Un Pistrien dans la Campagne d’Orient
Première partie, jusqu’en septembre 1918
Pourquoi la guerre des Balkans ?
La
première guerre mondiale a opposé au départ la Triple Entente (France, Royaume
uni, Russie) et la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie),
l'Italie, d'abord neutre, se ralliant à la Triple Entente en 1915..
En 1915,
les états-majors français et anglais décident d’ouvrir un front en Orient pour
ravitailler les troupes russes et forcer la Turquie à sortir de la guerre, et
pour cela il faut avoir la maitrise de la mer Noire. Ils débarquent dans la
presqu’île de Gallipoli, mais ne peuvent forcer les défenses turques :
c’est la défaite des Dardanelles. Toutes les opérations de l’année 1915 se
soldent par des échecs. L’évacuation est décidée avec repli des troupes sur
Salonique, où elles forment le noyau de l’armée alliée d'Orient. Après une
guerre d’enlisement, le général Franchey d’Esperey nommé à la tête de cette
armée obtient des renforts et une offensive en septembre 1918 voit la déroute
des Bulgares, alliés des Turcs.
Plus de
300 000 Français ont combattu sur le front d’Orient, plus de 50 000 ont perdu
la vie dans les combats ou à cause des épidémies (paludisme-typhoïde), mais ces
épisodes sont souvent occultés et la guerre d’Orient peut être appelée la
« guerre oubliée ».
Mon grand-père, René Raymond Cobert, a participé à la bataille de Verdun et à la campagne d’Orient. Il a été blessé et a gardé toute sa vie une maladie d’estomac due aux problèmes de subsistance de cette campagne. Il en parlait peu, sauf les jours de commémoration de l’armistice du 11 novembre, mais il a laissé un carnet qui raconte son parcours pour atteindre Salonique, sa vie quotidienne, la bataille de septembre 1918 à laquelle il participe sans savoir qu’elle sera décisive, l’occupation de la Hongrie et son retour à Pîtres en mars 1919. Il décrit la course au Danube par l’Armée d’Orient, les souffrances de ces marcheurs persévérants qui nouent entre eux de profondes amitiés. Bien que rudement éprouvés par les combats, ils furent mésestimés. Clémenceau les surnomma "les jardiniers de Salonique", tant ils en étaient réduits à rendre fertiles des terres incultes pour survivre car ils étaient oubliés de l'Etat-major. Ce carnet témoigne souvent de la grande médiocrité de l'intendance, de la prégnance de la maladie, notamment dysenterie et paludisme, qui fit plus de victimes parmi les soldats que les batailles.
Mais par leur combat, ils ont contraint les Bulgares puis les Turcs à demander des armistices bien avant le 11 novembre 1918.
Mon grand-père a aussi écrit un grand nombre de cartes postales, et en a tenu la liste. Rien qu’à ses parents, il en a écrit 175, et quelques-unes nous sont restées. Il n’est démobilisé (en congé illimité) qu’en septembre 1919.
En route vers les Balkans
Le carnet
commence le 1er aout 1917. A la suite de blessures soignées à Pau,
il est en convalescence mais travaille dans une ferme de l’Yonne, quand on l’avise qu’il fait partie des renforts de
l’Armée d’Orient :
Après quelques jours de permission et des passages de caserne en caserne, il arrive à Marseille le 23 Août. Marseille ne lui plait pas : « Ici il fait toujours chaud. Marseille est une grande ville mais je ne m’y plairais pas, c’est sale comme tout, ça ne vaut pas Rouen »
Ils ne savent pas comment ils
vont atteindre les Balkans : « On doit partir dans quatre jours
mais ce n’est pas sûr du tout car nous sommes avertis que nous passons par
l’Italie au lieu de faire la grande traversée. »
Le départ
a lieu, en train, le 29 aout : « Nous quittons Marseille vers 4H
du matin, on passe Toulon dans la matinée du 30 Août et l'on suit le bord de la
mer. On traverse la Côte d'Azur avec un temps magnifique, nous sommes acclamés
par tous les civils logés dans les hôtels, nous passons Cannes où il nous est
servi un quart de café par homme, puis nous repartons pour Nice, Monte-Carlo,
et enfin après 2 jours de voyage par une rude chaleur, on arrive à Vintimille,
première gare Italienne, là déjà nous n'entendons plus aucun civil causer le
Français, enfin on se fait comprendre tout de même par la buraliste de la gare
pour acheter du tabac. On change de train pour monter dans des wagons Italiens,
nous repartons de suite. Le voyage se passe à merveille, dans tous les villages
que nous traversons, nous sommes acclamés par la population Italienne aux cris
de "Adios" (Adieu).
