1 décembre 2018

Un pistrien dans la campagne d’Orient


Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 -

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919

Suite : Monastir 1918, la rupture décisive


Voici la suite du carnet qu’écrivit René Cobert lors de sa campagne d’Orient d’août 1917 à mars 1919. Dans le précédent bulletin, il raconte son voyage jusqu’à Monastir lieu de différentes batailles mais dans cette période-là, il n’y a que quelques escarmouches et le temps se passe en manœuvre et terrassements pour assurer les postions. Nous reprenons le récit au moment de la bataille décisive, la troisième bataille de Monastir, qui va rompre le front ennemi.

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 -


Le 21 Septembre : Vers 18 heures du soir, ordre de rentrer immédiatement à Monastir. Nous arrivons vers 22H, et à 2H du matin, on reçoit l'ordre de s'équiper pour monter en ligne, on arrive en position devant Kerklina vers 6H du matin à la pointe du jour.
A six heures et demie, le nouveau commandant de compagnie passe et nous apprend que nous devons attaquer à sept heures. Les obus tombent et les mitrailleuses ennemies marchent. L'ordre est donné de sauter le parapet, les fantassins mettent baïonnette au canon et à l'heure juste le bataillon sort à un seul endroit où il y a une brèche dans les réseaux, à raison de un ou deux hommes à la fois. Les Bulgares ayant aperçu la manœuvre ont pointé une mitrailleuse sur la brèche, mais tout le monde passe sans qu'il y ait aucun blessé. On se masse dans un petit ravin, puis les vagues partent, nous suivons derrière, les balles sifflent et viennent se piquer en terre à nos pieds. On passe quand même et on arrive à la première tranchée bulgare, l'ennemi se replie en vitesse tout en couvrant sa retraite avec des mitrailleuses et des 105 fusants, enfin on prend un boyau de communication qui nous conduit à la deuxième ligne boche et on trouve des sapes où on fait la pause à l'abri car il fait déjà très chaud avec tout le matériel sur le dos, on fait comme ça 4 ou 500m, puis on attend la nuit dans des abris bulgares.

Le 22 Septembre : Aussitôt la tombée de la nuit, tout le bataillon saute sur le parapet, puis se forme en petites lignes de tirailleurs. On trouve les Bulgares à 800m de là dans une tranchée nouvellement faite, les grenades commencent, se mêlant à l'éclatement des Vivien-Bessières et du bruit des mitrailleuses Beels. (Les 105 fusants sont des obus, les Vivien-Bessières des grenades) En voyant qu'ils ne veulent pas céder, on se replie légèrement en arrière et le reste de la nuit se passe à creuser.

Le 23 Septembre : ordre d'attaquer au petit jour, au coup de sifflet et au commandement "En Avant", tout le monde sort au pas de gymnastique, la première vague arrive à la tranchée bulgare, et se bat à coup de grenades, les balles sifflent en quantité et beaucoup parmi nous tombent pour ne plus jamais se relever. On saute dans la tranchée ennemie capturant quelques prisonniers, nous n'avons pas le temps de mettre les pièces en batterie qu'une contre-attaque nous chasse de suite, on se replie à notre point de départ et on attend les ordres. On reçoit l'ordre d'aménager les trous pour le rester la journée.

Le 23 Septembre : Le soir, on reçoit des ordres de nouveau pour attaquer encore une fois, vraiment c'est la barbe et on va finir par y rester tous. On aperçoit, sur les montagnes qui sont à gauche, les Bulgares se replier et se rassembler sur les crêtes, on les disperse à coup d'obus de 75 et nous les aidons à monter la colline avec nos mitrailleuses. Aussitôt la nuit tombée, on ressaute le parapet de nouveau, puis bénéfice net, c'est le même travail que le matin, à part des tués et des blessés de plus, on revient à notre point de départ et nous passons ici la nuit. Vers minuit, le ravitaillement arrive, il n'est pas trop tôt, car nous n'avions rien à manger aujourd'hui, heureusement encore qu'il y a une source à 100m de là. Il faut y aller de nuit où dans la journée en rampant, mais ça ne fait rien, on est bien content de l'avoir car il fait une chaleur foudroyante et dans la journée nous n'avons que notre casque en fer pour se mettre à l'ombre. Le ravitaillement touché, on se tape la cloche comme il faut car on a touché la boustifaille d'aujourd'hui et celle pour demain ainsi qu'une demi livre de chocolat en plus par homme. Puis on retravaille de nouveau pour se mettre à l'abri des balles car c'est impossible de travailler de jour.

