Pont-Saint-Pierrede la
Révolution au Second Empire
Pont-Saint-Pierre
Depuis 1407, la baronnie appartenait à la riche famille normande des Roncherolles. Elle est rachetée en 1768 par Antoine Pierre Thomas Louis Caillot de Coqueraumont, président de la Cour de comptes de Rouen. (voir bulletin numéro 12), qui meurt en 1793. Son fils étant émigré, on confisque ses biens de La Neuville-Chant-d'Oisel , Calleville, Douville, Pont-Saint-Pierre, Romilly, qui occupent une soixantaine de tenanciers, avec deux moulins à blé, trois à foulon, près de la moitié de la forêt de Longboël, les droits de passage sur l’Andelle, sur le marché de Pont-Saint-Pierre, etc.
Saint-Pierre et Saint-Nicolas
Le baron de Coqueraumont a laissé à Rouen son hotel particulier rue Beffroy. Très riche et très influent, il est aussi très réactionnaire, si l'on en juge par la position qu'il prend à l'assemblée de baillage pour la préparation des Etats généraux : il fait partie de la fraction des nobles obtus qui refusent le doublement du Tiers en croyant pouvoir conserver leurs privileges, mais ne feront que précipiter la Révolution...
Situé sur la rive gauche de
l'Andelle, Saint-Pierre est relié à Saint-Nicolas par un pont de pierre. Le
village s’est formé sous le Castelier, tandis que Saint-Nicolas, qui a le statut
de bourg, est le centre de la baronnie, avec son château, les bâtiments, fermes
et prairies, et le marché, élément-clé de son économie. On trouve 64 chefs de
famille soumis à la taille à Saint-Pierre de Pont-Saint-Pierre et 44 à
Saint-Nicolas, ce qui fait 473 habitants sur les deux paroisses, dont un grand
nombre, d'après les autorités municipales lors d’une enquête, sont « hors
d'état de subsister ».Il y a environ 10 % seulement d'agriculteurs, 25 %
de marchands, 26 % d'artisans et ouvriers, près d'un tiers de journaliers.
La crise de 1788-89
S’ajoutant à la crise économique
due au traité de libre-échange de 1786 avec l'Angleterre, les récoltes de 1788
ont été faibles, les prix flambent et l'hiver 1788-89 est rigoureux. Des
troubles de subsistances éclatent en février sur la halle : « une grande foule
des deux sexes » exige que le sac de blé soit vendu 30 livres au lieu de 36, et
obtient dans un premier temps satisfaction, le procureur fiscal distribuant
même un boisseau de grains par personne pour rétablir le calme. À la suite de
cela, des manifestants viendront faire des perquisitions chez les gros
laboureurs pour exiger le grain au même prix qu'au marché.
Les cahiers de doléances
La banqueroute menaçant, Louis XVI
doit se résoudre à réunir les Etats généraux pour faire voter de nouveaux
impôts. En retour il organise une vaste enquête auprès de ses sujets. En mars
1789 ont lieu les réunions destinées à la rédaction de cahiers de doléances et
à l'élection de représentants. À Saint-Nicolas, ce sont essentiellement les
notables qui se réunissent : marchands, gros fermiers, l'huissier, le notaire,
le sergent ; aucun journalier n'est présent. Les revendications portées dans le
cahier sont en gros conformes à celles du Tiers-état : égalité devant l'impôt,
suppression de la gabelle, des aides, de la corvée, plainte contre la justice
trop coûteuse et trop lente, contrôle du prix du grain et de
l'approvisionnement du marché de Pont-Saint-Pierre, établissement de
"grenier à grain"
Les deux paroisses s'inquiètent
particulièrement du délabrement des ponts et évoque la nécessité de construire
des aqueducs, d'améliorer les routes et chemins "dont l'état désastreux
provoque des accidents graves et nombreux et rend impraticables à cause des
ravines les communications".
