Les Hautes-Loges |
Fiefs et manoirs au XVIIIe siècle à Pîtres et au Manoir
Du Moyen Âge
jusqu'à la fin de l'Ancien Régime1, la plupart des terres
appartenaient à des grands propriétaires : les seigneurs. Certes, quelques
paysans possédaient des terres hors fief, ou alleux, mais le fief restait le
mode de propriété le plus répandu et justifiait l'adage « nul terre sans
seigneur ».
1. On appelle Ancien
Régime la période qui va du XVIe au XVIIIe siècle et qui précède la
Révolution, laquelle a créé un
« nouveau régime ».
Les seigneurs
pouvaient être soit laïques, soit ecclésiastiques. Ainsi à Pîtres au XVIIIe
siècle les deux principaux seigneurs étaient le baron de Pont Saint-Pierre et
les religieux du Collège de Rouen.
La propriété d'un
fief était partagée entre le seigneur et le vassal : le seigneur, propriétaire
direct du fief, le confiait à un vassal qui le « tenait », c'est-à-dire en avait l'usage et la jouissance moyennant
des droits à acquitter au seigneur, précisés dans un document écrit, ou aveu.
Par exemple des aveux datant du XVIIe siècle, mais encore valables au XVIIIe
siècle, rendus par le comte de Rouville ou les chevaliers de Galantine, faisaient
de ces personnages les vassaux du baron de Pont Saint-Pierre pour les terres
qu'ils avaient à Pîtres2.
2. Archives
Départementales de Seine-Maritime 1 ER 573
Au cours des
siècles les vassaux s’étaient beaucoup affranchis des seigneurs et les fiefs
étaient devenus patrimoniaux et héréditaires : un vassal pouvait ainsi vendre,
aliéner, ou diviser son fief, sous certaines conditions toutefois.
La possession d'un
fief en propriété directe ou en vassalité donnait des droits sur les paysans
résidant sur le fief : droits rémunérateurs (comme les taxes, les redevances,
les péages, les impôts en argent ou en nature et prestations diverses), droits
honorifiques (colombier, armoiries), ou droits de justice.
Il est souvent
difficile de connaître la répartition des fiefs pour un lieu donné car le fief
ne coïncidait avec aucune autre division locale, qu'elle soit topographique
comme le village, judiciaire comme le baillage, ou religieuse comme la
paroisse. Ainsi un fief pouvait englober plusieurs villages, ou le terroir d'un
village pouvait être réparti en plusieurs fiefs. C'était le cas pour Pîtres et
le Manoir. À Pîtres, outre le baron de Pont Saint-Pierre et ses vassaux déjà
cités, d'autres seigneurs possédaient des terres, comme les Religieux des Deux
Amants, la famille de Boniface, ou l'Abbaye de la Lyre.
Les documents sur
ces fiefs subsistant aujourd'hui comprennent des plans, des cartes, des actes
notariaux, des aveux, des terriers, des cueilloirs3.. Quelques-uns
mentionnent le manoir du seigneur ou de son vassal. Le manoir, qui se
différencie du château dès le XVe siècle car il ne comprend pas de
fortifications, était en fait le centre de l'unité de production agricole que
représentait le fief. Il comprenait une demeure où résidait le seigneur (ou son
vassal), parfois remplacé par un intendant, et des bâtiments agricoles :
charreterie, grange, colombier. Jouxtant le manoir, une ferme, parfois deux,
complétaient le domaine. D'autres fermes plus lointaines étaient réparties sur
le fief, si celui-ci avait une certaine importance. Parfois même le seigneur
disposait de plusieurs manoirs.
3. Terrier et
cueilloir sont des registres qui donnent la liste des terres et des personnes
relevant d'un fief pour en préciser les charges; ils sont souvent accompagnés
d'un plan délimitant les parcelles.
Beaucoup de terriers et de cueilloirs ont disparu à la
Révolution, brûlés par les paysans. Pîtres possède encore ces documents,
commandés à la fin du XVIIIe siècle par Caillot de Coquéréaumont, baron de Pont
Saint-Pierre. (ADSM 1ER 747 et 564)
À Pîtres
Au XVIIIe siècle,
le village était réparti sur trois fiefs principaux : les Essarts, la Poterie,
la vallée Galantine, qui appartenaient à trois seigneurs différents : la
famille Lemonnier était propriétaire des Essarts, tandis que les familles de
Tiremois et de Germiny possédaient le fief de la Poterie. Quant à la vallée
Galantine, après avoir appartenu à une famille éponyme au XVIIe siècle, elle
était passée par mariage au XVIIIe siècle à Alexandre Boniface, baron de Bosc
le Hard.