Le 24 Septembre : Toute la journée, chacun reste bien caché dans son trou. Le soir vers 20H des patrouilles rendent compte qu'il n'y a dans la tranchée ennemie que quelques unités très faibles, alors on reçoit l'ordre de s'apprêter pour partir en avant, c'est vers minuit que nous démarrons, on prend la tranchée de Kukure ainsi, puis on prend le village, et on s'installe dans les abris d'artillerie boche.

Le 25 Septembre : Avant la pointe du jour, on démarre pour faire de l'avant et nous devons poursuivre en vitesse les Bulgares qui se replient vers le Nord, c'est pas un petit boulot pour nous mitrailleurs car nous avons tout notre matériel à traîner sur les épaules. On marche toute la journée, en formation de combat à travers champs, sous un ardent soleil. On traverse maints et maints jardins remplis de choux et de tomates que l'on a soin de goûter pour se rafraîchir. Enfin, après avoir fait une dizaine de kilomètres, on trouve de la résistance, les 105 fusants commencent à éclater, tout le monde se couche et se déploie en tirailleurs. La plaine où nous nous trouvons a environ 1 km de large et est encaissée par des montagnes, on se met à l'abri dans des ravins puis on attend le soir. Aussitôt la nuit, toutes les compagnies se mettent en liaison, puis on passe la nuit en batterie à l'entrée d'un village. On reçoit le ravitaillement vers 2H du matin que l'on déguste en vitesse "Menu : ½ litre de pinard, ½ boule de pain, 1 boîte de thon pour 3, de la soupe, du riz au chocolat, puis ¼ de jus et la gnôle".

Le 26 Septembre : Aussitôt le jour, nous repartons en chassant toujours l'ennemi qui se replie, on arrive au col d'Apotica, là personne ne peut plus marcher, car vraiment avec tout ce matériel sur le dos depuis Monastir et par une pareille chaleur, il y a de quoi en avoir marre. Le commandant de compagnie voyant ça, nous fait faire la pause et envoie un agent de liaison chercher les mulets qui nous suivent, mais à l'arrière, il nous demande de donner encore un coup de collier car le bataillon est arrêté en bas du col à 800m de là. On repart et on le rejoint : il est rassemblé et fait la pause dans un ravin. On se déséquipe en vitesse et 2 hommes se dévouent pour aller chercher de l'eau. Je vais serrer la main des copains de la 6ème qui est arrêtée auprès de nous. Puis on fait le café de réserve, on casse la croûte avec du singe arrangé aux oignons crus cueillis dans les jardins bulgares. On boit le jus, puis les mulets arrivent, mangent l'avoine et aussitôt, on charge le matériel. Cà semble bon d'être déchargé des pièces et des caisses, on va à 2km de là, cantonner dans un petit patelin. C'est le 6ème bataillon qui maintenant est devant nous, donc nous sommes en réserve, on met en batterie dans un champ de piment, on va chercher de la paille dans le pays, puis chacun installe son plumard à la belle étoile, auprès des pièces. Ici, c'est bath car il y a un petit ruisseau bien clair qui coule tout près et chacun en profite pour se laver comme il faut et se rafraîchir. Le soir très tard, on nous amène le ravitaillement, mais toujours pas de cuisine chaude.
8 jours de marche à la poursuite des Bulgares, à raison de 25 à 28 km par jour avec tout le matériel des mitrailleurs sur le dos sans beaucoup de ravitaillement et sous la chaleur.

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 - Uskub, en turc, aujourd'hui Skopje, capitale de la Macédoine (du Nord)
Uskub, en turc, aujourd'hui Skopje, capitale de la Macédoine (du Nord)


Le 4 Octobre : A 15H départ, on arrive à Uskub à 17H, on bivouaque à l’entrée de la ville à côté du camp de prisonniers Bulgares. Il y en a ici 20000, ainsi que plusieurs généraux enfermés à l'hôpital. On monte les tentes puis on fait un tour et comme les prisonniers ont beaucoup de troupeaux de moutons, on va faire une rafle par là et on en rapporte une dizaine que l'on dépose soigneusement à la roulante, avec ça on ne crèvera pas de faim et depuis le temps qu'on se tape du boeuf, on va se mettre un peu de mouton dans la lampe et bon marché "Système D". Nous sommes à environ 800m de l'entrée de la ville mais il est absolument interdit d'y aller, car il y a ici 120000 prisonniers et il, en arrive tous les jours qui sont désarmés le jour même. On mange la soupe, vers 18H 30, puis on se couche.

