1 avril 2017

L'entreprise Fréret

Clôtures Fréret Pîtres
L'illustration économique et financière. Septembre 1923

1894-1951 : Les Etablissements Fréret à Pîtres


La vallée de L’Andelle est au XIXe siècle une vallée industrielle, la force motrice installée sur la rivière ayant fait naître, à la suite des moulins à blé, à foulons, ou des scieries, des usines textiles (Charleval, Levavasseur à Radepont), la fonderie de Romilly, les jouets Euréka à Douville, mais aucune de ces entreprises n'est née d'une initiative locale, pas plus que les aciéries du Manoir ou la papeterie d’Alizay.
Rare exemple d'industrie entièrement née sur place, l’entreprise Fréret produisait des clôtures en "ciment armé immergé vibré", d'après un brevet de son créateur. C'est donc un exemple unique et fort intéressant d'initiative locale complète, tant du point de vue de l'invention que des capitaux, mais aussi de patronat social, qui a laissé des traces dans la mémoire des habitants les plus anciens.

            Sans préjuger d'étude plus approfondie que d'autres ou nous-mêmes pourront mener, nous publions dans ce numéro le témoignage de la petite fille de Paul Fréret, son créateur .

Parcours d’un Pîstrien

Pîtres - Paul Fréret devant son bureau en 1909
Paul Fréret devant son bureau en 1909

En 1867, naissait à Pitres, dans la famille Fréret-Frétigny un petit garçon nommé Paul (second d’une famille de trois enfants). Son père, Alphonse Fréret, était maître charron, maréchal ferrant, forgeron. Sa mère, Lucia Frétigny, restait au foyer. Les enfants allaient à l’école à Pîtres. (une classe à l’époque)

Leur maman de santé fragile, mourut en 1874 à l’âge de 30 ans. Paul avait 7 ans, son frère Robert 9 ans et le plus jeune Henri 5 ans. Tout changea pour eux. Leur père, sévère, attendait de l’aide des deux aînés.

Paul, bon élève, vif, curieux, intelligent, profitait au maximum de ses heures d’école.
A 12 ans avec ses camarades, il passa le certificat d’études primaires. Les deux dernières années, le maître leur donna des cours d’anglais: vocabulaire et grammaire. Mon grand-père avait apprécié et en parlait encore quand j‘étais enfant. A 14 ans, il rejoignit son père à la forge et devint son apprenti, puis son ouvrier pendant cinq années.

Vers 18-19 ans, peu payé par son père, il lui demanda la permission d’ouvrir un magasin (genre quincaillerie) dans un local attenant à leur maison et donnant sur la rue de l’église (actuel n°7). Ce fut son premier départ indépendant.

Il connaissait une jeune fille : Berthe Lesueur, la fille d’un cultivateur du pays. Ils se marièrent en 1892. Elle se révèlera être la femme idéale pour lui mais c’est une autre histoire…. Le magasin rendait énormément de services aux villageois et aux alentours. Cela devenait une vraie quincaillerie. Il commençait à gagner un peu d’argent ce qui lui permit d’économiser pour entreprendre.

En 1894, il commença d’abord par fabriquer des clôtures d’herbages en fer cornière, avec socle en ciment, ainsi que des portillons. La même année naissait son premier enfant : Alice. Ils eurent ensuite une fille Thérèse puis deux garçons Rollon et Paul et enfin une autre fille Camille.

D’autres idées germaient en lui. Il lisait beaucoup. L’histoire le passionnait toujours, ainsi que les documents techniques et industriels.
Clôtures Fréret Pîtres Fabrique de poteaux de fer
En 1900, après plusieurs essais, il mit au point une machine à pilonner pour pieux en ciment. Il déposa son invention qui fut brevetée S.G.D.G en 1904 avec exclusivité pendant 15 ans. Cette machine donnait une compression 30 fois supérieure à celle obtenue à la main. Les petits aciers qui étaient à l’intérieur des pieux étaient incomparablement mieux soudés dans le ciment grâce à cette machine. Cela devint le « ciment armé vibré ». Son père n‘exerçant plus, il s‘installa dans l‘ancienne forge, derrière la maison

Avec quelques ouvriers (les pionniers !), il commença la fabrication. La cour devenant exigüe, il acheta la parcelle donnant sur la rue de la Geôle. Il commença à vendre dans la région..
Clôtures Fréret Pîtres
Avant de s’installer en bord de Seine, il utilisa pendant quelques temps la cour de ses grands-parents

Le transport se faisait avec des attelages de bœufs jusqu’aux gares les plus proches : Romilly sur Andelle ou Pont de l’Arche.

Prospecter, devenait nécessaire. Il commença par le département de l’Eure puis ensuite le Calvados et l’Orne mais il n’avait pas encore de voiture. Il possédait un véhicule « genre tricycle »
Il prenait donc le train et descendait dans certaines gares déterminées par lui et il continuait par la route. Les routes et les chemins peu confortables de l‘époque l‘épuisaient. Il rentrait exténué, mais satisfait de ses rencontres et avec quelques commandes.

