4 janvier 2025

La Révolution à Romilly (1789-1798)

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Romilly sur le plan Le Roux. 1769
Romilly sur le plan Le Roux. 1769

La Révolution à Romilly (1789-1798)

 

Les Cahiers de doléances

En 1789 afin de préparer la réunion des Etats généraux à laquelle Louis XVI est contraint pour éviter la banqueroute, on décide que des cahiers de doléances seront rédigés, au niveau des paroisses, bailliages, provinces, par des assemblées qui nommeront des députés.

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Cahier de déléances

Le cahier de doléances de Romilly est celui d’une paroisse d'alors 500 habitants. Comme la plupart, il demande, entre autres, la suppression de l'impôt sur le sel, la très impopulaire gabelle*, et de l'impôt sur le tabac, en précisant que c'était une chose nécessaire "en raison des brouillards qui règnent sans cesse dans la vallée de l’Andelle, attirés par les montagnes, forêts et rivières ". C'était en effet une vue courante à l'époque de considérer comme des médicaments tabac, alcool et bien d'autres produits nocifs.

* Le sel, indispensable à la vie et nécessaire à la conservation des denrées, était soumis à une forte imposition perçue comme injuste, la gabelle, d’où une importante contrebande. Elle est abolie en 1790, rétablie par Napoléon, abolie par la Seconde république en 1848, puis rétablie, maintenue par le Second empire (Napoléon III), et abolie par la IVe République....


Un très grand centre industriel

Romilly est un grand centre industriel depuis la création des fonderies de cuivre. (Voir bulletin 6)

Celles-ci n'ont pas été établies à partir de rien : l’Andelle était utilisée depuis des siècles pour la meunerie, puis plusieurs de ces moulins sont devenus les moteurs, au sens propre, d'une activité industrielle qui s'est développée dès avant le XVIIIe siècle au service de la draperie de Louviers et d’Elbeuf. Les fabricants envoient leurs draps à Romilly pour y être foulés, ou foulonnés (l'opération consiste à les battre dans des cuves contenant de l'argile fine, pour les assouplir).

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Les fonderies de cuivre
Les fonderies de cuivre
Il y a donc à Romilly une importante population ouvrière la veille de la Révolution, ce qui va peser sur son cours.


Rachat des biens nationaux

On sait qu’une des premières mesures importantes de la Révolution a été la saisie des biens des nobles et ecclésiastiques, mis en vente au profit de la nation, mais les modalités de cette mise en vente ont fait que sur le territoire national peu de petits paysans ont pu racheter les terres seigneuriales qu'ils cultivaient et qui sont souvent devenues propriétés de bourgeois des villes, parfois prête-nom des anciens propriétaires aristocrates. C'est ce qui se passe Romilly où même les Legay, Rose, Cavelier, riches fermiers des prieurés de Saint-Crespin et des Deux Amants cèdent la place devant les négociants parisiens ou rouennais. Les achats par des locaux sont plutôt le fait des marchands de bois, dans la forêt de Longboël.


Les nouveaux pouvoirs

En juin 1791 le canton de Pont-Saint-Pierre avait élu deux gros laboureurs et un marchand, mais en août 1792, donc après la journée du 10 août que l'on peut considérer comme celle de la chute de la monarchie et du début de la prise de pouvoir des sans-culottes et des Jacobins, on voit un grand changement, avec l'élection du menuisier Fiquet, rédacteur du cahier de doléances et futur maire de Fleury, d'un facteur de bois et du curé de Romilly, qui abdiquera bientôt de sa prêtrise : le vent souffle vers la gauche. Une Garde nationale de 22 hommes, dont le capitaine est directeur de la fonderie, s'organise à Romilly, autre signe d'un engagement dans la Révolution. Le maire, Legay, gros laboureur sera destitué en janvier 1793.


