1 décembre 2017

Souvenirs d'anciens de Manoir Industries

Aciéries du Manoir à Pîtres
Les années 1960-1970 aux aciéries du Manoir
Trois témoignages d'anciens ouvriers


(voir article précédent)
Nous avons rencontré, à l’occasion des 100 ans de Manoir industrie, Etienne Bunel, Jacky Harivel et Daniel Quenneville qui ont effectué toute leur carrière professionnelle à l’usine, des années 60 au début des années 2000, et évoqué leurs souvenirs des années 1960-1970.

Nés entre 1944 et 1948, ils ont été embauchés parfois très jeunes, comme Jacky Harivel à l'âge de 14 ans en tant qu’apprenti. Il passe ensuite son CAP de mouleur noyauteur en 1965, les cours théoriques et d’enseignement général étant assurés par les professeurs du CET de Pont Saint Pierre. Il quitte l’entreprise en 2002 à la suite de la découverte d’un problème pulmonaire lié à l’amiante.
Daniel Quenneville a lui été embauché en 1968 comme chauffeur cariste puis ensuite comme pontier.
Etienne Bunel entre à l’usine en 1968 après son CAP, comme mouleur noyauteur et termine sa carrière comme contremaitre.

La vie à l’usine dans les années 60 et 70

Dans les années 60 l’usine avait un aspect un peu familial (on passait la visite médicale, on allait y prendre sa douche…) Le travail était varié, l’ambiance au travail était bonne et il existait une grande solidarité entre les ouvriers.
L’usine assurait le logement de ses employés : chambre au-dessus de la cantine, ou location d’une « maison américaine » construite au Manoir pour remplacer les logements disparus lors des bombardements.
Des repas de qualité étaient servis à la cantine le midi et à 18 heures le soir.

Traditionnellement, chaque mois de Novembre avait lieu le repas de la Saint Éloi, patron des forgerons, auquel tout le personnel de l’usine était invité.


Le travail dans les années 1960-1970

Aciéries du Manoir à Pîtres
Les horaires de travail étaient répartis entre le quart du matin (4h-12h30) et ceux de l’après midi (12h30-21h). Lors de la semaine de quart du matin, il fallait également travailler le samedi matin de 4h à 11h30. Une pause était prévue entre 6h et 6h30 le matin et l’après-midi quantd on pouvait.
Aciéries du Manoir à Pîtres
Pour certains à la fonderie il y avait un quart de nuit de 20h à 4heures du matin.
Il était possible de faire des heures supplémentaires et d’aller jusqu'à 50 à 55 heures par semaine.

Ces horaires ont duré jusqu'au milieu des années 1980 puis ont diminué progressivement avec l’application des nouvelles lois sociales.
Le travail était dur, physique et très bruyant surtout pour l’ouvrier qui travaillait à la pièce.
Pas de protection, pas de masque contre les poussières et l’amiante, pas de gants, pas de casque, mais possibilité d’avoir des chaussures de sécurité.
Les « bleus de travail » étaient fournis par l’usine, mais entretenus à la maison et pour ceux qui travaillaient à l’extérieur une veste chaude était fournie.
Il n’y avait pas de chauffage dans les ateliers l’hiver ce qui rendait le travail encore plus pénible.
L’alcoolisme était important, certains ouvriers arrivant avec plusieurs litres de vin.
Il n’y avait pas de licenciement, même en cas de gros problème.

Le salaire

En vue de l’embauche un période d’essai de 3 semaines était prévue, sans précision sur le salaire, que l’on découvrait lors de la première paye. Elle n’était pas très importante, respectant la convention collective de la métallurgie, mais elle dépendait également du bon vouloir du chef d’atelier.
La paye s’effectuait en espèces trois fois dans le mois : le 7, le 17, le 27, deux acomptes et le complément.
La paye du temps de vacances s’effectuait avant le départ en vacances, c'est-à-dire était payée à l’avance ! (ce qui souvent posait problème au retour…)
Une prime de fin d’année était versée en fonction de la présence de la personne.

Les vacances

Pendant le mois d’aout, l’usine fermait en général pendant 3 ou 4 semaines et des travaux de maintenance étaient réalisés. Les ponts au cours de l’année étaient toujours à récupérer.
Aciéries du Manoir à Pîtres

Pour les enfants des employés il existait des centres de vacances l’été : château de Vereux (Haute Saône), en Corse, en Savoie…
Aciéries du Manoir à Pîtres. Château de Vereux
Gérés par l’entreprise, les centres recevaient 200 à 300 enfants garçons et filles. Les voyages s’effectuaient en train au départ d’Alizay pour rejoindre le siège à Paris, en vue du regroupement des jeunes qui bénéficiaient des vacances.

Les grèves

En 1968 la grève dure un mois. Jacky Harivel était alors à la CGT, mais il ne reprend pas sa carte constatant que certains de ses cadres trouvaient le moyen de se ravitailler au MIN alors que tout un chacun devait se serrer la ceinture.
En 1976 se déroule un mois et demi de grève en soutien aux conditions de travail des travailleurs africains (venus dans les années 50 quand Renault embauchait beaucoup de personnel, créant une pénurie de main d'œuvre).
Ils étaient logés sous la cantine et bénéficiaient des vivres amenés par la CGT Sica et par Gaétan Levitre.
Un épisode a marqué nos trois interlocuteurs : le Directeur Mr Hubert appelant à la reprise du travail en montant sur le capot de sa voiture neuve, sans succès, et il sera même séquestré.


Yantai

Aciéries du Manoir à Yantai

Dès 1994 la collaboration commence avec l’usine chinoise de Yantai.
Jacky Harivel y fait un premier voyage en 1994, trouve le personnel très réceptif, prenant de notes, voulant réussir mais encore plongé dans la préhistoire. En 1997 lors d’un autre voyage il constate déjà un énorme changement.
Une anecdote : les chariots de poteyage sont déplacés par un câble que les roues sectionnent parfois. En France on attend les services techniques pour remplacement ce qui prend du temps. En Chine on fait rapidement une épissure et on continue..
A ce propos Jacky Harivel raconte une visite de Japonais à l’usine dans les années 70 avec l’un d’entre eux réussissant à dessiner fort complètement une machine sur son paquet de cigarettes. Ce même type de remarques a été également faite par nos deux autres interlocuteurs qui constataient lors de visites de l’usine la prise de photos en cachette ou de dessins.
Voilà une évocation de souvenirs avec ses erreurs et ses oublis qui montre comment en une quarantaine d’années la vie a évolué dans le travail à l’usine et dans la vie en particulier !


Francis Blanchet