1 décembre 2017

L’Andelle se raconte

Andelle
L'Andelle se raconte
prosopopée


Cela fait des millions d’années que je creuse, comme ma grande sœur la Seine, dans la craie du crétacé supérieur du Bassin parisien, qui, lui, s'est formé il y a une centaine de millions d'années.
Au tout début, je ne suis qu’un petit filet d’eau à Serqueux, tout près de Forges-les-eaux. Et à quelques kilomètres près, je me retrouvais dans la Manche à Dieppe, avec la Béthune, au lieu d'aller me jeter dans la Seine à Pîtres, après avoir parcouru près de 60 km et descendu de 149 mètres à 5 mètres d'altitude (j'ai alors un débit de 7,2 mètres cubes par seconde, ce qui n'est pas négligeable...
Je commence par alimenter le lac de l'Andelle, à Forges, créé au milieu des années 80, à l'initiative de Claude Laffon, un prêtre, sur une ancienne tourbière, nettoyée et mise en eau après 4000 heures de travail harassant par une trentaine de chômeurs. Puis la descente continue…

Mon nom

On en trouve une première trace, Andesla, dans la Vie de saint Condède, écrite en latin, bien sûr, au VIIème siècle par un moine de l'abbaye de Fontenelle. Puis il faut attendre cinq siècles pour trouver en 1152 Andella chez Robert du Mont, ou de Torigny.
Étymologiquement, Andelle signifierait soit frontière, de la racine and– que l'on retrouve dans Andelys, soit, d'après François de Beaurepaire, "eaux agitées "(cf. vieil occitan andalhon, " mouvement de l'eau", et breton anda "source").
Vous parlez d’une frontière ! Au niveau de mes premiers glouglous, un pas suffirait à m’enjamber. Cependant, plus loin dans mon cours, il a fallu aux hommes trouver le moyen de me traverser. L’été on pouvait le faire à pied, les gués étaient nombreux, mais lorsque venait l’hiver mon lit débordait souvent et il devenait dangereux de vouloir s’y aventurer.
Des communes se trouvant sur mon passage ont dans leur nom l’évocation d’un gué, lieu empierré pour Perriers et Perruel ou pour Vascoeuil dont l’étymologie pourrait être Vadeculum "petit gué ".
Le Ritumagus que l'on aperçoit au milieu de ce tout petit extrait de la carte dite de Peutinger, copie d'une carte romaine datant vraisemblablement du IVème siècle de notre ère, c'est Radepont, qui était alors le point de passage obligé sur une partie difficile du trajet de la voie romaine.

Andelle. montage de captures d'écrans sur Geoportail montrant l'ensemble de la vallée de l'Andelle, que l'on devine très bâtie, sinuant entre bois des pentes et cultures du plateau.
montage de captures d'écrans sur Geoportail montrant l'ensemble de la vallée de l'Andelle, que l'on devine très bâtie, sinuant entre bois des pentes et cultures du plateau. 

Faune et flore

On dit que je suis belle, alors pour remercier la nature j’essaie d’être aimable avec les êtres vivants qui m’entourent. Mon cours, qui présente de nombreux méandres, est bordé d'aulnes et de saules, et les milieux humides connexes, et mon lit majeur, où j'ai souvent divagué avant que les hommes ne finissent par me fixer, n'est plus entièrement marécageux, mais occupé par des prairies plus ou moins humides, remplacées ici et là par des parcelles cultivées, mais a su conserver une importante biodiversité végétale et animale.
Sur les coteaux, cultures, vergers, bois et prairies offrent de nombreux parcours aux randonneurs. Mais je suis désolée de vous dire que du côté de la qualité de mon eau, ce n'est pas encore gagné. De nombreux efforts ont été faits, par les communes et les entreprises (du moins celles qui survivent), des stations d'épuration construites, mais je continue à recevoir les engrais, herbicides et pesticides provenant des 740 km² de mon bassin versant.

Affluents

Pour être honnête, je dois reconnaître que pour grandir et devenir telle que je suis, d’autres sont venus me rejoindre. Parmi mes affluents, le Héron, le Crevon, la Lieure, le Fouillebroc (source Sainte-Catherine de l'abbaye de Mortemer), et le dernier, le Cabot, à Romilly. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, et je ne serais pas ce qui je suis sans eux, mais la Seine ne serait pas ce qu’elle est sans moi (et les autres bien sûr !)

Histoire

Je vais tenter de vous raconter ce dont je me souviens de ma longue vie. Commençons par le commencement. Les hommes se sont rapidement rendu compte que s’installer à mes côtés pouvait leur être très bénéfique. Ils sont rapidement venus rejoindre mes berges.

