Trois témoignages d'anciens ouvriers
(voir article précédent)
Nous avons rencontré, à l’occasion des 100 ans de Manoir industrie, Etienne Bunel, Jacky Harivel et Daniel Quenneville qui ont effectué toute leur carrière professionnelle à l’usine, des années 60 au début des années 2000, et évoqué leurs souvenirs des années 1960-1970.
Nous avons rencontré, à l’occasion des 100 ans de Manoir industrie, Etienne Bunel, Jacky Harivel et Daniel Quenneville qui ont effectué toute leur carrière professionnelle à l’usine, des années 60 au début des années 2000, et évoqué leurs souvenirs des années 1960-1970.
Nés entre 1944 et 1948, ils ont été
embauchés parfois très jeunes, comme Jacky Harivel à l'âge de 14 ans en tant
qu’apprenti. Il passe ensuite son CAP de mouleur noyauteur en 1965, les cours
théoriques et d’enseignement général étant assurés par les professeurs du CET
de Pont Saint Pierre. Il quitte l’entreprise en 2002 à la suite de la
découverte d’un problème pulmonaire lié à l’amiante.
Daniel Quenneville a lui été embauché en
1968 comme chauffeur cariste puis ensuite comme pontier.
Etienne Bunel entre à l’usine en 1968
après son CAP, comme mouleur noyauteur et termine sa carrière comme
contremaitre.
La vie à l’usine dans les années 60 et 70
Dans les années 60 l’usine avait un aspect
un peu familial (on passait la visite médicale, on allait y prendre sa
douche…) Le travail était varié, l’ambiance au travail était bonne et il
existait une grande solidarité entre les ouvriers.
L’usine assurait le logement de ses
employés : chambre au-dessus de la cantine, ou location d’une
« maison américaine » construite au Manoir pour remplacer les
logements disparus lors des bombardements.
Des repas de qualité étaient servis à la
cantine le midi et à 18 heures le soir.
Traditionnellement, chaque mois de Novembre
avait lieu le repas de la Saint Éloi, patron des forgerons, auquel tout le
personnel de l’usine était invité.
Le travail dans les années 1960-1970
Les horaires de travail étaient répartis
entre le quart du matin (4h-12h30) et ceux de l’après midi (12h30-21h). Lors
de la semaine de quart du matin, il fallait également travailler le samedi
matin de 4h à 11h30. Une pause était prévue entre 6h et 6h30 le matin et l’après-midi
quantd on pouvait.
Il était possible de faire des heures
supplémentaires et d’aller jusqu'à 50 à 55 heures par semaine.
Ces horaires ont duré jusqu'au milieu des
années 1980 puis ont diminué progressivement avec l’application des nouvelles
lois sociales.
Le travail était dur, physique et très
bruyant surtout pour l’ouvrier qui travaillait à la pièce.
Pas de protection, pas de masque contre
les poussières et l’amiante, pas de gants, pas de casque, mais possibilité
d’avoir des chaussures de sécurité.
Les « bleus de travail »
étaient fournis par l’usine, mais entretenus à la maison et pour ceux qui
travaillaient à l’extérieur une veste chaude était fournie.
Il n’y avait pas de chauffage dans les ateliers l’hiver ce qui
rendait le travail encore plus pénible.
L’alcoolisme était important, certains
ouvriers arrivant avec plusieurs litres de vin.
Il n’y avait pas de licenciement, même en
cas de gros problème.
Le salaire
En
vue de l’embauche un période d’essai de 3 semaines était prévue, sans précision
sur le salaire, que l’on découvrait lors de la première paye. Elle n’était pas
très importante, respectant la convention collective de la métallurgie, mais
elle dépendait également du bon vouloir du chef d’atelier.
La paye s’effectuait en espèces trois fois
dans le mois : le 7, le 17, le 27, deux acomptes et le complément.
La paye du temps de vacances s’effectuait
avant le départ en vacances, c'est-à-dire était payée à l’avance ! (ce qui
souvent posait problème au retour…)
Une prime de fin d’année était versée en
fonction de la présence de la personne.
Les vacances
Pendant le mois d’aout, l’usine fermait en
général pendant 3 ou 4 semaines et des travaux de maintenance étaient réalisés.
Les ponts au cours de l’année étaient toujours à récupérer.
Pour les enfants des employés il existait
des centres de vacances l’été : château de Vereux (Haute Saône), en
Corse, en Savoie…
Gérés par l’entreprise, les centres
recevaient 200 à 300 enfants garçons et
filles. Les voyages s’effectuaient en train au départ d’Alizay pour rejoindre
le siège à Paris, en vue du regroupement des jeunes qui bénéficiaient des
vacances.
Les grèves
En 1968 la grève dure un mois. Jacky
Harivel était alors à la CGT, mais il ne reprend pas sa carte constatant que
certains de ses cadres trouvaient le moyen de se ravitailler au MIN alors que
tout un chacun devait se serrer la ceinture.
En 1976 se déroule un mois et demi de
grève en soutien aux conditions de travail des travailleurs africains (venus
dans les années 50 quand Renault embauchait beaucoup de personnel, créant une
pénurie de main d'œuvre).
Ils étaient logés sous la cantine et
bénéficiaient des vivres amenés par la CGT Sica et par Gaétan Levitre.
Un épisode a marqué nos trois
interlocuteurs : le Directeur Mr Hubert appelant à la reprise du travail
en montant sur le capot de sa voiture neuve, sans succès, et il sera même
séquestré.
Yantai
Jacky Harivel y fait un premier voyage en
1994, trouve le personnel très réceptif, prenant de notes, voulant réussir mais
encore plongé dans la préhistoire. En 1997 lors d’un autre voyage il constate
déjà un énorme changement.
Une anecdote : les chariots de
poteyage sont déplacés par un câble que les roues sectionnent parfois. En
France on attend les services techniques pour remplacement ce qui prend du
temps. En Chine on fait rapidement une épissure et on continue..
A ce propos Jacky Harivel raconte une
visite de Japonais à l’usine dans les années 70 avec l’un d’entre eux
réussissant à dessiner fort complètement une machine sur son paquet de
cigarettes. Ce même type de remarques a été également faite par nos deux autres
interlocuteurs qui constataient lors de visites de l’usine la prise de photos
en cachette ou de dessins.
Voilà une évocation de souvenirs avec ses
erreurs et ses oublis qui montre comment en une quarantaine d’années la vie a
évolué dans le travail à l’usine et dans la vie en particulier !