Le Laki : Un volcan révolutionnaire ?
Une éruption volcanique
On se souvient de l’éruption en 2010
de ce volcan d'Islande au nom imprononçable, l'Eyjafjallajökull, qui
entraina la formation d'un important
panache de vapeur d'eau, de gaz volcaniques et de cendres. Ces dernières,
poussées par les vents dominants qui les rabattirent sur l'Europe continentale,
entraînèrent d'importantes perturbations dans le transport aérien dans le monde
avec la fermeture de plusieurs espaces aériens et de nombreuses annulations de
vols jusqu'au 20 avril.
Une autre éruption en Islande a eu
elle aussi des conséquences désastreuses : celle du Laki, ou Lakagigar (en
fait une chaîne de volcans) qui fut une des plus importantes des temps
historiques., en 1783. Les cendres recouvrirent l’île, et de 50% à 80% des
animaux d’élevage moururent. Il s'ensuivit une famine chez la population
islandaise qui entraîna la mort de 9 336 personnes, soit près d'un quart
de la population de l'époque (40 000 habitants), ainsi qu'un important exode.
Conséquences sur le climat
En rouge les régions touchées par le brouillard sec. On voit nettement que l’Eure et la Seine-Maritime en font partie |
Cette catastrophe eut des conséquences climatiques sur tout l'hémisphère nord. Par son intensité elle produisit un nuage de pollution appelé par les scientifiques de l’époque «le brouillard sec", parce qu’il n’influençait pas les hygromètres, qui allait séjourner de longs mois sur la France. Ce nuage était constitué principalement de dioxyde sulfurique et d'acide fluorhydrique.
L’été 1783 fut particulièrement chaud avec des ciels rouges le soir qui créaient des paniques et de violents orages. Les récoltes furent perturbées : fourrages brulés, chenilles dans les pommes, blé qui n’arrivait pas à maturité, grappes de vignes (eh oui ! il y avait de la vigne en Normandie) dévorées par les insectes. Lui a succédé un hiver des plus rigoureux. La neige commença à tomber en décembre, elle dura dans certaines provinces plus de deux mois. Les dégâts provoqués par le dégel furent très importants, notamment à Rouen où le pont de bateaux fut emporté par la débâcle des glaces.
Les années qui ont suivi l'éruption du
Laki en 1783 furent marquées par des phénomènes météo extrêmes, dont des
sécheresses et des hivers très rigoureux, puisqu’on disait que le pain et la
viande gelaient sur la table de la cuisine et les corbeaux en plein vol. On vit
un accentuation du petit âge glaciaire. La ligne de grains orageux qui traversa
la France du sud au nord, dans l'été 1788, détruisit toutes les récoltes
Conséquences sur la santé
Les mauvaises récoltes, la pollution
atmosphérique et l’hiver rigoureux ont entrainé une surmortalité très
importante. A cette époque, les épidémies étaient nombreuses et l’Etat
(c’est-à-dire le roi !) s’en préoccupait. La Normandie avait sa part de «fiévreux» comme on les appelait à
l'époque.
La toute jeune Société de médecine fondée en 1778 est mobilisée. C’est la naissance des thèses hygiénistes : des médecins veulent démontrer l’influence de la qualité de l’air sur la santé. Des mesures prophylactiques sont prises mais 160 000 personnes auraient au total succombé en Europe.
Le célèbre docteur Louis Lepecq de la Clôture, «hippocrate normand» qui exerçait à Rouen depuis une vingtaine d'années avait été désigné par Vicq d'Azir, secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine, comme médecin des épidémies de la Normandie. Il relata toutes les affections qui se produisirent alors en plus grand nombre que les autres années : scorbut, paludisme, choléra, dysenterie. Ce sont les zones de plaines avec rivières et marécages qui sont le plus touchées, comme le relate le docteur. « Ainsi se terminait notre été le plus injecté des vapeurs atmosphériques et le plus fécond en maladie que j'ai vu depuis vingt ans que j'écris les maladies régnantes. Je suis en état d'attester que la contrée de Caux et du Roumois étaient dans une situation désolante par la quantité de maladies qui y régnaient. Les cantons de plaines dans ces deux contrées se trouvaient infestés des fièvres d'accès irrégulières et souvent malignes. Les paroisses les plus rapprochées des bois, des rivières étaient atteintes de coliques bilieuses et dysentériques qui s'établissaient d'une manière inquiétante. »
Comme le montre la courbe ci-dessous, il y a effectivement un plus grand nombre de décès en 1783. Mais ce n’est pas le seul pic de mortalité. Il y en avait eu un autre en 1779-1780 car une grave crise de dysenterie provoqua 132 000 morts en Bretagne. Ensuite une pneumonie infectieuse s’installa dans l’Ouest.
Qu’en est-il dans nos villages ?
En consultant les registres d’état
civil des baptèmes, mariages et sépultures de Pîtres, Romilly, Pont-Saint
Pierre (à l'époque deux paroisses) et Pont de l’Arche, on constate, bien que
la recherche porte sur un nombre d’habitants peu élevé, que les pics de mortalité correspondent bien aux années
de la courbe ci-dessus portant sur 97
paroisses (voir plus loin).
En
étudiant en détail mois par mois les décès de 1785, on constate à Pîtres une
surmortalité sur les mois MDP (Mois Dysenterie Paludisme). On voit donc sur
Pîtres une petite augmentation en 1783 (29 décès) mais ce sont surtout 1780 et
1785 qui sont les années les plus meurtrières.
