4 janvier 2025

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire - château de Pont St Pierre

Pont-Saint-Pierre
de la Révolution au Second Empire

Depuis 1407, la baronnie appartenait à la riche famille normande des Roncherolles. Elle est rachetée en 1768 par Antoine Pierre Thomas Louis Caillot de Coqueraumont, président de la Cour de comptes de Rouen. (voir bulletin numéro 12), qui meurt en 1793. Son fils étant émigré, on confisque ses biens de La Neuville-Chant-d'Oisel , Calleville, Douville, Pont-Saint-Pierre, Romilly, qui occupent une soixantaine de tenanciers, avec deux moulins à blé, trois à foulon, près de la moitié de la forêt de Longboël, les droits de passage sur l’Andelle, sur le marché de Pont-Saint-Pierre, etc.

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire - château de Pont St Pierre
 

Saint-Pierre et Saint-Nicolas

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire - hotel particulier du baron de Coqueraumont à Rouen rue Beffroy

Le baron de Coqueraumont a laissé à Rouen son hotel particulier rue Beffroy. Très riche et très influent, il est aussi très réactionnaire, si l'on en juge par la position qu'il prend à l'assemblée de baillage pour la préparation des Etats généraux : il fait partie de la fraction des nobles obtus qui refusent le doublement du Tiers en croyant pouvoir conserver leurs privileges, mais ne feront que précipiter la Révolution...

Situé sur la rive gauche de l'Andelle, Saint-Pierre est relié à Saint-Nicolas par un pont de pierre. Le village s’est formé sous le Castelier, tandis que Saint-Nicolas, qui a le statut de bourg, est le centre de la baronnie, avec son château, les bâtiments, fermes et prairies, et le marché, élément-clé de son économie. On trouve 64 chefs de famille soumis à la taille  à Saint-Pierre de Pont-Saint-Pierre et 44 à Saint-Nicolas, ce qui fait 473 habitants sur les deux paroisses, dont un grand nombre, d'après les autorités municipales lors d’une enquête, sont « hors d'état de subsister ».Il y a environ 10 % seulement d'agriculteurs, 25 % de marchands, 26 % d'artisans et ouvriers, près d'un tiers de journaliers.


La crise de 1788-89

S’ajoutant à la crise économique due au traité de libre-échange de 1786 avec l'Angleterre, les récoltes de 1788 ont été faibles, les prix flambent et l'hiver 1788-89 est rigoureux. Des troubles de subsistances éclatent en février sur la halle : « une grande foule des deux sexes » exige que le sac de blé soit vendu 30 livres au lieu de 36, et obtient dans un premier temps satisfaction, le procureur fiscal distribuant même un boisseau de grains par personne pour rétablir le calme. À la suite de cela, des manifestants viendront faire des perquisitions chez les gros laboureurs pour exiger le grain au même prix qu'au marché.

 

Les cahiers de doléances

La banqueroute menaçant, Louis XVI doit se résoudre à réunir les Etats généraux pour faire voter de nouveaux impôts. En retour il organise une vaste enquête auprès de ses sujets. En mars 1789 ont lieu les réunions destinées à la rédaction de cahiers de doléances et à l'élection de représentants. À Saint-Nicolas, ce sont essentiellement les notables qui se réunissent : marchands, gros fermiers, l'huissier, le notaire, le sergent ; aucun journalier n'est présent. Les revendications portées dans le cahier sont en gros conformes à celles du Tiers-état : égalité devant l'impôt, suppression de la gabelle, des aides, de la corvée, plainte contre la justice trop coûteuse et trop lente, contrôle du prix du grain et de l'approvisionnement du marché de Pont-Saint-Pierre, établissement de "grenier à grain"

Les deux paroisses s'inquiètent particulièrement du délabrement des ponts et évoque la nécessité de construire des aqueducs, d'améliorer les routes et chemins "dont l'état désastreux provoque des accidents graves et nombreux et rend impraticables à cause des ravines les communications".

