Charitons au congrès de Giverville |
Les charités
Troisième partie : les charités
aujourd'hui.
Après le déclin des charités dans
l'entre-deux-guerres et la disparition de beaucoup d'entre elles, ces
confréries ont retrouvé un regain de vitalité après la Seconde Guerre mondiale.
Le point de départ fut le congrès de Giverville et la création de l'Union
diocésaine en 1947. Depuis cette date de nouvelles charités se sont créées et
le mouvement semble même s'accélérer. Les charités anciennes ou nouvelles sont
en contact les unes avec les autres et se retrouvent régulièrement comme au
rassemblement de Fourmetot en juin 2011
ou au congrès de Bourg Achard en octobre 2012.
I. Le congrès de Giverville et la création de l'Union diocésaine en 1947.
Giverville est une petite bourgade
de l’Eure située dans le Lieuvin, à 30 km de Lisieux environ. Le premier congrès
des charités y a été organisé à l'initiative d'un simple paroissien, Maurice
Quéruel, fasciné depuis son enfance par la charité de son village. Après accord
du curé, du maire de la commune, et de l’évêque d’Évreux, des invitations
furent lancées : 80 charités répondirent favorablement, dont beaucoup étaient
installées dans le Lieuvin et dans les
régions proches comme le Roumois. D'autres venaient de plus loin : celles
d'Ailly, de Muids, de Venables ou d’Acquigny. Ce premier congrès fut marqué par
quatre temps forts.
Le 20 juillet : célébration du cinquième centenaire de la charité de Giverville.
La date de cette commémoration fut
ainsi choisie car elle était aussi celle de la fête patronale de Sainte
Marguerite. La charité de Giverville, placée sous la triple protection de la
Vierge Marie, de Saint Blaise et de Sainte Marguerite, avait été érigée en
1240, si l'on en croit l'inscription des bannières. Maurice Quéruel avait déjà
pensé à marquer ce septième centenaire en 1940, mais la guerre l'en avait empêché.
Les cérémonies commencèrent par une
procession de l'église vers la maison de charité, puis de là jusqu’au monument
aux morts ; participaient à cette procession les anciens de la charité et les
frères en place, ainsi que ceux des charités voisines.
L'après-midi, une fête médiévale,
située au temps de Saint-Louis, c'est-à-dire à l'époque où fut créée la
charité, se déroula dans toute la ville, décorée et pavoisée. Enfin une
exposition permanente était inaugurée qui rassemblait des objets et des documents
concernant les charités : draps mortuaires, chaperons, dalmatiques, boîtes,
torchères, matrologes, photographies...
Le 15 août : fête de l'Assomption.
La charité de Giverville a honoré
la Vierge Marie en assistant à la messe dans le chœur de l'église, puis en
allant en procession jusque vers la maison de charité où a été pris un repas en
commun présidé par le curé. L'après-midi, aux vêpres, eut lieu la cérémonie
traditionnelle de prise de fonction : le curé, après avoir lu la liste des
frères sortants, a annoncé la nomination d'un nouveau maître et a procédé à la
réception des nouveaux frères en leur remettant leur chaperon.
Le 31 août : rassemblement général.
Les 80 confréries invitées ont
assisté à une messe présidée par l'évêque : celui-ci, qui a pu entretenir le
pape Pie XII des charités lors de son récent voyage à Rome, a assuré
l'assistance des bénédictions et des encouragements du pontife. Puis les
charités présentes ont défilé dans la ville dont les maisons étaient tapissées
de draps blancs ornés de grappes de raisins et d'épis de blé symbolisant le
pain et le vin de l'eucharistie.
L'après-midi les charités
participèrent à la procession du Saint-Sacrement avec halte aux reposoirs
dressés pour la circonstance et, à la fin, au monument aux morts. L'évêque
présida ensuite l'assemblée des maîtres de charité au cours de laquelle fut
créée l'Union diocésaine. Une autre procession fut organisée pour les complies.
Le soir une retraite aux flambeaux et un feu d'artifice marquèrent la fin de
cette journée.
20 septembre : clôture du congrès.
Bourg-Achard 2012 |
Après la journée du dimanche réservée à un concours de tintenelles, le congrès prit fin solennellement le mardi. Une nouvelle procession partit pour enlever de l'exposition permanente les statues reliquaires de saint Mauxe (appellation locale de Maxime) et de saint Vénérand prêtées par l'église d'Acquigny afin de les placer dans le chœur de l'église de Giverville. Une messe fut célébrée l'après-midi.
Comme l'a montré le déroulement de
ce premier congrès des charités, il s'inscrit à la fois dans la tradition et
dans la nouveauté. Tradition d'abord avec le respect des coutumes héritées du
Moyen-âge (messes, processions, vêtements…), et aussi avec la soumission à
l'Eglise : (omniprésence du clergé et notamment de l’évêque). Mais ce congrès
traduit aussi le désir de renouveau, voire de nouveautés : c'est la première
fois que tant de charités se réunissent, même si auparavant quelques-unes
pouvaient se rencontrer lors de grandes fêtes, comme les fêtes de sainte
Thérèse de Lisieux, ou lors des pèlerinages importants comme celui de saint
François à Évreux. Surtout, le congrès a fait ressortir la nécessité d'une
union de toutes les charités. Enfin, ce premier grand rassemblement a permis de
donner une impulsion aux recherches historiques sur les charités, jusqu'alors
assez lacunaires. Deux journées d'études furent d'ailleurs consacrées aux
rapports sur les charités rédigés par des érudits locaux.