Plaintes aussi contre l'arrivée de
machines textiles venant d'Angleterre, permise par le traité de libre-échange
1786. A Saint-Pierre on se plaint des « communautés de religieux et
religieuses qui quoiqu'en petit nombre jouissent de très grands revenus »,
on demande un maître d'école « pour l'éducation de la jeunesse qui croupit dans
l'ignorance » (il n'y avait alors qu'une école dans le bourg de Saint-Nicolas,
et elle est payante)
Recueil de doléances dans un petit bourg |
A Saint-Nicolas, ce sont Lecocq, le syndic*, sergent de la baronnie, et le notaire royal, Monchrétien, qui rédigent un très long cahier à l'issue de la première réunion, qu'ils font approuver la semaine suivante. L’accent y est plutôt porté sur les impôts royaux et la mauvaise administration de la forêt royale que sur les droits du baron... ils insistent en particulier sur l'interdiction de tenir des marchés dans d'autres villages que Pont-Saint-Pierre, ce qui va tout à fait dans le sens des revendications du baron (voir bulletin numéro 12). Le cahier demande la réunion régulière des Etats généraux "pour le bien de la nation" mais ne se prononce pas sur le vote par tête ou par ordre, qui est pourtant un enjeu essentiel pour le tiers état (tous ceux qui ne sont ni nobles ni ecclésiastiques)..
*
équivalent au maire actuel, il est élu par les chefs de famille de la
paroisse et chargé de la représenter
Les deux paroisses réunies
enverront comme députés aux assemblées électorales des paroisses un laboureur,
un marchand, un notaire, un sergent, et le sergent à l'assemblée du baillage.
Troubles de subsistances
En juillet, août et septembre, des
"troubles" éclatent au marché de Pont-Saint-Pierre contre un des gros
laboureurs de Romilly que l'on accuse de n'avoir pas apporté de blé alors
"qu’il en avait une quantité considérable" (c'est la figure bien
connue de l'accapareur responsable de la disette). A nouveau, pour tenter de
maintenir le calme, le lieutenant de Haute justice organise une perquisition,
et l’on découvre effectivement dans ses granges du blé battu et 200 gerbes de
blés non battu. La fois suivante le lieutenant interviendra pour faire baisser
le prix du pain chez les boulangers du bourg, puisque le prix du blé a baissé à
Rouen et dans le voisinage. En septembre, c'est le baron lui-même qui annonce
que pour encourager les laboureurs à porter leur grain au marché, il renonce à
la perception de ses droits de coutume, sauf le droit de pesage, jusqu'à la
Saint-Michel. Mesure qui pouvait paraître généreuse, si l’on ignorait que lors
de la fameuse nuit du 4 août, l'Assemblée avait déjà proclamé l'abolition des
droits féodaux …
Nouvelle organisation
Dans le cadre de la création des
départements et des nouvelles délimitations, le canton de Saint-Nicolas de
Pont-Saint-Pierre qui comprenait 35 paroisses sera limité à 15, Pîtres étant
rattaché au canton de Pont-de-l'Arche et La Neuville-Chant-d'Oisel à
Franqueville. Les deux municipalités de Saint-Nicolas et Saint-Pierre qui
demandaient alors déjà la fusion se la voient refuser, nous ne savons pourquoi.
Aux élections de 1790, les notables
se maintiennent, et le notaire Monchrétien, élu maire, va contraindre les
fermiers (percepteurs) du baron à cesser de lever les droits seigneuriaux
abolis, mais le baron semble avoir réussi à continuer à les percevoir jusqu'en
1793.
En février 1791, le curé accepte de
prêter serment à la constitution civile du clergé, allant donc contre
l’interdiction de la papauté.
Les
pouvoirs locaux
En 1790, pour être électeur, il
faut payer un impôt d’au moins trois journées de travail (soit environ 3
livres), et d’au moins dix pour être éligible. Les électeurs ne sont donc pas
nombreux dans les petites communes, et ne sont élus que des gens aisés.
Les membres du conseil sont divisés
en deux échelons : les notables et les officiers (=conseillers) municipaux. Le
maire est, en principe, élu pour deux ans, comme le procureur, chargé de
requérir l’exécution des lois. Cette organisation fonctionnera jusqu’en 1795,
mais après Thermidor (chute de Robespierre), on enlève leur influence aux
municipalités en les regroupant : la commune élit un agent municipal qui
participe à la municipalité cantonale, dont le président est élu par l’ensemble
des hommes du canton.
Conformément à la loi de vente des
biens de la noblesse et de l'Eglise devenus biens nationaux, l'abbaye de Fontaine-Guérard
est mise en vente, ce qui va donner lieu à des incidents lors de l'évacuation
des lieux, et à des partages illicites, abattage de bois, vandalisme, vols.
Début 1793 la municipalité de Saint-Nicolas obtient l'installation des stalles
de l'abbaye dans l'église.
