Senneville. Une usine dans les champs.
Nous
sommes sur le plateau, et plus précisément à Senneville, connu pour son élégant
manoir du 16ème, et souvent l’ignore, pour une usine rurale, une
distillerie de betteraves implantée plus loin, dans la plaine, il y a 100 ans.
Pour preuve, en sortant de hameau, si l’on évite de tourner à gauche vers le Plessis, ou à droite vers Vatteville, on accède par le « Chemin aux Anes », au lieu-dit « La Distillerie ». Une appellation a priori surprenante, mais qui pourtant fait référence à une usine aujourd’hui disparue, et dont la fondation remonte aux premières années du siècle dernier. Pour l’époque il s’agissait de travaux de grande envergure, dont il reste peu de traces aujourd’hui : une maison, quelques bâtiments, et en plaine des tuyaux de circulation d’eau, que les travaux de labour déterrent encore parfois. Et aussi, cachée par des buissons au bord de la route de Connelles, peu avant le hameau de Vatteport, une petite construction en briques ayant renfermé une pompe capable de monter l’eau depuis un forage jusqu’à la Distillerie, via la ferme de Senneville.
Aujourd’hui,
il est encore difficile de suivre l’évolution d’un tel projet, tant les
informations restent rares. A l’origine on trouve un entrefilet paru le 14 février 1912 dans
l’Echo des Andelys, qui précisait : « Les cultivateurs d’un
certain nombre de communes du plateau du Vexin : Amfreville les champs,
Amfreville sous les Monts, Bacqueville, Houville, Heuqueville, Vatteville,
Flipou, Daubeuf, viennent de décider au cours d’une réunion, la création sur le
territoire d’Amfreville sous les Monts, d’une distillerie d’alcool de
betteraves. » A la même date l’autre journal des Andelys xxxxxxxxxxx
ajoutait que la réunion s’était déroulée au Manoir de Senneville.
Vraisemblablement les cultivateurs impliqués par le projet, ont dû définir les objectifs et les statuts de leur coopérative, et les soumettre aux autorités préfectorales, car aujourd’hui, en consultant les Archives Départementales de l’Eure, on trouve un document officiel daté du 22 11 1912, signé par M. le Sous-préfet des Andelys, « autorisant M. Callerot ingénieur agronome, Directeur de la Distillerie Coopérative de Senneville, à établir une distillerie d’alcool de betteraves ». (M. Callerot résidait alors au Manoir de Senneville et exploitait la ferme attenante.)
Les travaux pouvaient débuter. En vérité ils avaient déjà commencé, puisque dans une lettre, M. Callerot exprime combien il est satisfait de la manière dont a été réalisée la pose des canalisations en septembre 1912. Une tâche importante, puisqu’il convenait de creuser une tranchée 2 570 mètres depuis le bas de la colline jusqu’à la plaine, de placer les tuyaux, et de les enfouir.
Enfin la Distillerie est officiellement inaugurée le 16 février 1913, en présence d’un représentant du Ministère de l’Agriculture, et d’un représentant du Service des Améliorations Agricoles. Il faut croire que l’on devait attendre de nombreux visiteurs, puisque la lettre d’invitation portait les horaires des trains en provenance de Paris, Rouen et Gisors. La cérémonie prévoyait la visite du site, suivie d’un banquet servi au Manoir (Prix du banquet 5 francs, soit 17 euros). Ce devait être un évènement important, dont nous ne possédons aucun compte rendu. On peut cependant imaginer combien il a dû être très compliqué d’assurer l’accompagnement des invités depuis l’usine, le Manoir et la gare de Pont-Saint-Pierre, dans la froidure d’un mois de février.
Sur
la construction proprement dite de la Distillerie, nous ne disposons d’aucun
document, et nous ignorons même le nom des entreprises qui ont monté les
bâtiments. En revanche le système mis en œuvre pour le captage et l’élévation
de l’eau jusqu’au site sont connus grâce à un document/inventaire. Lequel distingue,
au niveau du forage une pompe verticale couplée à un moteur électrique et
à la Distillerie, une génératrice produisant le courant électrique qu’un réseau
aérien conduisait dans la vallée, jusqu'à la pompe, sur plus de 2 500 m, donc.
Voilà tout ce que des documents d’archives nous ont révélé, tandis que sur le terrain, le site d’origine est toujours visible. (En vérité il se situe sur le territoire de Flipou). Là, on remarque sur un périmètre bien délimité de 2 ha environ, une petite maison d’habitation et des bâtiments construits par les propriétaires successifs ; parmi lesquels un cultivateur, un berger, un gardien de chenil, ainsi qu’un braconnier/panneauteur très réputé en son temps…
Aujourd’hui encore, quelques habitants conservent des images du passé. C’est ainsi que les jeunes septuagénaires du hameau se souviennent avoir vu se dresser la cheminée de l’usine avant sa démolition, au début des années 50, où dans le même temps on comblait les fosses, alors que quelques poteaux électriques restaient encore debout. Ils désignent également l’emplacement d’une bascule servant à peser les tombereaux chargés de betteraves.
Quand et pourquoi la Coopérative a-t-elle cessé son activité, une activité jugée insuffisamment rentable ? On l’ignore. La production betteravière se serait-elle ouverte vers d’autres marchés ? Possible, si l’on considère qu’après la fin de la 1ère Guerre Mondiale la sucrerie d’Etrépagny et son antenne de Brémule, près d’Ecouis, ont connu un regain d’activité après modernisation, entrainant de fait un besoin accru de matière première, et par conséquent permettant d’offrir une opportunité nouvelle aux cultivateurs du plateau, qui auraient pu alors être tentés de diriger leurs tombereaux vers Brémule. Mais ce n’est là qu’une hypothèse…
Evidemment toutes les informations recueillies sont nettement insuffisantes pour connaitre l’histoire complète de la Distillerie de Senneville. Il reste encore beaucoup de points d’interrogation, par exemple : les statuts de l’entreprise, le nom des cultivateurs à l’origine du projet, dont les descendants pourraient éventuellement fournir de précieux renseignements.
Peut-être des lecteurs de ces lignes, faisant appel à leur mémoire, viendront enrichir nos recherches ?
Un autre site voisin.
Pour
rester dans le domaine de l’évocation historique, plus lointaine, il faut
savoir que, proche de la Distillerie,
sur la route qui mène au Londe, on trouve une parcelle (elle figure sur la carte I G N 2012 O
T), signalée sous le triste nom de
« Gibet », et elle est proche du « Chemin de la Justice »,
conduisant au hameau du Buc : de quoi alimenter l’imagination ...
Claude Certain
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