Sur le village actuel de Romilly ils ont laissé trace de leur vie: silex taillés, grattoirs, fragments de divers outils, flèches) datant du néolithique. L’âge de bronze nous a laissé ce qui semble être une tombe. Des fouilles ont permis d’identifier des greniers, silos, fours domestiques datant des VII et VIIIème siècles, ainsi que les restes d’un cimetière comprenant près de 1500 sépultures, s'étalant dans le temps du VII au XIème siècle, mais on me dit que tout cela fera l'objet d'un futur article plus documenté.
La commune de Pitres n’est pas en reste: objets néolithiques, cimetière gaulois, thermes, théâtre et villas gallo-romains montrent que Pîtres, bien situé sur ma confluence en Seine, a été une importante agglomération dans le passé, et ce d'autant plus que Charles le Chauve...les Vikings...mais on m'arrête : tout cela a déjà été longuement décrit dans les premiers numéros.

Mon nom veut peut-être dire frontière, et frontière j'ai pu être, entre tribus gauloises, mais l'Epte m'a ravi une belle place lors du traité de Saint-Clair qui en fait la frontière entre Normands et Carolingiens. Mais ma vallée, plus escarpée, va néanmoins faire de moi une ligne de défense dans les nombreux conflits qui jalonnent le Moyen-âge: Français contre Anglais, catholiques, contre protestants, seigneur contre seigneur, ou suzerain..…. de nombreux châteaux et fortifications ont alors été érigés le long de mon cours. Lyons, Noyon (devenu Charleval), Radepont, Douville (Logempré) Cateliers de Pont-Saint-Pierre, palais de Charles le Chauve à Pîtres. Marécages, taillis, et forêts renforçaient cette frontière.
Logempré, à Douville
Logempré, à Douville

Abbayes

Mortemer première abbaye cistercienne de Normandie, fondée en 1134 par Henri Beauclerc, roi d'Angleterre
Mortemer première abbaye cistercienne de Normandie, fondée en 1134 par Henri Beauclerc, roi d'Angleterre

Fontaine-Guérard, fondée par le baron anglo-normand Robert de Leicester  en 1135
Fontaine-Guérard, fondée par le baron anglo-normand Robert de Leicester en 1135

Il faut attendre le XIIème siècle pour que des moines s’installent dans ma vallée. Ils défrichent, construisent des abbayes. A leur suite naissent des villages. Puis la paix venant les hommes prennent conscience de l’énorme potentiel que leur offre ma vallée.

Agriculture

Dès le XIIIème siècle ma vallée est comparée aux jardins anglais du Comté du Sussex. Malheureusement pour les habitants, même si le paysage est idyllique, la terre est dure à travailler, produit peu et en prime, je sors souvent de mon lit. Même les cultures de première nécessité donnent de piètres résultats. Pour un grain semé on en récolte rarement trois ou quatre, car une partie des semences ne germe pas. Le bétail est rare et mal nourri, car les paysans cultivent pour eux, pas pour les bêtes, sauf pour les chevaux des guerriers. L'engrais, dont les excréments humains, est réservé au potager qui fournit les légumes indispensables à la confection des soupes, aliment essentiel des paysans. La terre doit être mise en repos une année sur deux ou sur trois.
Avec le défrichage et l’aménagement de mon cours les cultures s’améliorent au fil des siècles. L’élevage y est aussi implanté, bœufs, vaches, moutons parviennent à améliorer le quotidien.
Des arbres fruitiers sont plantés, pommiers, poiriers permettent de donner du cidre, de l’eau de vie, du petit cidre. La vigne aussi pousse sur les collines de Fontaine Guérard, mais elles se plaisent beaucoup plus sur les coteaux qui bordent Romilly et Pitres.
Mais pour la culture du blé, ma vallée reste beaucoup moins riche que les plateaux qu'elle découpe. Je me rattrape avec le bois.

