L’église Saint-Nicolas de Pont-Saint-Pierre
Les églises conservent souvent des objets remarquables du point de vue artistique, témoins de la vie des communautés ou des individus, mais restent souvent méconnues, parfois victimes de vol ou vandalisme. Elles appartiennent aux communes depuis 1905 et, quand leur intérêt historique ou artistique le justifie, peuvent être protégées au titre des Monuments Historiques. Depuis la Révolution de 1789, le mot patrimoine désigne un bien commun de la Nation, notion âprement défendue durant cette période par l’Abbé Grégoire, député à la Constituante et Alexandre Lenoir, qui déclara devant le Comité de Salut Public que toute détérioration est "acte de vandalisme des révolutionnaires". Ils contribuèrent ainsi à sauver une partie de ce patrimoine tout en gardant leur tête sur leurs épaules ...
L’âme d’un village était son église, on se repérait à son clocher, elle tenait le rôle de centre social, de la naissance à la mort, comme chez nous en ce 17 janvier 2024, quand plus de 260 personnes de tous horizons, croyants ou non, s'y sont retrouvés pour accompagner une jeune femme, enfant du pays et lui dire un dernier adieu ...
Pont Saint Pierre
Pont-Saint-Pierre était constitué avant 1809 de deux paroisses, dédiées à St Pierre et à St Nicolas, dépendant du diocèse de Rouen et relevant de l’abbaye de Lyre. L’église Saint Pierre, plus ancienne mais moins fréquentée, disparait en 1794, vendue comme bien national
Historique
L'église primitive, en bois, a-t-elle souffert dans l’incendie
de la paroisse perpétré par Henri Ier duc de Normandie et roi d’Angleterre en
1119 lors du conflit avec Eustache de Breteuil ? (voir bulletin n°12) La
reconstruction d'une église romane est mentionnée dans un manuscrit du XIIe
siècle de l’abbaye de Lyre comprenant un recueil des miracles de St Nicolas
rédigé par un moine du Bec Hellouin, fils du personnage central de cette réalisation,
qui nous apprend qu’un édifice en maçonnerie a remplacé une église construite
en bois, grâce au dévouement d’un habitant nommé Hugues, particulièrement dévot
à St Nicolas, qui demanda pour toute récompense à être inhumé sous le larmier
du toit devant la porte latérale de l’église, que l'on aperçoit encore au sud,
côté monument aux morts , sous forme d'une ancienne ouverture sur le mur
extérieur de la nef.
La porte primitive au sud |
Saint
Nicolas (270-345)
Evêque de Myre, en Lycie, d’après
la Légende dorée de Jacques de Voragine (XVème), il ressuscita des
enfants assassinés mis au saloir et sauva un navire dans la tempête. Une huile
miraculeuse suintait de son corps, placé dans l’église Saint-Nicolas de Myre.
Lorsque la ville fut tombée sous domination turque, des marins de Bari (Italie)
y firent une expédition en 1087 pour récupérer le corps et le placer à Bari. Ce
saint fut fêté partout en Europe le 6 décembre, ce qui peut suggérer une
antériorité des édifices placés sous son patronage. Santa Claus (abréviation de
Nicolaos), est l'équivalent du Père Noël .
L'orientation de l'église
L’extérieur
Au sud on trouve le monument aux morts, à l’emplacement de l’ancien cimetière, transféré en 1844 car les cercueils placés dans le sol gorgé d’eau rendaient l’environnement malsain. L’inhumation des corps dans l’église avait été abandonnée au XVIème siècle pour les mêmes raisons, excepté cependant pour certains notables.
Au nord se trouve l’ancien presbytère du XVIIIe siècle,
remis en état durant la période révolutionnaire, aujourd’hui demeure privée.
L’église est entourée des fossés de coutume qui alimentaient le "moulin de
l’église", et de deux routes.
Elle a la forme d’un tau, orientée d’est en ouest, orientation classique de la période romane (X/XIIe siècles), l’attente du soleil levant (Résurrection) étant un trait essentiel de la spiritualité chrétienne de l’Eglise primitive.
A l’est, le chevet, tête de l’église, est semi-circulaire, en trois parties correspondant aux absides des chapelles édifiées en 1846 et à l’abside principale. Chaque abside est percée de trois baies romanes en plein cintre. Les murs sont appareillés en moellons calcaires montés en épi de blé ou arêtes de poisson, technique normalisée dans des bâtiments du XIe siècle et plus rarement dans les constructions plus récentes sauf pour harmoniser, par exemple dans les chapelles du XIXe siècle de l'église.