Sa fabrication se diversifiait (clôture d’herbages, lissages pour haras et domaines, murs.). Sa publicité avec affiches, prospectus laissés lors de ses passages ainsi que ses visites furent fructueuses.
Une des clôtures Fréret installée à Pîtres
Une des clôtures Fréret installée à Pîtres

Le matériel était toujours livré aux gares avec les bœufs. Il avait neuf attelages de deux ou quatre animaux. Des bouviers étaient occupés à temps complet. S’agrandir une deuxième fois devenait urgent.
Clôtures Fréret Pîtres - Les  longues files de pieux qui attendent d’être chargés
Les  longues files de pieux qui attendent d’être chargés

Il chercha et trouva un terrain en bordure de Seine et qui pouvait être relié au chemin de fer. La gare, à Pîtres, n’était qu’une simple halte de voyageurs. Après quelques entretiens avec la S.N.C.F. il obtint un raccordement à la ligne principale. La ligne de chemin de fer entrerait dans l‘usine. Les matières premières seraient déchargées par voie fluviale et les marchandises fabriquées partiraient par wagons. (première plateforme bimodale à Pitres mais sans nuisance pour l’entourage !)
Clôtures Fréret Pîtres - Bâtiment de fabrication
Les bâtiments construits en ciment, avec charpentes métalliques et poutres en ciment, furent utilisables vers 1910. C’est en 1912, qu’il commença l’immersion des pieux en ciment. Il s’aperçut, qu’en prenant à l’air libre, le ciment restait poreux ainsi les fers non protégés contre l’humidité s’oxydaient et faisaient éclater le ciment. C’est pourquoi, en immergeant les pieux dans des bacs remplis d’eau il élimina cet inconvénient et c’est ainsi qu’il inventa le « ciment armé vibré immergé » qu’il fit breveter.

Un jour, des ingénieurs des Ponts et Chaussées lui demandèrent : « Comment faites vous ? Nous n‘avons jamais d‘ennuis avec vos fabrications. » Avec son certificat d’études et son savoir-faire, il prit un malin plaisir à leur expliquer. L’ingéniosité et l’observation lui tenaient lieu de diplôme ! Ensuite, il fabriqua des lisses rondes pour les haras du Calvados et de l’Orne, (le haras du Pin). Ces lisses sont toujours en bon état actuellement.  Des représentants commencèrent à sillonner les routes. Son fils ainé Rollon, sorti de l’Ecole Professionnelle de Rouen, travailla à la fabrication avec des cimentiers qui l’avaient connu petit.
Si une difficulté apparaissait on allait chercher « le patron » qui arrivait, retroussait ses manches et cherchait à résoudre le problème. La hiérarchie était simplifiée et chacun respectait l’autre.
Clôtures Fréret Pîtres - On retrouve les clôtures Fréret à la gare de Mont de Marsan
On retrouve les clôtures Fréret à la gare de Mont de Marsan
Les ventes s’étendirent vers l’Ouest et le Sud Ouest de la France (clôtures des gares de Pau et de Mont-de-Marsan… ). Une usine fut ouverte à Nevers avec un directeur : Monsieur Lachèvre.

En Mai 1922, son fils aîné Rollon se maria avec une jeune fille de Pitres, Marcelle Merger. Trois semaines plus tard, son père lui demanda de se rendre en voiture voir un client. Il emmena sa jeune femme et dans un carrefour vers Louviers, une voiture lui refusa la priorité car elle ne l’avait pas vu. Rollon fut tué sur le coup, sa femme n‘eut que quelques égratignures. Cruelle épreuve pour elle et pour toute leur famille. Malgré le chagrin, le travail continua. Paul le second fils, Paulo pour tout le monde, se mit au travail comme son frère Rollon.
Clôtures Fréret Pîtres - Silo fabrication Fréret à Pitres
Silo fabrication Fréret à Pitres

Paul Fréret père réfléchissait à la fabrication de silos démontables. Les silos en pièces détachées n’existaient pas. A l’époque, on les coulait sur place. Il inventa donc les « silos tours » démontables et de différentes hauteurs et volumes. En 1928, il en vendit huit, puis seize en 1929 et la vente alla en augmentant les années suivantes. Un de ses premiers clients fut Louis Renault, le constructeur automobile, qui possédait une ferme à Herqueville à 10 km. Paul en vendit partout en France. Il connaissait le travail et ses difficultés, et pendant les années d’installation, de prospection et d’agrandissement, il pensait au social. En 1914, les commandes diminuent , et il n’y avait plus de travail pour tous ses ouvriers. Il leur proposa de faire du bois pour leurs besoins personnels, ils acceptèrent. Des coupes furent distribuées, il  mit une condition, en accord avec eux : ils devaient en faire un peu plus pour le porter aux femmes de leurs camarades soldats ou prisonniers.

En 1919, il  commença à instituer, pour les ouvriers malades ou accidentés, une  première mutuelle, dont les statuts en furent modifiés en 1928 et approuvés en réunion générale dans l’usine. (Voir dernière page de cet article)

Juste après la guerre  de 14-18 lui vint l’idée d’essayer un tennis en ciment, qui eut beaucoup de succès une fois terminé. Des officiers anglais et quelques soldats cantonnaient dans des baraquements en bois. A leurs moments de détente ils se promenaient.. Quelle ne fut pas leur surprise de trouver un tennis flambant neuf ! Ils demandèrent à Rollon et Paulo la permission de venir jouer Ils devinrent des amis. Des camarades d’école venaient ainsi que des jeunes filles tentées d’essayer quelques balles.

Au départ des Anglais, leurs baraquements furent démolis, ou vendus. Paul Fréret eut l’idée d’en acheter un pour en faire une salle des fêtes. Rollon et ses camarades organisèrent des bals masqués ou des bals de Sociétés, ou sur invitation. La salle de bal avait beaucoup de succès. Les jeunes pouvaient s’amuser. Ils firent un journal « L’entrain ». Plus tard cette salle servit de salle de cinéma, jusqu’au jour où elle disparut dans un incendie. Au même emplacement  la commune en fit construire une plus réglementaire.

En 1920 les soldats rentraient, la vie reprenait et le travail aussi. Certains propriétaires vendaient leurs maisons, des familles se voyaient dans l’obligation d’acheter ou de partir, ne possédant pas d’apport personnel. Chez Fréret, plusieurs ouvriers vinrent lui demander conseil. A cette époque 1928 un Ministre du travail et prévoyance sociale fit voter une loi relative à l’aide de l’Etat en matière d’habitations populaires.   Paul leur proposa de se porter caution et d’aller chez le notaire pour l’achat de leur maison. Plusieurs dizaines en ont profité. D’autres furent logés par le patron qui construisit des maisons en ciment. Les premières étaient celles du Nouveau Pitres.

