous nous trouvons en vue du vieux château de Longempré, connu aussi sous le nom de château de Gabrielle … (même confusion que précédemment)
A une heure et demie, nous levons le siège et nous prenons le chemin qui doit nous conduire à l’établissement métallurgique des Fonderies de Romilly.
En arrivant, nos regards sont attirés par une plaque commémorative indiquant que la fondation de l’établissement remonte à l’année 1782. En face des tas de minerai, des amoncellements de barres de cuivre du Chili, des fours à fusion et des laminoirs de diverses formes et de toutes dimensions, des marteaux à vapeur; renseignement, dispensé par des voix autorisées.
Les spécimens des travaux que la Société a pu voir : plaques pour foyers de locomotives, enveloppes de foyers, tubes, barres, planches, etc., etc., ont donné une idée de ces transformations. Nous citerons comme ayant vivement intéressé les visiteurs, l’atelier où se fabriquent les ceintures d’obus. D'énormes presses hydrauliques, dans lesquelles l’application du principe de Pascal, sur l'incompressibilité de l'eau, se montre dans toute sa force brutale, permettent de pétrir le cuivre avec une facilité qui surprend au premier abord.
Nous ne dirons rien des quantités innombrables de ceintures d'obus** qui se fabriquent constamment à Romilly et qui, parties perfectionnées d'un tout plus perfectionné encore, doivent servir à confectionner des engins de destruction dont les effets terribles jetteront peut-être un jour l'épouvante dans les nations civilisées; aussi laisserons-nous de côté les réflexions que nous suggère un état de choses qui amène l'espèce humaine à chercher, sans trêve ni repos, les moyens, les plus efficaces, d'assurer son propre anéantissement.

** la ceinture de rotation : anneaux de métal très malléable (cuivre ou plomb) sertis sur la circonférence  
Voilà des considérations qui tranchent sur l'état d'esprit revanchard de la France d'avant 1914, et qui, mieux partagées, auraient pu éviter la boucherie.  
En sortant de l'établissement de Romilly, dans lequel nous nous trouvions avoir empiété un peu sur l'heure du retour, arrêtés que nous étions toujours par quelque fait intéressant, nous nous rendons au pied de la côte des Deux Amants. Plusieurs d’entre nous qui bien des fois avaient fait le rêve de cette ascension, purent, après avoir convoité la coupe de loin, donner libre cours à leur ardeur. L'ascension de cette côte se fit promptement; il y eut bien quelques poitrines essoufflées et il se produisit aussi quelques glissades, mais au sommet la caravane était au complet. Nous nous trouvions là à l’altitude de 138 mètres, à peine la moitié de la hauteur de la tour Eiffel ! ***

*** la tour Eiffel, haute de 332 mètres, est construite en deux ans, entre 1887 et 1889, donc postérieurement à cette escalade, et à la rédaction de l'article. Sa future hauteur devait suffisamment impressionner pour être un point de comparaison obligé.



 T. Lancelevée


1 décembre 2019

L'absinthe, de Philippe Zacharie, peintre né à Radepont


Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.

Philippe ZACHARIE (1849-1915) L'alcool


Philippe Zacharie est un peintre académique français. Réputé en son temps, oublié du grand public aujourd’hui, il fait partie de cette cohorte dans laquelle les historiens d’art empilent les peintres classiques du XIXème et début du XXème siècles.
De formation académique à l’Ecole de Dessin et de Peinture de Rouen, de la même promotion qu’Albert Lebourg qui, lui, deviendra un fervent peintre impressionniste, Philippe Zacharie y enseignera à son tour, dès 1874, dont la plupart des Peintres de l’Ecole de Rouen, suivront un long et rigoureux apprentissage, faisant d’eux des dessinateurs et peintres sans faille technique, dans le pur style de l’Art Français du XIXème siècle.
Lauréat de plusieurs récompenses tant aux expositions régionales qu’au Salon Parisien (il obtient la Médaille de 3ème classe au Salon de 1883, puis de 2ème classe en 1911), ses plus belles œuvres sont conservées au Musée des Beaux-Arts de Rouen. L’apparente désuétude dont souffre aujourd’hui l’académisme de son œuvre, tient au fait que ce mouvement classique a essuyé la révolution impressionniste, puis celles cubiste, surréaliste, expressionniste et enfin l’art abstrait pour ne citer que les plus connues ! Mais cette peinture, raillée durant plus d’un siècle par les critiques d’art, affublée pour une certaine frange du pseudonyme d’Art Pompier, verrait poindre une reconnaissance fragile. Car il faut bien se remémorer que les meilleurs chefs de file de ces différents mouvements, sont passés par les fourches caudines des enseignements classiques et intransigeants, leur procurant ainsi une base technique incontournable.