Le 5 Octobre : On se lève à 8H puis je suis désigné pour prendre la garde à l'entrée du pont se tenant dans la ville, avec le personnel de la pièce pour faire la circulation à l'entrée du pont, car il arrive aussi continuellement des convois Bulgares qui se constituent prisonniers.

Le 7 Octobre : à midi, un agent de liaison vient nous avertir de se préparer à partir pour 14H. Ça, la fout mal, alors on fait les ballots, on bourre les musettes, puis on fait le jus et l'on fait griller les côtelettes pour les emporter dans la musette. On fait cadeau des légumes au paysan voisin qui nous a prêté une marmite, car nous ne pouvons traîner ça et la roulante aura bien à manger pour nous ce soir. Nous devons partir vers la Bulgarie et marcher dans la direction de Sofia "capitale Bulgare".
 
Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 - Le pont d'Uskub en 1909
Le pont d'Uskub en 1909

Le 12 Octobre : Départ à 8H 30, même travail que les jours précédents, démontage des toiles, on fait les ballots, puis chargement du matériel et départ. Il ne fait pas bon marcher car il a plu encore toute la nuit. On se rassemble sur la route, puis on poirote jusqu'à 10H, c'est bien militaire. Enfin, on démarre tout de même, puis on fait la grand' halte à 14H, après avoir laissé environ le quart du régiment sur les bords de la route. Il fallait s'attendre à ça, car après des marches pareilles avec rien dans le ventre, ils y en a beaucoup qui ne pourraient pas le faire. Moi, je tiens le coup, difficilement, mais je tiens quand même en suivant tout doucement, car je suis aussi bien fatigué et ce n'est pas l'envie qui me manque de rester dans le fossé. Enfin, aussitôt arrêtés, on mange la soupe, 1 biscuit comme pain et pas plus, car il n'en resterait plus pour ce soir et à 15 h 15, on remet ça, pour encore un bout d'étape. On est en route par un fort orage qui nous fait tomber quantité de grêle. On rencontre sur le haut d'un col, un régiment de Serbes, accompagné d'un groupe d'artillerie de 65 de montagne. On passe le haut du col, vers 17 heures, on compte bien s'arrêter dans le bas, mais on continue toujours à marcher et cependant on a déjà boulotté 25 à 28km. On suit toujours la route, j'en ai plein le dos et j'ai une grande envie de rester sur le bord de la route comme beaucoup de copains, mais il n'y a aucune voiture pour nous ramasser, enfin comme caporal je fais tout mon possible pour suivre, mais n'ayant rien dans le ventre après tout, j'en ai assez, je réclame au chef de section accompagné de tous les poilus de faire la pause. Il me répond d'un ton brutal et m'insulte comme un chien. Moi, comme un inférieur, je ne peux rien dire, mais en ayant marre de marcher, je lui réponds sur le même ton. Il me promet une punition, c'est comme si je l'avais car ce sous-officier est une brute et je n'ai jamais pu m'accorder avec lui qui a vu en tout et depuis 4 ans ½ de guerre que 45 jours de front. Enfin on continue à marcher et nous nous arrêtons à 22h. On monte les tentes dans un champ, tout près de la route, je passe ma toile de tente à mon tireur qui la monte, car moi, je suis si fatigué que je suis couché à terre et ne peux plus bouger par l'excès de fatigue, vraiment, nous sommes pis que des animaux.

Le 13 Octobre : Aujourd'hui, il y a repos, ce n'est pas dommage, après avoir fait 30km hier avec 3 biscuits dans le ventre et encore aujourd'hui rien à manger, on peut avoir une journée de repos bien gagnée. Je me fais porter malade car je sens que j'ai de la fièvre, à 8H je vais passer la visite j'en ai assez pour être évacué, mais le service sanitaire ne fonctionnant pas, pour défaut de moyens de transport, il n'y a pas d'évacuation. En un mot, c'est marche ou crève. Aujourd'hui, il fait beau temps et le chef de section en profite pour nous passer une revue d'armes. Moi, comme exempt de service, je laisse tomber. Vers 10H, le lieutenant me fait appeler pour lui donner des explications au sujet de ma réponse au chef de section, la veille. Je lui raconte ce qui s'est passé et il me promet une punition sévère qui amènera ma cassation. C'est dommage, ses yeux ne sont pas des revolvers car il me fusillerait à bout portant, heureusement, je n'ai pas bien peur.