Sa première voiture, une Renault, servait pour lui évidemment, mais aussi de taxi  pour les gens de Pîtres, qu’ils soient ou non ses ouvriers, si ils devaient se rendre à l’hôpital ou voir un spécialiste, alors qu’il n’y avait qu’un train le matin et le soir pour Rouen.

L’usine et ses bureaux se trouvaient au bord de la Seine, le facteur ne desservait pas l’usine. Il fallait un coursier pour faire le relais. Un jour, un homme marchant mal mais toujours appuyé sur son vélo demanda au patron s’il avait un travail pour lui. Très embarrassé, le patron l’embaucha néanmoins. Son travail consistait à attendre le courrier à la Poste le matin, à l’apporter à l’usine; il déjeunait sur place et effectuait de petits travaux assis et le soir il portait le courrier de l’usine à la Poste.

En 1936  les grèves !  En arrivant un matin à son usine,  Paul Fréret  trouve un peu surpris tous les ouvriers assis sur un tas de sable. Lui qui dialoguait facilement avec eux n’avait pas pensé qu’ils se mettraient tous en grève comme la métallurgie voisine. Il y eut des discussions, réclamations, et après accord sur les points  litigieux,  ils se remirent au travail, mais voir tous ses « gars »  en grève l’avait beaucoup affecté.   « Que n’ai-je pas fait ? » se demandait-il.
Clôtures Fréret Pîtres
Sur cette carte de vœux, l’église n’est pas celle de Pîtres !

Lorsqu’il était maire, de 1910 à 1926 puis de 1939 à 1941,  il s’occupa beaucoup des jeunes, pour lesquels il n’y avait guère de distractions à Pîtres. La première équipe de football fut lancée vers 1910-11, les premiers éléments de Pitres furent Raymond Cobert, et M.Brunel, après la guerre de 1914, Rollon Fréret. C‘est ainsi que commença le club C.A.P. Le stade se situait sur un terrain prêté par Paul Freret, rue des cèdres, avec une partie réservée  au football et un terrain de basket pour les jeunes filles. Il eut beaucoup de difficultés après plus de trente ans à récupérer son terrain. La commune voulait le garder. La chambre d’agriculture trancha en sa faveur puisque c’était pour des besoins personnels.

La dernière fille, Camille, ainsi que deux autres élèves de Pîtres étaient allées à l’école primaire jusqu’à l’âge de 16 ans. Madame Jean, leur institutrice, avait gardé trois élèves pour les présenter au brevet élémentaire. Elles furent toutes trois reçues. Scolarité terminée pour Camille, son père l’emmena directement au bureau « en travaux pratiques » de comptabilité. Elle prendra plus tard des cours et deviendra comptable.

En 1929, Thérèse, sa deuxième fille et Paulo se fiancèrent chacun de leur côté. L’une avec Maurice Tanay, et Paulo avec une de ces cousines germaine : Aline Lesueur.

Leur père décida de construire à chacun une maison. Paulo, très influencé par Le Corbusier, demanda une maison moderne. Au départ il la voulait ronde. Son père lui dit : « Ne me complique pas le travail ! » La maison fut cubique, avec terrasse et grandes baies. Les deux maisons d’ailleurs furent presque identiques. Thérèse se maria en 1929 et Paulo en 1930, les deux maisons sont toujours habitées actuellement.      
Il en construisit d‘autres pour des clients, des amis et pour loger des ouvriers.

A dater de 1935 il ne travaillait presque plus mais il supervisait encore. Paulo était devenu le gérant.      Il avait quelques occupations avec des terres qu‘il voulait planter d‘arbres fruitiers (surtout des pommiers).

En 1939, il reprit du service à l‘usine à cause de la guerre et s‘arrêta en 1945 : son fils était rentré.

Un glaucome négligé pendant l‘occupation le rendit aveugle. Il avait heureusement beaucoup de visites d‘anciens ouvriers et des gens du pays et d‘ailleurs. Le temps lui semblait bien long et ne plus voir la nature lui manquait énormément.

Cet homme audacieux et tenace était aussi un humaniste, beaucoup ont pu s’en apercevoir en le côtoyant.

Il mourut en 1958, à l’âge de 91 ans, bien désolé - comme ses ouvriers - de voir l’entreprise qu’il avait créée vendue à la SABLA. Il avait eu une vie très active, subit beaucoup d’épreuves et de difficultés de toutes sortes, mais aussi reçut de grandes satisfactions.

A ce témoignage, un de nos adhérents, fils d'un ouvrier de l'entreprise Fréret, a ajouté quelques précisions : 
Mais l’entreprise diversifiait aussi sa production, développait d’autres applications du ciment armé. C’est ainsi que mon père fut amené à poser à la pointe du Nouveau Pîtres la maison en préfabriqué conçue par Paul Fréret. Dans la cour de la SABLA est longtemps resté le silo en béton armé de 25 à 30 mètres dont Paul Fréret étudiait la fabrication en série. Cette inventivité allait bien au-delà des fabrications en ciment : il avait mis au point un système de photographie par tranches, dont le principe était, avant la lettre, celui du scanner, pour permettre aux artisans de la haute couture parisienne de fabriquer directement à partir d’informations sur les clientes envoyées de très loin, visant entre autres le marché américain. Avant la guerre, il avait lancé l’entreprise dans la production de plastique à partir de colza, avec lequel il avait commencé la production de sacs à main en imitation crocodile, très à la mode à cette époque.