La tour du Marzocco à Livourne |
1er Septembre : arrivée à Livourne, ville Italienne, à 16H, on descend du train avec tout le fourbi, puis nous allons cantonner dans une caserne à 1900 m de la gare. Nous mangeons de suite un repas chaud fait par des territoriaux Français, puis on touche le ravitaillement pour deux jours et des boules de pain Italiennes. Aussitôt la soupe, on sort en ville avec trois copains. On va faire une balade sur le port, puis au cinéma et après avoir acheté des cartes postales on boit quelques litres de vin Italien et nous rentrons à la caserne vers 10H prendre un repos bien gagné. »
Puis le voyage en train reprend, passant par Rome le 3 septembre sous les vivats de la population italienne. « Arrivée à Rome, capitale de l'Italie à 18H. Ici 2H d'arrêt, les sœurs nous distribuent des cartes postales et des médailles en quantité, beaucoup d'entre elles causent le Français, nous sommes acclamés chaleureusement par tous les voyageurs présents à la gare. » Mais la gare est bien fermée par des grilles : il ne faudrait pas que les soldats désertent !
Paquebot Théodore Mante : réquisitionné, affecté au transport de Salonique, il prend le nom de Mustapha II en 1917. Il sera coulé en 1941 à Malte. |
Le 6
septembre ils embarquent à Tarente sur le Mustapha II qui fait le transport de
troupes de Tarente à Itéa (Grèce). La traversée n’est pas sans risque, les
Allemands ont posté des sous-marins pour empêcher ces traversées, c’est
pourquoi il y a une escorte. « On reçoit l'ordre du commandant de bord de
mettre tous les ceintures de sauvetage avec défense absolue de les quitter,
puis nous levons l'ancre et quittons le port de Tarente accompagnés du
"Timegatt" transport de troupe aussi, et de plusieurs torpilleurs
d'escorte. La nuit se passe à merveille, sans aucun incident. Il n'y a aucune
lumière sur les transports pour éviter les sous-marins qui, soi-disant, ne
cessent pas de voyager dans les parages où nous passons de nuit, nous marchons
à une vitesse de 18 à 20 nœuds (33 à 37 km/h), puis on arrive à Itéa, port
grec, le 7 septembre à 16H. On débarque dans un petit chalutier qui
nous conduit au quai, puis on va cantonner dans un coin derrière le village à
la belle étoile, heureusement qu'il ne fait pas encore bien froid. Aussitôt
arrivés, on forme les faisceaux, on pose les sacs, puis on va prendre un bain à
la mer qui est à 200 m de là. »
Arrivée sur le front
Ils
prennent ensuite des camions pour la gare de Bralos. « On passe différents
villages où on se rince l'œil sur l'habillement des paysans grecs, ici on ne
peut pas voir une figure de femme, car elles se cachent et s'enferment toutes à
notre approche. On fait le voyage en camion sous un soleil ardent puis on arrive
à Bralos vers 11H. Le camp se trouve à proximité de la gare, il y a
quelques baraques pour coucher, on se déchausse et se promène pieds nus comme
les civils du pays. Nous devons rester ici pour 4 jours ».