Mais, me direz-vous, quel rapport entre le ‘’val de Pîtres’’ et Zacharie ?

Deux raisons font que notre peintre est le sujet de cet article : la première est qu’il soit né à Radepont et la seconde, qu’il ait pris pour thème de l’une de ses œuvres ‘’l’alcoolisme’’
De Radepont, selon nos connaissances actuelles, seulement quelques dessins de jeunesse de chaumières. Du côté de la municipalité, aucune rue ni autre à son nom… Pour ce qui est de l’alcoolisme, Zacharie nous propose une vraie leçon de peinture, une prouesse technique, un morceau de bravoure intellectuelle.
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.

Un homme au regard noir et sauvage, apparemment plus dans son état normal, vient de tirer mortellement sur son épouse et son jeune enfant, à l’aide d’un pistolet qu’il braque maintenant sur le spectateur. Dans sa main gauche, il tient précieusement une bouteille. Malgré tout, les deux malheureuses victimes ne semblent pas avoir été violentées, comme si l’homme avait fait irruption dans la chambre, sous l’emprise d’une furie toxicomaniaque, butant sur la fragile chaise qu’il fracasse, avant d’expulser les deux membres de sa chère famille hors du lit qu’il met sens dessus-dessous.
La simplicité de la chaise paillée comme l’habillement de l’homme avec sa casquette enfoncée jusqu’aux sourcils, témoignent de la modestie du niveau social.

Essayons ensemble d’analyser cette sublime toile :

- Titre : Zacharie donne un double titre à sa peinture : ‘’L’absinthe’’ ou ‘’L’alcool’’ (et même un troisième ‘’L’alcool rend fou’’) ; de plus il date 1909 ; ajoutons que cette œuvre a été exposée au Salon de 1909.
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.

- Taille Ses grandes dimensions (1,20m x 2,00m) prouvent que notre peintre destinait sa toile pour le Salon parisien. En effet, pour être plus facilement aperçu parmi les deux mille cinq cent toiles, environ, que le Salon abritait chaque année, les artistes avaient pris la fâcheuse habitude de créer des œuvres de plus en plus imposantes.

- Dessin : évidemment parfait, avec ses ‘’raccourcis’’ comme la semelle de l’homme ou sa main droite braquant l’arme, ou le bras droit de la femme avec le coude en avant.
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.

Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.

- Construction : une redoutable ligne de construction débute dans le coin bas gauche de la toile, emprunte la jambe de l’enfant puis le bras droit de sa mère pour aboutir à la bouteille, réelle auteur de la tuerie ;
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.
une seconde ligne, celle-ci plus ténue, passe par le haut de la chemise de nuit de la jeune femme et rejoint, bien sûr, la première au niveau de la maudite bouteille ;
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.
notons une troisième, de structure, parallèle à la deuxième afin d’asseoir le dessin, passant par la ligne des épaules de l’homme.
Deux autres belles lignes de construction parallèles, cette fois-ci transversales, donnent toute la puissance et la tonicité au tableau : celle de gauche démarre par le pied de la chaise cannée, passe dans la semelle puis longe la main armée et l'édredon ; celle de droite relie la bretelle de la robe de chambre et la bouteille.

- Chromatie : on pourrait s’attendre à une composition toute de rouge-sang maculée ; eh bien non ! Notre peintre joue plus finement en ne déposant cette couleur que sur le drap qui enserre le criminel, mais certes presqu’au plein centre de la toile et sur le sol, mais non d'une façon dégoulinante.