La ferme du Cardonnet (57 ha) est
finalement acquise en 1792 par un marchand quincaillier de Paris, tandis que le
moulin et ses dépendances sont achetés par l'architecte rouennais Guéroult,
l'abbatiale et ses dépendances par un marchand de bois de Pîtres, Gaudoit. Il
ne reste donc que très peu de biens qui aboutissent dans les mains de la
bourgeoisie locale.
Les bois de la forêt de Longboël
appartenant à l'abbaye vont aussi être achetés par des marchands de Rouen,
Louviers, Pont-de-l'Arche, échappant aussi aux marchands de la vallée.
C'est avec la vente de
Fontaine-Guérard à Guéroult que commence l'installation de ce qui deviendra la
grande usine Levavasseur (voir bulletin numéro 7)
L’engagement dans la Révolution
En juin 1791, à l'annonce de la
fuite du roi (Varennes), le procureur du bourg de Saint-Nicolas va réclamer des
armes à Louviers, de concert avec Douville, Romilly et Pîtres. On leur accorde
52 fusils pour le canton.
En 1795, le château est mis à la
disposition de la municipalité comme magasin de salpêtre, destiné à fabriquer
la poudre que les guerres consomment en grandes quantités, pour lequel il faut un vaste bâtiment couvert
(à Romilly, ce sera l'église).
L'absence de documents ne permet
pas d'en dire plus mais on peut penser, au regard des conflits qui agitent
Radepont et Romilly que Pont-Saint-Pierre a dû en avoir sa part.
Le Directoire
C'est toujours la question des
subsistances qui prime. Les séances de l'assemblée du canton à
Pont-Saint-Pierre sont souvent interrompues par des femmes venues réclamer du
pain, ce qui contraint pour l’éviter à des séances dites extraordinaires ou
secrètes.
Dans l'ensemble le nombre de
participants est faible, sept en moyenne, alors que le canton comporte 15
communes, mais il faut faire la part des problèmes de transport et des
contraintes de l'agriculture.
Le problème majeur est d'assurer
l'approvisionnement de la halle, et on menace les cultivateurs de poursuites en
cas de retard de livraison, on dénonce les meuniers qui vendent de la farine
"mélangée" et on continue à fixer le prix du quintal de blé. On devra
même organiser une distribution "d'une livre de blé par tête pendant sept
jours", on invitera "tous les gens aisés à ne plus concourir au
partage du blé dans les halles". Ce recours aux pratiques jacobines des
années précédentes s'explique surtout par la peur de désordre et de
soulèvements.
Efforts économiques
Le délabrement des ponts, pour lequel on met en cause le
flottage du bois*, pose un réel problème pour l'approvisionnement du marché, et
on signale régulièrement par ailleurs l'urgence qu'il y a à réparer le pont sur
le Barbeau, d'autant plus qu'en 1794 avait été prise la décision d'organiser
deux foires annuelles, le 3 juillet (29 juin) et le 6 décembre.
* le bois coupé en forêt de
Longboël ou de Lyons est jeté dans l'Andelle et récupéré à Pîtres pour être
embarqué sur la Seine vers Rouen ou Paris
L'Andelle vue du pont de pierre |
Un autre problème est posé par les bras de l’Andelle qui traversent le parc du château et provoquent des inondations, mais le baron d’Houdemare fait la sourde oreille tant qu'on ne lui impose pas de curer ses fossés et d’installer des écluses.
L'état des routes est désastreux
dans la vallée, comme dans la France entière, c'est pourquoi une taxe sur le
passage est créée pour permettre leur réfection, très mal perçue, d'autant plus
qu'elle rappelle les droits de l'Ancien régime. On tente aussi de remettre de
l'ordre dans la gestion des forêts, qui sont devenues, avec parfois la
complicité des gardes forestiers, l'objet d'un pillage généralisé où et tout le
monde vient plus ou moins se servir On dit que les gains des bûcherons sont
tels "qu'ils peuvent travailler à leur compte une journée par
semaine". Une politique est mise en place pour pousser à planter des
arbres : hêtres, chênes, ormes, mélèzes, mûriers, et "arbres
étrangers". Un effort est fait pour l'agriculture et une société libre
d'agriculture est créée dans le canton.
Mais ce qui sur le plan économique
et social change la figure du canton, ce sont d'un côté les fonderies de cuivre
de Romilly et de l'autre la filature de Fontaine Guérard.
La question religieuse, les fêtes
Le nouveau calendrier crée des conflits. En vendémiaire an
VII, les curés de Pont-Saint-Pierre, Douville, comme celui de Pîtres déclarent
qu'ils se réservent le droit de célébrer leur culte le dimanche "au nom de
la liberté", c'est-à-dire en invoquant les valeurs même de la Révolution.