MUTUELLE DES ETABLISSEMENTS FRERET à PITRES (Eure)
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Instituée le 4 octobre 1919
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STATUTS DE LA MUTUELLE
avec modifications apportées et approuvées à la réunion générale du 27 juillet 1928
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Constitution actuelle du Bureau :
Président : M. Romain VAILLANT
Administrateurs :MM. RUFFIN, E. JEAN, R. PREVOST, E. BREUGNOT, L. MICAUX
Secrétaire-Trésorier : Mlle Camille FRERET
Si l'ouvrier n'était qu'un mois malade, il toucherait qu'un  mois de demi-salaire, mais si, par la suite et pendant une période d'une année partant du début de sa première interruption, il retombait malade par exemple pendant deux mois, il toucherait un mois de demi paie et un mois de quart de paie.


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Art.I°. - Cette Société Mutuelle a été fondée en vue de donner des secours aux adhérents, reconnus malades.
Art.2. - Tous les ouvriers de la Maison FRERET, nouvellement embauchés, n'ayant pas 50 ans, et qui demandent à faire partie de la Mutuelle, sont admis, sauf le cas où ils seraient reconnus atteints d'une maladie chronique.
Le Conseil d'Administration se réserve le droit de radier tel  membre admis, mais qui par la suite serait reconnu atteint d'une maladie chronique avant son entrée dans la Société. Les cotisations versées lui seraient rendues.
Art.3. - COTISATIONS. - A partir de ce jour, les cotisations seront de  2% (deux pourcent), pendant les mois de Mai, Juin, Juillet, Août,  Septembre et Octobre, et de 1% (un pourcent) les six autres mois de l'année. Les ouvriers poseurs verseront en raison d'un salaire fixé à 30 frs par jour. Pour les ouvriers cimentiers, la base de leur journée sera établie sur les 12 mois de l'année écoulée à l'exclusion de jours de maladie ou accident s'il y avait eu lieu
Art.4. - ALLOCATIONS. - En principe, l'ouvrier malade plus de deux jours recevra pendant les deux premiers mois de son incapacité de travail, une allocation représentant un demi-salaire. Pendant deux autres mois, il touchera quart de son salaire.
A ce moment, il aurait touché, en deux périodes d'incapacité deux mois de demi paie et un mois de quart de paie.
Si l'ouvrier, après cette seconde incapacité, retombait une troisième fois malade, il aurait encore droit à un mois de quart de paie ; mais pas plus, car il aurait épuisé le total des allocations prévues au début de l'article 4.
supprimé : S'il était malade plus de quatre mois dans une période de 12 mois, prenant début au commencement de sa première interruption, le Conseil d'Administration se réserve la faculté de lui allouer un secours, en tenant compte de la situation du malade et de la situation de l'encaisse de la Société.
Clôtures Fréret Pîtres
Au bout de la période de douze mois indiquée ci-dessus, l'ouvrier reprendra ses droits à de nouvelles allocations semblables à celle précitées, s'il a travaillé au moins trois mois après sa dernière incapacité.
Les dimanches et jours fériés ne comportent pas d'allocations
Art.5. - FRAIS MEDICAUX. - La Société paie la moitié des visites de  médecin ou consultations, excepté la première visite ou consultation qui est laissée à la charge de l'adhérent. Le Patron paie la seconde moitié du médecin
Art.6. - Les accidents provenant du travail familial, ou pour rendre service à des voisins ou amis, sont considérés au même titre que les  maladies usuelles.
Art.7. - Les indispositions nécessitant visites ou consultations de médecin, mais ne comportant pas d'arrêt de travail, ne sont pas  prises en considération.
Art.8. - Sont exclus du bénéfice des allocations, les accidents survenus en promenade, pêche, chasse, courses, etc. ainsi que ceux survenus d'ivresse, rixes, etc.
Art.9. - La Mutuelle n'entre dans aucun frais : pour soins dentaires, ni achat de tous appareils et d'opérations quelconques. De même pour soins à recevoir périodiquement en ville par des  spécialistes, séjours en clinique, etc. : les allocations étant seules  dues, en cas d'incapacité de travail, en l'occurrence. Les visites des spécialistes seront considérées et payées comme visite de médecin ordinaire.
Art.10. - En cas de mortalité d'un membre de la Mutuelle, la famille  du décédé ne pourra formuler aucune réclamation. néanmoins un secours sera prévu suivant l'encaisse, par le Conseil d'Administration.
Art.11. - Pour tout ce qui précède, la Mutuelle n'est engagée que jusqu'à concurrence des espèces qu'elle possède en caisse.
Art.12. - Tout adhérent signataire des présents statuts s'engage à respecter ces clauses et à ne rien réclamer s'il vient à quitter la maison FRERET.
NB. En cas de maladie, l'allocation familiale continue à être versée par la caisse de compensation



1 mars 2017

1764 Rôle des vingtièmes à Pîtres

Impôts de la Dame Boniface à Pîtres en 1764


Rôle de 1764

des vingtièmes  à Pîtres


Aux Archives Départementales de l’Eure on trouve le rôle des vingtièmes de l’année 1764 pour Pîtres, répertoriant l’ensemble des revenus fonciers de la paroisse et les sommes dues (un vingtième des revenus). Ce document, que seul le hasard a préservé, nous donne donc une photographie de la répartition de la richesse foncière à cette époque, et nous avons là, environ une génération avant la Révolution, un bon exemple de ce qu’était l’inégalité des fortunes sous l’Ancien Régime.

Revenus fonciers de Pîtres en 1764
Le document recense 204 noms de contribuables, possédant à Pîtres des biens dont les revenus vont de 3300 livres à 2 livres pour le moins élevé. Rappelons qu’on peut en gros considérer qu’à l’époque une livre représente à peu près le revenu d’une journée de travail.
La paroisse comportait 200 feux ( ménages) en 1789 (source : Cahiers de doléances). Il est vraisemblable que ce nombre n’avait guère évolué, et il correspond bien à celui des contribuables diminué des propriétaires non résidents et augmenté des ouvriers qui ne possèdent aucune parcelle.