- Touche : elle est visible, notamment au niveau du canon du pistolet afin de bien marquer les reflets de lumière sur le métal ;
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.
cette visibilité des coups de brosse sur l’ensemble de la composition lui apporte un effet de mouvement, de vie (c’est un comble !) ; une touche dite ‘’enlevée’’.

Insistons bien sur le fait que la robe de chambre de la victime est immaculée de sang, à l'instar d'une sainte au linceul blanc ; et que son visage est d'une grande douceur, au dessin soigné et délicat ; tout le contraire pour l'homme.
Philippe Zacharie L'absinthe ou L'alcool ou L'alcool rend fou, 1909, Musée des Beaux-Arts de Rouen , huile sur toile de 120 x 200 cm.

A première vue, le peintre semble proposer un fatras total bien en relation avec le thème qu'il désire aborder. Nonobstant, l'étagement des plans, enfant – femme – homme – édredon d'une part, et le quadrillage des lignes de construction d'autre part, stabilisent réellement le tableau, dans une construction finement et savamment étudiée, qui prouve le grand talent artistique de Philippe Zacharie.
De plus, en ces temps où les dépendances à l'alcool comme à l'absinthe ravageaient les bas niveaux sociaux, notre peintre exécute, à sa manière, un message social fort, l'image remplaçant avantageusement tout écrit moralisateur.

Sources :

- Musée des Beaux-Arts de Rouen (merci à Catherine Regnault)
- Base Joconde
- François Lespinasse : 'L'Ecole de Rouen'
- François Lespinasse : in 'Frechon et les salons', catalogue Rétrospective Charles Frechon
- archives personnelles


Eric Puyhaubert

L'abbaye de Fontaine-Guérard


Abbaye de Fontaine-Guérard -


L'abbaye de Fontaine-Guérard


 
Abbaye de Fontaine-Guérard - L'abbaye de Fontaine Guérard sur la carte de la forêt de Longboël dressée en 1565 sur ordre de Charles IX (Archives de France). La carte est orientée sud-nord.
L'abbaye de Fontaine Guérard sur la carte de la forêt de Longboël dressée en 1565 sur ordre de Charles IX (Archives de France). La carte est orientée sud-nord.

1135-1190 : La fondation


 * L'abbaye est classée monument historique depuis 1934 et ses abords constituaient un site inscrit depuis 1942.
A proximité de Pîtres, qui fut une résidence royale sous Charles le Chauve et accueillit plusieurs conciles, la fondation de Fontaine-Guérard remonte au XIIe siècle.
En 1135, alors que le duché de Normandie appartenait au roi d'Angleterre ou plus exactement quand la couronne d'Angleterre appartenait au roi de Normandie, Aimery, comte deMeulan, institua le monastère féminin de Fontaine-Guérard, qui fut ensuite enrichi d'une donation de Robert de Beaumont dit Blanches mains, ou Robert de Breteuil, troisième comte de Leicester**
** pour plus de précisions, voir notre article consacré aux procès des pâtures, dans ce numéro
Les fondateurs disposaient sur place des pierres nécessaires à l'édification des bâtiments : en remontant dans la forêt qui borde la grande Aulnaie, vous passerez devant les carrières de Fontaine-Guérard taillées à flanc de coteau, maintenant cachées par la végétation, où se trouvent encore des blocs inachevés, abandonnés sur place.
Abbaye de Fontaine-Guérard - L'abbaye, l'Andelle, la grande aulnaie
L'abbaye, l'Andelle, la grande aulnaie

A la même époque, en 1194, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, construisit un château à Radepont, consolidé après son décès en 1199 par son frère Jean sans Terre. La prise de Radepont était une étape nécessaire à la conquête de la Normandie par le roi de France, Philippe Auguste, qui fit donc en août 1203 le siège du château de Radepont, avant de se diriger sur les Andelys pour s'emparer du Château-gaillard en mars 1204. Cette conquête assura la réunion de la Normandie à la couronne de France.
Abbaye de Fontaine-Guérard - Ruines actuelles, enfouies sous la végétation, du château de Richard Cœur de Lion
Ruines actuelles, enfouies sous la végétation, du château de Richard Cœur de Lion