Le 17 Octobre : Départ à 8H, on passe le col de la frontière Serbo-Bulgare, à 9H 50, il y a un poste Bulgare armé et une sentinelle sur le bord de la route. On aperçoit enfin, du haut de ce col un pays assez conséquent se trouvant au pied de la montagne et une voie ferrée avec une gare. C'est fort probable que c'est la gare où nous allons embarquer, depuis le temps que l'on nous bourre la crâne qu'on va prendre le chemin de fer.
Le soir, on mange la soupe à 16H 30, puis je m'apprête à me coucher sous la tente quand un agent de liaison m'appelle pour me présenter au chef de la compagnie. J'y vais de suite, je me présente et il m'apprend la sale nouvelle que je suis cassé et je passe ce soir même à la 4ème C.M. comme soldat de 2ème classe. Je me contente de ça, car je comptais bien être balancé dans une Cie d'infie. D'un sens, je ne suis pas fâché de partir, car je quitte ce maudit sergent avec qui j'aurais eu des ennuis tous les jours. Ce qui me console, c'est que je vais retrouver à la 4ème beaucoup de mes copains qui étaient avec moi à la 6ème

Le 19 Octobre : On se lève vers 7H. Rassemblement à 8H pour faire l'échange des effets kakis contre des effets de drap, mais malheureusement, il n'y en a pas pour tout le monde, il n'y a qu'un camion de fringues pour tout le régiment. Vers 9h, une note paraît que le colonel autorise à aller à la ville de 13H à 17H 30 à raison de la moitié de la section. Je suis du nombre. On va d'abord prendre un café turc, puis on se tape 1kg de prunes et 1kg de poires, car ici il n'y a que ça, des prunes, des poires et des pommes à 4F et 5F le kilo. Ici le billet de 5F vaut 7 Levs 50 en argent bulgare. On rachète des poires que l'on boulotte en se promenant, car on crève de faim et on se bourre de fruits car on ne trouve pas autre chose à manger. C'est formidable de voir quel prix sont les marchandises ici, une paire de chaussures vaut facilement 150 à 200F, le kilo de pommes de terre de 30 à 35F, le litre de pinard 8 à 10, le pain on en trouve pas, on fait un tour puis nous rentrons pour l'appel qui se fait à 17H 40. On mange la soupe et ensuite on touche le ravito pour demain qui consiste en ½ boule de pain par homme, 2 quarts de pinard et 6 centilitres de gnole, enfin c'est un ravitaillement complet alors y a bon.

Le 22 Octobre : On rassemble la compagnie à 8H 20 pour aller en ville prendre des bains sulfureux à raison de 0,60 Franc bulgare par homme. Ces bains sont très bien installés et font du bien, malheureusement nous n'avons pas d'autre linge pour changer. Enfin, toute la Cie passe d'un coup dans 2 piscines, puis on rentre au bivouac. En arrivant, on nous distribue le courrier, il y a quelque chose comme lettres pour la Cie, il est vrai que ça fait 15 jours bientôt sans avoir reçu aucun courrier. L'après-midi, rassemblement par section pour toucher une boîte de singe de réserve, car nous n'avons plus rien comme vivre de réserve. Aujourd'hui, nous avons encore touché le ravitaillement au complet à part qu'il n'y a pas de café le soir.

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 - Le Danube à Roustchouck
Le Danube à Roustchouck

Le 25 Octobre : On est tassé dans les wagons comme des harengs saurs, mais on est contents quand même de ne plus marcher à pied. Départ à 13h, nous quittons donc la ville de Kustendil pour filer dans la direction de Sofia. Enfin nous arrivons à Sofia vers 19H, mais comme tout le monde est couché dans le wagon et que les portes sont fermées pour le froid, personne ne se lève pour voir la gare. D'ailleurs, on doit repartir de suite.

Le 26 Octobre : arrivée à Roustchouc (39000 habitants) à 1H du matin. C'est ici que nous débarquons, c'est tout un travail. On fait les ballots, les muletiers débarquent les miaules (sic) et les bâtent, puis on charge le matériel et on part vers 3H du matin, on traverse toute la ville qui est assez longue, car elle compte environ 40000 habitants. Puis comme fait exprès, la pluie se met à tomber jusqu'à 4h30 et, on est tout trempés quand nous arrivons dans un petit patelin "Koulata" à 5H. On rassemble tout le bataillon sur la place et l'on attend le jour pour chercher des cantonnements. Nous allons être logés dans des maisons, car ici on est tout près du Danube et, par conséquent de la frontière Roumano-Bulgare et les avions boches qui sont en Roumanie viennent survoler dans la journée. Donc des ordres sont communiqués de suite pour qu'il n'y ait aucun mouvement de troupe dans le jour, on apprend également que le 227ème et le 157ème faisant partie de notre division, sont allés dans une autre direction, il n'y a ici que le régiment avec un groupe d'artillerie.