Face à cela l'administration du canton suit une sage politique de compromis. On
cherche la concorde, contre la royauté (qui n'existe plus) et dans la
célébration des victoires de l'armée française, permettant des scènes de
réjouissances populaires. Ces fêtes donnent en général lieu à un grand
déploiement de cérémonial : on décore l’autel de la Patrie, on installe des
gradins, etc. On instaure aussi la fête des époux, des vieillards, de la
jeunesse, de l'agriculture, si bien que petit à petit on sent monter une sorte
de fatigue, voire d'indifférence…
Le 10 août 1798 et 26 août 1799 on vend l’église Saint
Pierre et son cimetière, ce qui aurait dû accélérer l'unification…
L’école
En revanche, la question de l'école
semble réellement mobiliser les habitants, qui entre Germinal et Thermidor an
IV font quatre pétitions pour qu'on leur octroie un local pour la classe et un
logement pour l'instituteur : on commence par proposer le cellier, puis
l'écurie du presbytère, mais un arrêté départemental impose « un local salubre
et répondant à la dignité que l'on doit donner aux écoles » et enfin on leur
attribue tout l'ancien presbytère. Le 12 mars 1795 est établie une école
primaire, qui est aussi celle du canton.
On voit que la Révolution a pris au sérieux les problèmes
de l'enseignement, dans le prolongement des Lumières.
Un passé qui ne passe pas...
Le Commissaire cantonal* nommé en
décembre 1795, est un riche propriétaire, De la Follie, acquéreur de l'abbaye
de Bonport. En avril 1796, l'assemblée cantonale demande sa destitution car il
ne réside pas dans le canton, mais celui-ci la fait annuler par le directeur du
département qui pourtant vient de nommer pour le remplacer un nouveau
commissaire, Charles Louis Leclerc, chirurgien, né à Pont-Saint-Pierre d'une
vieille famille de marchands, connu pour ses opinions révolutionnaires : à
Ecouis, il avait été procureur puis agent national, créant la "Société
populaire des vrais républicains et francs sans-culottes ", affiliée
au club des Jacobins. Arrêté comme "terroriste" après Thermidor, il
avait été amnistié, mais quand on apprend sa nomination à Pont-Saint-Pierre, on
se déchaîne. Il est accusé d’être responsable de nombreuses arrestations, de
"vol de cloches", "d'une conduite atroce et indigne", et en
résumé d'avoir été "l'un des principaux agents de Robespierre".
L'assemblée menace de ne plus siéger si ce "jacobin" est nommé
commissaire. Il tente de se justifier en invoquant son amnistie, mais De la
Follie se maintient "à titre provisoire", bénéficiant d'appuis au
niveau départemental et national..
Pourtant, aux élections de 1797,
Leclerc est élu, et en janvier 1798, sous son initiative, on crée à
Pont-Saint-Pierre un Cercle constitutionnel, sous les applaudissements des
membres de l'assemblée qui lui attribuent immédiatement un local pour ses
réunions. Les premiers membres, tous de Pont-Saint-Pierre, sont des artisans,
puis on voit arriver Laîné, membre de la municipalité de 1793 à Romilly et
directeur de la fonderie de cuivre.
* il représente l'Etat au niveau du
canton, un peu comme le Préfet au niveau du département.
Le Consulat et l'Empire
Le coup d'état du 18 brumaire (9
novembre 1799) ne laisse guère de traces à Pont-Saint-Pierre ni d'ailleurs dans
la vallée de l'Andelle, mais en septembre 1801 Pont-Saint-Pierre perd son titre
de chef-lieu de canton (trop de jacobinisme ?)
Pendant plus d'une vingtaine
d'années nous ne saurons pas ce qui se passe à Pont-Saint-Pierre, sous le
Consulat et l'Empire, puisque le premier registre conservé du conseil municipal
date de 1822. Mais si l'on se fie à ce que l'on trouve dans les registres de
Pîtres et Romilly, peut-être n'y aurions-nous pas trouvé grand-chose, en dehors
de la routine, dont font partie les nombreuses demandes exemptions face à l’enrôlement
de plus en plus d'hommes pour les armées napoléoniennes. La liste des médaillés
de Sainte-Hélène, établie en 1857 pour récompenser les anciens combattants des
guerres de la Révolution et de l’Empire comporte 7 noms à Pont-Saint-Pierre ,
et on peut supposer que le nombre de survivants en 1857 ne représente qu'une
fraction de ceux qui sont partis et sont morts au combat, ou bien sont rentrés
mais morts depuis de vieillesse.