La levée en masse

La Révolution à Romilly (1789-1798)

Cependant la levée en masse* de 300 000 hommes, proclamée en février 1793, ne semble pas susciter un franc enthousiasme, ni à Romilly ni dans les communes proches de la vallée de l’Andelle. À Romilly les fils des notables se font remplacer par des domestiques ou des journaliers et on essaie de faire baisser le contingent exigé par le district. Les demandes de réforme affluent, et les exemptions des ouvriers de la fonderie de cuivre, considérée comme d'importance stratégique, font peser un poids plus lourd sur les autres habitants.

Non seulement l'enrôlement de soldats va priver de bras l'agriculture, mais on réquisitionne aussi chevaux, voitures, harnachement de cavalerie et fourrages ce qui provoquera de futurs problèmes de subsistance.

Malgré cette appellation de "levée en masse", on peut relativiser le nombre de départs D'après une liste de parents des défenseurs de la patrie établie en décembre 1794, il semble qu'il y en ait eu 13 à Romilly, chiffre qui peut être comparé avec le nombre d’enrôlés de la guerre 14-18, au moins dix fois supérieur ?)

*en mars et août 1793, la levée en masse est destinée à faire face à la baisse des effectifs de l'armée révolutionnaire  due aux pertes, aux désertions et, plus largement, aux départs des volontaires levés en 1792 pour la durée d'une campagne, qui estiment pouvoir rentrer chez eux, l'ennemi ayant été repoussé hors des frontières (cf. Valmy). Elle contribuera malheureusement à susciter le soulèvement de la Vendée

 

La société populaire et le comité de surveillance. Le pouvoir jacobin

En octobre se crée une société populaire de 14 membres qui se réunira deux fois par semaine. Elle travaille de concert avec le Comité de surveillance sur la question des subsistances et se substitue de fait aux autorités municipales, ce que montre un épisode significatif : le desservant, c'est-à-dire le prêtre de la paroisse ayant abjuré, donc se déclarant pleinement du côté jacobin, la Société populaire s'installe dans l'église sans l'autorisation de la municipalité, moins révolutionnaire, qui lui rappelle les règlements municipaux et adresse une protestation au district. Le Comité de surveillance avait déjà signalé aux autorités départementales le manque de patriotisme du maire, Legay, gros laboureur et du meunier du prieuré, Rose. Deux réunions du conseil municipal sont ajournées à la fin de l'année 93 par manque de participants, alors que la Société populaire, quant à elle, a le pouvoir d'organiser un grand rassemblement devant la "ci-devant église" pour y dénoncer les menées contre-révolutionnaires dans la commune et demander la destitution de membres de la municipalité.

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Maryvonne Pinchon a établi ce tableau montrant l'imbrication des deux groupes et l'importance du personnel des fonderies
Maryvonne Pinchon a établi ce tableau montrant l'imbrication des deux groupes et l'importance du personnel des fonderies

Prise de pouvoir des sans-culottes

Dix jours plus tard les "représentants du peuple", soit les autorités supérieures du département c'est-à-dire en cette période les envoyés directs du Comité de salut public, noyau dur de la Révolution, annoncent la destitution du maire, d'un officier municipal et du foulonnier. Le maire est remplacé par le directeur de la fonderie, Laîné, capitaine de la garde nationale et donc à l'évidence jacobin. Par ailleurs quatre membres de la société populaire sont nommés dans la nouvelle municipalité. On assiste donc à une nette radicalisation.

Tous les citoyens de la commune sont convoqués par l'agent du district qui vient contrôler lui-même l'application de ces mesures.

On peut donc considérer qu'à la fin de l'année 1793, les sans-culottes l’ont emporté à Romilly.

 

Subsistances

La politique de salut public va devoir s'attaquer au problème le plus important : les subsistances. Il faut à la fois, à l'intérieur, nourrir les habitants de la commune et, à l'extérieur, fournir des vivres aux villes et à l'armée. Or les agriculteurs refusent de livrer leur grain à un tarif (le prix maximum des denrées) qu'ils considèrent comme insuffisant, essayant de le vendre au marché noir et faussant donc leurs déclarations de récolte. Les autorités municipales procèdent donc à des visites chez les gros cultivateurs avec l'aide du Comité de sûreté, demandant la confiscation des récoltes au profit des pauvres de la commune en cas de fraude.