Le 27 Octobre : On va prendre possession des cantonnements choisis par les fourriers qui eux sont conduits par un capitaine bulgare interprète au colonel, puis on assiste à l'arrivée du 5ème Baton. On va chercher le jus vers 9H et la soupe à 11H, ensuite, moi et mon caporal, nous allons mendier du pain dans diverses maisons, car on a la pile, nous avions touché à notre départ de Kustendil, le ravitaillement pour aujourd'hui, mais il n'y a plus de pain. Enfin, les paysans veulent bien nous faire l'aumône, à condition que nous disions que nous sommes Français, car ils nous croient Serbes et ils n'aiment pas ces derniers.

Le 28 Octobre : Réveil à 4H, départ à 4H 30, nous allons prendre position sur les bords du Danube par petits postes. On va chercher le tilleul qui remplace le jus, puis après avoir chargé le matériel, on part avec le lieutenant, on arrive aux tranchées frontières sur le bord du fleuve vers 9H 30. On décharge le matériel, puis tout le monde descend dans les tranchées, car voilà le jour qui approche et il ne faut plus personne sur le parapet, les boches étant en Roumanie sur la rive opposée du fleuve, les mulets repartent au village, puis le lieutenant donne des ordres à l'adjudant-chef de la section. Aussitôt le jour, on met en batterie et on pointe les pièces sur la rive roumaine, avec mission de ne laisser circuler aucun bateau ne portant pas le pavillon bulgare. Moi, je prends la garde le 1er avec mon chargeur et suis relevé à 8h. A 10h, l'homme de garde crie "Alerte", voilà un bateau qui descend en suivant la rive Roumaine, l'adjudant regarde aux jumelles car le fleuve a au moins 800m de large. Le bateau n'a pas de pavillon, alors il n'y a pas de doute, on déclenche le feu aussitôt qu'il est à bonne portée, ainsi que le canon de 37 qui est derrière nous. Quelques secondes après, le bateau répond avec des obus et des mitrailleuses qu'il a à bord et arrose la crête. Heureusement, ils tirent trop haut et les obus passent par-dessus la crête, alors il n'y a plus de doute, c'est une canonnière Autrichienne, on tire mieux que jamais et notre 75 se met de la partie, mais les boches mettent de l'avance à l'allumage et la canonnière est vite à bout de portée, enfin de suite on nettoie la pièce, puis on la graisse et le reste de la journée se passe sans autre incident.

Le 30 Octobre : On se lève à 4H 30 car la relève doit arriver à 5H, il faut se dépêcher car le jour n'est pas loin et il faut partir d'ici pour éviter d'être vu. On va chercher le matériel, on charge les mulets de la 2ème section, on passe les consignes et on part en vitesse, bien contents de marcher pour se réchauffer, c'est sans regret que nous quittons ce sale coin. Enfin, après 2H de marche, on arrive au patelin, à notre ancien cantonnement. On va chercher le jus confectionné avec de l'orge grillée puisque nous ne touchons pas de café et un casse-croûte. Malheureusement cette nuit, il a gelé à blanc et le temps se prépare pour la pluie, de ce fait, on ne va encore pas pouvoir se nettoyer, car il commence à pleuvoir vers 10H. On change pour aller à l'autre bout du village, on a encore de la chance car la pluie vient de cesser juste pour notre déménagement, mais qu'est ce qu'il y a comme boue ! On arrive au nouveau logis qui est très bien, c'est une chambre inhabitée, nous sommes très bien reçus par les locataires de la maison, on décharge le matériel, puis on décrotte ses souliers pour rentrer car c'est très propre. Cette chambre est très petite, mais on y sera bien, car il y fera chaud. Puis on va chercher la soupe à 17H 30. La femme nous apporte une lampe pour voir clair à manger, car personne n'a un bout de bougie, depuis Monastir que nous n'en avons pas touché. On se couche aussitôt la soupe et on passe une bonne nuit comme il y a longtemps que nous n'en avons pas passé de pareilles et surtout il n'y a pas de garde à prendre dans le courant de la nuit.

Le 1er Novembre : Je suis de garde devant le poste de 4H à 6H, dès 4H 30, tous les paysans partent les uns en voiture, les autres à pied, ils vont au marché à Roustchouk, se tenant tous les vendredis. Les bonnes femmes emmènent leurs provisions à vendre dans des petits sacs où des paniers crochés à chaque extrémité d'un bâton exprès qu'elles portent sur l'épaule, c'est la mode du pays, d'ailleurs on peut les voir toute la journée venir chercher de l'eau au puits avec une grande bassine en cuivre, fixée à chaque extrémité de ce fameux bâton fabriqué exprès. A 6h, je suis relevé, puis un copain arrive avec le tilleul, on boit le jus et on apprend que nous sommes relevés qu'à 17H au lieu de 11H. Ça, ça la fout mal car ça fait 30H de garde au lieu de 24H. A 10H, on va chercher la soupe, puis on fume une bonne pipe dehors au soleil car aujourd'hui il fait un temps splendide et on attend la relève qui arrive exactement à 17H.