Retour partiel à l’ordre ancien
En 1815, sous la Restauration
(Louis XVIII) Caillot de Coqueraumont fils, rentré d’émigration et son
beau-frère le baron d’Houdemare, maire de Vandrimare, récupèrent leurs biens,
se plaignent de dégradations, et rachètent les grands domaines forestiers du
Chapitre de Rouen (117 ha sur la commune de Douville) tandis que le
manufacturier Guéroult acquiert ceux qui sont situés sur le territoire de
Saint-Nicolas.
Premier registre du conseil municipal : 1822-52
Quelques documents sont placés,
sans doute depuis deux siècles, entre la couverture et la première page du
registre. L'un d'entre eux se révélera intéressant : le congé de forçat d’un
dénommé Nicolas Papillon, 54 ans, délivré au port de Brest en 1809… nous y
reviendrons.
La première séance dont nous avons
le compte-rendu est datée du 10 mars 1822, et le maire est, sans surprise ...
le baron d’Houdemare.
On y parle de l’urgence de
restaurer le pont, 2797 francs de devis. C'est une question qui sera
périodiquement évoquée, avec l'état des chemins, et on comprend que
Pont-Saint-Pierre s'en préoccupe puisque son marché reste la source principale
des recettes : la place se loue 0,10 franc le mètre carré et une vache ou un
cheval occupe 1,5 m², ce à quoi il faut ajouter le droit de mesurage, le tout
multiplié par deux les jours de foire. Mais il faut entretenir : ainsi en 1830,
on considère qu'il est urgent d'exhausser et paver la place du marché
"première source de revenu"
De ce fait, on trouve par exemple
en 1822 un budget prévisionnel de 4492 fr. de recettes et 1055 fr. de dépenses,
un vrai rêve de trésorier, mais qui reste quand même exceptionnel.
La Révolution de juillet
La Révolution de 1830 qui amène Louis-Philippe, le
"roi bourgeois" au pouvoir ne se remarque guère, sinon par un
abonnement au journal officiel des Gardes nationales et les serments qui sont
maintenant prêtés "au roi des Français et à la Chartre", mais Houdemare
reste maire, après une brève destitution dans la ferveur de la Révolution.
Les années suivantes se succéderont
régulièrement les hommages à rendre aux journées de Juillet : messe, drapeaux,
détachement de la garde nationale, distribution de pain aux indigents, et de
poudre à la garde nationale
En 1831, le chef-lieu de justice est transféré à
Fleury-sur-Andelle.
Le progrès : Poste, éclairage public, pompiers, etc.
- On assiste à la naissance de
services de courrier réguliers, et on choisit Pont-de-l'Arche pour recevoir la
correspondance, mais en 1835 on demande un bureau de distribution sur place
pour éviter les retards, "préjudiciables à l’activité économique"
mais il faudra pour cela attendre 1865.
- Dès 1825, trois réverbères sont
prévus du fait des "nouveaux établissements", et on en ajoute trois
autres, puis deux autres, peu après.
- En 1834, on autorise le détournement du fossé de coutume
longeant le cimetière, qui se trouvait près de l’église, pour implanter une
usine (c'est-à-dire un moulin), dont le propriétaire se nomme Mary dit la Rose
- En 1835, on crée une compagnie de sapeurs-pompiers,
- En 1836, on reçoit la
présentation d'un brevet par un premier maître de poste, Stanislas Valentin
Hébert, puis ceux des postillons, et deux ans plus tard celui d’un Charles
Victor Lemoine qui s'engage à entretenir le nombre de chevaux déterminés par
l'administration des postes et résider sur place. Sans doute le premier n'avait
pu donner satisfaction.
On considère alors que l'entrée du
bourg reste impraticable malgré les apports de cailloux et on entreprend une
étude pour le détournement du ravin, avec demande de fonds. Cela est d'autant
plus important que l'on demande la création de deux nouvelles foires, les
premiers samedi de mars et septembre.
Le cimetière
En 1844, alors qu’un mur de plus de
60 mètres avait été préalablement réalisé, on décide le transfert du cimetière
sur la côte de Quevrue car "les cercueils sont généralement placés dans
l'eau, ce qui est malsain".