La forêt

La forêt qui me borde tout au long de mon parcours est elle aussi source de travail, de revenus. Elle permet la pâture, on y trouve de la litière pour les animaux, on y cueille des fruits sauvages, elle fournit les matériaux pour la fabrique et la commercialisation de balais et de vanneries. Le petit bois permet de cuisiner et se chauffer, bien peu.
Fabrication du charbon de bois
Fabrication du charbon de bois

Elle procure de la matière première et des emplois aux bûcherons, aux scieurs de long, aux charbonniers qui dans des fours fabriquent le charbon de bois.
Malheureusement elle permet aux seigneurs d’assouvir leur passion pour la chasse. Gibiers et chasseurs dévastent, sans compensation, les cultures du petit peuple, parfois même leur maigre poulailler.
La forêt, c'est souvent aussi la verrerie : on estime au XVIIème siècle que près de la moitié du verre fabriqué en France se fait en forêt de Lyons
Plan de la forêt de longboël, 1757
Plan de la forêt de longboël, 1757

Flottage

Dès le XVème siècle on m’utilise pour le flottage du bois pour évacuer les coupes de la forêt de Lyons, acheminées par flottage jusqu’à Pitres où elles sont séchées avant d’être expédiées vers Paris ou Rouen.
bois d'Andelle, flottage
Au milieu de XVIIIème siècle un Vicomté de l’eau arbitre les conflits, définit et fait appliquer les conditions et règles du transport du bois jeté en grumes sur les lieux de productions et mis à sécher à Pitres avant l’expédition sur Paris ou Rouen.

L'Andelle fut inscrite à la nomenclature des voies navigables par l'ordonnance royale du 18 juillet 1835. Mais Ernest Grangez, en 1855, précise que la navigation y est abandonnée...

Et des conflits il y en a !!
Je me souviens qu’au XVIIIème siècle le Seigneur qui exploitait la forêt de Lyons pour le compte du Roi a présenté une requête : Exploiter la forêt est source de revenus pour le Roi, pour lui aussi bien sûr, alors gagner du temps sur le flottage du bois augmentera d’autant plus les bénéfices. Le seigneur demanda donc à la justice de prendre un arrêté pour que mon cours soit aménagé pour faciliter l’évacuation du bois. Des mois de procédures, des mois de travaux mais la justice du Roi était encline à défendre les intérêts du Roi. La requête du Prince fut reconnue réelle et justifiée.
Les propriétaires exploitants, les métayers, les journaliers ont dû donner de leur temps ou de l’argent pour que mes berges soient rognées dans les méandres, creusées lorsque mon lit était moins profond. J’y ai gagné un regain de jeunesse j’étais plus vigoureuse. Un lifting en somme.
Une modification de plus sur mon cours et ce ne fut pas la dernière.

Les moulins

Moulins sur l'Andelle, Pîtres, Romilly sur Andelle, Pont St Pierre
L'Andelle présente une remarquable mise en valeur de l’important potentiel énergétique que représente la rivière. Les plateaux qui la bordent ont besoin pour la mouture des blés de l’équipement technique qui métamorphose les campagnes occidentales à partir du XIIème siècle : le moulin à eau. La mise en valeur de la vallée consiste donc aussi en canalisation de la rivière, aménagement de dérivations multiples qui assainissent le marais et font mouvoir quantité de moulins à blé auxquels viendront s’ajouter les moulins à foulon pour battre les draps de laine fabriqués à Elbeuf, moulins à papier et moulins à couteaux. Pour plusieurs des ces industries, la limpidité de l’eau est un avantage qui s’ajoute à celui de la force hydraulique tandis que le débouché sur la Seine leur ouvre les
Au XVIIIème siècle, dès 1760, on compte 16 moulins à foulon à Pont Saint Pierre et Romilly.
Certains sont très perfectionnés. Les innovations techniques mises en place dès 1713 par les frères Lancelevée ont été améliorées et disposent de gros aménagement.
En 1926, on trouve plus de 40 moulins sur mon cours, dont la puissance cumulée représente près de 2000 kw.

Le textile

Ma vallée ne reste pas limitée au foulonnage et devient un centre important de production de tissus. A Fleury et Charleval on fabrique de l’indienne (toile de coton imprimée). Beaucoup de journaliers abandonnent le travail de la terre pour une activité qui rapporte plus.
Le commerce du coton a lieu aux Halles de Pont Saint Pierre. Mais au fil du temps certains refusent de se plier aux dictats du Seigneur. Ils vont vendre leur production aux marchés de Pitres ou Romilly. D’autres vont même chaque vendredi porter leur production aux Halles de Rouen.
Malgré tout les indigents représentent 46% de la population. Tous ne sont pas logés à la même enseigne. Si à Romilly on compte 17% de nécessiteux, à Fleury, Radepont, Pont Saint Pierre ils représentent 66% de la population.