La communauté féminine de Fontaine-Guérard, d'abord constituée en prieuré, fut érigée en abbaye en 1153, selon ce que rapporte l'archevêque Eudes Rigaud dans le journal de ses visites pastorales.
Louis IX (Saint-Louis) accordera aux moniales de Fontaine-Guérard l'exemption perpétuelle de tout droit de péage pour les marchandises qu'elles feraient transporter, et en 1324, Charles IV le Bel confirmera l'ensemble de ces donations et franchises.
Sous la domination anglaise au XVe siècle, l'abbesse de Fontaine-Guérard obtiendra des lettres de protection du roi d'Angleterre.
Les effectifs de l'abbaye ne paraissent pas avoir été très importants. Fournée, auteur de l'étude la plus approfondie sur l'abbaye (dactylographiée, CRDP Haute-Normandie 1878) se réfère à un amendement royal du 19 mai 1549 nous apprenant qu'elle comptait 18 religieux à cette époque. L'abbaye avait sur l'Andelle un moulin à blé et jouissait d'un droit exclusif de pêche.

Fournée rapporte également un intéressant journal des dépenses du 1er janvier au 30 novembre 1790 qui donne un aperçu de la vie de l'abbaye à la veille de sa dispersion. Elle employait alors vigneron attitré (le coteau situé au-dessus était alors une vigne, et le promeneur peut toujours voir les terrasses sous la végétation). Divers journaliers et vendangeurs travaillent occasionnellement pour l'abbaye. Les "dames de Fontaine-Guérard" entretiennent des pêcheries sur l'Andelle. Elles ont aussi un jardinier, divers domestiques, trois charretiers, un sacristain, un régisseur, un chapelain, logés sur place, dont nous connaissons les rémunérations. Une part importante des dépenses est consacrée au culte. Beaucoup d'abbesses appartenaient à l'aristocratie du pays. La dernière fut Marie-Madeleine Éléonore Dubosc, nommée en 1777, qui se retira dans sa famille à Radepont en 1790 lors de la dispersion du monastère.
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Fontaine-Guérard était encastrée entre les coteaux de la forêt de Longboël et une forêt sombre et marécageuse, plantée d'aulnes, partagée entre la petite et la grande aulnaie.
Pour plus de détails sur la période antérieure à 1192, nous tenons à votre disposition le mémoire de Jean Fournée sur l'abbaye de Fontaine-Guérard, publié en 1978 par le Centre régional de documentation pédagogique de Haute-Normandie, qui est sans conteste l'étude la plus approfondie sur notre sujet, infiniment supérieur à l'ouvrage de Fallue, plus souvent cité, mais qui se réduit à un amas d'anecdotes inconsistant. Vous pouvez aussi consulter l'itinéraire de Normandie de Buisson-Aubenay, publié d'après le manuscrit original avec notes et éclaircissements par le chanoine Porée, Rouen, Lestringant.
Abbaye de Fontaine-Guérard - Le château de Radepont, à quelques centaines de mètres de l'abbaye
Le château de Radepont, à quelques centaines de mètres de l'abbaye

François Guéroult, architecte rouennais réputé, qui connaissait la région pour avoir fait les plans du château de Radepont construit en 1788 à la veille de la Révolution, acquit* en avril 1792 l'abbaye Notre-Dame de Fontaine-Guérard, qui était devenue bien national à la suite de la confiscation des biens ecclésiastiques par le décret du 2 novembre 1789. Cette acquisition n'était pas motivée par l'amour des vieilles pierres ni par l'intérêt architectural et historique, mais par un projet industriel. Guéroult avait déjà construit la manufacture royale de laine de Louviers et vu le parti qui pouvait être tiré de la force hydraulique de l'Andelle renforcée par la source de Fontaine Guérard. Il constitua avec d'autres rouennais une société pour filer le coton "en grand et à la manière anglaise"

* sur cette acquisition faite aussitôt après adjudication et qui permit à l'adjudicataire de réaliser une substantielle plus-value, sur les débuts de l'exploitation et sur les difficultés entre les associés, voir les renseignements très précis fournis par E.Perrée dans Les origines de la filature mécanique de coton en Normandie. Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles lettres et arts de Rouen, 1922, et P.Sement dans le Bulletin de la société industrielle de Rouen, 1923

Vincent Delaporte



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