On fait enregistrer chaque jour sur place la quantité de grains ramassés lors de la récolte, avant qu'il ne soit engrangé. Ce contrôle s'étend aux légumes, au beurre, aux œufs, et aux volailles, et des perquisitions peuvent être menées, sur pétition des habitants, les fausses déclarations entraînant confiscation et distribution aux pauvres.

La disette menaçant, on envisage même la possibilité de labourer les pâtures communes. Un emprunt forcé auprès des riches contribuables ne rapporte pas autant qu'il devrait, des laboureurs réussissent à y échapper, et à Romilly les seuls versements confirmés sont ceux de la fonderie, fidèle à ses engagements dans la Révolution.

 

De la poudre et des balles

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Fabrication de poudre
Une autre fourniture moins connue qui entraîne réquisition, c'est celle du salpêtre, nitrate de potassium, ingrédient essentiel dans la fabrication de la poudre, que les armées consomment en quantité. Pour ce faire, toute la population est appelée à couper des herbes et des broussailles pour constituer des monticules arrosés d'urine, ou mis à macérer dans des baquets, et aussi à gratter tous les murs où du salpêtre a pu se former. Les églises sont alors souvent utilisées pour l’abriter.

 

Limite de la terreur jacobine

Quand la Société populaire de Romilly fait arrêter quatre femmes accusées de "troubles contre-révolutionnaires" à la fin de l'année 1793, lors du grand rassemblement dont nous avons parlé, elles sont incarcérées à Rouen. Mais en avril 1794 les autorités municipales et les citoyens réunis par l'agent national du district décident d'intervenir pour délivrer "ces femmes très misérables et chargées d'un très grand nombre d'enfants", qui seront libérées peu de temps après. On peut penser soit qu'elles s'étaient livrées au marché noir, soit qu'elles avaient manifesté trop ouvertement leur mécontentement devant la situation économique, ou les deux à la fois, mais ce que montre cette décision, c'est que le pouvoir maintenant hésite à accroître la répression face au mécontentement croissant.

 

Déchristianisation

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Procession républicaine
Procession républicaine
On sait que, dans le cadre de la politique de déchristianisation, on avait remplacé l'ancien calendrier par le calendrier républicain avec des noms de mois liés aux saisons, ce qui n'avait guère suscité contestation. Par contre le remplacement de la semaine de sept jours avec dimanche férié par une semaine de dix jours avec seulement le décadi férié avait bien sûr mécontenté de nombreux salariés, et c'est le cas à Romilly dont l'agent national se plaint que ses concitoyens refusent de fêter les décadis.

La politique antireligieuse du comité de salut public, dite de déprêtrisation, consistant à interdire de culte les curés qui n'ont pas prêté serment à la république, qui a créé beaucoup de troubles dans des paroisses et des régions entières (Vendée) ne rencontre guère de résistance à Romilly, puisque c'est le prêtre desservant lui-même qui abjure devant la société populaire, renvoie ses lettres de prêtrise à la convention, et qu'on le retrouve prêchant devant une foule "où l'on remarque plusieurs citoyens en bonnet rouge, originaire de Romilly mais aussi des communes voisines de la vallée". C'est ainsi que Romilly se trouve en tête de ce que les opposants considèrent comme la « contagion » révolutionnaire (on peut cependant noter que dans la paroisse voisine de Pîtres, le curé lui aussi s'était engagé dès juin 1793 dans les armées de la République, et qu'il en fut de même au Manoir)*.

* l'évêque du diocese d'Evreux est alors Thomas Lindet, "curé rouge" avant de devenir évêque constitutionnel de l'Eure, frère de Robert Lindet, membre du Comité de salut public.