La ferme de la rue de la geôle, ancienne propriété de M.et Mme Meslin |
et le plan cadastral napoléonien |
La ferme de la rue du Bosc |
et le plan napoléonien où elle est notée Dubocq |
La vallée Galantine sur un plan de 1781 (ADSM) |
et sur le cadastre napoléonien (ADE) |
Il y avait à Pîtres d’autres seigneurs, comme Louis Caillot de Coquereaumont, ou le prieuré des Deux Amants. De ces fiefs il reste aujourd'hui de grosses fermes au cœur même du village, rue du Bosc, rue de la Geôle, rue de l'Eglise. On peut les repérer telles qu'elles étaient au début du XIXe siècle sur le premier plan cadastral de Pîtres. Quelques beaux bâtiments subsistent actuellement. Pour l'une de ces fermes, la vallée Galantine, l’essai de reconstitution de son histoire est un peu plus aisé car il existe un dossier aux Archives Départementales de l'Eure (ADE).
Comme nous l'avons
vu précédemment, elle appartenait à la famille de Boniface au XVIIIe siècle. En
1765, la veuve de Jean-Baptiste de Boniface partagea ses biens entre ses trois
fils et c'est le deuxième qui hérita de la ferme, mais il la vendit quatre ans
plus tard à Pierre Delacour. Elle changea plusieurs fois de mains au XIXe
siècle et devint alors une poudrière utilisant le salpêtre local. Ce n'est
qu'en 1993 que l'établissement fut fermé. Il ne reste malheureusement rien des
bâtiments de l'ancienne ferme. On ne peut l'évoquer que grâce à deux plans,
l'un de 1781 et le plan cadastral de 1834. La ferme apparaît comme un ensemble
de bâtisses encadrant une cour carrée ou rectangulaire. À l'intérieur de cet
espace on aperçoit un puits.
La ferme de la rue de l’église, anciennement rue Dumontier |
et
le cadastre de 1834
|
Le Manoir.
La paroisse du
Manoir était partagée en deux principaux fiefs au XVIIIe siècle, l’Essart et
les Hautes loges. Pour chacun de ces deux fiefs subsistent les manoirs.
L’Essart
Le nom même du
site indique son emplacement, en bordure de forêt ( essarter = défricher). Le fief de l'Essart appartint d'abord à
la famille Guéroult et passa au XVIIIe siècle à la famille Hallé dont le membre
le plus influent était Gilles Louis Hallé, comte de Rouville.
La ferme de l’Essart restaurée
|
Le manoir de l'Essart est visible sur deux plans anciens. Un plan terrier du XVIIIe siècle montre une cour close de murs, cernée par plusieurs bâtiments dont la demeure sise entre cette cour et un jardin. Dans la cour, le colombier, situé entre le four et le pressoir, fait face au logis.
Le tout est
entouré d'espaces plantés et de bois. Une large allée, dénommée
« avenue » sur la légende du plan, conduit à l'entrée du manoir.
Le plan cadastral
du Manoir de 1835 montre peu de changements par rapport au XVIIIe siècle, si ce
n'est la disparition de l'un des bâtiments agricoles de la cour (le four) et la
construction d'un logis supplémentaire. Au XIXe siècle le domaine de l'Essart
fut vendu et divisé. À la fin du siècle, huit fermes de polyculture se
partageaient ses terres. Aujourd'hui il n'y a plus d'activités agricoles à
l'Essart, mais le manoir a conservé une grande partie de ses bâtiments. Le
logis principal a été restauré, la bergerie est devenue une habitation et la
grande grange du XVIIe siècle a été transformée en gîte rural. Le colombier a
disparu et le pressoir a été démonté et remonté à Saint-Amand des Hautes
terres.
Les Hautes-Loges au début du XXè siècle (carte postale, coll.part.) |
et aujourd'hui |
Le fief des Hautes loges était la propriété de la famille Lemercier au XVIIe et XVIIIe siècle. De ce fief subsiste encore le manoir construit au XVIe siècle sur un léger escarpement dominant la Seine. Seul le logis lui-même a été conservé. C'est une belle demeure en calcaire, silex, et briques. La façade côté Seine est particulièrement remarquable : la partie droite du mur offre une alternance de lits de silex et de petites pierres calcaires et est percée de deux fenêtres dont l'une a gardé ses meneaux en pierre. La partie gauche est décorée de silex bleus, de briques et de pierres calcaires qui dessinent des motifs géométriques. Il surmonte une ancienne porte, aujourd'hui murée, avec un arc en plein cintre.
Les autres
bâtiments, dont un colombier, visible sur un plan de 1787, ont disparu et
l'espace qu'ils occupaient est aujourd'hui bâti de maisons récentes.
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Le passé rural de Pîtres
et du Manoir s'est déroulé dans le cadre de seigneuries locales, petites
entités qui dépendaient souvent de structures plus importantes comme la
baronnie de Pont Saint-Pierre. Les seigneuries étaient mouvantes, passant de
mains en mains, partiellement ou totalement, par héritage, mariage ou vente. Il
en reste des traces par les bâtiments des fermes et des manoirs qui subsistent
encore. Leur intérêt architectural et historique nous invite à les préserver
comme patrimoine de ces communes.
Nous remercions les propriétaires qui nous
ont reçus et autorisés à reproduire des documents : M. et Mme Meslin, Delaby,
Hue et Chéron.