Eviter la concurrence
L'essor économique est réel, mais
la concurrence est rude, et périodiquement, le conseil est appelé à donner un
avis sur des créations de marché ou de foire. La réponse est écrite d'avance :
dans un rayon de moins d'une dizaine de kilomètres, avis défavorable ! et pour
le reste avis favorable puisque cela ne peut pas être "préjudiciable"
au marché local.
Lorsqu'il s'agit de se prononcer
sur une demande de transfert du chef-lieu de justice de paix d’Ecouis à Fleury,
on vote, malgré les protestations d’Ecouis, pour Fleury, avec trois pages
d'arguments évoquant l’ "amour du val natal", contre l’
"égoïsme" d’Ecouis. On retrouve là l'opposition entre une vallée aux
sols pauvres et les riches plateaux du Vexin, qui s'est exacerbée avec les
crises de subsistances sous la Révolution.
Les conseils municipaux ont lieu en
général le dimanche, en fin de matinée avec parfois prolongation l'après-midi,
en moyenne quatre fois par an. On y assiste régulièrement à l'installation de
conseiller, et aux prestations de serment au pouvoir en place
Santé publique
En 1832, on voit mentionner une des
dernières grandes épidémies de choléra en France, par la création d’un fonds
pour les besoins des "cholériques".
On signale aussi que le chien du
boulanger a été tué par les habitants d'une commune voisine, car il était
enragé et a mordu, et on décide alors que les chiens seront enfermés, et les
chiens errants abattus.
Ecole, l’effet Papillon…
Il y a depuis la Révolution un
instituteur disposant d’une indemnité de logement et d’un salaire, en plus de
ce que paient les élèves selon le niveau, et même depuis 1834 une institutrice
pour les filles, sous l'égide d'un comité de surveillance de l'instruction
publique, dont le secrétaire est Lancelevée, propriétaire de plusieurs moulins
à foulon dans la vallée.
En 1834, un certain Simon Papillon
est présenté comme candidat instituteur. Tout laisse à penser qu'il s'agit du fils du forçat dont
nous avons parlé, car cela suscite des remous dont atteste le conseil qui
déclare qu'il faut "faire cesser l'indivision qui règne dans la commune à
cet égard et arrêter la marche illégale des pétitions qui s'y promènent
journellement se couvrant de signatures la plupart insignifiantes" (la
formule s’en prend à la lisibilité de signatures tracées par des illettrés).
Papillon doit être néanmoins un bon
instituteur, puisqu'en 1843 on prévoit trois classes supplémentaires, qu'en
1849 il demande le transfert de l'école vers une maison qu’il a nouvellement
acquise quartier Saint Nicolas, et que c'est d'accord, on paiera le loyer.
La construction d'une véritable
école aura lieu en 1862, intégrée à la mairie.
Le cadastre
On sait que sous le Consulat et
l'Empire commence l'établissement d'un cadastre national qui ne sera achevé que
vers 1850, c'est pourquoi on l'appelle souvent "napoléonien" C'est en
1835 que les travaux commencent à Pont-Saint-Pierre, prévoyant de multiples
absorptions d’enclaves par la commune (village de Douville, le champ Bernière,
etc.) et fixant les délimitations avec Romilly et Amfreville. On demande même
la réunion pure et simple de Douville, et on réfute les prétentions de La
Neuville-Chant-d'Oisel qui revendique
une partie de la forêt de Longboël, arguant que Pont Saint-Pierre paie sur
celle-ci des impôts depuis 1790, en même temps que Pîtres et Romilly.
Coup de pied de l’âne pour Douville
En 1843, le conseil émet un avis
défavorable pour l'institution d'un prêtre desservant à
Douville, "qui consisterait à faire peser les charges sur l'Etat du
traitement de son desservant, car Douville n'a que 260 âmes et non 375, une
population en partie nomade où on a inclus Calleville, n'est éloigné de
Pont-Saint-Pierre que de seulement un kilomètre…. on comprend bien que la
petite commune de Douville soit flattée d'avoir un desservant, par la raison
que tout hameau veut devenir grande ville, mais que ce motif ne peut être
d'aucun poids pour déterminer l'autorité suprême à grever l'État d'une nouvelle
charge, surtout à un moment où le gouvernement cherche à diminuer les
impôts". On est heureux de faire la leçon à Douville qui avait refusé une
proposition de fusion !