Plaintes aussi contre l'arrivée de machines textiles venant d'Angleterre, permise par le traité de libre-échange 1786. A Saint-Pierre on se plaint des « communautés de religieux et religieuses qui quoiqu'en petit nombre jouissent de très grands revenus », on demande un maître d'école « pour l'éducation de la jeunesse qui croupit dans l'ignorance » (il n'y avait alors qu'une école dans le bourg de Saint-Nicolas, et elle est payante)

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire - Recueil de doléances dans un petit bourg
Recueil de doléances dans un petit bourg

A Saint-Nicolas, ce sont Lecocq, le syndic*, sergent de la baronnie, et le notaire royal, Monchrétien, qui rédigent un très long cahier à l'issue de la première réunion, qu'ils font approuver la semaine suivante. L’accent y est plutôt porté sur les impôts royaux et la mauvaise administration de la forêt royale que sur les droits du baron... ils insistent en particulier sur l'interdiction de tenir des marchés dans d'autres villages que Pont-Saint-Pierre, ce qui va tout à fait dans le sens des revendications du baron (voir bulletin numéro 12). Le cahier demande la réunion régulière des Etats généraux "pour le bien de la nation" mais ne se prononce pas sur le vote par tête ou par ordre, qui est pourtant un enjeu essentiel pour le tiers état (tous ceux qui ne sont ni nobles ni ecclésiastiques)..

*  équivalent au maire actuel, il est élu par les chefs de famille de la paroisse et chargé de la représenter

Les deux paroisses réunies enverront comme députés aux assemblées électorales des paroisses un laboureur, un marchand, un notaire, un sergent, et le sergent à l'assemblée du baillage.

 

Troubles de subsistances

En juillet, août et septembre, des "troubles" éclatent au marché de Pont-Saint-Pierre contre un des gros laboureurs de Romilly que l'on accuse de n'avoir pas apporté de blé alors "qu’il en avait une quantité considérable" (c'est la figure bien connue de l'accapareur responsable de la disette). A nouveau, pour tenter de maintenir le calme, le lieutenant de Haute justice organise une perquisition, et l’on découvre effectivement dans ses granges du blé battu et 200 gerbes de blés non battu. La fois suivante le lieutenant interviendra pour faire baisser le prix du pain chez les boulangers du bourg, puisque le prix du blé a baissé à Rouen et dans le voisinage. En septembre, c'est le baron lui-même qui annonce que pour encourager les laboureurs à porter leur grain au marché, il renonce à la perception de ses droits de coutume, sauf le droit de pesage, jusqu'à la Saint-Michel. Mesure qui pouvait paraître généreuse, si l’on ignorait que lors de la fameuse nuit du 4 août, l'Assemblée avait déjà proclamé l'abolition des droits féodaux …

 

Nouvelle organisation

Dans le cadre de la création des départements et des nouvelles délimitations, le canton de Saint-Nicolas de Pont-Saint-Pierre qui comprenait 35 paroisses sera limité à 15, Pîtres étant rattaché au canton de Pont-de-l'Arche et La Neuville-Chant-d'Oisel à Franqueville. Les deux municipalités de Saint-Nicolas et Saint-Pierre qui demandaient alors déjà la fusion se la voient refuser, nous ne savons pourquoi.

Aux élections de 1790, les notables se maintiennent, et le notaire Monchrétien, élu maire, va contraindre les fermiers (percepteurs) du baron à cesser de lever les droits seigneuriaux abolis, mais le baron semble avoir réussi à continuer à les percevoir jusqu'en 1793.

En février 1791, le curé accepte de prêter serment à la constitution civile du clergé, allant donc contre l’interdiction de la papauté.

Les pouvoirs locaux 

En 1790, pour être électeur, il faut payer un impôt d’au moins trois journées de travail (soit environ 3 livres), et d’au moins dix pour être éligible. Les électeurs ne sont donc pas nombreux dans les petites communes, et ne sont élus que des gens aisés.

Les membres du conseil sont divisés en deux échelons : les notables et les officiers (=conseillers) municipaux. Le maire est, en principe, élu pour deux ans, comme le procureur, chargé de requérir l’exécution des lois. Cette organisation fonctionnera jusqu’en 1795, mais après Thermidor (chute de Robespierre), on enlève leur influence aux municipalités en les regroupant : la commune élit un agent municipal qui participe à la municipalité cantonale, dont le président est élu par l’ensemble des hommes du canton.

Conformément à la loi de vente des biens de la noblesse et de l'Eglise devenus biens nationaux, l'abbaye de Fontaine-Guérard est mise en vente, ce qui va donner lieu à des incidents lors de l'évacuation des lieux, et à des partages illicites, abattage de bois, vandalisme, vols. Début 1793 la municipalité de Saint-Nicolas obtient l'installation des stalles de l'abbaye dans l'église.