A chaque abside, deux contreforts pilastres soutiennent les murs du chevet. Les corniches sont supportées par d’épais modillons qui se différencient des corbeaux par le fait qu’ils sont sculptés. Dans la partie centrale du chevet, l’appareillage des murs semble d’origine, la corniche en pierre est soutenue par des modillons sculptés de façon grossière. Ils représentent des têtes humaines accolées ou isolées, des mufles d’animaux, des oiseaux aux ailes déployées .Tout laisse à penser que cette construction est de la fin du XIe siècle.
Le corps de l’église
L'édifice est construit sur un plan allongé d’environ 40 m dont les élévations à travées sont en moellons calcaires et en pierres de taille appareillés en arêtes de poisson. Trois contreforts de chaque côté épaulent les murs gouttereau nord et sud. L’appareil des contreforts n'indique pas une époque antérieure à la fin du XIe siècle. On peut supposer que la carrière de Romilly, dépendant de la baronnie, a fourni l’essentiel des matériaux de construction.
Le mur sud est percé de six baies en plein cintre surmontées d’un linteau échancré en demi-cercle. Il comprend quatre baies identiques à celles du nord, une baie du XIIIe siècle subdivisée en deux lancettes surmontées d’un oculus et une baie du XV/XVIe siècle possédant à meneau avec tympan ouvragé. L’ensemble reçoit un toit en bâtière à long pan couvert en ardoise, plus les toitures des chapelles. En 1982, lors de travaux de couverture faits par l’entreprise Gallienne de Pont-Saint-Pierre, en pleine canicule, la charpente ancienne a dû être remise à niveau par la pose d’un double solivage, et à cette occasion Pierre, le père, a repéré le chevêtre de l’ancien clocher situé au milieu de la nef, comme sur la lithographie de l’église de 1821 et sa représentation sur un plan de la baronnie de 1731.
L’église en 1821 |
La tour-clocher
La tour de type néogothique à trois niveaux est prolongée
d’une flèche octogonale surmontée d’une croix et d’une girouette de modèle coq
gaulois. Sa hauteur est d'environ 45m. Au faîte sont positionnés quatre
clochetons. Les clochers en général, et celui-ci en particulier, sont le refuge
des pigeons, et les fientes et les brindilles sèches s’amoncèlent, pouvant être
à l’origine d’incendie. La commune y remédie : en 2022, trois bénévoles
nettoient le clocher pour préparer les travaux, et une entreprise de travaux
d’accès difficiles bouche les 48 orifices.
Les cloches
Le Comité de Salut public réquisitionne en 1793 les cloches pour fabriquer les canons et le plomb des clochers pour fabriquer des balles, en laissant une seule cloche par paroisse, pour le tocsin. Celle qui a survécu s’appelle Marie, fondue en 1517. Elle a un diamètre de 91cm, et pèse donc environ 300 kg et a été fondue au pied de l’église comme cela se faisait au Moyen-Age. Clotilde et Hélène viennent la rejoindre au XIXe siècle.
Au nord est accolée une petite tour polygonale desservant à partir du porche les différents niveaux d’accès au clocher. A ses côtés est fixée l’ancienne croix en fer forgé, de 5m sur 1,50m, de la cathédrale de Rouen. Elle surmontait la flèche de la cathédrale touchée par la foudre en 1822. Le tableau de Hyacinthe Langlois, de Pont-de-l’Arche, illustre bien l’ampleur de l’incendie. Cette croix, donnée par le diocèse de Rouen fut placée en 1847 au sommet de la flèche de l’église de Pont-Saint-Pierre, mais, trop lourde, elle déstabilisait l’ouvrage et fut enlevée.
Le blason d'Houdemare, tout en bas |
Le porche ou narthex
La Vierge du calvaire |
La nef romane
Vue d'ensemble de la nef à l'entrée |
Les boiseries murales
Les boiseries provenant en partie de l'abbaye de Fontaine-Guérard |
Les fonts baptismaux |
Au centre de la nef
La nef vue du chœur, avec l'orgue et son vitrail |
La clôture.
A l’extrémité de la nef des fidèles, au Moyen Age, la rupture est signifiée matériellement entre le laïque et le religieux par une clôture de pierre ou de bois que l’on appelle jubé, séparant le chœur de la nef. Le jubé se compose de trois éléments : la tribune, la clôture et la poutre de gloire, groupe sculpté de la Crucifixion. De la tribune le clerc lisait les évangiles et prêchait. Le concile de Trente au XVIe siècle n’a plus voulu de cette césure et aujourd’hui, la chaire a remplacé la tribune, mais une clôture en bois à deux vantaux subsiste.