Conflits avec le baron maire
En 1834 avait commencé un conflit
entre le maire, le baron d’Houdemare, et le conseil*, concernant les propriétés
du baron qui semble s'approprier, ou se réapproprier des terrains, supprimer
des sentes qui reliaient la Neuville et Boos au moulin à blé de Bacqueville.
* depuis le Consulat, les maires
sont nommés, et ne seront définitivement élus par le conseil municipal qu'avec
la IIIème République, si l'on excepte la brève période de la Seconde
République, de 1848 à 1851
Une enquête est menée pour le
contrer :
- Question : le public
a-t-il passé de temps immémorial sur les sentes de-Fontaine Guérard à
Douville, Douville à Pont-Saint-Pierre par la "ruellette" et
Pont-Saint-Pierre à Fontaine Guérard par la "ruelle ou ruellette" ?
- Réponse : oui, parfois à
travers haies, jusqu'à ce que Houdemare pose une grille.
Le conflit concerne aussi la côte
de Quevrue et les halles, construites par le baron sur un terrain communal. On
prévoit de lui acheter le bâtiment des halles en 1844, mais une divergence sur
le prix (4400 fr. contre 7300) bloque l’opération. La commune maintient son prix
et menace alors le maire d'expropriation.
Dissolution du conseil
En Février 1847, un autre conflit a
lieu concernant la liste des électeurs, pour laquelle Houdemare dit avoir
oublié et donne de vagues explications.
Réponse très sèche du conseil : "on a fait
observer à M. le maire que s'il avait procédé comme le veut la loi, cela ne
serait pas arrivé et qu'en conséquence sa réponse était bien loin de lui servir
d'exemple. Le conseil a déclaré qu'il voyait avec inquiétude l'obligation où il
était de rappeler continuellement M. le maire à ses devoirs". On ne
saurait suggérer plus clairement que le maire est gâteux....
En mars, on constate que la liste
électorale de 88 électeurs correspond à une population de 871 habitants, mais
que d'après le dernier recensement il n'y a que 810 habitants, et qu'il faut
donc la restreindre à 80.
Une page et demie est alors
entièrement rayée, ligne par ligne, où on devine les blâmes, la critique faite
au maire pour son "refus de concours", et la phrase "qu’il
lui est par conséquent impossible de diriger les affaires de la commune".
Mais un arrêté du Préfet annule la
délibération et ordonne de la biffer car elle est illégale, ce n'était pas
l'ordre du jour… trois conseillers seulement signent ce jour-là.
Et le 4 mai, Louis-Philippe, roi
des Français, s'en mêle ! Par ordonnance royale il dissout le conseil municipal et annonce que le Préfet
convoquera les électeurs communaux, "à l'effet de nommer un nouveau
conseil municipal". Houdemare a gagné, provisoirement...
La Révolution de 1848
Rappelons qu'elle a lieu en février et chasse
définitivement les rois (en l'espèce Louis-Philippe) du pouvoir en France. A
Pont-Saint-Pierre, le baron est remplacé par une commission composée de trois
membres du conseil : Letourneur, Lecouturier et Mignot, soit un notaire, un
entrepreneur et un propriétaire, trois notables. Le baron est d'ailleurs
présent lors de la réunion qui le destitue.
Début juin on demande la création d'un conseil de
prud'hommes pour les ouvriers du textile. Le conseil est d'accord à
condition qu'il soit installé à Pont-Saint-Pierre qui est plus central
que Fleury, et on propose pour les filatures et les foulons une représentation
paritaire: un ouvrier et un patron.
On reçoit une
circulaire du préfet répercutant une décision de l'Assemblée nationale
"pour créer du travail à la classe ouvrière"
Tout semblerait se
passer harmonieusement si l'on ignorait qu'à la fin du mois de juin, à Paris,
une révolte des ouvriers contre la fermeture des Ateliers nationaux qui
donnaient du travail aux chômeurs fait plusieurs milliers de morts, et sa
répression fait fin à l'utopie révolutionnaire de février. D'ailleurs, au mois
d'août, la prochaine réunion du conseil a lieu dans la propre maison du baron
d'Houdemare...
En novembre, on distribue
200 kg de pain pour les pauvres et des réjouissances publiques sont organisées
pour fêter la promulgation de la Constitution de la République : bal gratuit,
illuminations…
Nous sommes bons …
La tempête passée, on
fait le compte de la pauvreté, on dresse un état de la mendicité : nombre
d'indigents (ils sont 9), composés de vieux, de chômeurs, et d'un
"mendiant d'habitude, valide, à qui il ne manque que la volonté de
travailler", et on note alors que face à cela, "les habitants aisés
et le baron d'Houdemare, considéré à juste titre comme le bienfaiteur du pauvre
ont été au-devant du devoir que l'humanité impose". En matière de
compliments, on n'est jamais si bien servi que par soi-même..
