4 janvier 2025

Les abattoirs de Pîtres - Société Boulard

Les abattoirs de Pîtres - Société Boulard – carrefour de la rue des moulins et de la rue du bosc

Beaucoup connaissent déjà cette vue du carrefour de la rue des moulins et de la rue du bosc, mais qui sait encore que l'entreprise Boulard qui se trouve derrière cette façade a employé jusqu'à 50 personnes à Pîtres ?



Les abattoirs de Pîtres
Société Boulard

 

Les origines

Armand Boulard épouse Maria Halley avant la guerre de 39-45, et Gaston, leur fils, épouse après la guerre Georgette Téaubon, pour gérer cette entreprise. En 1952, M. et Mme prennent la succession de la boucherie-charcuterie, uniquement le magasin. L'abattoir, créé en petit comité, comptait dans les années 1970 de 30 à 50 membres du personnel

Au bureau Michelle, Agnès, Sylvie, Françoise, Martine, Marie, Christine, Michelle Delamarre, madame Leclerc, Martine Quenneville, Christine Manifel, Agnès, Martine Legon, Christine, Françoise Fréret, Edith Cheval.

Chez les bouchers, à l’abattage et à la préparation Claude, Jean, Daniel, Bernard, Jean-Claude, Gérard, Jean-Jacques, Jean-Pierre, et les multiservices, Tasir, Dédé, Yvon et son frère Roger, et à l'entretien Claude, René, Robert, Alain, Gianni et Jean-Paul.

On peut aussi bien sûr ajouter le vétérinaire et les deux rabbins chargés du rituel pour la viande casher.

Les chauffeurs forment un groupe important : Henri, Gino, Nounours, Jean-Guillaine, Jean-Pierre, Jacques et Robert. C’était Gaston (le patron) qui payait les permis.

Les bouchers sont la cheville ouvrière : Claude Lallemand et son frère Jean, Daniel, un autre Jean, assez fort, Jean-Claude, Gérard.

Leurs aides : André, Loulou, Raymond, Aubry du Calvados.

Les mécanos, sans qui les camions seraient souvent à l’arrêt : Claudio, René, Jean-Paul et Gianni. Les véhicules sont nombreux et demandent beaucoup de personnel. Ce que l'on transporte, que ce soit mort ou vivant, supporte difficilement les retards prolongés, il faut donc que le matériel, même d'occasion, reste fiable.

Pour le bétail, un semi-remorque Berliet TLR, un Mercédès 240, qui peine sur l'autoroute, un semi-remorque à un seul essieu, le camion-benne Unic, et les bétaillères GLR, Strader 10, et J7. En tout donc sept véhicules de transport de bêtes vivantes.

Après l’abattage, il y a les frigos roulants : le Stradair de Gino, le GBK d’Henri, et le HY Citroën. Le G3 benne de Raoul emporte le suif à Mesnil-Esnard et le cuir aux tanneries de Louviers.

A cela s’ajoutent les voitures, une Opel jaune, une R5 bleue, et l’Estafette pour les cochons, et un tracteur agricole pour tirer la tonne à sang.

On peut ajouter un camion frigo statique, non roulant, pour conserver l’arrière des bêtes pendant la semaine.

 

Le fonctionnement de l'abattoir

La journée commence d’ordinaire par un café chez Gaétan, et à l’arrivée à six heures, le ballet du chargement des camions commence, avec Gaston Boulard, le patron, à la manœuvre.

Les abattoirs de Pîtres - Société Boulard - L’arrière-cour
L’arrière-cour

Les bacs, avec les morceaux et les plombs attestant de la qualité de la viande sont là. On charge, les gars, portant leur pièce de viande qui vient d’être décrochée — c'est lourd, parfois près de cent kilos - montent la rampe qui mène dans le camion frigo d'un pas assuré. Trois bonnes heures seront nécessaires au chargement, et à 9h c’est le casse-croûte à côté de l'atelier en bas. C’est Pierrot qui fournit le casse-croûte, la viande, c'est l'abattoir (steak).

Les abattoirs de Pîtres
Deux belles bêtes primées

A 9h30, et les camions partent et la tuerie commence, dans l'odeur spécifique de viande et de sang.

Les bêtes récemment livrées s'ajoutent à celles qui sont remontées à pied sur la route des étables vers l'abattoir. Elles sont lentes... On les pousse dans le couloir. Les rabbins sacrificateurs sont arrivés de Paris, le rituel commence.

