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1881 et 1887 : des botanistes elbeuviens
dans la vallée de l'Andelle
En faisant des recherches sur internet, on peut avoir de bonnes surprises, depuis que de nombreux sites ont numérisé et mis en ligne des textes qui sinon dormiraient dans la poussière des bibliothèques, parmi lesquels les bulletins des sociétés savantes, mine de récits vivants et de témoignages intéressants de notre passé. Ainsi, une société savante d'Elbeuf ayant fait deux expéditions de botanistes, dans la vallée de l'Andelle, nous a laissé deux comptes rendus de style fleuri...
Extraits du BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ D'ENSEIGNEMENT MUTUEL DES SCIENCES NATURELLES D'ELBEUF, 1881-1882
(les résumés et commentaires sont en italiques)[…] Cette sortie est du nombre des choses dont un poète, qui aima la nature et la chanta merveilleusement, a dit que le souvenir est toujours agréable.] […] dès 5 heures un quart du matin, la cour de la gare de Saint-Aubin présentait un aspect inaccoutumé. Environ cinquante personnes de tout âge y étaient groupées.
La gare de Radepont en 1905
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[…] Cette sortie est du nombre des choses dont un poète, qui aima la nature et la chanta merveilleusement, a dit que le souvenir est toujours agréable.] […] dès 5 heures un quart du matin, la cour de la gare de Saint-Aubin présentait un aspect inaccoutumé. Environ cinquante personnes de tout âge y étaient groupées.
[…] La descente s'effectue à Radepont à 7
h 23; le court trajet qui sépare la gare de l'entrée du parc est promptement
franchi, et les habitants de cette commune, toujours jolie mais bien déchue de
son ancienne prospérité industrielle, se livrent visiblement à des conjectures
variées sur cette invasion d'hommes armés d'instruments bizarres. Leur
perplexité cesse en nous voyant recueillir avec empressement le chenopodium
bonus-henricus L.*, ils en concluent, non sans raison, que des gens si
passionnés pour les végétaux ne sauraient être des anthropophages.
* Appelé aussi "ansérine bon-Henri", on le trouve
à l’état sauvage un peu partout en France dans les terres riches et ombragées.
Ses feuilles riches en calcium, fer et phosphore se consomment crues en salade
ou cuites comme les épinards. (Rustica)
Par la grille grande ouverte, nous
pénétrons dans l'admirable parc de M. Ch. Levavasseur, qui nous en avait accordé l'entrée le plus courtoisement du
monde. Il faudrait un cadre moins resserré que celui dont je dispose pour
décrire les beautés de ce domaine princier, dont l'enceinte enferme des plaines
et des coteaux, des taillis et des futaies, une rivière poissonneuse et des
sources jaillissantes, un château moderne et deux ruines historiques.
Il y aurait bien des choses intéressantes
à raconter sur ce vieux château dont les restes imposants abritent encore le
tombeau des seigneurs de Radepont et auquel Philippe-Auguste fit, en 1203, les
honneurs d'un siège en règle. Peut-être même n'y en aurait-il guère moins à
dire sur l'ancienne abbaye de Fontaine-Guérard, communauté de femmes de l'ordre
de Citeaux. Mais l'espace et le temps nous sont mesurés.
Ce château de
Radepont faisait partie d'une ligne de
fortifications érigée par Richard Cœur de Lion pour se protéger de son rival
Philippe-Auguste. En faisaient partie Orival, Moulineaux, et bien sûr
Château-Gaillard. Construit en 1194-1195, par Richard Cœur de
Lion pour servir
d'appui à Château-Gaillard, Mais comme Philippe-Auguste
s'empare de Château-Gaillard en 1204, et par là-même de la Normandie, il n'aura
pas servi longtemps.
[…] Avant de descendre pour effectuer
notre visite au vieux château de Douville, nous jetons un coup d'œil sur le
délicieux panorama qu'embrassent nos regards. A notre gauche, les ombrages du
parc que nous parcourions tout à l'heure; en bas, la monumentale filature de M.Ch. Levavasseur, détruite par un incendie voilà quelques années, et si vaste,
qu'avec ses quatre murs aux fenêtres ogivales et ses tours élevées, on la
prendrait pour le vaisseau d'une immense cathédrale; devant nous, au milieu de la prairie où l’Andelle semble
vouloir s'attarder, les ruines du manoir de Longempré, où Henri IV recevait sa mie
Gabrielle.