Les vieilles fortifications de Salonique |
Et enfin le train pour Salonique. Après plusieurs étapes Verria, Florina, ils arrivent sur les lieux du conflit aux environs de Monastir, au voisinage du front, le 21 septembre. Ils ont mis presque un mois à partir de Marseille pour atteindre la zone de conflit. « Nous sommes environ 200, on charge tous les sacs sur des voitures venues exprès du régiment et nous partons à travers champs pour rejoindre la grande route de Florina à Monastir, conduits par un lieutenant guide. On fait une dizaine de kms et on arrive à un gite d'étape du km 18 où on passe le reste de la journée et le soir. On repart jusqu'au km 22 sur le gite d'étape d'Holeven. Là on s'aperçoit que nous approchons du front, car il existe un va et vient formidable de camions, arabas (voitures turques tirées par des chevaux) et mulets bâtés, nous passons le reste de la nuit dans les baraquements couchés sur des plumards en grillage. »
Distance Monastir-Florina : 30 km à vol d’oiseau |
22 Septembre « ...on arrive vers 11H au ravin de Smolivo où cantonnent tous les sergents-majors et le service d'arrière du régiment. On cherche des cagnas pour coucher, mais on n'en trouve aucun, alors on se couche à la belle étoile. On se réveille en sursaut aux cris de "au jus !" poussés par un copain courageux qui s'est levé de bonne heure pour faire le jus de la section. Vers 17H….on charge nos sacs sur des mulets et nous partons pour les tranchées après avoir donné tous nos renseignements utiles au caporal fourrier. On traverse la ville de Monastir à la tombée de la nuit où il y a pas mal de dégâts causés par l'ennemi, et nous prenons une piste à travers les montagnes, conduits par un agent de liaison de la Cie. Enfin, après 3H de marche et toujours en montant nous arrivons au poste du commandant de la Cie, il est temps car nous ne sommes pas habitués à gravir les montagnes et on est sérieusement fatigués.
Nous sommes en renfort pour la Cie, de temps en temps on entend quelques obus siffler dans l'espace ainsi que le tac-tac des mitrailleuses boches. Nous sommes reçus au P.C. par un bureaucrate qui de suite avertit le capitaine, puis envoie un agent de liaison nous conduire dans des cagnas où il y a de la place, il fait très noir et l'on y voit que par quelques clartés des fusées boches. Moi je vais me coucher à la 4ème section dans une sape… »
La compagnie est en réserve pendant un mois et reste sur cette position puis relève les Grecs à gauche de la cote 1248.
Cantonnement français en Macédoine |
Le régiment remonte en ligne à droite de 1248, et y passe ainsi les fêtes de Noël et du nouvel an. « On touche un peu de supplément à l'ordinaire, mais heureusement que l'on reçoit tous les colis car la nourriture n'est pas suffisante pour celui qui a bon appétit … nous devons être relevés le 20 Janvier pour aller au repos. En effet, après avoir passé un bon mois à cette position, avec beaucoup de neige et de pluie et de gelée, on reçoit les ordres pour la relève qui se fait le 10 Janvier au soir. »
10
Janvier, « nous sommes relevés à minuit, tout se passe à merveille sans
aucun incident, on charge le matériel en bas du ravin des As sur les mulets de
la Cie et en route les sections individuellement. Nous traversons
Monastir et nous arrivons à Holeven au petit jour, il est temps, on en a plein
les pattes, nous passons toute la matinée du 11 janvier : dans une
baraque du camp du général, puis on se remet en route à 13H pour
aller cantonner et passer notre repos plus loin. On arrive à Kissovo vers 16H.