La première est retournée par treuil, la tête en arrière. Le rabbin jette un peu d'eau et tranche la gorge en récitant des mots incompréhensibles. La bête râle et meurt. Elle est reprise au treuil et part vers la découpe de la peau, qui est faite avec soin, et l'éviscération. Les abats sont enlevés : cœur, foie, poumon, suivant le rituel casher. Le vétérinaire inspecte alors tout et si les rabbins ont posé les plombs, la bête est considérée comme casher.

Les abattoirs de Pîtres - Société Boulard - De la bête sur pied…..
De la bête sur pied…..
Les abattoirs de Pîtres - Société Boulard - … à la carcasse
… à la carcasse

Une journée en 1972.

7h45. J'arrive. Ouverture des portes de l'atelier. Entretien complet du SG 3 benne : préparation mine, éclairage, vidanges, etc.

 A 10h30, le téléphone sonne : « Viens vite ! L'abattoir est bloqué... »

J’accours avec la caisse à outils. Plus de courant, et la tuerie qui a commencé…. Les gars me renseignent : « là-bas, au pied du treuil, on a vu des étincelles… »

Je patauge dans les morceaux de fils coupés, pas rassuré du tout ! Je raccroche avec des dominos et ça marche… Je récupère ma caisse, mes outils, et je quitte les lieux, avec les yeux des vaches qui me poursuivent. C’est à 18h que la journée se termine. Dur, dur...

Notre travail, à nous les mécanos, ce sont les véhicules, qui souffrent beaucoup, et l’entretien de toutes les installations : soudure, peinture, mécanique et électricité.

La remise en état des véhicules d'occasion y prend une grande place. Soudures, peinture, rouge garance pour le bas et jaune paille pour le haut. Contrôle de l’éclairage tous les matins, niveaux d’huile, freins... Pas le droit à la panne, mais ça peut quand même arriver…

 

Ah! Les rats ! ... Toujours ouvrir les boîtes électriques, toujours, ... pour faire fuir les rats.

GL

Ensuite, elle est coupée en deux, puis l'avant est séparé au niveau de la treizième côte, tamponné et plombé sous contrôle du vétérinaire et part en direction des boucheries casher. L’arrière étant considéré comme impropre pour la religion juive part en Allemagne en camion frigo.

Pour le nettoyage, les tripes sont plongées dans l'eau de grandes cuves

Pour la viande traditionnelle, on utilise le matador dans cette procédure, la bête est assommée, et le découpage normal est identique, sans mise de côté de l’arrière. 

La viande part en direction des boucheries régionales et de la grande distribution. L'abattoir fournit deux boucheries à Rouen, une à Louviers et des restaurateurs.

Pour un petit abattoir, la production est importante : une moyenne de 40 à 50 bêtes est tuée par semaine, en fonction des commandes des boucheries, du mardi au vendredi.

Les abattoirs de Pîtres - Société Boulard - Pîtres, années 1970...
Pîtres, années 1970

et au Louvre, un Rembrandt de 1655 ...

Quelques anecdotes

 

La cabane à Gaston (c’est le patron), qui lui servait de bureau afin de contrôler le transport des carcasses : elle a été peinte assez rapidement, la peinture n'a pas eu le temps de sécher et elle a été livrée avec la paille du camion collée sur la peinture, ce qui donne l'impression qu'il s'agit d'un camouflage… On repeint aussi les meubles, et tout va bien durant l'été, mais dès qu'on allume le poêle, les mélanges n’étant pas au point, les meubles, supposés pourtant être d'un beau jaune se mettent à virer au noir...

La partie déclassée est livrée pour être transformée chez Olida pour les animaux.

Ce qui peut paraître paradoxal dans un environnement casher, une activité parallèle a été créée : une porcherie. Les cochons sont nourris par les déchets de l'abattoir et des bananes récupérées sur le port de Rouen, un bel exemple de non gaspillage (serait-ce encore possible aujourd’hui, quand, pour des raisons d’hygiène, il est même interdit de nourrir des porcs avec les déchets des cantines scolaires ?).

Le vendredi, ou bien c'est un camion de la maison qui part livrer vers l'Allemagne, avec un chauffeur qui n’oublie pas de prévoir sa couverture sur les genoux en hiver pour ne pas trop se geler et de frotter des oignons sur le pare-brise pour éviter le givre, ou bien ce sont les Allemands qui viennent prendre livraison des arrières à Pîtres. Les cuirs, eux, partent pour Cherbourg en fin de semaine.

 

Sources

- souvenirs personnels et enquête auprès des anciens de l'abattoir

- internet pour le tableau de Rembrandt,

 

Edith Lallemand,
Gianni Lefebvre