Ici l'auteur fait une confusion que
l'on retrouve souvent, y compris sur quelques sites internet, entre le château
dit de Douville, même s'il se trouve sur la commune de Pont-Saint-Pierre et
celui de Pont-Saint-Pierre, qui s'appela Longempré, de Gabrielle, Malemaison,
et que l'article d'un précédent bulletin sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre
tente d'éclairer.
[…] à droite, ouvrant magistralement la
vallée, la côte des Deux-Amants, de romanesque mémoire. Pendant que, saisis,
enchantés, ravis par le tableau dont nous venons de tracer une si pâle
esquisse, nous agitons sérieusement les moyens de ne plus quitter les coteaux
de Fontaine-Guérard, notre trésorier, qui guide l'excursion et dispense le
temps à chaque partie du programme, nous rappelle au sentiment de la réalité.
Inflexible comme l'heure qu'il consulte, il multiplie les appels. Force nous
est de nous résigner et d'obéir aux injonctions de sa corne de chasse, dont les
sons harmonieux (?) servent de ralliement aux excursionnistes.
Nous aurons la franchise d'avouer, et nous sommes certains de n'être démenti par personne, que le déjeuner (à Pont-Saint-Pierre, Hôtel de l'Union), auquel nous avaient préparés six heures de marche, tenait alors une place prépondérante dans nos aspirations. Nous y fîmes donc honneur, en gens dont la conscience est tranquille mais l'appétit turbulent; il convient d'ajouter qu'il y eut quelque chose de plus intarissable que notre fringale, ce fut la gaité. Notre président, M. Noury, à son entrée dans la salle à manger, avait été l'objet d'une attention délicate; une aimable enfant, la fille de notre amphitryon, avait souhaité la bienvenue au cher maître en lui offrant un superbe bouquet. Ce petit incident, non inscrit au programme, nous avait fait grand plaisir à tous et avait encore ajouté à l'entrain général.
Après le déjeuner, qui finit à deux heures, les uns s'acheminent vers l'emplacement où s'élevait la forteresse d'Eustache de Breteuil, (le Catelier, voir l'article sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre) dont il ne reste plus que des vestiges sans importance; les autres visitent un beau parc dont l’entrée leur est gracieusement octroyée par Mme la baronne d’Houdemare (propriétaire du château de Pont-Saint-Pierre)
[…] A 3 heures 20, nous prenons le train pour Pont-de-l’Arche, où l'un de nos collègues, qui n'avait pu se joindre à nous et qui avait fait une visite à la côte des Deux-Amants, nous remet quelques échantillons de Biscutella *[…]
Après le déjeuner, qui finit à deux heures, les uns s'acheminent vers l'emplacement où s'élevait la forteresse d'Eustache de Breteuil, (le Catelier, voir l'article sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre) dont il ne reste plus que des vestiges sans importance; les autres visitent un beau parc dont l’entrée leur est gracieusement octroyée par Mme la baronne d’Houdemare (propriétaire du château de Pont-Saint-Pierre)
[…] A 3 heures 20, nous prenons le train pour Pont-de-l’Arche, où l'un de nos collègues, qui n'avait pu se joindre à nous et qui avait fait une visite à la côte des Deux-Amants, nous remet quelques échantillons de Biscutella *[…]
Cette vallée de l'Andelle est décidément
une terre privilégiée : la nature y est splendide, les gens courtois, les
tables bien servies. Nous y reviendrons.
* La Biscutelle de
Neustrie, très rare et en grand danger d'extinction, affectionne les pelouses
calcaires, sur sol écorché ou éboulis .Son aire de répartition est limitée au
département de l'Eure.
M. Louis Muller
Nouvelle excursion, 22 mai 1887
[…] à 8 heures du matin, les voitures de l’entreprise Lequeux déposaient, à la grille du parc de Radepont, 25 excursionnistes elbeuviens. Mise en goût par la première excursion organisée il y a cinq ans, la Société avait témoigné le désir de revoir, cette année, la riante vallée de l'Andelle.