La ferme du Cardonnet (57 ha) est finalement acquise en 1792 par un marchand quincaillier de Paris, tandis que le moulin et ses dépendances sont achetés par l'architecte rouennais Guéroult, l'abbatiale et ses dépendances par un marchand de bois de Pîtres, Gaudoit. Il ne reste donc que très peu de biens qui aboutissent dans les mains de la bourgeoisie locale.

Les bois de la forêt de Longboël appartenant à l'abbaye vont aussi être achetés par des marchands de Rouen, Louviers, Pont-de-l'Arche, échappant aussi aux marchands de la vallée.

C'est avec la vente de Fontaine-Guérard à Guéroult que commence l'installation de ce qui deviendra la grande usine Levavasseur (voir bulletin numéro 7)

 

L’engagement dans la Révolution

En juin 1791, à l'annonce de la fuite du roi (Varennes), le procureur du bourg de Saint-Nicolas va réclamer des armes à Louviers, de concert avec Douville, Romilly et Pîtres. On leur accorde 52 fusils pour le canton.

En 1795, le château est mis à la disposition de la municipalité comme magasin de salpêtre, destiné à fabriquer la poudre que les guerres consomment en grandes quantités,  pour lequel il faut un vaste bâtiment couvert (à Romilly, ce sera l'église).

L'absence de documents ne permet pas d'en dire plus mais on peut penser, au regard des conflits qui agitent Radepont et Romilly que Pont-Saint-Pierre a dû en avoir sa part.

 

Le Directoire

C'est toujours la question des subsistances qui prime. Les séances de l'assemblée du canton à Pont-Saint-Pierre sont souvent interrompues par des femmes venues réclamer du pain, ce qui contraint pour l’éviter à des séances dites extraordinaires ou secrètes.

Dans l'ensemble le nombre de participants est faible, sept en moyenne, alors que le canton comporte 15 communes, mais il faut faire la part des problèmes de transport et des contraintes de l'agriculture.

Le problème majeur est d'assurer l'approvisionnement de la halle, et on menace les cultivateurs de poursuites en cas de retard de livraison, on dénonce les meuniers qui vendent de la farine "mélangée" et on continue à fixer le prix du quintal de blé. On devra même organiser une distribution "d'une livre de blé par tête pendant sept jours", on invitera "tous les gens aisés à ne plus concourir au partage du blé dans les halles". Ce recours aux pratiques jacobines des années précédentes s'explique surtout par la peur de désordre et de soulèvements.

 

Efforts économiques

Le délabrement des ponts, pour lequel on met en cause le flottage du bois*, pose un réel problème pour l'approvisionnement du marché, et on signale régulièrement par ailleurs l'urgence qu'il y a à réparer le pont sur le Barbeau, d'autant plus qu'en 1794 avait été prise la décision d'organiser deux foires annuelles, le 3 juillet (29 juin) et le 6 décembre.

* le bois coupé en forêt de Longboël ou de Lyons est jeté dans l'Andelle et récupéré à Pîtres pour être embarqué sur la Seine vers Rouen ou Paris

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire - L'Andelle vue du pont de pierre
L'Andelle vue du pont de pierre

Un autre problème est posé par les bras de l’Andelle qui traversent le parc du château et provoquent des inondations, mais le baron d’Houdemare fait la sourde oreille tant qu'on ne lui impose pas de curer ses fossés et d’installer des écluses.

L'état des routes est désastreux dans la vallée, comme dans la France entière, c'est pourquoi une taxe sur le passage est créée pour permettre leur réfection, très mal perçue, d'autant plus qu'elle rappelle les droits de l'Ancien régime. On tente aussi de remettre de l'ordre dans la gestion des forêts, qui sont devenues, avec parfois la complicité des gardes forestiers, l'objet d'un pillage généralisé où et tout le monde vient plus ou moins se servir On dit que les gains des bûcherons sont tels "qu'ils peuvent travailler à leur compte une journée par semaine". Une politique est mise en place pour pousser à planter des arbres : hêtres, chênes, ormes, mélèzes, mûriers, et "arbres étrangers". Un effort est fait pour l'agriculture et une société libre d'agriculture est créée dans le canton.

Mais ce qui sur le plan économique et social change la figure du canton, ce sont d'un côté les fonderies de cuivre de Romilly et de l'autre la filature de Fontaine Guérard.