Le 3 Novembre : On a passé toute la journée aujourd'hui à discuter le coup devant le feu qui est au milieu de la grange et qui l'emplit de fumée. Dans la nuit on prend 5H de garde chacun, c'est à dire, car il fait très froid, on est sentinelle double à chaque pièce. Ça ne change pas. On reçoit des ordres par un agent de liaison pour déplacer les pièces car le chef de baton est venu cet après-midi et veut faire placer les pièces au bord du fleuve pour faire du tir à ras de l'eau. On discute le coup fortement et nous nous promettons de ne pas en faire lourd, car ce n'est pas en prenant sept heures et demie de garde tous les jours que l'on peut faire de la terrasse pour les emplacements de pièce. Car on se tape en ce moment sept heures et demie sur douze ce qui fait quinze heures de garde sur 24 heures et avec ça que 400 grammes de pain à manger au lieu de 700 grammes.

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 -

Le 8 Novembre : On se lève à 6H 30, on boit le jus, puis on sort toutes les affaires dehors pour faire prendre l'air, puis on se débarbouille et bat la couverture. Ensuite, je vais à la visite à 8H 30 et revient à 10H, aujourd'hui le major m'a ausculté et m'a trouvé du [broncus] sur le côté gauche, c'est à dire de la bronchite, donc encore des ventouses et des pilules de terpine et avec ça exempt de service. Le soir à 17H la section est de garde au poste de police à part deux copains qui restent avec moi au cantonnement.

Le 9 Novembre : On se lève à 6H 30, puis je retourne à la visite à 8H 30, le major m'ausculte et me trouve la même chose que la veille, alors même traitement "4 ventouses et pilules" et je suis exempt de service. L'après-midi, je nettoie un peu ma pièce pour me désennuyer. On casse la croûte, puis on discute un peu le coup comme d'habitude. A 20H 30, l'adjudant appelle le caporal Cognard et l'avertit que nous partons probablement cette nuit pour passer le Danube. C'est une sale affaire
Enfin à 0H 30, nous partons tout le 4ème baton, on prend le chemin des lignes. Nous arrivons au poste N°3, vers 3H, on est gelé, des pieds jusqu'à la tête, on poirote là 1H 1/2 en attendant que les bateaux Bulgares se placent pour nous embarquer, on monte sur 2 pontons placés de chaque côté du remorqueur. Puis on quitte le bord le plus tôt possible car il commence à faire jour, on va débarquer dans le milieu de la plaine qui fait face à Routschouk. Voilà le Danube passé, on prend chacun son matériel car les mulets sont restés de l'autre côté, alors forcés de porter tout à dos. On met pied à terre, puis le colonel marchant avec nous donne des ordres pour que le bataillon on se forme de suite en tirailleurs ainsi que le 6ème qui a passé avec nous, on prend illico les formations de combat. On a mis pied sur la terre Roumaine, exactement à 6H 50.

