1 mars 2017

La Révolution à Pîtres et au Manoir


Pîtres sous la Révolution


Nous commençons dans ce numéro une lecture des comptes-rendus des Conseils municipaux conservés aux Archives municipales de Pîtres et du Manoir. Le registre de Pîtres est ouvert le 27 messidor an II (15 juillet 1794).
Rappelons le contexte général : le Comité de salut public dirige le pays, largement dominé par Robespierre, les têtes tombent vite, celle de Danton il n’y a que trois mois. La France est en guerre contre l'Europe entière, et la guerre de Vendée n’est pas terminée. Les problèmes de subsistances sont énormes, l'instauration du « maximum » des prix destinée à permettre à la population de se nourrir se révèle un remède pire que le mal : les agriculteurs rechignent à vendre à bas prix leurs produits, surtout quand on les paie avec une monnaie récemment créée, l’assignat, dont la valeur ne cesse de décroître, et ils tentent par tous les moyens d'échapper aux réquisitions de leurs récoltes.
C'est d'ailleurs le sujet de la première réunion dont nous avons le compte-rendu, le premier thermidor de l'an deux. L'administration (c'est le district de Louviers) promet des « poursuites rigoureuses aux cultivateurs qui chercheront par quelque moyen que ce soit à soustraire tout ou partie de leur grain et fourrage à la surveillance des corps constitués et des citoyens. Le Comité de salut public sera informé du zèle ou de la négligence de chaque municipalité » (qui ne dénoncerait pas ces cultivateurs), menace qui n'a rien d'anodin en cette période durant laquelle la guillotine ne chôme pas et les prisons se remplissent.
Sont présents : le maire, Jean Marc, huit conseillers et un greffier.
Jean Marc faisait partie de l'assemblée qui le 25 mars 1789, soit cinq ans et demi plus tôt, avait rédigé le cahier de doléances de Pîtres (que nous analyserons dans un prochain numéro), mais parmi les 36 personnes présentes, il fait partie des plus faibles contributeurs (on dirait aujourd’hui contribuables) présents à cette assemblée : il paie six livres, alors que le tiers supérieur paie plus de 20 livres, et que le plus fort imposé, Louis Laurent, paie 104 livres.
À noter qu'il ne sera pas élu député de la paroisse à l'assemblée supérieure, mais que les deux députés seront eux aussi des gens peu imposés. (Menu et Gandoit, que nous retrouverons…)

Les premiers élus municipaux à Pîtres : Lebert, Laurent, Marc, Dumont 
C’est la Révolution qui crée les municipalités et leurs maires, en lieu et place des paroisses, à la tête desquelles se trouvaient des syndics élus.
Lors de la réunion de rédaction des cahiers de doléances le syndic en place était Jean François Lebert, payant 52 livres d'impôts, faisant donc partie de la petite dizaine de familles qui comptent à Pitres. Sur le rôle des vingtièmes (impôt d’un vingtième du revenu) de 1764, Jean Lebert son père apparaît en cinquième position. Le maire élu cette année-là en fonction de la toute nouvelle loi sera Augustin Laurent, appartenant lui aussi à une famille de laboureurs et de marchands de bois (souvent les deux à la fois).

Le citoyen Jean Marc, chandelier, épicier, maire de Pîtres.
Les élections municipales de septembre 1792 sont les premières qui se font au suffrage universel (masculin), en vertu d'une loi du 11 août. Rappelons que la journée du 10 août, un des tournants majeurs de la Révolution, dernier échelon dans la perte de pouvoir de la royauté décide la mise en place d’une Convention nationale. Jean Marc fait visiblement partie des partisans de l’aile la plus révolutionnaire, les jacobins, signe du changement des rapports de force. Il n’est pas propriétaire foncier, laboureur, ou marchand de bois, comme de nombreux notables, mais fabricant de chandelles, venu s’établir à Pîtres en 1773, âgé d’une quarantaine d’années.
Mais la composition du conseil municipal montre que le bouleversement n’est pas total : on y trouve les représentants des familles notables : Laurent, Rose, Vallée, Frétigny, Poulain, Delamare, Vigor ...