 

La question religieuse, les fêtes

Le nouveau calendrier crée des conflits. En vendémiaire an VII, les curés de Pont-Saint-Pierre, Douville, comme celui de Pîtres déclarent qu'ils se réservent le droit de célébrer leur culte le dimanche "au nom de la liberté", c'est-à-dire en invoquant les valeurs même de la Révolution. Face à cela l'administration du canton suit une sage politique de compromis. On cherche la concorde, contre la royauté (qui n'existe plus) et dans la célébration des victoires de l'armée française, permettant des scènes de réjouissances populaires. Ces fêtes donnent en général lieu à un grand déploiement de cérémonial : on décore l’autel de la Patrie, on installe des gradins, etc. On instaure aussi la fête des époux, des vieillards, de la jeunesse, de l'agriculture, si bien que petit à petit on sent monter une sorte de fatigue, voire d'indifférence…

Le 10 août 1798 et 26 août 1799 on vend l’église Saint Pierre et son cimetière, ce qui aurait dû accélérer l'unification…

 

L’école

En revanche, la question de l'école semble réellement mobiliser les habitants, qui entre Germinal et Thermidor an IV font quatre pétitions pour qu'on leur octroie un local pour la classe et un logement pour l'instituteur : on commence par proposer le cellier, puis l'écurie du presbytère, mais un arrêté départemental impose « un local salubre et répondant à la dignité que l'on doit donner aux écoles » et enfin on leur attribue tout l'ancien presbytère. Le 12 mars 1795 est établie une école primaire, qui est aussi celle du canton.

On voit que la Révolution a pris au sérieux les problèmes de l'enseignement, dans le prolongement des Lumières.

 

Un passé qui ne passe pas...

Le Commissaire cantonal* nommé en décembre 1795, est un riche propriétaire, De la Follie, acquéreur de l'abbaye de Bonport. En avril 1796, l'assemblée cantonale demande sa destitution car il ne réside pas dans le canton, mais celui-ci la fait annuler par le directeur du département qui pourtant vient de nommer pour le remplacer un nouveau commissaire, Charles Louis Leclerc, chirurgien, né à Pont-Saint-Pierre d'une vieille famille de marchands, connu pour ses opinions révolutionnaires : à Ecouis, il avait été procureur puis agent national, créant la "Société populaire des vrais républicains et francs sans-culottes ", affiliée au club des Jacobins. Arrêté comme "terroriste" après Thermidor, il avait été amnistié, mais quand on apprend sa nomination à Pont-Saint-Pierre, on se déchaîne. Il est accusé d’être responsable de nombreuses arrestations, de "vol de cloches", "d'une conduite atroce et indigne", et en résumé d'avoir été "l'un des principaux agents de Robespierre". L'assemblée menace de ne plus siéger si ce "jacobin" est nommé commissaire. Il tente de se justifier en invoquant son amnistie, mais De la Follie se maintient "à titre provisoire", bénéficiant d'appuis au niveau départemental et national..

Pourtant, aux élections de 1797, Leclerc est élu, et en janvier 1798, sous son initiative, on crée à Pont-Saint-Pierre un Cercle constitutionnel, sous les applaudissements des membres de l'assemblée qui lui attribuent immédiatement un local pour ses réunions. Les premiers membres, tous de Pont-Saint-Pierre, sont des artisans, puis on voit arriver Laîné, membre de la municipalité de 1793 à Romilly et directeur de la fonderie de cuivre.

* il représente l'Etat au niveau du canton, un peu comme le Préfet au niveau du département.

 

Le Consulat et l'Empire

Le coup d'état du 18 brumaire (9 novembre 1799) ne laisse guère de traces à Pont-Saint-Pierre ni d'ailleurs dans la vallée de l'Andelle, mais en septembre 1801 Pont-Saint-Pierre perd son titre de chef-lieu de canton (trop de jacobinisme ?)

Pendant plus d'une vingtaine d'années nous ne saurons pas ce qui se passe à Pont-Saint-Pierre, sous le Consulat et l'Empire, puisque le premier registre conservé du conseil municipal date de 1822. Mais si l'on se fie à ce que l'on trouve dans les registres de Pîtres et Romilly, peut-être n'y aurions-nous pas trouvé grand-chose, en dehors de la routine, dont font partie les nombreuses demandes exemptions face à l’enrôlement de plus en plus d'hommes pour les armées napoléoniennes. La liste des médaillés de Sainte-Hélène, établie en 1857 pour récompenser les anciens combattants des guerres de la Révolution et de l’Empire comporte 7 noms à Pont-Saint-Pierre , et on peut supposer que le nombre de survivants en 1857 ne représente qu'une fraction de ceux qui sont partis et sont morts au combat, ou bien sont rentrés mais morts depuis de vieillesse.