En libérant le droit d’usage de l’eau des contraintes seigneuriales et par le jeu des ventes de biens nationaux, la Révolution permet le développement des investissements capitalistes. La première manufacture de coton utilisant les nouvelles techniques anglaises est établie près de l’abbaye Fontaine-Guérard. Pouyer-Quertier, industriel rouennais, ministre des Finances de Thiers, possède à partir de 1872 deux importantes filatures : Perruel, à l’emplacement de l’abbaye de l’Isle-Dieu, et Fleury.
En 1874 on recense dans la vallée 29 établissements industriels qui travaillent le coton.
Château de Perruel  photo Eric Catherine
Château de Perruel photo Eric Catherine

Cette industrie décline au début du XXème siècle, mais l’activité se maintient grâce à une reconversion vers la production de produits finis diversifiés. (taillanderie, petite mécanique, selles de vélo, jouets, etc.)

La révolution industrielle est en marche et ma vallée n’y échappe pas.
A la veille de la révolution française est construit à Romilly le plus puissant et moderne établissement de laminage de cuivre. Il fournira la marine française pour le doublage des coques de bateaux. (voir bulletin°6)
A cette époque les communes de Fleury, Douville, Saint Pierre de Pont Saint Pierre comptent chacune environ une centaine d’habitants, celles de Romilly, Radepont et Pont Saint Pierre cinq cents, la commune de Pitres approche les mille.
Ma vallée sort peu à peu du moyen âge mais tout n’est pas rose pour les habitants. Les nombreux aménagements faits pour l’industrie oublient trop souvent le quotidien des petites gens. Trop souvent l’eau envahit les misérables demeures.
La crise économique n’épargne cependant pas les habitants. Début 1789 ils se regroupent et demandent une baisse du prix du blé de 36 à 30 livres le sac.
En 1825 une étude des armées décrit ma vallée comme remarquable.
Un décompte fait état de Charleval à Romilly, soit sur environ trois lieues :
8 fabriques de toiles peintes ou d’indienne avec 450 ouvrières
7 filatures de coton avec 630 ouvriers
2 filatures de laine et 115 ouvriers
2 moulins à papier
3 moulins à foulon
7 moulins à farine
1 fonderie de cuivre rouge et jaune avec 300 ouvriers
Au XIXème siècle est construite l’usine Levavasseur. Anobli en 1815 le baron achète les propriétés Guéroult de Fontaine Guérard puis les deux moulins du marquis Dubosc de Radepont, et enfin en 1843 l’ensemble du domaine de la famille de Radepont.
De toutes ces usines que reste-t-il à ce jour ? L’industrie du tissu a déserté ma vallée. Mon cours n’est plus si attrayant, la vapeur, puis l'électricité n'imposent plus de se localiser sur les rivières.
Le Prince Napoléon est venu me rendre visite il y a bien longtemps accompagné du Général Kellermann. La guerre a besoin de matériel et à cette époque je pouvais contribuer à assouvir une partie de ses besoins.
La paix est la plus belle chose qui soit. La paix intérieure, on la trouve sur mes berges en flânant ou en naviguent sur mes eaux limpides.
Dès le milieu du XIXème siècle un projet de barrage sur la Seine avec construction d’écluses à Amfreville sous les Monts est étudié, puis réalisé. En 1852 fut construit un pont à mon confluent avec la Seine.
Embouchure de l'Andelle sur la Seine 1834
1834

Embouchure de l'Andelle sur la Seine - cadastre de 1937
cadastre de 1937

Puis autour de 1930 on construisit des écluses plus modernes; la navigation demanda que mon embouchure soit déplacée de 500 m environ vers l'aval et on creusa dans les années 30 une dérivation rectiligne. le cours primitif n'a été comblé que dans les années 1940 (c'est l'emplacement de l'entreprise Fréret devenue la Sabla.). En 1945-1946. le pont de halage fut supprimé et remplacé par une route.

Mes crues sont celles de la Seine. Une petite maison de briques porte encore une plaque métallique indiquant la crue de 1910. Mais ne dit-on pas qu’il faut se méfier de l’eau qui dort.
Qu’on me prête vie encore longtemps pour le bien être de ma vallée et de ses habitants.
Pîtres - La rue des moulins lors de la crue de 1910
La rue des moulins lors de la crue de 1910
Pîtres crue de 1910

Sources :



Evelyne Clastère



*****



Annexe (extrait d'un article de Robert Taupin paru dans Connaissance de l'Eure)