Une économie fondée sur les réquisitions

Le lendemain, nouvelle réunion, pour établir le comptage des gerbes de grains récoltés. Qui ne s'y soumettrait pas sera « déclaré suspect est traité comme tel », menace que l’on prenait sans doute moins au sérieux depuis la chute de Robespierre.
Dans les jours qui suivent :
On recense les laines, les barques, les chevaux de halage et les huiles de poisson.
On prévoit la célébration du 10 août (vieux style), soit le 23 thermidor.
On traque les déserteurs, mais le conseil général (= municipal) voit avec satisfaction qu'il n’y en a aucun dans la commune.
On annonce que les chevaux de rivière vont être réquisitionnés.
On prévoit des confiscations pour ceux qui se sont refusés à la réquisition des porcs, mais il n'y en a pas dans la commune.
On recense les chevaux entiers et les juments, ce qui va entraîner un incident quand un propriétaire n'accepte de fournir que deux chevaux au lieu de trois. Ce refus d'obéissance est consigné.
On recense les pilotes et les compagnons mariniers.
Puis c'est la réquisition de fourrage : la commune doit fournir 4167 quintaux de foin, 4167 de paille, 4959 d'avoine au magasin militaire.
[un quintal valait 100 livres, soit 48 kilos. Même en convertissant, on voit qu'il s'agissait de quantités très importantes, environ 20 tonnes de chaque produit : commune riche ou ponction lourde ?]
Ce même jour une plainte de la Commune révolutionnaire de Rouen arrive, concernant le prix exorbitant du bois qui ne respecte pas le maximum (fixé sur le prix de 1790), mais le dépasse de moitié et même des deux tiers.

Pour le moment on a fini de dresser l'état des chevaux de rivière (cela aura pris presque un mois, il est évident qu’on traîne les sabots...) la commune en déclare une vingtaine en vendémiaire an III. Ces chevaux, qui tiraient les bateaux sur la Seine, représentaient bien sûr une source importante de revenus pour leurs propriétaires qui n’avaient aucune envie de s’en défaire. En brumaire on demande le dénombrement des animaux ruraux.

La disette menace

Le maire évoque le manque de pain et demande que « la deministration » du district qui s'est tue jusqu'à présent fasse quelque chose. On décide un recensement des récoltes pour délivrer de la nourriture aux citoyens qui n'en récoltent pas, puis on décide de réquisition sous la menace de la force armée.
En nivôse l'examen des « contes » (comptes) amène l'élimination de « neuf livres un sou en mauvais papier qui ont été à l'instant brûllé » : on élimine des assignats pour que le cours ne s’effondre pas totalement.
Le citoyen Corot, instituteur, réclame un poêle « pour la salle nationale qui se trouve déserte par le froid excessif qui éprouve les enfants » : l'acquisition d'un « poille »(poêle) et ses « tullios « (ce qui donne une idée de ce que devait être la prononciation de ce mot à l’époque) est accordée et l'agent national demande la même chose pour la salle de réunion : « nous consommons beaucoup de bois dans la cheminée et nous sommes gelés de froid ». [comme on sait, les cheminées chauffent surtout l’extérieur...] !

On se cotise contre la misère

Mais c'est le problème des subsistances qui demeure crucial. Un millier de livres est avancé par différents citoyens de la commune. Les trois plus gros contributeurs : Jean Marc, Louis Menu, Jean Gandois, pour 150 livres chacun. [Il s'agit visiblement d’un acte militant, ce ne sont pas les plus grosses fortunes qui contribuent, et l’on peut noter que les deux derniers étaient députés de Pîtres en 1789.]