 

Retour partiel à l’ordre ancien

En 1815, sous la Restauration (Louis XVIII) Caillot de Coqueraumont fils, rentré d’émigration et son beau-frère le baron d’Houdemare, maire de Vandrimare, récupèrent leurs biens, se plaignent de dégradations, et rachètent les grands domaines forestiers du Chapitre de Rouen (117 ha sur la commune de Douville) tandis que le manufacturier Guéroult acquiert ceux qui sont situés sur le territoire de Saint-Nicolas.

 


Premier registre du  conseil municipal : 1822-52

Pont-Saint-Pierre de la Révolution au Second Empire - Congé d'un forçat 1809

Quelques documents sont placés, sans doute depuis deux siècles, entre la couverture et la première page du registre. L'un d'entre eux se révélera intéressant : le congé de forçat d’un dénommé Nicolas Papillon, 54 ans, délivré au port de Brest en 1809… nous y reviendrons.

La première séance dont nous avons le compte-rendu est datée du 10 mars 1822, et le maire est, sans surprise ... le baron d’Houdemare.

On y parle de l’urgence de restaurer le pont, 2797 francs de devis. C'est une question qui sera périodiquement évoquée, avec l'état des chemins, et on comprend que Pont-Saint-Pierre s'en préoccupe puisque son marché reste la source principale des recettes : la place se loue 0,10 franc le mètre carré et une vache ou un cheval occupe 1,5 m², ce à quoi il faut ajouter le droit de mesurage, le tout multiplié par deux les jours de foire. Mais il faut entretenir : ainsi en 1830, on considère qu'il est urgent d'exhausser et paver la place du marché "première source de revenu"

De ce fait, on trouve par exemple en 1822 un budget prévisionnel de 4492 fr. de recettes et 1055 fr. de dépenses, un vrai rêve de trésorier, mais qui reste quand même exceptionnel.

 

La Révolution de juillet

La Révolution de 1830 qui amène Louis-Philippe, le "roi bourgeois" au pouvoir ne se remarque guère, sinon par un abonnement au journal officiel des Gardes nationales et les serments qui sont maintenant prêtés "au roi des Français et à la Chartre", mais Houdemare reste maire, après une brève destitution dans la ferveur de la Révolution.

Les années suivantes se succéderont régulièrement les hommages à rendre aux journées de Juillet : messe, drapeaux, détachement de la garde nationale, distribution de pain aux indigents, et de poudre à la garde nationale

En 1831, le chef-lieu de justice est transféré à Fleury-sur-Andelle.

 

Le progrès : Poste, éclairage public, pompiers, etc.

- On assiste à la naissance de services de courrier réguliers, et on choisit Pont-de-l'Arche pour recevoir la correspondance, mais en 1835 on demande un bureau de distribution sur place pour éviter les retards, "préjudiciables à l’activité économique" mais il faudra pour cela attendre 1865.

- Dès 1825, trois réverbères sont prévus du fait des "nouveaux établissements", et on en ajoute trois autres, puis deux autres, peu après.

- En 1834, on autorise le détournement du fossé de coutume longeant le cimetière, qui se trouvait près de l’église, pour implanter une usine (c'est-à-dire un moulin), dont le propriétaire se  nomme Mary dit la Rose

- En 1835, on crée une compagnie de sapeurs-pompiers,

- En 1836, on reçoit la présentation d'un brevet par un premier maître de poste, Stanislas Valentin Hébert, puis ceux des postillons, et deux ans plus tard celui d’un Charles Victor Lemoine qui s'engage à entretenir le nombre de chevaux déterminés par l'administration des postes et résider sur place. Sans doute le premier n'avait pu donner satisfaction.

On considère alors que l'entrée du bourg reste impraticable malgré les apports de cailloux et on entreprend une étude pour le détournement du ravin, avec demande de fonds. Cela est d'autant plus important que l'on demande la création de deux nouvelles foires, les premiers samedi de mars et septembre.

 

Le cimetière

En 1844, alors qu’un mur de plus de 60 mètres avait été préalablement réalisé, on décide le transfert du cimetière sur la côte de Quevrue car "les cercueils sont généralement placés dans l'eau, ce qui est malsain".