La Révolution à Romilly (1789-1798) - église de Criteuil, Charente
église de Criteuil, Charente 
En janvier 1794 le nouveau conseil municipal décide que les marques de la "superstition" se trouvant à l'extérieur de l'église seront démolies, que les statues des "prétendus saints" situés sous le porche seront ôtées, que la croix et le coq du clocher seront remplacés par un bonnet phrygien et un drapeau tricolore, tandis qu'un grand "Temple de la Raison" sera peint sur l'église. Quelque temps plus tard, afin d'inaugurer ce temple de la Raison, la municipalité décide de faire disparaître à l'intérieur de l'église tous les signes du culte catholique. L'agent national du district peut ainsi présider une grande assemblée en avril 1794 pour y exhorter fraternellement les citoyens et citoyennes à "abjurer les erreurs dans lesquelles les ont rejetés ces hommes que l'on appelle prêtres, ces pieux fainéants".

L'église transformée en temple de la Raison devient en fait une grande salle communale où l'on organise des réunions pour discuter des affaires du village, sans grand rapport avec l'Etre suprême.


L'année 1794 montre aussi une forte proportion de prénoms révolutionnaires, essentiellement chez les employés de la fonderie.

Quelques exemples de prénoms révolutionnaires :

Armoise, Anémone, Auguste, Corneille, Challier, Civique, Ciceron, Caton, Egalité, Floreal, Fructidor, Frimaire, Floréal, Germinal, Junon, Légalité, Lamontagne, Latulipe, Légalité, L'union, Lavande, Municipalité, Minerve, Robespierre, République, Scipion, Socrate, Victoire, Voltaire, Zéphir

 

L'école

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Décret de la Convention nationale du 30 mai 1793 relatif à l'école primaire

L’enseignement primaire a été rendu obligatoire laïque et gratuite par la Convention, à partir de six ans, pour les filles comme pour les garçons*. À Romilly, c'est un membre de la société populaire, Bizet, qui sera instituteur, et l'école est installée dans le presbytère. 60 enfants vont y être inscrits, chiffre important dans une commune qui n'a alors que 780 habitants.

La répartition des écoles sur le canton en prévoyait une pour Fleury et Radepont, une pour Pont Saint-Pierre Douville, Flipou et Amfreville, et une pour Romilly. Les instituteurs doivent y enseigner lecture, écriture, calcul et morale républicaine, ce dernier point étant particulièrement surveillé.

* bien que Condorcet, mathématicien, philosophe, et auteur du plan sur l'Instruction publique soit alors en passe de fuir la guillotine en se suicidant, le décret prévoit une instruction, facultative, pour les adultes, dans la droite ligne de son plan : "... citoyens pauvres ! La fortune de vos parents n’a pu vous procurer que les connaissances les plus indispensables, mais on vous assure des moyens faciles de les conserver et de les étendre. Si la nature vous a donné des talents, vous pouvez les développer, et ils ne seront perdus ni pour vous ni pour la patrie." Ainsi, l’instruction doit être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les citoyens.

 

Retournement d'opinion

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Plantation d'arbre de la liberté en 1789
Plantation d'arbre de la liberté en 1789
Du point de vue religieux, on assiste à Romilly, qui avait été à la pointe de la politique jacobine, à un retour de bâton : une grande manifestation a lieu devant l'église exigeant qu'elle soit débarrassée "de tout ce qui l'encombre", c'est-à-dire lié à la fabrication du salpêtre, pour la rendre au culte dans les 48 heures. Il semble que le conseil municipal se soit plié à cet ultimatum puisqu'après avoir constaté les dégâts les manifestants exigent qu'elle soit remise en état et que l'on poursuive ceux qui l'ont dévastée. 45 habitants signent cette pétition, dont les porte-parole sont les Pellerin, foulonniers et marchands de bois, appuyés de nombreux journaliers. La municipalité ayant commencé par demander des délais, va pousser les autorités à céder sur une partie des revendications, et des perquisitions sont opérées chez de présumés iconoclastes, alors que l'on cherche un nouveau local pour le salpêtre.