Le flottage du bois 

Le cours inférieur de l'Andelle fut navigable au moins jusqu'à Douville par de petites embarcations notamment pour le transport du vin. Deux textes en font mention. Le premier, un mandement de Jean Sans Terre du 8 avril 1203, évoque une petite nef "una navata vini" qu'Etienne de Longchamps avait fait venir au château de Douville pour ravitailler la garnison. Le second est plus tardif, c'est un aveu de Jean de Roncherolles, baron de Pont-Saint-Pierre, en juillet 1600, qui reconnaît avoir un droit de bremmage sur les vins transportés en la rivière d'Andelle. 
Cependant le flottage du bois eut certainement une importance économique beaucoup plus grande. Duchemin, dans son ouvrage sur la baronnie de Pont-Saint-Pierre, lui consacre un chapitre. Il le fait remonter à la fin du xvème siècle, avec Jehan Le Roux, le premier marchand à avoir obtenu, du roi Charles VIII, le privilège de faire flotter le bois à bûches per­dues, depuis le village de Transières, où il avait obtenu la concession de 200 arpents en forêt de Lyons. Bientôt Le Roux s'attire de vives protes­tations visant à obtenir la suppression du flottage, à cause des graves dommages causés aux rives, aux pêcheries et aux moulins de la rivière.
Des experts (PV du 7 janvier 1503) ont reconnu que les inconvénients dont se plaignaient les riverains étaient imputables autant à leur propre négligence qu'au procédé lui-même. Ils ne nettoyaient pas suffisamment le lit de la rivière envahi par les herbes, de plus les moulins ne disposaient pas de système pour lever facilement leurs vannes. Un accord intervint: les particuliers maintiendront propre la rivière, le marchand limitera la quantité de bois flotté chaque saison et engagera, à ses frais, assez de gens pour veiller à ce que les bûches ne s'arrêtent pas contre les berges.
Les marchands étaient tenus avant de jeter leur bois à l'eau d'en demander la permission au baron de Pont-Saint-Pierre et payaient un droit de flottage assez rondelet puisqu'il fut baillé à ferme pour 100 livres par an. Chaque possesseur des rives exigea un droit identique pour le passage sur sa portion de rivière, que ce soit l'abbesse de Fontaine-Guérard, le sire de Gonnelieu, seigneur de Grainville et d'une partie de Radepont, ou les Du Bosc, seigneurs de Radepont et de Fleury.
Du Buisson (1590-1652) a visité la région à plusieurs reprises et a noté des détails techniques intéressants au sujet du flottage « Sur cette rivière, on laisse aller, tous les ans, vers la fin de l'été et en automne, les bois de la forêt de Lyons, dont les marchands ont acheté les coupes, et ils vont flottant non pas par radeaux comme les bois de Bourgogne qui descendent par la Seine à Paris, mais séparément et bûche à bûche ; et les meuniers sont tenus de laisser, durant un jour ou deux que ce bois flotte et descend, leurs aisseaux et pales ouvertes afin qu'il passe, et ont droit de pécher et prendre celui qui se noie, c'est-à-dire qui, trop abreuvé d'eau et accroché, coule à fond; à cause de quoi ils laissent exprès la rivière peu nette et pleine de fortes herbes. Le baron de Pont-Saint-Pierre a droit aussi d'en prendre au passage, derrière son château, un certain nombre réglé à quoi les marchands sont abonnés. Quand le bois a flotté et qu'il est descendu jusqu'à la gueule d'Andelle*, ainsi appelle-t-on l'endroit où cette rivière débouche en Seine, on le met en piles sur le bord de l'eau pour le laisser essuyer ou sécher, puis on le charge en bateaux pour être dévalé à Rouen ou monter à Paris. Ce bois est de charmes, trembles et bouleaux, et, pour la plus grande partie, de hêtres et il brûle très bien.»

* où il est arrêté par des râteliers placés en travers du cours (cf. Duchemin)
Au début du XIXème siècle le flottage se pratiquait encore : en mars 1821, le Préfet avouait : « Il n'existe, dans mes bureaux, aucun renseignement ou acte authentique sur le flottage de l'Andelle mais il est regardé comme constant que les rivières du Fouillebroc, de la Lieure et de l'Andelle sont flottables pour faciliter le transport à Rouen des bois provenant de la forêt de Lyons. "
Pîtres - Le quai des bois, dit quai Gallais, au pied de la Côte des deux amants
Le quai des bois, dit quai Gallais, au pied de la Côte des deux amants

Sources

La Baronnie de Pont-Saint-Pierre, P. Duchemin Gisors 1895
Un Itinéraire en Normandie, Chanoine Porée - Bulletin de la Société de l'Histoire de la Normandie - Tome IX.
Flottage sur l'Andelle ADE 16 S 1 - Police fluviale ADE 18S7.


Robert Taupin