Pour cette seconde excursion, on a donc préféré la route, en louant les services d'une entreprise de transport de personnes, dont les voitures devaient ressembler à cela :
Pour cette seconde excursion, on a donc préféré la route, en louant les services d'une entreprise de transport de personnes, dont les voitures devaient ressembler à cela :
Omnibus Photo ND |
Il était environ 8 heures 1/2, lorsque les excursionnistes escaladaient les chemins qui conduisent au sommet de la roche sur laquelle fut construit l'ancien château fort de Radepont.
Il est onze heures lorsque nous nous trouvons en vue du vieux château de Longempré, connu aussi sous le nom de château de Gabrielle … (même confusion que précédemment)
A une heure et demie, nous levons le siège et nous prenons le chemin qui doit nous conduire à l’établissement métallurgique des Fonderies de Romilly.
En arrivant, nos regards sont attirés par une plaque commémorative indiquant que la fondation de l’établissement remonte à l’année 1782. En face des tas de minerai, des amoncellements de barres de cuivre du Chili, des fours à fusion et des laminoirs de diverses formes et de toutes dimensions, des marteaux à vapeur; renseignement, dispensé par des voix autorisées.
Les spécimens des travaux que la Société a pu voir : plaques pour foyers de locomotives, enveloppes de foyers, tubes, barres, planches, etc., etc., ont donné une idée de ces transformations. Nous citerons comme ayant vivement intéressé les visiteurs, l’atelier où se fabriquent les ceintures d’obus. D'énormes presses hydrauliques, dans lesquelles l’application du principe de Pascal, sur l'incompressibilité de l'eau, se montre dans toute sa force brutale, permettent de pétrir le cuivre avec une facilité qui surprend au premier abord.
Nous ne dirons rien des quantités innombrables de ceintures d'obus** qui se fabriquent constamment à Romilly et qui, parties perfectionnées d'un tout plus perfectionné encore, doivent servir à confectionner des engins de destruction dont les effets terribles jetteront peut-être un jour l'épouvante dans les nations civilisées; aussi laisserons-nous de côté les réflexions que nous suggère un état de choses qui amène l'espèce humaine à chercher, sans trêve ni repos, les moyens, les plus efficaces, d'assurer son propre anéantissement.
Nous ne dirons rien des quantités innombrables de ceintures d'obus** qui se fabriquent constamment à Romilly et qui, parties perfectionnées d'un tout plus perfectionné encore, doivent servir à confectionner des engins de destruction dont les effets terribles jetteront peut-être un jour l'épouvante dans les nations civilisées; aussi laisserons-nous de côté les réflexions que nous suggère un état de choses qui amène l'espèce humaine à chercher, sans trêve ni repos, les moyens, les plus efficaces, d'assurer son propre anéantissement.
Voilà des considérations qui tranchent sur l'état d'esprit revanchard de la France d'avant 1914, et qui, mieux partagées, auraient pu éviter la boucherie.
En sortant de l'établissement de Romilly, dans lequel nous nous trouvions avoir empiété un peu sur l'heure du retour, arrêtés que nous étions toujours par quelque fait intéressant, nous nous rendons au pied de la côte des Deux Amants. Plusieurs d’entre nous qui bien des fois avaient fait le rêve de cette ascension, purent, après avoir convoité la coupe de loin, donner libre cours à leur ardeur. L'ascension de cette côte se fit promptement; il y eut bien quelques poitrines essoufflées et il se produisit aussi quelques glissades, mais au sommet la caravane était au complet. Nous nous trouvions là à l’altitude de 138 mètres, à peine la moitié de la hauteur de la tour Eiffel ! ***
En sortant de l'établissement de Romilly, dans lequel nous nous trouvions avoir empiété un peu sur l'heure du retour, arrêtés que nous étions toujours par quelque fait intéressant, nous nous rendons au pied de la côte des Deux Amants. Plusieurs d’entre nous qui bien des fois avaient fait le rêve de cette ascension, purent, après avoir convoité la coupe de loin, donner libre cours à leur ardeur. L'ascension de cette côte se fit promptement; il y eut bien quelques poitrines essoufflées et il se produisit aussi quelques glissades, mais au sommet la caravane était au complet. Nous nous trouvions là à l’altitude de 138 mètres, à peine la moitié de la hauteur de la tour Eiffel ! ***
*** la tour
Eiffel, haute de 332 mètres, est construite en deux ans, entre 1887 et 1889,
donc postérieurement à cette escalade, et à la rédaction de l'article. Sa
future hauteur devait suffisamment impressionner pour être un point de
comparaison obligé.