 

Eviter la concurrence

L'essor économique est réel, mais la concurrence est rude, et périodiquement, le conseil est appelé à donner un avis sur des créations de marché ou de foire. La réponse est écrite d'avance : dans un rayon de moins d'une dizaine de kilomètres, avis défavorable ! et pour le reste avis favorable puisque cela ne peut pas être "préjudiciable" au marché local.

Lorsqu'il s'agit de se prononcer sur une demande de transfert du chef-lieu de justice de paix d’Ecouis à Fleury, on vote, malgré les protestations d’Ecouis, pour Fleury, avec trois pages d'arguments évoquant l’ "amour du val natal", contre l’ "égoïsme" d’Ecouis. On retrouve là l'opposition entre une vallée aux sols pauvres et les riches plateaux du Vexin, qui s'est exacerbée avec les crises de subsistances sous la Révolution.

Les conseils municipaux ont lieu en général le dimanche, en fin de matinée avec parfois prolongation l'après-midi, en moyenne quatre fois par an. On y assiste régulièrement à l'installation de conseiller, et aux prestations de serment au pouvoir en place

 

Santé publique

En 1832, on voit mentionner une des dernières grandes épidémies de choléra en France, par la création d’un fonds pour les besoins des "cholériques".

On signale aussi que le chien du boulanger a été tué par les habitants d'une commune voisine, car il était enragé et a mordu, et on décide alors que les chiens seront enfermés, et les chiens errants abattus.

 

Ecole, l’effet Papillon…

Il y a depuis la Révolution un instituteur disposant d’une indemnité de logement et d’un salaire, en plus de ce que paient les élèves selon le niveau, et même depuis 1834 une institutrice pour les filles, sous l'égide d'un comité de surveillance de l'instruction publique, dont le secrétaire est Lancelevée, propriétaire de plusieurs moulins à foulon dans la vallée.

En 1834, un certain Simon Papillon est présenté comme candidat instituteur. Tout laisse à  penser qu'il s'agit du fils du forçat dont nous avons parlé, car cela suscite des remous dont atteste le conseil qui déclare qu'il faut "faire cesser l'indivision qui règne dans la commune à cet égard et arrêter la marche illégale des pétitions qui s'y promènent journellement se couvrant de signatures la plupart insignifiantes" (la formule s’en prend à la lisibilité de signatures tracées par des illettrés).

Papillon doit être néanmoins un bon instituteur, puisqu'en 1843 on prévoit trois classes supplémentaires, qu'en 1849 il demande le transfert de l'école vers une maison qu’il a nouvellement acquise quartier Saint Nicolas, et que c'est d'accord, on paiera le loyer.

La construction d'une véritable école aura lieu en 1862, intégrée à la mairie.

 

Le cadastre

On sait que sous le Consulat et l'Empire commence l'établissement d'un cadastre national qui ne sera achevé que vers 1850, c'est pourquoi on l'appelle souvent "napoléonien" C'est en 1835 que les travaux commencent à Pont-Saint-Pierre, prévoyant de multiples absorptions d’enclaves par la commune (village de Douville, le champ Bernière, etc.) et fixant les délimitations avec Romilly et Amfreville. On demande même la réunion pure et simple de Douville, et on réfute les prétentions de La Neuville-Chant-d'Oisel  qui revendique une partie de la forêt de Longboël, arguant que Pont Saint-Pierre paie sur celle-ci des impôts depuis 1790, en même temps que Pîtres et Romilly.

 

Coup de pied de l’âne pour Douville

En 1843, le conseil émet un avis défavorable pour l'institution d'un prêtre desservant à Douville, "qui consisterait à faire peser les charges sur l'Etat du traitement de son desservant, car Douville n'a que 260 âmes et non 375, une population en partie nomade où on a inclus Calleville, n'est éloigné de Pont-Saint-Pierre que de seulement un kilomètre…. on comprend bien que la petite commune de Douville soit flattée d'avoir un desservant, par la raison que tout hameau veut devenir grande ville, mais que ce motif ne peut être d'aucun poids pour déterminer l'autorité suprême à grever l'État d'une nouvelle charge, surtout à un moment où le gouvernement cherche à diminuer les impôts". On est heureux de faire la leçon à Douville qui avait refusé une proposition de fusion !