II. Union diocésaine et nouvelles charités.
Le congrès de Giverville a donné
l’impulsion nécessaire à la création d’une union des charités, nommée l’Union
diocésaine dont les statuts ont été publiés dans La vie diocésaine du 7 aout 1948.
Cette Union est composée de toutes
les charités qui désirent en faire partie. Les buts déclarés, définis au début
des statuts, sont de conserver les charités existantes, de les développer et
d’en créer de nouvelles. L’Union est dirigée par un conseil de douze membres
élus par les maitres de charité (un conseiller représentant 10 à 12 charités)
et un bureau élu par le conseil composé d’un président, un vice-président, un
secrétaire et un trésorier. Une assemblée générale doit se réunir un fois par
an au cours du pèlerinage de Notre-Dame de la Couture, le lundi de Pentecôte.
Les statuts prévoient la nomination
par l’évêque d’un aumônier des charités (aujourd’hui cette fonction est assurée
par le Père Castel).
Bourg-Achard 2012 |
Les ressources de l’Union sont constituées des cotisations de chaque confrérie (200 F pour chacune d’elle en 1948) et des subventions ou dons divers. Ces ressources sont redistribuées aux églises pauvres du diocèse.
Après les articles concernant
l’Union, les statuts abordent le règlement général d’organisation des
confréries. Les charités sont établies sous l’invocation de la Très
Sainte-Vierge Marie et du patron principal de chaque paroisse. Chaque charité
est sous la direction d’un échevin et d’un prévôt élus pour un an. Le service
des frères est d’au minimum trois ans. Il est précisé qu’on n’admet dans une
confrérie « que des hommes faisant profession de religion catholique, de
bonne réputation et en règle avec les lois de l’Eglise notamment en ce qui
concerne le mariage ». Les charités ont toujours pour mission de procéder
aux inhumations mais aussi de visiter et aider les malades et leurs familles,
surtout les pauvres. Les frères doivent aussi participer aux processions et
aider à la célébration des messes. Quant aux costumes, les charités utiliseront
les costumes existants ; pour les costumes nouveaux, l’Union devra donner
son autorisation pour les porter.
Dans les statuts figurent également
les amendes pouvant s’appliquer aux frères de chaque charité « pour
manquements aux services, les absences, les défauts de tenue ou de
langage ». Les peines peuvent aller jusqu'à des suspensions temporaires ou
définitives.
Bourg-Achard 2012 |
Un chapitre de ces statuts intitulé "dépendance des charités" précise : "les charités sont sous la dépendance des curés". Ce sont eux qui décident des jours et heures de service dans la paroisse et qui donnent l’autorisation d’officier dans une autre paroisse.
Enfin, les statuts de l’Union
stipulent que chaque confrérie peut avoir son règlement intérieur mais que ce
règlement doit nécessairement être approuvé par l’Union.
Parallèlement à cette Union
diocésaine et la recoupant en partie, a été créée une Association des charités
du département de l’Eure organisée selon la loi 1901. L’objet de l’association
est de pouvoir représenter les charités dans des actions juridiques, d’ester en
justice et d’assurer l’administration du patrimoine des différentes confréries
en prenant en charge leurs biens meubles et immeubles. L’association se compose
de sociétaires (les membres des charités) et de membres bienfaiteurs (ceux qui
désirent aider les charités). Les cotisations, les dons et les revenus du
patrimoine constituent les ressources de l’association. Son organisation
interne souscrit aux principes de la loi de 1901. Les statuts ont été déposés à
la préfecture le 20 mai 1957 et, même s’ils ont été plusieurs fois amendés, ils
restent proches du texte original.
Aujourd’hui donc, les charités
disposent de 2 organismes pour les défendre, les aider et les représenter. Ils
sont présidés par le même frère de charité, Michel de Vaumas, qui est à la fois
Grand Maitre de l’Union diocésaine et Président de l’association. Sous son
impulsion, comme sous celle de son prédécesseur, le comte Dauger, le
nombre des confréries de charité ne cesse de progresser. Elles sont aujourd’hui
118 dans l’Eure, bientôt 119 grâce à la création d’une charité à
Verneuil-sur-Avre en mars 2013. Avant celle-ci, les dernières charités créées
furent celles de Saint- Julien-de-la-Liègue en 2011 et celle de
Fontaine-Bellanger en 2010.
Repas au congrès de Bourg-Achard. 2012 |
Les charités ont pris l’habitude de se rencontrer chaque année lors d’un rassemblement et tous les 5 ans lors d’un congrès. Le dernier rassemblement s’est tenu à Fourmetot en mai 2011 et le dernier congrès s’est réuni à Bourg-Achard en octobre 2012. Le prochain rassemblement est prévu en 2013 à Saint-Léonard en Seine Maritime, département qui compte 5 charités rattachées à celles de l’Eure. Enfin, les informations concernant les différentes charités sont diffusées dans un petit journal, Les Tintenelles, organe de liaison.
Les
confréries de charité sont donc aujourd’hui bien présentes dans l’Eure et bien
vivantes. Elles ne sont pas la survivance folklorique d’un passé remontant au
Moyen Age. Au contraire, elles jouent un rôle important dans les cérémonies
religieuses et dans la sociabilité
rurale. Elles sont indispensables aux familles en deuil ou en difficulté.
Si beaucoup
de charités ont disparu depuis moins d’un siècle, comme celle de Pîtres, d’autres ont réussi à
subsister ou renaissent encadrées par le clergé paroissial et le diocèse.