Le chœur
Au-delà de la clôture on pénètre dans le chœur où trente-cinq stalles sont positionnées contre les murs. Ce mobilier était utilisé à l’abbaye par les religieuses pendant les longs moments passés à prier et assister aux offices. Ce sont des sièges individualisés formant des rangées continues de stalles basses et hautes, au-dessus des précédentes et surmontées par des baldaquins Chaque place est séparée par des parcloses surmontées d’accoudoirs. Ils permettent soit de s’asseoir, soit de se tenir debout avec la possibilité d’appuyer le séant sur une "miséricorde", parfois appelée "patience". Apparues au XIe siècle, elles sont ornées de sujets variés, d’une grande diversité, voire fantaisistes. Ce sont de véritables chefs-d'œuvre de sculpture : masques et bustes humains, feuillages, fruits…
Le retable
Mais ce qui retient l’attention arrivé à la croisée du
transept, c’est la somptueuse contretable de bois sculpté et partiellement doré
venue de Fontaine-Guérard, cachant la voute de l’abside principale du XIIe
siècle. Le retable est un large portail flanqué de chaque côté de deux colonnes
torses. Deux écus armoriés appartiennent aux abbesses Charlotte de Bigards de
la Londe et Marie-Madeleine Le Cordier du Troncq.
Le maitre-autel est en bois sculpté du XVIe siècle, comme le tabernacle. Il reçoit en façade un panneau représentant la scène du sacrifice d’Abraham. Au-dessus, la toile centrale représente l’Ascension, proche des œuvres de l’Ecole de Rouen du XVIIIe siècle. Au niveau de la toile, quatre grandes statues : Saint Nicolas, une Vierge à l’Enfant, Saint Jean-Baptiste et St Romain, évêque de Rouen, les unes en pierre supposées venir de l’église Saint-Pierre, datées du XVIe siècle, les autres en terre cuite datées du XVIIIe. Tout en haut, Dieu entouré d’anges et d’angelots. Enfin à la base des colonnes torsadées les quatre évangélistes. Près du retable, un aigle-lutrin du XVIIe siècle dont le pupitre repose sur un globe, et un fauteuil de célébrant, le nom du donateur inscrit au dos : baron d'Houdemare, bienfaiteur de l'église, dont le blason se trouve devant.
Côté nord, au-dessus des stalles se trouve une charité de St
Martin en bois taillé du XVIe siècle.
A côté, fixée contre le mur, une dalle funéraire du XIVe siècle représente le châtelain Bertaut de Radepont. Son visage est imberbe, encadré de cheveux mi- longs. Ses pieds foulent deux lions…
Les chapelles
Les travaux entrepris sous Louis Philippe (1830-1848) ont
permis une transformation importante de l’église sous la maitrise de
l’architecte Elie Courtonne, entouré de l’abbé Goujon et du baron d’Houdemare.
Deux chapelles accolées au chœur forment le transept, leur soubassement fait de
silex pour éviter les remontées d’humidité, surmontés de moellons de pierre de
Vernon. Pour y accéder, deux percements avec des linteaux en plein cintre ont
été créés, garnis d’un arc échancré en demi- cercle. On remarque une similitude
de motifs autour des parties supérieures des baies extérieures, ce qui peut
laisser à penser que les tableaux des dix baies semblables à l’extérieur ont
été remaniés à la même époque. Les chapelles sont dotées chacune d’abside,
copiée sur celle de la nef.
En 2024 la commune a fait refaire les murs des chapelles ouest, dont les éléments érodés sont remplacés par des pierres de taille de Vernon jointées par un mortier de chaux et de sable, mises en forme par
Saint Jean Baptiste |
La piétà de bois sculpté |
Elle est construite avec des fonds du baron, et on en accorde la concession à la famille d’Houdemare : la chapelle sera séparée par une grille en fer avec porte, ouverte aux visiteurs…
Sainte Rita
Aujourd’hui dans cette chapelle est vénérée sainte Rita (1381-1457), "avocate des causes désespérées", originaire d'Ombrie, en Italie, fêtée le 22 mai. L’abbé Hervé, qui lui vouait une grande vénération, connaissait bien les Descamps-Béghin, bienfaiteurs de son église, inhumés à Thumeries (59) où se trouve une chapelle Ste Rita.Celle de Pont Saint-Pierre est visitée par de nombreuses personnes venues de tous les horizons, pour demander de l’aide.
L’orgue.
L'orgue devant la verrière |
Verrière ouest.
L’ancienne verrière ne se mariait pas avec le nouvel instrument musical. L’Abbé Hervé connait François Décorchemont, illustre maitre-verrier de Conches en Ouche, où un musée lui est consacré qui a œuvré dans une trentaine d’églises de l’Eure (Igoville, Ménesqueville, Rosay sur Lieure, Lyons la Forêt…). Son œuvre se caractérise par un dessin épuré, des lignes simples, l’éclat, la transparence et la luminosité des couleurs. Il encadre dans la tribune le nouvel orgue par un vitrail apportant une féérie de couleurs au soleil couchant car la rosace ne bénéficie que de la lumière intérieure de la tour du clocher.