Et les choses n'en restent pas là : l'une des manifestations rassemblant, d'après les membres du conseil municipal, "la presque totalité des habitants", dont 150 femmes, s'attaque à l'arbre de la liberté, symbole de la révolution. Il est coupé et le bonnet phrygien qu'il portait est détruit : "elles clament que cet arbre ne pouvait pas leur donner de pain et qui ne fallait pas le souffrir, non plus que le bonnet rouge".

 

Mais continuité jacobine

L’élan révolutionnaire est donc terminé à Romilly, la société populaire ne semble plus se réunir, les membres du comité de surveillance sont désarmés, et, suprême humiliation, on exige même d’eux des autorisations d'absence s'ils quittent la commune pour se procurer des subsistances, puis le conseil municipal décide de leur rendre leurs armes du fait de "leur conduite paisible et régulière". Rappelons que c'est toujours la même municipalité jacobine, qui garde sa solidarité avec les révolutionnaires locaux dont elle a été l'alliée. Lainé, directeur de la fonderie, avait démissionné de son poste de maire avant même le 9 thermidor, ne pouvant plus concilier, d'après lui, son travail d'industriel et d'administrateur de la commune. Son successeur est un marchand de bois membre de la Société populaire et président du comité de surveillance : Cavelier. Il n'y a donc pas vraiment de rupture puisqu'il s'agit d'un jacobin, à Romilly comme à Paris, le cœur n'y est plus...

 

Thermidor

Après une période de transition, que l'on appelle la convention thermidorienne, puisqu'elle suit la chute de Robespierre le 9 thermidor, de nouvelles institutions vont se mettre en place : le Directoire. La participation aux nouvelles élections est faible dans la vallée en général, et à Romilly en particulier : alors qu'il y avait eu 13 votants en 1791, avec le suffrage censitaire, on n'en trouve que 17 en 1795 alors que tous les hommes ont le droit de voter (c'est bien pire à Pîtres, où l'on doit remettre au lendemain l'assemblée électorale car il ne s’y trouve que quatre habitants !). Les assemblées sont souvent perturbées par des femmes qui viennent réclamer du pain, continuant une tradition inaugurée en octobre 1789. Les autorités dans ce cas se bornent à tenter d'imposer le silence.

La crise de subsistance continue, les autorités semblent bien démunies. "5000 individus sont à la veille de mourir de faim" déclare-t-on lors d'une assemblée municipale, et quand on ajoute "il faut agir avec une énergique humanité" (face aux troubles) on voit bien que les autorités ne savent trop comment réagir...

 

Les habitants mangent de l'herbe !

La Révolution à Romilly (1789-1798) - Scènes de disette
Scènes de disette
Après la chute de Robespierre, on entre dans une grave crise de subsistances : la politique de tarification à un prix maximum a contribué à fragiliser l'agriculture, certains ayant renoncé à produire à des coûts qu'ils jugent trop bas, puis dans cette situation de pénurie créée en partie par cette politique du "maximum", sa suppression en décembre 1794 va faire monter le prix du blé, alors qu'il était déjà très difficile de s'en procurer : le 21 décembre, soit trois jours avant la suppression de ce maximum, le maire de Romilly constatait : "40 personnes et souvent plus sont à la porte de chaque cultivateur, depuis le matin jusqu'au soir très tard et ceux qui n'ont pu avoir de blé se livrent les uns aux murmures, les autres aux menaces, et les autres aux pleurs, surtout ceux qui ont de la famille". Il faut dire que déjà le cours de l'assignat était tombé si bas que de nombreux cultivateurs ou commerçants le refusaient, malgré les menaces de sanctions que l'on faisait peser sur leur tête. En mars "tous les habitants sont forcés de manger des herbes" constate le conseil municipal !