La famine menace. Adresse à la Convention nationale

La situation ne s'améliore pas. Le 24 nivôse an III, le maire fait un discours intégralement retranscrit dans le registre : « Citoyens, rien ne doit plus exciter notre sollicitude que l'État malheureux dans lequel se trouvent nos concitoyens dénués de ressources locales et voisines. Le mercenaire qui attend pour exister après le prix de son travail quotidien est obligé de perdre au moins quatre ou cinq jours chaque décade pour aller jusqu'à huit ou dix lieues chercher de quoi soutenir une famille pâtissante et désolée à laquelle encore il ne rapporte quelquefois que des larmes ou la cruelle incertitude de pouvoir y retourner de nouveau par la difficulté d'atteindre au prix inconcevable que ne rougit pas d'exiger l'impitoyable laboureur.
Citoyens, il faut voir périr nos frères de misère et de faim où il faut chercher un prompt moyen de les soulager. Il faut apprendre leurs maux à la Convention Nationale. Elle fait son bonheur de sécher les pleurs des infortunés. Il faut lui faire connaître l'aridité de notre sol qui jamais n’a récompensé celui qui l’arrose continuellement de ses sueurs. Il faut lui peindre l'attachement de nos concitoyens pour elle, il faut lui porter la bénédiction du peuple, mais de ce peuple riche seulement de ses vertus et non pas de ces hommes pour qui l'or est tout et la patrie moins qu'un mot, de ces vampires qui vendent dix et douze sous une livre d'orge.
Le conseil général convaincu de ces trop cruelles vérités et considérant combien il est à craindre que les citoyens de cette commune pressés par la faim dont ils ne peuvent calmer les angoisses ne se portent à empêcher le passage des bateaux de grain destiné à l'approvisionnement de Paris […] le citoyen Corot se rendra sans délai au nom de la commune de Pîtres à Paris près la commission des subsistances et approvisionnements de la République et si besoin est près la Convention Nationale ou ses comités afin de solliciter l'autorisation de prendre dans l'un des bateaux destinés à l'approvisionnement de Paris, maintenant en station sur la Seine devant son territoire à cause des glaces, ou dans ceux qui passeront après le dégel des subsistances en quantité suffisante pour mille huit individus, sinon quelque autre moyen prompt de prévenir leur désespoir et leur mort »
L’ensemble du discours est bien entendu destiné à la Convention, ou du moins aux autorités supérieures. Après les louanges et l’appel au cœur, on note la menace à peine voilée d'un pillage des bateaux immobilisés sur la Seine par les glaces. Il faut dire qu’ils étaient fréquents à l’époque, les autorités finissant par autoriser la vente à bas prix des denrées. Le maximum a été aboli le 4 nivôse en III (24 décembre 94), vingt jours avant ce discours, et il est clair que le maire, en bon jacobin, regrette cette abrogation. Les effets qu'il décrit étaient à attendre : le « cruel laboureur », à qui l’on a imposé pendant une année et demie de livrer son grain à un prix qu'il estimait insuffisant, peut maintenant se rattraper…
La version écrite qu’emporte Corot est très intéressante : dans le style très oratoire de l’époque, l’adresse débute par deux très belles phrases qui flattent la nouvelle majorité de la Convention dans le sens du poil (Robespierre rappelons-le est tombé) :
« La terreur enfin par vous terrorisée fait place à la justice blessée et à l’humanité en deuil, grâce immortelle vous en soit rendue. Les bourreaux ont bien pu rougir la terre, mais ils n’ont jamais su l’art de faire germer une vertu. Astrée ressaisie de sa balance ne commence plus par effrayer de son glaive..... » 

Nivôse, pluviôse, ventôse : les mois les plus durs.

De la mission de Corot nous ne savons malheureusement rien, mais peut-être les 100 quintaux de grain à prendre au Vaudreuil en pluviôse en sont-ils le résultat. Par la suite la commune recevra en prêt une somme de 8000 livres pour ses indigents. Ceci fait partie d'une somme de 250 000 livres accordée au district pour achat de grain : la misère dépassait largement le territoire de Pîtres. Cette somme n'est pas négligeable : le budget de la commune votée un mois plus tôt était de 2396 livres 6 sous et 10 derniers. Cette somme permettra de rembourser l'avance de 1000 livres faite en nivôse.
Le 4 floréal, tous les citoyens sont conviés « au son de la cloche et de la caisse (tambour) » à une séance publique, l'affaire est donc d'importance. La délibération est courte : « le citoyen Gandois se rendra sans délai au Havre ou lavoi (la voix) publique annonce qu'il y a des subsistances », avec 6600 livres pour acheter du grain ou de la farine au prix le plus avantageux. Malheureusement, cinq jours plus tard le citoyen Gandois remet les 6600 livres, amputées de 159 livres correspondant vraisemblablement à ses frais de voyage : il n’a rien pu acheter.
Puis la course continue, en floréal on va chercher 5 q de grain aux Andelys, en messidor on ne comptera plus les quantités qu’en livres : 370, puis 351 livres de blé à Louviers.
Entre-temps le maire a tiré le bilan : puisque l'on ne peut trouver de subsistances à acheter, les 8000 livres serviront à distribuer de l'argent aux indigents.
Il est à noter qu'à l'inflation s'ajoute le manque de cohérence en matière monétaire : ainsi la municipalité demande comment elle pourra rendre des comptes, alors que sur les 8000 livres accordées par le gouvernement pour l'achat de subsistances, 950 sont en assignats à face royale démonétisés par le décret du 28 floréal. Et elle ajoute : comment acquitter les dépenses alors que « les citoyens ne manquent pas de payer uniquement en assignats à face »