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 -

Le 10 Novembre : Aussitôt, tout le monde débarqué ce qui n'a pas demandé plus de trois minutes, le bateau repart de suite et les deux bataillons déployés partent en avant, nous autres le 4ème, nous marchons droit devant nous et le 6ème oblique complètement vers la droite pour cerner la ville de Giurgiu qui se trouve à 6km de là. Nous avons fait 100m que l'on entend le départ des canons sur la droite et voilà les 105 fusants qui éclatent au-dessus de nous, ça ne fait rien du tout, tout le monde continue de marcher tranquillement. Les boches raccourcissent leur tir pour enfin déboucher à zéro, mais comme les bataillons étant très dispersés, il n'y a personne de moucher. Les pièces qui nous tirent dessus se trouvent dans la ville, ils bombardent l'endroit où nous avons débarqué mais il est trop tard, il n'y reste plus personne. On avance par bonds successifs et la vraie guerre en rase campagne. Arrivés à la lisière du champ de joncs, on fait de suite des abris individuels, ça va vite car le terrain n'est que du sable. On met les pièces en batterie de suite et bien camouflée dans les joncs, ma section est de réserve au commandant, c'est encore mieux que d'être à l'avant malgré que nous ne sommes pas exempts de prendre des obus quand même sur la tirelire. Là, on reste jusqu'à midi, pour [que] les éclaireurs puissent prendre de l'avance et aller visiter le patelin qui se trouve en face. On profite de cet arrêt pour casser la croûte. A midi, on refait de l'avant et nous apprenons qu'il n'y a devant nous qu'un bataillon de territoriaux boches car les éclaireurs ont fait un prisonnier et il a été conduit au colonel pour être interrogé. Il y a avec ce bataillon de territoriaux, 3 batteries de 105 et de 77, alors ça, ça nous remonte le moral s'il n'y a que ça comme forces devant nous, il n'y a pas de mal, car moi-même j'avais bien peur que les boches soient en force et qu'ils nous repoussent au Danube et là, ça serait prisonnier ou noyé ce qui n'est pas intéressant. Enfin, on avance toujours avec le matériel sur le dos, on arrive au pied du village où il y a un petit fleuve à passer ("Ramadan" île et bras du Danube), et les Roumains, contents de voir les Français venir les délivrer, se mettent en devoir de passer tout le bataillon avec 2 barques à raison de 8 à 10 hommes à chaque fois. On arrive dans le patelin "Florica" où les premières lignes sont déjà passées, on est reçu par tous les paysans qui sont sortis, beaucoup de vieux veulent nous serrer la main à tout prix et on ne fait que ça pendant toute la traversée du village qu'à donner des poignées de mains. On arrête à la sortie du pays pour faire la pause, on forme les faisceaux puis on casse la croûte. On assiste à un mariage Roumain, les mariés et les invités se promènent bras dessus bras dessous avec un violoniste et un joueur de guitare, puis ils entrent tous dans la cour de la maison à côté où nous sommes arrêtés et ils dansent la danse du pays. On se rince l'œil un peu et tous les jeunes du pays sont autour de nous pour nous examiner des pieds jusqu'à la tête et nous faire comprendre par signes que les boches se replient en vitesse. La musique ne tarde pas à s'arrêter car les boches envoient une rafale de 105 au-dessus du village, tous les gens rentrent chez eux en vitesse et nous nous mettons à l'abri derrière les arbres, le bombardement dure environ 10 minutes puis se passe. Il n'y a personne de moucher à part un petit civil de 13 à 14 ans blessé dans les reins par un éclat d'obus, les infirmiers le pansent et le toubib donne des instructions aux parents pour le guérir. Vers 15H, nous repartons en avant dans les terres labourées et on a soin de se dissimuler le plus possible car depuis ce matin, il y a deux avions boches qui ne font que nous survoler. Notre artillerie tire dessus, mais hélas, c'est loin car les pièces sont en Bulgarie au bord du Danube et les avions en profitent pour mitrailler les troupes de l'arrière qui passe le Danube. On avance toujours nous sommes maintenant au milieu de la plaine et absolument rien pour se mettre à l'abri et les mitrailleuses boches tirent à ras de terre, les balles sifflent et blessent quelques poilus qui de suite partent vers l'arrière. On avance par bonds et aussitôt arrêtés, on s'aplatit comme il faut à terre pour se mettre la tête derrière les mottes de terre car les balles viennent se piquer en terre à 2 ou 3m de nous. C'est une chance que personne n'est mouché à la section. On reçoit l'ordre de faire demi-tour, il est 17H et la nuit commence à tomber. On retourne au pays pour passer la nuit, on couche sur le bord de la route où il y a encore une pièce en batterie, il n'y a pas moyen de dormir par le froid. Cette nuit, il n'y a eu aucun coup de canon, ni mitrailleuse, on a idée que les boches se replient encore pour nous attendre venir demain dans la journée. Enfin, arrive tout de même le matin, il est temps car je ne peux plus marcher tellement j'ai eu froid cette nuit car il a gelé. Enfin on se dégourdit les jambes, puis le commandant de Cie communique l'ordre de partir en avant.