Et
ce sont évidemment les enfants qui sont les plus touchés : sur les 17 décès
d’octobre, dix sont des enfants de moins de 10 ans.
Le paludisme
était donc encore endémique à cette époque, et jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Il provoquait des comas mortels chez les jeunes enfants Il en est
malheureusement encore ainsi dans les pays où sévit cette terrible maladie. Le
quinquina, seul traitement efficace à l’époque, était horriblement cher pour le
peuple.
Décès en 1785 à Pîtres |
Les fortes chaleurs consécutives à l’éruption ont été favorables au développement du moustique qui provoque le paludisme : « la lave du volcan a réveillé indirectement la larve du moustique »
Décès en 1780 à Pîtres |
- En 1780 ce doit être la pneumonie infectieuse qui cause le plus de décès qui ont lieu en février (16 morts) et mars (9 morts) sur les 49 de l’année à Pîtres.
- A Pont de l’Arche, les courbes montrent aussi des pics en 1780, 1785 et
1788 mais l’influence des cendres du Laki semble s’y être plus fait sentir qu’à
Pîtres, avec 77 décès, et un pic de
mortalité en mai sans qu’on puisse trouver une explication.
Décès en 1783 à Pont de l'Arche |
- A Romilly, il en est de même avec 16 décès en 1783 et une année 1780 très meurtrière avec 19 décès.
Un volcan révolutionnaire ?
Dès 1784, des troubles de disette sont
signalés partout et en particulier en Normandie. Les causes de révolte sont la
cherté des grains mais aussi des soupçons de spéculation. Les fermiers sont
accusés de stocker ou d’exporter clandestinement. Les seigneurs aussi amassent dans leurs châteaux.
Cette spéculation fut très mal supportée
par le peuple et serait une des causes de la révolution. La situation des
paysans était si désespérée que la révolution éclata en 1789. Ces modifications
climatiques et le volcan Laki ne sont peut-être pas seules en cause, mais
certains historiens admettent que leur influence fut considérable dans les
événements politiques qui mirent fin à la royauté.
Prix du froment à Rouen, de 1779 à 1788, en livres par hectolitre |
Pour d’autres, c’est là un « serpent de mer porté par les Anglo-Saxons et les géologues », car, au contraire, le pouvoir royal débloqua 3 millions de livres pour aider les victimes, soit 1% du budget de l’État. L’image de Louis XVI « le Bienfaisant » en sortit renforcée, ce serait même le début de l’État providence ...
Les orages des 13 et 14 juillet 1788 qui ravagèrent les cultures céréalières seraient plus en cause que le volcan, ainsi que l’hiver très rigoureux de 1788 (ci-dessous le commentaire du curé de Notre Dame de Bonneval paroisse près de Conches, qui n’existe plus de nos jours). C’est ce que les climatologues appellent le « petit âge glaciaire» dont Emmanuel Le Roy Ladurie, l'un des précurseurs de l'étude de l'histoire du climat en France, fixe la fin vers 1860.
Sources
Etat-civil de Pîtres, Romilly, Pont de
l'Arche aux Archives Départementales de l'Eure
La
tribune de Genève blog 2010
Epidémies
et famines en France
Eruption
du Laki juin 1783 de Michel Letourneur 2012
Liliane EBRO
L’histoire
ne fournit point d’exemple d’un hiver aussi long, aussi froid et aussi constant
que celui de cette année 1788. Le 24 novembre, la gelée commença à se
manifester par un vent d’est nord-est. Depuis ce jour, le froid est allé en
augmentant, gelant à toutes les heures du jour et de la nuit.
Le
31 décembre, le baromètre a 28 pouces trois lignes et demie. Les thermomètres
marquaient 18 degrés(*) et trois quart au dessous de la glace.
Le
grand froid de 1776 fut observé aux mêmes thermomètres à 16 degrés et un quart,
celui de 1740 à dix degrés et demi, au dessous de la glace. Celui de 1709 à 15
degrés au dessous de la congélation. Le froid du 31 décembre n’a donc pas
d’exemple ni dans la rigueur ni dans la durée.
* en degrés peu différents de l’échelle actuelle
Journal du curé de Notre-Dame de Bonneval
Orage
le 13 juillet 1788. Coupure de presse. Transcription : « 1788, 13
juillet. Le dimanche 13 du mois de juillet mil sept cent quatre vingt huit,
vers les onze heures du matin, il s’est élevé un orage terrible venant du
sud : la pluye, la grèle, le vent et le tonnerre ont fait un ravage
effroyable dans une grande partie de la France ; peu de provinces ont été
épargnées par le fléau ; la grêle principalement en a dévasté une grande
partie ; les bleds et les autres denrées ont été entièrement perdues dans
beaucoup d’endroits, dans d’autres à moitié et dans certains autres au tiers et
au quart ; les villes et les grandes maisons ont souffert des dommages
considérables : les ardoises et les vitres ont été fracassées. La misère
est devenue des plus grandes, le prix du bleds est devenu excessif et pour
comble de disgrâce, l’hiver a été le plus long et le plus rigoureux que l’on
ait jamais vu ; joint à tout cela le mauvais état des affaires du Royaume,
qui est cause que le Monarque ne peut donner à son peuple le soulagement à de
si grands maux. La misère est à son comble : Dieu veuille y mettre fin et
nous bénir tous. Amen "
Archives de la mairie de Fresnoy le grand (Aisne)