La Dame de Boniface
3300
Le Sieur Germiny
2390
Monsieur Hérambourg
1732
Le Sieur Girot
1200
Le Sieur Pontrevé
600
La Veuve Poulain Nicolas
450
Robert Depitre
300
Le Sieur Delaplace
290
Jean Lebret
280
Le sieur de Gruchet
200
Marie Gossent
200
Lebourg
190
Pierre Brunel
180
Le Sieur Lepin
180
Le Sieur Mouttier
180
Le Sieur Cottebert descroix
150
Nicolas Gossent
150
Pierre Letellier dit Bline
150
Hilaire Vallée
150
Louis Vigor
150
L. Letellier (de Romilly)
137
Jean Lenormand
124
J.-Pierre Brunel
104
François Martin
100


Le total des revenus est d’environ 17 500 livres, dont presque 13 000 livres pour les 24 contribuables ayant plus de 100 livres de revenu. Les quatre plus grosses fortunes représentent à elles seules presque la moitié de la richesse de le paroisse, et la dame de Boniface, qui possède la vallée Galantine, détient plus que les deux derniers tiers des contribuables. C’est dire à quel point la richesse est très inégalement répartie.
La propriété seigneuriale représente plus de la moitié des biens. Pour les roturiers on porte le prénom en tête, suivi du nom de famille, mais pour les propriétaires d’une seigneurie, qui d’ailleurs ne sont pas nécessairement nobles, c’est « le sieur X » ou «la dame X », marque de déférence.

Le vingtième était théoriquement payé sur tous les biens, mais les nobles réussissaient à y échapper, mais à Pîtres,  la Dame Boniface est rayée du rôle car elle est décédée quatre ans auparavant.

Fiefs et manoirs au XVIIIe siècle à Pîtres et au Manoir

Les Hautes-Loges
Les Hautes-Loges


Fiefs et manoirs au XVIIIe siècle à Pîtres et au Manoir



Du Moyen Âge jusqu'à la fin de l'Ancien Régime1, la plupart des terres appartenaient à des grands propriétaires : les seigneurs. Certes, quelques paysans possédaient des terres hors fief, ou alleux, mais le fief restait le mode de propriété le plus répandu et justifiait l'adage « nul terre sans seigneur ». 
1. On appelle Ancien Régime la période qui va du XVIe au XVIIIe siècle et qui précède la Révolution,  laquelle a créé un « nouveau régime ».

Les seigneurs pouvaient être soit laïques, soit ecclésiastiques. Ainsi à Pîtres au XVIIIe siècle les deux principaux seigneurs étaient le baron de Pont Saint-Pierre et les religieux du Collège de Rouen.
La propriété d'un fief était partagée entre le seigneur et le vassal : le seigneur, propriétaire direct du fief, le confiait à un vassal qui le « tenait », c'est-à-dire en avait l'usage et la jouissance moyennant des droits à acquitter au seigneur, précisés dans un document écrit, ou aveu. Par exemple des aveux datant du XVIIe siècle, mais encore valables au XVIIIe siècle, rendus par le comte de Rouville ou les chevaliers de Galantine, faisaient de ces personnages les vassaux du baron de Pont Saint-Pierre pour les terres qu'ils avaient à Pîtres2.  
2. Archives Départementales de Seine-Maritime 1 ER 573

Au cours des siècles les vassaux s’étaient beaucoup affranchis des seigneurs et les fiefs étaient devenus patrimoniaux et héréditaires : un vassal pouvait ainsi vendre, aliéner, ou diviser son fief, sous certaines conditions toutefois.
La possession d'un fief en propriété directe ou en vassalité donnait des droits sur les paysans résidant sur le fief : droits rémunérateurs (comme les taxes, les redevances, les péages, les impôts en argent ou en nature et prestations diverses), droits honorifiques (colombier, armoiries), ou droits de justice.
Il est souvent difficile de connaître la répartition des fiefs pour un lieu donné car le fief ne coïncidait avec aucune autre division locale, qu'elle soit topographique comme le village, judiciaire comme le baillage, ou religieuse comme la paroisse. Ainsi un fief pouvait englober plusieurs villages, ou le terroir d'un village pouvait être réparti en plusieurs fiefs. C'était le cas pour Pîtres et le Manoir. À Pîtres, outre le baron de Pont Saint-Pierre et ses vassaux déjà cités, d'autres seigneurs possédaient des terres, comme les Religieux des Deux Amants, la famille de Boniface, ou l'Abbaye de la Lyre.
Les documents sur ces fiefs subsistant aujourd'hui comprennent des plans, des cartes, des actes notariaux, des aveux, des terriers, des cueilloirs3.. Quelques-uns mentionnent le manoir du seigneur ou de son vassal. Le manoir, qui se différencie du château dès le XVe siècle car il ne comprend pas de fortifications, était en fait le centre de l'unité de production agricole que représentait le fief. Il comprenait une demeure où résidait le seigneur (ou son vassal), parfois remplacé par un intendant, et des bâtiments agricoles : charreterie, grange, colombier. Jouxtant le manoir, une ferme, parfois deux, complétaient le domaine. D'autres fermes plus lointaines étaient réparties sur le fief, si celui-ci avait une certaine importance. Parfois même le seigneur disposait de plusieurs manoirs.  
3. Terrier et cueilloir sont des registres qui donnent la liste des terres et des personnes relevant d'un fief pour en préciser les charges; ils sont souvent accompagnés d'un plan délimitant les parcelles.
Beaucoup de terriers et de cueilloirs ont disparu à la Révolution, brûlés par les paysans. Pîtres possède encore ces documents, commandés à la fin du XVIIIe siècle par Caillot de Coquéréaumont, baron de Pont Saint-Pierre. (ADSM 1ER 747 et 564)