C'est ici que nous devons passer nos 25 jours de repos, on place les sections
dans les maisons inhabitées que nous trouvons bien sales laissées par le 227e
qui nous a relevés, enfin on nettoie le gros de la crèche pour ce soir et on se
couche, en attendant la soupe qui est servie à 19H. »
Au repos,
les soldats en profitent pour se laver et changer de linge. Pendant un mois,
les jours se passent à la garde des positions ou au travail sur la route de
Gradesnica à Kissovo. Puis à nouveau à partir du 15 février, la compagnie
retourne en ligne avec des conditions météorologiques hivernales :
« la neige commence à tomber à gros flocons et ne cesse pas de toute la
nuit, c'est un bien mauvais temps pour faire la relève, on arrive à Monastir,
... on prend la route de Resna (Rosna?) puis le ravin des Italiens que
l'on grimpe avec bien du mal, enfin après s'être tapé 6 heures de marche, on
est tout couvert de neige. On décharge le matériel puis on fait la relève des
pièces, on se passe les consignes, puis je prends 2 heures de garde et ensuite
je vais me coucher. Le lendemain matin, on se lève au jour pour explorer le
nouveau secteur, mais nous sommes constamment dans la nuit, car c'est une
position camouflée et où il n'y a aucun boyau de communication. Toute la
section est logée dans une sape, où on nous apporte la soupe la nuit, on passe
à cette position 10 jours sans mettre le nez dehors de jour de peur d'être vus
par les boches. Il y a en ce moment environ 1 m de neige et les hommes de soupe
chaussés de grandes bottes de caoutchouc ont bien du mal à apporter le
ravitaillement et trouver la position. »
4ème à partir de la gauche en bas, René Cobert |
Enfin la relève mais pour une autre position pas plus enviable : « On est logés dans deux sapes où l'on est obligé de mettre les imperméables au plafond, car il pleut et il neige tous les jours et ça dégoutte dans la sape sur les plumards.... Tout le secteur de Monastir n'est pas trop dur à tenir. Tous les jours passent avec un temps à peu près beau, et j'en profite pour faire quelques briquets demandés par les copains de mon ancienne section, j'en envoie également trois en France, qui j'espère, feront des heureux. »
Durant tout le printemps, les soldats se déplacent d’un bivouac à l’autre, montent en ligne, font des manœuvres et des rassemblements, redescendent se reposer aux alentours de Florina. Ils travaillent pour renforcer les routes, voies de communication indispensables pour acheminer hommes, matériel, nourriture Les jours se succèdent sans combat. « Tous les matins, il y a réveil à 5H, exercice à 6H, soupe à 10H30, de 11H à 16H sieste, de 16H à 17H théorie et jeux et 17H30 rapport et distribution de quinine, puis la soupe. Enfin, nous ne sommes pas trop malheureux car l'on revit de pouvoir se promener à son aise et de se débarbouiller tous les jours. Dans les 1er jours du mois de mai, les grandes chaleurs commencent à se faire sentir et il y a beaucoup de malades à la Cie et moi je suis pris pendant 6 jours par un accès de fièvre, enfin ça passe tout doucement par la force de la quinine, prise en quantité à la visite du P.S. »
Pour entretenir le moral des troupes, on organise des matchs de foot : « Dans la semaine du 5 au 12 Mai, le lieutenant Chabrol, commandant le 2ème peloton, demande au rapport les hommes voulant jouer au football car il y a un ballon à la Cie. Moi j'en suis et je ne demande pas mieux que de me faire inscrire, nous sommes environ une vingtaine qui savent jouer, donc tous les après-midi au lieu de faire de la théorie, on va s'entraîner.
26 Mai :
match de football, association de l'équipe de la Cie contre l'équipe
de la 22ème Cie. Le lieutenant distribue aux onze chacun un caleçon
pour confectionner un pantalon de football ainsi qu'une calotte avec un morceau
de cravate autour. On va jouer la partie sur un grand terrain au bord du
village, coup d'envoi à 14H. Il y a tous les poilus du baton
pour voir jouer la partie, car il n'y a aucune distraction dans le village. La
partie se termine à 15H30 par un match nul. »
L’hiver a été rigoureux mais l’été est très chaud : « On veut essayer de dormir, mais il n'y a pas moyen, par l'excès de chaleur qu'il fait sous les toiles et pas le plus petit arbre pour se mettre à l'ombre, c'est le vrai bled. »
3 Juillet : "Départ le soir à 21H,
on fait un ballot des couvertures par section pour charger sur un mulet et nous
montons en ligne dans la grande plaine de Monastir, à droite de notre ancien
secteur accompagnés d'un agent de liaison colonial par section, enfin après 2
heures de marche sur la route de Prilep, nous arrivons dans un petit ravin, où
on est à l'abri des marmites et de la vue des boches. On décharge le matériel,
on laisse les caisses de munition sous la garde d'un poilu, en emportant
quelques-unes avec les pièces, puis on part avec le matériel sur les épaules.