Greffiers fâchés avec l’orthographe …
Le 10 brumaire, le greffier Rodrigue est destitué et remplacé par Jean Delamare, qui démissionne de sa fonction de notable de la commune de Pîtres pour ne pas cumuler et touchera un traitement de 250 livres. On reproche à Rodrigue de mettre « un tems trop considérable » pour rédiger « un rapport trop parodique ». Et l'agent national d’ajouter : « je vois effectivement toutes les affaires dont il était chargé marqué au coint du dégout et de la négligence » : le nouveau greffier, c’est maintenant lui qui écrit, est peut-être plus vif, mais semble avoir quelques problèmes avec l’orthographe, et le prouvera amplement au fil des pages.


Le citoyen Dumont, le type même du thermidorien, remplace Marc le jacobin 
Neuf thermidor an II : à Paris c’est la chute de Robespierre. À Pîtres, la nouvelle ne pouvant évidemment être arrivée, le sujet de la réunion est la réquisition des porcs, qui seront conduits cinq jours après à Pont de l'Arche. Seules intrusions des événements de la capitale : le lendemain, 10 thermidor, on nomme un nouveau commissaire distributeur à la place du citoyen Dumont, qui a abandonné sa fonction pour « affaire urgente ».
Aux Archives Départementales de l’Eure, on trouve trace de ce même Dumont : après la loi de germinal an III qui traque les anciens partisans de Robespierre « le citoyen Dumont, ancien négociant de Rouen et ex-membre du comité de surveillance de Pîtres…. est excepté du désarmement et de la surveillance ordonnée contre les partisans du terrorisme... qu'en conséquence les armes qui lui ont été enlevées lui seront remises... et qu'il est dispensé de se présenter à la municipalité de Pîtres. » En clair, Dumont a réussi à faire oublier son zèle passé.
Sa fille Angélique Aimée épouse un Lecamus, gros fabricant de drap de Louviers. Le 8 fructidor an III, Dumont devient maire de Pîtres, avec comme officiers municipaux des membres de l’ancien conseil. Jean Marc disparaît des registres, il meurt à Pîtres en 1799, âgé de 68 ans.

Echapper à la guerre.
Il est des réquisitions qui sont parfois bienvenues : le directeur de la fonderie de Romilly, M. Lainé, réclame périodiquement des ouvriers qualifiés (charpentiers, briquetiers, fondeurs, etc.) et leur évite ainsi de partir à la guerre. On verra tout le long des guerres de la Révolution et de l'Empire cette pratique se développer, et s'étendre en particulier aux mariniers, dont le rôle est essentiel pour les transports, en particulier pour l'approvisionnement de la capitale. A plusieurs reprises les autorités ont élevé des protestations méfiantes, et l’on sait que les places
de « réquisitionnés » pouvaient se négocier. 


Le citoyen Corot, instituteur, est destitué, on conteste
Le district envoie en prairial le citoyen Milliard pour être instituteur attitré de Pîtres. Il s’agit là vraisemblablement d'une mesure visant un opposant au nouveau régime : l’instituteur remplacé est précisément le citoyen Corot, envoyé à Paris pour porter l’adresse du maire de Pîtres à la Convention. Toujours est-il que ce changement soulève des protestations : « personne ne se plaint du citoyen Corot qui remplit cette fonction depuis plus d'un an et est bien plus capable que le citoyen Milliard qui ne sait pas seulement un mot d'orthographe. » On demande donc le maintien du citoyen Corot, mais on modère la formulation, le registre est raturé, la formule : « ne sait pas seulement un mot d’orthographe» est remplacée par « à peine sait-il un peu d’orthographe ». En fin de compte le citoyen Milliard sera imposé à la commune et les rapports seront tendus. Quinze jours après son arrivée on trouve : le citoyen Milliard « ment en avançant qu'il avait été donné davantage de chambres à son prédécesseur ». À noter qu’il est logé dans le ci-devant presbytère (redevenu presbytaire) (à suivre …)

Fête : pour entretenir l'ardeur révolutionnaire, les citoyens sont convoqués sur le champ le 2 pluviôse pour la fette (fête). C'est l’anniversaire de la décapitation de Louis XVI.