 

Conflits avec le baron maire

En 1834 avait commencé un conflit entre le maire, le baron d’Houdemare, et le conseil*, concernant les propriétés du baron qui semble s'approprier, ou se réapproprier des terrains, supprimer des sentes qui reliaient la Neuville et Boos au moulin à blé de Bacqueville.

* depuis le Consulat, les maires sont nommés, et ne seront définitivement élus par le conseil municipal qu'avec la IIIème République, si l'on excepte la brève période de la Seconde République, de 1848 à 1851

Une enquête est menée pour le contrer :

- Question : le public a-t-il passé de temps immémorial sur les sentes de-Fontaine Guérard à Douville, Douville à Pont-Saint-Pierre par la "ruellette" et Pont-Saint-Pierre à Fontaine Guérard par la "ruelle ou ruellette" ?

- Réponse : oui, parfois à travers haies, jusqu'à ce que Houdemare pose une grille.

Le conflit concerne aussi la côte de Quevrue et les halles, construites par le baron sur un terrain communal. On prévoit de lui acheter le bâtiment des halles en 1844, mais une divergence sur le prix (4400 fr. contre 7300) bloque l’opération. La commune maintient son prix et menace alors le maire d'expropriation.

 

Dissolution du conseil

En Février 1847, un autre conflit a lieu concernant la liste des électeurs, pour laquelle Houdemare dit avoir oublié et donne de vagues explications.

Réponse très sèche du conseil : "on a fait observer à M. le maire que s'il avait procédé comme le veut la loi, cela ne serait pas arrivé et qu'en conséquence sa réponse était bien loin de lui servir d'exemple. Le conseil a déclaré qu'il voyait avec inquiétude l'obligation où il était de rappeler continuellement M. le maire à ses devoirs". On ne saurait suggérer plus clairement que le maire est gâteux....

En mars, on constate que la liste électorale de 88 électeurs correspond à une population de 871 habitants, mais que d'après le dernier recensement il n'y a que 810 habitants, et qu'il faut donc la restreindre à 80.

Une page et demie est alors entièrement rayée, ligne par ligne, où on devine les blâmes, la critique faite au maire pour son "refus de concours", et la phrase "qu’il lui est par conséquent impossible de diriger les affaires de la commune".

Mais un arrêté du Préfet annule la délibération et ordonne de la biffer car elle est illégale, ce n'était pas l'ordre du jour… trois conseillers seulement signent ce jour-là.

Et le 4 mai, Louis-Philippe, roi des Français, s'en mêle ! Par ordonnance royale il dissout  le conseil municipal et annonce que le Préfet convoquera les électeurs communaux, "à l'effet de nommer un nouveau conseil municipal". Houdemare a gagné, provisoirement...

 

La Révolution de 1848

Rappelons qu'elle a lieu en février et chasse définitivement les rois (en l'espèce Louis-Philippe) du pouvoir en France. A Pont-Saint-Pierre, le baron est remplacé par une commission composée de trois membres du conseil : Letourneur, Lecouturier et Mignot, soit un notaire, un entrepreneur et un propriétaire, trois notables. Le baron est d'ailleurs présent lors de la réunion qui le destitue.

Début juin on demande la création d'un conseil de prud'hommes pour les ouvriers du textile. Le conseil est d'accord à  condition qu'il soit installé à  Pont-Saint-Pierre qui est plus central que Fleury, et on propose pour les filatures et les foulons une représentation paritaire: un ouvrier et un patron.

On reçoit une circulaire du préfet répercutant une décision de l'Assemblée nationale "pour créer du travail à la classe ouvrière"

Tout semblerait se passer harmonieusement si l'on ignorait qu'à la fin du mois de juin, à Paris, une révolte des ouvriers contre la fermeture des Ateliers nationaux qui donnaient du travail aux chômeurs fait plusieurs milliers de morts, et sa répression fait fin à l'utopie révolutionnaire de février. D'ailleurs, au mois d'août, la prochaine réunion du conseil a lieu dans la propre maison du baron d'Houdemare...

En novembre, on distribue 200 kg de pain pour les pauvres et des réjouissances publiques sont organisées pour fêter la promulgation de la Constitution de la République : bal gratuit, illuminations…

 

Nous sommes bons …

La tempête passée, on fait le compte de la pauvreté, on dresse un état de la mendicité : nombre d'indigents (ils sont 9), composés de vieux, de chômeurs, et d'un "mendiant d'habitude, valide, à  qui il ne manque que la volonté de travailler", et on note alors que face à cela, "les habitants aisés et le baron d'Houdemare, considéré à juste titre comme le bienfaiteur du pauvre ont été au-devant du devoir que l'humanité impose". En matière de compliments, on n'est jamais si bien servi que par soi-même..