Un Pistrien dans la Campagne d'Orient 1917-1919 - Giurgiu
Giurgiu

Le 11 Novembre : Nous continuons l'avance dans les terrains labourés, on en a vite marre car on ne peut pas marcher et on a tout le chargement sur les épaules, on arrive sur le bord de la route d'Alexandria à Giurgiu. Vers 9H, on trouve une petite maison où on rentre dans la cour pour faire la pause et être à l'abri de la vue et des avions. Là, le cdt de baton part avec la liaison sur la droite et nous restons les 2 sections de mitrailleuses, là avec les brancardiers et le canon de 37 ainsi que notre lieutenant, commandant de compagnie. On profite, que nous ayons une bonne pause, à faire le jus en vitesse, le paysan nous donne du bois et il y a de l'eau dans la cour, aussitôt fait on casse la croûte. Aujourd'hui, il fait un temps superbe et les avions boches en profitent bien pour se rincer l'œil, mais à leur passage nous rentrons tous dans les écuries et la maison ainsi que le matériel bien camouflé, puis on passe une grande partie de la journée à discuter le coup. Vers 11H, 3 jeunes gens s'adressent à notre lieutenant, ils sont officiers de l'Armée Roumaine et viennent nous apporter des renseignements au sujet de la retraite boche qui continue toujours. Ils font un plan pour repérer la batterie boche qui tire sur nos éclaireurs, ils sont très contents de nous avoir rencontrés car ils cherchaient à nous donner des renseignements. Le baton ennemi qui était ici est embarqué cette nuit dans des camions automobiles puis les batteries se sont repliées tout en combattant. Les 3 officiers dont un cause le Français, font tout ce qu'ils peuvent pour nous renseigner très justement, jusqu'à un paysan qui vient nous serrer la main en nous affirmant avoir coupé lui-même les lignes téléphoniques reliant les batteries boches. Il n'y a pas à dire, nous sommes bien en territoire ami et on peut avoir confiance. Enfin arrive 15H, on fait un quart de potage par homme, le lieutant prend une louche avec nous ainsi que le toubib, puis vers 15H 30, un agent de liaison du baton arrive communiquant l'ordre de se porter en avant et de rejoindre le commandant de bataillon du bataillon qui se trouve au village en face. Nous marchons toujours vers le Nord. Arrivés après bien des pauses au patelin, on trouve le capitaine, adjudant major qui nous attend avec toute la liaison pour aller à l'autre village plus loin, on nous promet qu'il n'y en a que pour ¾ d'heure, nous avons tous assez avec le matériel sur le dos. il fait déjà nuit, on fait une bonne pause puis on repart à travers champs conduits par deux agents de liaison, il fait si noir qu'il faut se suivre de bien près pour ne pas se perdre. Après ¾ heure de marche, la liaison s'aperçoit qu'il nous a perdu, alors ça ne va pas mieux. L'officier envoie deux agents devant avec un sifflet et un briquet et à l'aide de signaux on retrouve le chemin, on tombe sur une grande route longée par une voie ferrée, enfin, au bout d'une demi-heure de marche on arrive au fameux pays "Balanoaïa" que l'on traverse, on met en batterie de chaque côté [de] la route à la sortie du village. Puis l'adjudant appelle les paysans d'une maison qui se lèvent tout de suite et nous font coucher toute la section dans leur maison en nous donnant de la paille et tout ce qu'il faut pour se coucher. Ah! Que l'on va bien roupiller car on est tous complètement éreintés depuis hier matin que nous traînons le matériel à travers champs. On s'endort bien vite, on prend la garde à un par pièce, moi je prends le dernier.

L'armistice signé le 11 novembre ne va malheureusement pas arrêter les combats sur le front oriental ...
L'armistice signé le 11 novembre ne va malheureusement pas arrêter les combats sur le front oriental ...

Le 12 Novembre : Je me lève pour prendre la garde de 5 à 6H, puis au jour, on rentre les pièces dans la cour, là, les copains sont levés et ça discute fort sur l'armistice, car le poilu qui était de garde à 3H a vu les éclaireurs du colonel apportant l'ordre de ne plus tirer, mais à 3H du matin, les boches ont encore envoyé trois obus. Probablement qu'ils ne le savaient pas encore. Alors personne ne veut le croire, mais la joie règne partout car on n'entend plus aucun coup de canon ni aucun coup de fusil et le lieutenant vient nous affirmer que l'armistice est signé à partir de minuit. Quel bonheur, ça, c'est une journée dont on se souviendra longtemps. Là-dessus, on fait rebouillir le marc de la veille, puis on se tape un quart de jus pas bien fameux. On reçoit des ordres pour faire deux emplacements de pièces à la sortie du village, car nous devons rester là. Les deux cuisiniers de la section, nous font une soupe avec des choux que le paysan nous a donnés, car nous n'avons plus de ravito d'aujourd'hui. Enfin, vers 9H le chef arrive apportant le ravitaillement qui consiste en pain, viande, orge grillée et haricots. Comme l'armistice est signé, nous devons rester sur les positions en attendant les ordres, le soir on mange la soupe vers 17H et on se couche toujours dans la maison du paysan.

Sources

Les 1ère, 5ème à 8ème illustrations sont des cartes envoyées par mon grand-père, les autres ont été recueillies sur internet




Liliane Ebro