Mais la charité a ses
limites et les hors commune seront considérés comme vagabonds…
Pour donner du
travail, on décide que les réparations de voirie peuvent être confiées aux
ouvriers qui n'en ont pas, alors que l'agent voyer d'arrondissement propose
d'embaucher un cantonnier communal pendant 4 mois.
...mais nous restons vigilants !
En 1851, le conseil
insiste pour conserver un corps de cavalerie de la Garde nationale, constitué
de vingt hommes, faisant constater qu' il a "rendu service"
notamment en 1848 "lors des émeutes et des rassemblements
d'ouvriers qui ont eu lieu à cette époque dans la vallée d’Andelle"*
un peloton de cavalerie de 25 hommes est "utile et même indispensable dans
la vallée d'Andelle à cause des services qu'il peut être éventuellement
appelé à rendre dans le canton de Fleury-sur-Andelle en raison de la
grande quantité d'ouvriers existant dans cette vallée industrielle"
* voir notre n°8, "Troubles
dans la vallée de l'Andelle
Réparation des chemins
A ce propos, on
décide de réclamer des subventions spéciales pour "dégradation habituelle
des chemins vicinaux" à : Dessaint, fabricant d'indiennes à Radepont,
Lecouturier entrepreneur à Fleury, Chardon, Marchand, Allepée, Pallier usiniers
à Romilly. Cela semble parfaitement justifié puisqu'ils font voyager des
convois surchargés qui abîment les chemins, et qu'ils sont hors commune.
L'Empire
Après le coup d'Etat qui permet à Napoléon III de
s'installer, les Houdemare restent à la tête de la municipalité, nommés par le
pouvoir, et le fils Jean Aimé succède à son père Amédée après son décès en
1854. Celui-ci aura donc continué à exercer ses fonctions malgré tous ses
conflits avec le conseil municipal et survécu à la Révolution de 1848, comme
ses ancêtres à celle de 1789.
Il avait d'ailleurs
organisé, après le coup d'Etat de 1851, une cérémonie pour proclamer l'Empire
"à 10h du matin, à haute et intelligible voix sur la place publique
en présence du conseil municipal, d'ancien soldats et officiers du Premier
Empire des sapeurs-pompiers , puis messe et Te Deum, distribution de pain aux
pauvres, banquet de 70 couverts, toasts, cris enthousiastes de "Vive
l'empereur", larmes de joie des vieux militaires décorés, illuminations,
et retraite de tambours.
Travaux
En 1850 le baron
avait déjà réalisé d'importants travaux, à ses frais sur l'église, puisque le
conseil accepte la concession qui lui est faite de la chapelle dite de
Pont-Saint-Pierre par la fabrique le conseil municipal, et le remercie pour la
tour en pierre (le clocher) qui lui a coûté plus de 25000 francs.
A partir de 1853 on procède enfin à la destruction de la
halle du marché, emplacement de la future mairie-école, on établit des
trottoirs sur la route départementale et le long du fossé de coutume car les
accidents y sont fréquents, puis on élargit le pont Saint-Nicolas.
Sources
Maryvonne Pichon (voir sources de l'article sur la Révolution à Romilly) pour le début, puis à
partir de 1822 le premier des registres du conseil municipal (1822-1852)
conservé aux archives communales.
Michel BienvenuPhilippe Levacher
De la
Révolution à 1852, les maires ont été :
à Saint Pierre
1793 LEGUERCHOIS
1796 André BROSSIER
1804 MIGNOT
à Saint
Nicolas
1795 Abraham LAINE
1795 à 1799 Jean Baptiste
MIGNOT
1799 0 1800 Charles Jacques
MAUCHRETIEN
1800 à 1801 Abraham LAINE
1801 à 1805 LECOQ
1806 DUBOIS
1806 à 1809 GERY
à Pont
Saint Pierre après l'unification de
1809
1809 à 1813 GERY
1813 à 1816 MIGNOT
1813 à 1830 baron d’HOUDEMARE
en 1830 à la faveur de la
Révolution de Juillet, Jacques François LETOURNEUR, notaire, puis un baron
d'Houdemare (père puis fils...) revient, avec à nouveau une brève éclipse en
1848