 La Révolution à Romilly (1789-1798) - Assignat

Saisies illégales

Conséquences inévitables, la violence reprend le dessus. Déjà un convoi de blé avait été arrêté par des manifestants et, malgré l'intervention du directeur des fonderies, Lainé, capitaine de la Garde nationale, et encore responsable communal, ceux-ci le conserveront en imposant eux-mêmes le prix au marchand qu'ils ont arrêté. L'opération se renouvelle contre un deuxième marchand traité de coquin et d'accapareur, à qui l'on déclare "qu'il devrait être bien heureux qu'on lui propose de lui payer sa farine et qu'il vaudrait mieux tuer tous ces coquins et ces voleurs tout de suite". Ces opérations de saisie de blé seront renouvelées les semaines suivantes, les assaillants se justifiant en déclarant "qu'ils sont à la recherche de pain pour nourrir femmes et enfants". On comprend qu'il s'agit de continuer à imposer la politique du maximum que la convention thermidorienne abandonnée, plutôt que de véritables pillages. La municipalité se trouve alors bien partagée : d'un côté, elle nomme un garde champêtre pour assurer le respect de la propriété, qui "portera sur le bras une plaque de métal ou d'étoffe ou seront inscrits les mots : la loi", et d'un autre côté elle fait du mieux qu'elle peut pour trouver des subsistances auprès du district, du département, à Rouen, au Havre où arrivent des blés d'importation, ou à Paris. Elle demande au Comité de salut public de laisser à Pont de l’Arche, lors du passage du convoi de ravitaillement de Paris, du grain "pour la subsistance des 820 habitants de Romilly".

La municipalité de Pîtres fait à l'époque exactement la même chose (voir bulletin n°2) et l'on peut se douter qu'elles ne sont pas les seules. Pîtres obtiendra 100 quintaux de grains du comité de salut public, peut-être du fait d'un chantage à peine voilé : le courrier adressé au Comité de salut public mentionne les bateaux de grains destinés à l'approvisionnement de Paris stationnant sur la Seine à deux pas de la commune du fait du gel qui paralyse la circulation et laisse entendre qu'il y a là un danger face à une population "pressée par la faim dont on ne peut calmer les angoisses".

 

Difficultés à rétablir l'économie

En 1797 le Directoire impose une taxe destinée à la réfection des routes qui sont dans l'ensemble en très mauvais état. La fonderie de Romilly, sous la forme d'un de ses administrateurs, Saillard, s'oppose à cette réglementation, allant jusqu'à se faire ouvrir de force la barrière.

Ceci est peut-être dû au fait que cette taxation rappelle l'ancien régime, mais, pour être juste, il faut reconnaître que les fonderies étaient pourtant comme en témoignent les plaintes continuelles d'autres communes, un gros défonceur de routes…

La forêt est au centre de nombreux délits : abattage clandestin, trafic avec la complicité des gardes forestiers, adjudications frauduleuses, etc. comme ailleurs, à Romilly l'administration se juge souvent impuissante.

 

Retour à l’ordre

La Révolution à Romilly (1789-1798) - coup d'Etat du 18 brumaire de Napoléon Bonaparte
On sait que la fin du Directoire a été marquée par des troubles, une augmentation du nombre des insoumis, de la délinquance, que certains vont même qualifiés d'anarchie. Les royalistes s’agitent à droite, et les néo-jacobins à gauche, que l'on voit parfois revenir à la tête des communes. C’est cette situation qui permettra le coup d'Etat du 18 brumaire de Napoléon Bonaparte

 

Sources

Essentiellement la thèse de doctorat en histoire présentée par Maryvonne Pichon à l'université de Rouen en 1994 sous la direction de Claude Mazauric, intitulée Recherches monographiques sur la basse vallée de l'Andelle pendant la Révolution Française 1789-1799. (251 pages A4 dactylographiées).

 

Michel Bienvenu