À Pîtres


Au XVIIIe siècle, le village était réparti sur trois fiefs principaux : les Essarts, la Poterie, la vallée Galantine, qui appartenaient à trois seigneurs différents : la famille Lemonnier était propriétaire des Essarts, tandis que les familles de Tiremois et de Germiny possédaient le fief de la Poterie. Quant à la vallée Galantine, après avoir appartenu à une famille éponyme au XVIIe siècle, elle était passée par mariage au XVIIIe siècle à Alexandre Boniface, baron de Bosc le Hard. 
La ferme de la rue de la geôle à Pîtres, ancienne propriété de M.et Mme Meslin
La ferme de la rue de la geôle, ancienne propriété de M.et Mme Meslin
La ferme de la rue de la geôle à Pîtres - plan cadastral napoléonien.
 et le plan cadastral napoléonien
La ferme de la rue du Bosc à Pîtres
La ferme de la rue du Bosc
La ferme de la rue du Bosc à Pîtres - plan napoléonien où elle est notée Dubocq
et le plan napoléonien où elle est notée Dubocq
La vallée Galantine à Pîtres sur un plan de 1781 (ADSM)
La vallée Galantine sur un plan de 1781 (ADSM)
La vallée Galantine à Pîtres sur le cadastre napoléonien (ADE)
et sur le cadastre napoléonien (ADE)

Il y avait à Pîtres d’autres seigneurs, comme Louis Caillot de Coquereaumont, ou le prieuré des Deux Amants. De ces fiefs il reste aujourd'hui de grosses fermes au cœur même du village, rue du Bosc, rue de la Geôle, rue de l'Eglise. On peut les repérer telles qu'elles étaient au début du XIXe siècle sur le premier plan cadastral de Pîtres. Quelques beaux bâtiments subsistent actuellement. Pour l'une de ces fermes, la vallée Galantine, l’essai de reconstitution de son histoire est un peu plus aisé car il existe un dossier aux Archives Départementales de l'Eure (ADE).
Comme nous l'avons vu précédemment, elle appartenait à la famille de Boniface au XVIIIe siècle. En 1765, la veuve de Jean-Baptiste de Boniface partagea ses biens entre ses trois fils et c'est le deuxième qui hérita de la ferme, mais il la vendit quatre ans plus tard à Pierre Delacour. Elle changea plusieurs fois de mains au XIXe siècle et devint alors une poudrière utilisant le salpêtre local. Ce n'est qu'en 1993 que l'établissement fut fermé. Il ne reste malheureusement rien des bâtiments de l'ancienne ferme. On ne peut l'évoquer que grâce à deux plans, l'un de 1781 et le plan cadastral de 1834. La ferme apparaît comme un ensemble de bâtisses encadrant une cour carrée ou rectangulaire. À l'intérieur de cet espace on aperçoit un puits.
La ferme de la rue de l’église à Pîtres, anciennement rue Dumontier
La ferme de la rue de l’église, anciennement rue Dumontier
La ferme de la rue de l’église à Pîtres, cadastre de 1834
et le cadastre de 1834

Le Manoir.


La paroisse du Manoir était partagée en deux principaux fiefs au XVIIIe siècle, l’Essart et les Hautes loges. Pour chacun de ces deux fiefs subsistent les manoirs.

L’Essart

Le nom même du site indique son emplacement, en bordure de forêt ( essarter = défricher). Le fief de l'Essart appartint d'abord à la famille Guéroult et passa au XVIIIe siècle à la famille Hallé dont le membre le plus influent était Gilles Louis Hallé, comte de Rouville.
La ferme de l’Essart au Manoir

La ferme de l’Essart au Manoir restaurée
La ferme de l’Essart restaurée

Le manoir de l'Essart est visible sur deux plans anciens. Un plan terrier du XVIIIe siècle montre une cour close de murs, cernée par plusieurs bâtiments dont la demeure sise entre cette cour et un jardin. Dans la cour, le colombier, situé entre le four et le pressoir, fait face au logis.
Le tout est entouré d'espaces plantés et de bois. Une large allée, dénommée « avenue » sur la légende du plan, conduit à l'entrée du manoir.
Le plan cadastral du Manoir de 1835 montre peu de changements par rapport au XVIIIe siècle, si ce n'est la disparition de l'un des bâtiments agricoles de la cour (le four) et la construction d'un logis supplémentaire. Au XIXe siècle le domaine de l'Essart fut vendu et divisé. À la fin du siècle, huit fermes de polyculture se partageaient ses terres. Aujourd'hui il n'y a plus d'activités agricoles à l'Essart, mais le manoir a conservé une grande partie de ses bâtiments. Le logis principal a été restauré, la bergerie est devenue une habitation et la grande grange du XVIIe siècle a été transformée en gîte rural. Le colombier a disparu et le pressoir a été démonté et remonté à Saint-Amand des Hautes terres.


Les Hautes loges

Plan du Manoir en 1787
Plan du Manoir de 1787 (ADE) 

Les Hautes-Loges au Manoir au début du XXè siècle (carte postale, coll.part.)
Les Hautes-Loges au début du XXè siècle (carte postale, coll.part.)
Les Hautes-Loges au Manoir aujourd'hui
et aujourd'hui

Le fief des Hautes loges était la propriété de la famille Lemercier au XVIIe et XVIIIe siècle. De ce fief subsiste encore le manoir construit au XVIe siècle sur un léger escarpement dominant la Seine. Seul le logis lui-même a été conservé. C'est une belle demeure en calcaire, silex, et briques. La façade côté Seine est particulièrement remarquable : la partie droite du mur offre une alternance de lits de silex et de petites pierres calcaires et est percée de deux fenêtres dont l'une a gardé ses meneaux en pierre. La partie gauche est décorée de silex bleus, de briques et de pierres calcaires qui dessinent des motifs géométriques. Il surmonte une ancienne porte, aujourd'hui murée, avec un arc en plein cintre.