Comme je suis toujours fonctionnaire chef de pièce, je conduis mes servants
accompagné de l'agent de liaison. Après avoir fait 800 m, on arrive à la
position, surtout aucun bruit et il est recommandé de causer tout bas car nous
sommes maintenant en première ligne et les boches sont à 300 m, ce ne serait
pas le moment de faire des blagues et de se faire sonner au milieu d'une
relève. On met les pièces en batterie, on prend les consignes, puis la section
du régiment que l'on a relevé part. On place les sentinelles et le reste de la
section va chercher les caisses restées au ravin. Moi je prends la cagna du
chef de pièce que j'ai relevé, j'installe tout mon fourbi et je prends le quart
jusqu'à 2H du matin, la corvée de cartouches finies, tous les hommes
se couchent dans les différents cagnas existant dans le secteur de la section,
puis je reste avec les hommes de garde. La nuit est bien tranquille, il ne fait
pas trop noir et il faut bien veiller car nous sommes en première ligne et la
plaine est couverte de grandes herbes dépassant les réseaux de fil de fer
barbelés. »
7 Juillet : « 2 hommes vont à la
soupe le matin et le soir, on attend la nuit pour les envoyer, de ce fait ils
passent par la piste et vont moitié plus vite. On mange un peu plus tard et
voilà tout. »
9 Juillet : « Aujourd'hui le temps est redevenu beau, le secteur est toujours calme car depuis que nous sommes ici, il n'est pas encore tombé d'obus dans les parages. La nuit, les sentinelles veillent attentivement, car nous sommes dans un coin à patrouilles et coup de main. »
10 Juillet : « Le beau temps a repris complètement, on s'installe dans le fond de la tranchée puis on fait réponse au courrier de France reçu hier soir, et en même temps raconter à nos parents et amis les effets de nos étapes et de la relève. Il se passe comme ça encore 7 jours avec une chaleur foudroyante, impossible de dormir dans les cagnas par l'excès de chaleur, les mouches et les moustiques. »
Monastir, aujourd'hui Bitola, 2ème ville de Macédoine |
17 Juillet : « En allant faire une corvée le soir au P.C., j'apprends que nous devons bientôt changer de position. A la nouvelle position, il n'y a qu'une sape où l'on peut loger 6 et nous sommes 18 à la section, aucun autre abri et des emplacements de pièces à la noix. Enfin on installe les couvertures au-dessus de la tranchée pour préserver du soleil, puis après avoir cassé la croûte et bu le jus, on en écrase jusqu'à 10H. Le soir, on touche du matériel pour se faire des abris, moi je commence le mien avec le chef de pièce de la 11ème. On travaille jusqu'à 2H du matin, puis on se couche bien fatigués, notre cagna est ni plus ni moins un trou avec du grillage et de l'herbe dessus simplement pour nous garantir du soleil. »
21 Juillet : « l'après-midi un agent de liaison apporte le cahier de rapport et la décision comme tous les jours. "Fameuse nouvelle", j'apprends que je suis nommé caporal avec 2 autres de la Cie ... je remonte manger la soupe et je me remets au boulot autour de la cagna, quand un poilu de la section ayant porté des lettres au bureau m'apprend qu'il faut que je m'apprête de suite pour rejoindre ce soir ma nouvelle Cie. C'est bien ça le régiment, toujours les ordres au dernier moment. »