Mais la charité a ses limites et les hors commune seront considérés comme vagabonds…

Pour donner du travail, on décide que les réparations de voirie peuvent être confiées aux ouvriers qui n'en ont pas, alors que l'agent voyer d'arrondissement propose d'embaucher un cantonnier communal pendant 4 mois.

 

...mais nous restons vigilants !

En 1851, le conseil insiste pour conserver un corps de cavalerie de la Garde nationale, constitué de vingt hommes, faisant constater qu' il a "rendu service" notamment en 1848 "lors des émeutes et des rassemblements d'ouvriers qui ont eu lieu à  cette époque dans la vallée d’Andelle"* un peloton de cavalerie de 25 hommes est "utile et même indispensable dans la vallée d'Andelle à  cause des services qu'il peut être éventuellement appelé à  rendre dans le canton de Fleury-sur-Andelle en raison de la grande quantité d'ouvriers existant dans cette vallée industrielle"

* voir notre n°8, "Troubles dans la vallée de l'Andelle

 

Réparation des chemins

A ce propos, on décide de réclamer des subventions spéciales pour "dégradation habituelle des chemins vicinaux" à : Dessaint, fabricant d'indiennes à Radepont, Lecouturier entrepreneur à Fleury, Chardon, Marchand, Allepée, Pallier usiniers à  Romilly. Cela semble parfaitement justifié puisqu'ils font voyager des convois surchargés qui abîment les chemins, et qu'ils sont hors commune.

 

L'Empire

Après le coup d'Etat qui permet à Napoléon III de s'installer, les Houdemare restent à la tête de la municipalité, nommés par le pouvoir, et le fils Jean Aimé succède à son père Amédée après son décès en 1854. Celui-ci aura donc continué à exercer ses fonctions malgré tous ses conflits avec le conseil municipal et survécu à la Révolution de 1848, comme ses ancêtres à celle de 1789.

Il avait d'ailleurs organisé, après le coup d'Etat de 1851, une cérémonie pour proclamer l'Empire "à  10h du matin, à haute et intelligible voix sur la place publique en présence du conseil municipal, d'ancien soldats et officiers du Premier Empire des sapeurs-pompiers , puis messe et Te Deum, distribution de pain aux pauvres, banquet de 70 couverts, toasts, cris enthousiastes de "Vive l'empereur", larmes de joie des vieux militaires décorés, illuminations, et retraite de tambours.

 

Travaux

En 1850 le baron avait déjà réalisé d'importants travaux, à ses frais sur l'église, puisque le conseil accepte la concession qui lui est faite de la chapelle dite de Pont-Saint-Pierre par la fabrique le conseil municipal, et le remercie pour la tour en pierre (le clocher) qui lui a coûté plus de 25000 francs.

A partir de 1853 on procède enfin à la destruction de la halle du marché, emplacement de la future mairie-école, on établit des trottoirs sur la route départementale et le long du fossé de coutume car les accidents y sont fréquents, puis on élargit le pont Saint-Nicolas.

 

Sources

Maryvonne Pichon (voir sources de l'article sur la Révolution à Romilly) pour le début, puis à partir de 1822 le premier des registres du conseil municipal (1822-1852) conservé aux archives communales.

 

Michel Bienvenu
Philippe Levacher

 

De la Révolution à 1852, les maires ont été :


à Saint Pierre

1793 LEGUERCHOIS

1796 André BROSSIER

1804 MIGNOT


à Saint Nicolas

1795 Abraham LAINE

1795 à 1799 Jean Baptiste MIGNOT  

1799 0 1800 Charles Jacques MAUCHRETIEN 

1800 à 1801 Abraham LAINE

1801 à 1805 LECOQ

1806 DUBOIS

1806 à 1809 GERY


à Pont Saint Pierre après l'unification  de 1809

1809 à 1813 GERY

1813 à 1816 MIGNOT

1813 à 1830 baron d’HOUDEMARE

en 1830 à la faveur de la Révolution de Juillet, Jacques François LETOURNEUR, notaire, puis un baron d'Houdemare (père puis fils...) revient, avec à nouveau une brève éclipse en 1848