Les Hautes-Loges au Manoir
Les Hautes-Loges au Manoir
Les autres bâtiments, dont un colombier, visible sur un plan de 1787, ont disparu et l'espace qu'ils occupaient est aujourd'hui bâti de maisons récentes.


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Le passé rural de Pîtres et du Manoir s'est déroulé dans le cadre de seigneuries locales, petites entités qui dépendaient souvent de structures plus importantes comme la baronnie de Pont Saint-Pierre. Les seigneuries étaient mouvantes, passant de mains en mains, partiellement ou totalement, par héritage, mariage ou vente. Il en reste des traces par les bâtiments des fermes et des manoirs qui subsistent encore. Leur intérêt architectural et historique nous invite à les préserver comme patrimoine de ces communes.



Nous remercions les propriétaires qui nous ont reçus et autorisés à reproduire des documents : M. et Mme Meslin, Delaby, Hue et Chéron.


Pîtres, de la préhistoire aux Gaulois



La préhistoire dans la basse vallée de l’Andelle

Le paléolithique


On a découvert sur le territoire de la commune de Pîtres de nombreux outils en silex et même un squelette de mammouth.
Les objets les plus anciens remontent aux paléolithiques : haches plates (acheuléen) ou pointes de flèches du moustérien. (Environ 80 000 ans avant notre ère).
Les lieux où ils ont été trouvés indiquent que les hommes occupaient plutôt la zone de champs et de bois qui se trouve aujourd'hui au dessus de la départementale, entre 25 et 50 m d'altitude, donc non inondable.

Les hommes qui se trouvaient là maîtrisaient le feu, se déplaçaient derrière leurs proies, rhinocéros laineux, mammouth, ours durant les périodes froides, ou éléphants hippopotames, des périodes chaudes. C'est un homo erectus, le successeur d’homo habilis.

Grottes de Gouy dites du Cheval



Préhistoire mammouth

Plus tard viendront les Homo sapiens, d’abord l’homme de Néanderthal, puis l’homme de Cromagon, dont on trouve des traces dans un rayon tout proche, en particulier dans les grottes de Gouy (dite du Cheval ) et de Port Saint Ouen (disparue dans l’aménagement de la route nationale). 

Datés de 12000 av J.C, ces grottes ont abrité les chasseurs de mammouths et de rhinocéros (laineux, le climat est encore très froid) des vallées.

Chronologie pour l'Europe des âges préhistoriques

Paléolithique
- archaïque : 1 à 2 millions av. J.C.
- inférieur : acheuléen (bifaces).
- moyen : se caractérise par une technique de production des outils beaucoup plus élaborée (débitage Levallois). C’est la culture typique de l’homme de Neanderthal.
- supérieur (40 000 - 30 000 ans environ) première culture de l’homme moderne en Europe (Cro-Magnon): débitage en lames, encore plus performant, pointes de sagaies à base fendue pour faciliter leur emmanchement. L'art fait son apparition, avec de nombreuses statuettes et des figurations pariétales (sur parois) en grottes. Dans toute l’Europe apparaissent des statuettes féminines aux formes généreuses, surnommées Vénus. Il pourrait s’agir de symboles de fécondité.
Outil solutréen Feuille de laurier
Un pas est franchi avec le solutréen (21 000 – 18 000 ans av. J.C.). Les tailleurs solutréens façonnaient des outils extrêmement fins, retouchés sur les deux faces, au tranchant fin et effilé. Le plus célèbre est surnommé « feuille de laurier », en raison de sa finesse. Deux outils majeurs apparaissent: l’aiguille à chas, qui permet de coudre les vêtements, et le propulseur, qui permet de multiplier la puissance de jet des sagaies.
Puis le magdalénien (17 000 – 9 000 ans) marque la fin de la dernière glaciation et l’apparition progressive des conditions climatiques actuelles. Le développement du travail de l’os et du bois de cervidé culmine avec l’invention du harpon. 

outils paléolithiques Pîtres
Outils paléolithiques trouvés à Pîtres et que l’on peut voir aux musées des Antiquités de Seine-Maritime (Rouen) et de l’Eure (Evreux).
Pour de plus amples renseignements, vous pouvez vous reporter au Bilan archéologique établi pour Pîtres par Claire Beurion en 1992, travail pointu et très complet sur lequel nous nous sommes appuyés (référencé sur le site de la mairie de Pîtres par Rodolphe Delorme)


Le néolithique : agriculture, sédentarisation.


Au quatrième millénaire av. J.C., les indices d'occupation sont surtout localisés à la Pierre-Saint Martin. On a trouvé plus d'un millier de grattoirs, percuteurs en silex et en grès, retouchoirs, tranchets, ciseaux, pics, lames... La plupart des haches polies en silex paraissent, par la nature du silex employé, avoir été importées. Elles sont souvent retaillées, étrécies en ciseaux; on les employait jusqu'à usure presque complète….Ce site n'était pas une simple station de halte mais un lieu d'habitat permanent.
Au XIXe siècle, lorsqu'on surcreusa l'Andelle pour créer l'usine de l'abbé Vaurabourg (voir article), on découvrit des pilotis, des pics et des gaines de hache en bois de cerf indiquant qu'une station néolithique existait précédemment à cet endroit. Une autre grande station néolithique a été découverte à Poses, lors de la mise en exploitation des ballastières. (d’après Claire Beurion)


Maquette d'un site néolithique à Poses
Maquette inspirée des découvertes faites à Poses (Eure) par F. Bostyn (Inrap) et son équipe (Muséum du Havre)

Révolution néolithique ?