« ... nous sommes dans la montagne au nord-est de Monastir, on peut dormir à son aise car la nuit, il fait bon dans les sapes et dans la journée il fait frais, on est tranquille et on ne craint pas les mouches ni les moustiques comme dans la plaine. Le soir après la soupe, je vais reconnaître les emplacements de pièce, accompagné du caporal que je dois remplacer et prendre les consignes de la position et principalement de ma pièce. Je prends le quart le 3ème dans la nuit et tous les jours se répètent comme ça dans la tranquillité en faisant son petit boulot. Je me plais bien à ma nouvelle Cie car le lieutenant est un bon grand-père, on est tranquille et la nourriture est épatante. La position est tout ce qu'il y a de bien, la cuisine est dans le fond du ravin ainsi qu'un lavoir et on a l'eau bonne à boire à volonté à 100m de la cagna, nous avons également une table abritée par une tonnelle faite de grillage, de barbelés et de feuilles. »
30 Juillet : « lever à 9H, puis accompagné de 2 hommes je descends au ravin d'Austerlitz où se tient la coopé, on fait les provisions et nous remontons à la section, après 2H de marche, nous arrivons tout essoufflés car le soleil commence déjà à chauffer, on mange la soupe, puis le sergent distribue les marchandises commandées. On ne peut contenter tout le monde car il n'y a jamais ce que l'on a besoin à cette coopérative de malheur, enfin chacun se contente après avoir ronchonné un peu, puis le mois se termine dans le même boulot. »
4 Août : « Aujourd'hui, anniversaire de l'entrée en guerre, les communiqués français sont bons car ils annoncent la contre-offensive sur le front occidental et le débarquement des troupes américaines en France, on pense toujours à la fin de ce maudit cataclysme. »
6 Août : « Réponse de l'Amérique acceptant l'intervention du Japon sur le territoire Russe. Nous apprenons par la même occasion que les Français avancent sérieusement en Occident, aidés des troupes anglaises et américaines. »
« Communiqué important : les Français ont repris Soissons et Reims et sont maintenant bien loin de la Marne, en un mot tout va bien, avec un communiqué comme ça, le moral est excellent en Orient. »
18 Août : « Les communiqués ont l'air de baisser, la bataille doit s'arrêter, ça ne fait rien, on dévore quand même les communiqués avec anxiété, la fin s'approche et tout chacun a bon espoir. C'est aujourd'hui également l'anniversaire de l'incendie de Salonique occasionné par un feu de cuisine, le 17 Août 1917 et c'était hier 17 Août, l'anniversaire de l'incendie de Monastir occasionné par le bombardement ennemi. »
(Salonique avait été presque entièrement détruite par
l’incendie provoqué par un réchaud à pétrole. L’incendie attisé par le vent
avait fait 73 448 sinistrés sur les 278749 habitants
24 Août : « nous descendons à Monastir, puis on va attendre le régiment de zouaves qui nous relève à l'entrée de la ville. On poirote 2H là où on en profite pour boire une citronnade dans un bistro. Enfin vers 21H, le baton de zouaves arrive, chacun prend sa section, moi je conduis les cuisines et en route chacun de son côté. Les zous-zous n'ont pas l'habitude des montagnes, car mon régiment met 2H pour monter en lignes et ils en ont mis 4. »
25 Août : « Grand nettoyage : On se lève, on se rase, puis on se débarbouille pour changer de linge, puis je donne tout le sale à la "pagante" de la maison pour le laver. Tous les jours on descend à environ 900 m des cagnas sur les chantiers commencés par les zouaves qui nous ont relevés en lignes. Le brigadier place les hommes par groupe pour travailler à chaque emplacement de pièce. Je ne fais absolument rien du tout qu'à surveiller le travail et donner un coup de sifflet à l'heure de quitter et tous les jours se succèdent dans ce genre sans qu'on s'en fasse une miette. Tous les jours suivants se passent dans le même genre, mais le pire est qu'il y a 2 fois par semaine 2 boules de pain à 3 et le reste de la ration complétée en biscuits. »
fin de la première partie, Suite : Monastir 1918, la rupture décisive
Sources :
Carnet de marche de René Raymond Cobert
Cartes postales envoyées par lui