Les Vitraux de la Nef
Vitrail en dalles de verre |
Le chemin de Croix
Gabriel Loire dans son atelier |
L’éclairage
L’abbé ne s’arrête pas là, il fait appel au spécialiste de l’éclairage des œuvres d’art du musée du Louvre et de Notre Dame de Paris, la Maison Wendel, qui met en place un nouvel éclairage. "Féérie des vitraux, féérie de la statuaire et des boiseries…"déclare l’abbé. Il y a 60 ans cette aventure tient de la prouesse, grâce aux "sponsors" qu'étaient les familles d’Houdemare et Descamps-Béghin.
Côté sud. Les baies au-dessus des stalles sont les plus anciennes, et leur vitraux sont l'œuvre des maitres-verriers Duhamel-Marette, dont l'atelier ébroïcien fut l’un des principaux artisans du renouveau du vitrail dans la seconde moitié du XIXe siècle en Normandie et bien au- delà. On y voit St Pierre, à droite assis, reniant publiquement le Christ que l’on voit en arrière-plan, et à gauche à genoux devant le Christ, maintenant nimbé, donc pardonné. La baie du XIIIe siècle, début du style gothique, est composée de lancettes à meneau surmontée d’un médaillon ou oculus. On voit à gauche une scène historique de 1270, St Louis nimbé, assis dans un lit, communie devant Tunis de retour de croisade, juste avant de mourir de la peste. A droite, Jeanne d’Arc écoutant ses voix : l’archange St Michel, Ste Catherine et Ste Marguerite.
Saint Pierre reniant et pardonné |
Saint Louis et Jeanne d'Arc |
Côté nord. Le vitrail au-dessus des stalles représente le saint
patron de la paroisse, que l'on voit bénissant les enfants qu'il a arrachés au
saloir. Le dessin a été réalisé par le lithographe-imprimeur-graveur de Rouen
Antoine Sauveur Perruche. Il a été offert par une confrérie* de la paroisse qui
existait au XIXe siècle, dont le bâton de procession avec la statuette de St Nicolas
et les trois enfants, en bois sculpté et doré, se trouve à proximité.
Saint Nicolas |
Le bâton de charité |
*membres des confréries, ou
charités, qui existaient au Moyen-âge dans presque toutes les paroisses de
l’Eure, aujourd’hui quelques- unes subsistent. La confrérie est composée de
laïcs, les charitons, chargés à l'origine des funérailles des pauvres (voir bulletin n°4).
Les Vitraux de la Chapelle sud
Les plus significatifs, trois vitraux derrière l’autel, représentent des anges avec des attributs : croix, ciboire et clefs-livre et côté sud, St Jean et le ciboire, St Paul et l’épée, et St Pierre avec les clefs posés sur des piédestaux aux armoiries d’Houdemare. C'était la chapelle seigneuriale de St Pierre. Sur le mur nord le vitrail représente la Vierge de l’Apocalypse
La Croix de procession
Elle viendrait de l’église Saint-Sauveur, à Rouen. Elle est
réputée avoir été présentée à Jeanne d'Arc sur son bûcher le 30 mai 1431, par
une tradition orale qui semble solidement établie : Au milieu des guerres de
religion, elle aurait transité par Paris avant de rejoindre l'abbaye de
Fontaine-Guérard.
Pour éviter un vol, elle se trouve aujourd'hui à l’abri, mais sa place devrait être dans l'église quand celle-ci sera équipée d’un système de surveillance, afin qu’elle soit visible par tous. Les richesses de l'église justifient d'ailleurs amplement l'installation de protection contre le vol et l’incendie.
En conclusion
Ces lignes font la part belle aux maitres d’ouvrage et
maitres d’œuvre, mais on ne peut passer sous silence les artisans :
tailleurs de pierre, charpentiers, terrassiers, maçons, plombiers, couvreurs
etc.
C’est cette fructueuse collaboration qui fait dire à Victor
Hugo dans Notre Dame de Paris : " l’homme, l’artiste,
l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom d’auteur, l’intelligence
humaine s’y résume et s’y totalise. Le temps est l’architecte, le peuple est le
maçon".
Merci à : Pierre et son fils Jean-Pierre, Philippe, Colette, Claude, Valérie, Robert, Lucien, Albéric, Marcel, Michel, Jean-Claude, Bernadette, Evelyne, Jean-Luc…, tous ces bénévoles sans qui cette église ne serait pas ce qu’elle est.
Sources
- P.Duchemin La baronnie de Pont-St-Pierre. Gisors 1894
- Dubuisson d'Aubenay par L.Régnier
- Annuaire de l'Association normande de 1909
- revue Confluences( AMSE) juin 1992