Au Néolithique, les hommes n’exploitent plus seulement les ressources naturellement disponibles mais commencent à en produire une partie. La chasse et la cueillette continuent à fournir une part substantielle des ressources alimentaires mais l’agriculture et l’élevage jouent un rôle de plus en plus important. L’agriculture implique le plus souvent l’adoption d’un habitat sédentaire, donc l’abandon du nomadisme.
Si ce fut une des étapes majeures de l'aventure humaine, au même titre que la domestication du feu ou la révolution industrielle au XIXème, le fait de la qualifier de révolution a été critiqué dans la mesure où l'adoption des innovations qui la caractérisent ne fut ni brutale, ni simultanée. 

Pierre St Martin
La pierre Saint Martin est un bloc de grès qui se trouvait au lieu-dit qui lui doit son nom, portant des dépressions naturelles en forme de trous. Il fut probablement vénéré dès l'époque néolithique. Quand on le déplaça on découvrit un caveau gallo-romain, tenu à l'époque pour un petit temple. Lorsque le christianisme s'installa en Gaule au V siècle, on tenta de faire disparaître ces cultes contraires à la religion chrétienne, mais comme on ne pouvait supprimer la croyance à ses vertus curatives on le mit sous le vocable de Saint Martin. Léon Coutil, dans son inventaire des mégalithes de l'Eure, décrit le culte dont il faisait l'objet : « Les gens du pays reconnaissaient dans ces cavités les pas de Saint-Martin et de son cheval. Elle passe encore...pour guérir le "carreau" et le "muguet". Les pèlerins venaient jadis y faire leurs dévotions et déposaient dessus diverses offrandes et même de l'argent, présents que le propriétaire du champ s'appropriait ensuite. Des contestations surgirent entre le propriétaire et le curé qui prétendait que les offrandes revenaient à l'église. Pour trancher ce différend, le propriétaire transporta, en 1856, la pierre guérisseuse à l'entrée de sa ferme… Les pèlerins continuent à venir se frotter contre la pierre, ils attachent aux arbres voisins des rubans de coton et placent leurs offrandes dans un tronc que cet homme a eu la bonne idée de mettre à côté.» La pierre se trouve aujourd’hui dans un petit enclos au n° 6 de la route de Rouen. (d’après Claire Beurion)


UN VILLAGE GAULOIS IMPORTANT

Le site de Pîtres devait être assez attirant, puisque quelques millénaires plus tard, de nouveaux arrivants, venus d’Europe centrale et parlant une langue indo-européenne, s’y installent. Une nécropole gauloise qualifiée d’exceptionnelle par les archéologues, environ 2000 tombes, a en effet été découverte à la Remise, derrière les Varennes indiquant la proximité d’un village important. Voici la description qui en est faite dans le Bilan archéologique dressé par Claire Beurion en 1992:

« Le défunt était brûlé sur un bûcher puis les ossements restants étaient récupérés et placés dans une urne. Celle-ci était ensuite déposée dans une fosse avec quelquefois des offrandes et des objets ayant appartenu au mort... (dont des épées tordues).
 Le rituel de l'épée ployée semble avoir pour but d'éviter une réutilisation et de consacrer l'arme uniquement au défunt. Plusieurs tombes à char (au moins trois), ont été signalées …. La nécropole gauloise de Pitres est exceptionnelle à plusieurs titres:
Vase funéraire - nécropole gauloise à Pîtres
- Un vase entièrement décoré de cercles et d'arcs de cercles fut découvert. Ce vase est caractéristique d'une période comprise entre la fin du IIIe siècle et la fin du IIe siècle avant J-C, période où les tombes à char de l 'aristocratie gauloise apparaissent en Haute-Normandie. Jusqu'ici ce vase n'a pas d'équivalent exact dans le monde celtique.

Nécropole gauloise à Pîtres
- Les ensembles funéraires observés à Pîtres sont à comparer avec ceux des Ardennes et de l'Allemagne. En revanche, le rite de destruction des armes est totalement distinct de celui des Ardennes et proche de celui des régions plus orientales. Dans le domaine stylistique, les éléments de harnais d’une sépulture évoquent, par certains détails, leurs équivalents des îles britanniques. Un faciès "normand" semble se dessiner à Pitres, intermédiaire entre la celtique continentale et la celtique insulaire. » 

la Gaule en Normandie

Eburovices ou Véliocasses ?

Pîtres se trouvait en limite des territoires des Véliocasses et des Eburovices
Les Véliocasses, « meilleurs au combat », vivaient dans le Vexin, auquel ils ont donné le nom. Leur chef-lieu était Rotomagus, Rouen. En 52 av. J-C., ils participent au soulèvement général contre César en fournissant 3 000 hommes pour porter secours à Vercingétorix. Leur territoire suit la Seine sur la rive droite depuis le confluent avec l'Oise et s'étend sur le plateau du Vexin.
Les Aulerques («qui sont loin de leurs traces» ?) comprenaient plusieurs grandes tribus: Diablintes, Jublains, Cénomans (Le Mans), et Éburovices (Evreux) dont le territoire recouvre à peu près le département de l'Eure. Leur nom contient la racine « eburo », sanglier ou if dans les langues celtiques. Leur principal sanctuaire se trouvait sur le site occupé actuellement par le village du Vieil-Évreux.


La langue gauloise

Elle appartient au groupe celtique des langues indo-européennes, dont le breton et le gaélique sont les derniers survivants (les autres groupes étant : germanique, latin, grec, slave, indien, iranien ...).
La langue gauloise mettra presque 500 ans à disparaître, remplacée progressivement par le latin du conquérant. Elle n’a laissé que peu de traces en français : alouette, alpe, ambassade, ardoise, bâche, balai, barque, barre, bec, berge, blé, braguette, boue, gosier, jarret, joue, patte, quai, raie, ruche...