REPONSES AU JEU DES MÉTIERS

1a : il fabriquait des bas tricotés d’estame (ou estaim) nom donné à un fil très retors de laine peignée à chaud et filée à la quenouille. Ces bas avaient remplacé les chausses pour les hommes et étaient portés par les classes aisées car ils coûtaient très chers. Les bades tamiers étaient très nombreux en Picardie et en Haute Normandie. Ils travaillaient à domicile pour de petites enterprises. Au XIXeme siècle la profession, complétement transformée par l’introduction des métiers mécaniques prit progressivement le nom de bonnetier.

2c Il lave et blanchit le fil de lin ou de chanvre avec de l’eau et des cendres. Ce métier se trouvait surtout dans le Haut Anjou mais aussi dans les régions comme la Haute Normandie qui cultivaient le lin

3c La flette est un moyen bateau de rivière qui est au service d’un bateau plus grand comme la chaloupe au service d’un navire.

4c Une fois roui dans l’eau pendant plusieurs semaines, le lin est séché, brayé (broyé) par les closiers et métayers. Les fibres broyées sont alors mises en paquets (poupées) par les poupeliers.

5 réponse dans l’article sur Pîtres sous la Révolution (c’était le métier d’un des premiers maires)



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Dans les archives du Manoir sous la Révolution 1791-93

Nous publierons par étapes les résumés des notes sur les registres de délibérations du Conseil Municipal du Manoir. Le premier registre couvre les années 1788-91, mais nous le décrirons dans un prochain numéro, des recoupements nous restant à opérer. 

Novembre 1791. Tandis qu’à Paris on est sur le point de proclamer la République, la commune du Manoir semble vivre plus paisiblement au rythme de ses problèmes quotidiens. Les séances du Conseil sont souvent des sessions d’enregistrement de lois transmises par le district de Louviers. Il n’est pas rare d’en recevoir une centaine par semaine, et l’on peut en voir l’impact sur la commune.
Chaque compte-rendu de réunion de Conseil municipal est émargé par les membres présents ; on apprend ainsi qu’en décembre 1791, Jean-Baptiste Leclerc était maire, assisté de Jacques Depitre, J.B Tesson (ces deux derniers étant officiers municipaux), Jacques-Louis Bisson (procureur de la commune) J.B Revert, J.B Depitre, tous propriétaires ou laboureurs, avec Nicolas-Yves Pelletier comme secrétaire/greffier.
Une lecture attentive permet parfois de suivre certaines personnages… nous n’en sommes qu’au début.

SURVIVRE


Ce qui importe, c’est d’abord la nourriture, le village est pauvre, les mauvaises récoltes, les réquisitions, l’inflation vont aggraver la situation. On accuse les « accapareurs », marchands et paysans aisés (laboureurs) de faire monter les prix en cachant leur grain, des réquisitions et des « visites » sont organisées, et les « accapareurs » sont menacés des plus graves sanctions.

Samedi 15 septembre 1792
François Milliard se défend des accusations portées contre lui et invite les officiers municipaux à se rendre dans ses propriétés pour constater qu’il ne cache pas de grosses quantités et à dresser procès verbal.

Lundi 5 novembre 1792 an I
Se sont présentés en séance ordinaire neuf habitants pour se plaindre « de s'être rendus à la halle de Pont de l'Arche ce jour afin de pouvoir avoir un peu de blé pour leur nourriture et qu'il n'avaient pu en avoir ainsi que d'autres citoyens de la commune, ainsi que vendredi dernier, sous le prétexte qu'il n'y en a pas suffisamment pour les citoyens de la ville». Il est décidé d'inviter les cultivateurs de la commune « bien que n'ayant qu’une faible récolte » d'en livrer en attendant que les halles puissent en livrer plus abondamment. Signé : Leclerc, Jean-Baptiste Tesson, J. de Pîtres, Jacques Louis Bisson, Philippe D.

Dimanche 11 novembre
« Il a été constaté que Louis Frèret n'a livré aucun grain dans l'étendue de la commune mais qu'il en a engrangé dans la commune d'Alizay, que François Revert livre tant au citoyens de la commune qu’à la halle de Pont de l'Arche, que Jean-Baptiste Leclerc a depuis le 15 septembre jusqu'à ce jour fourni et livré à différents citoyens de la commune 77,5 boisseaux de blé et huit sacs en blé et seigle qu'il a employés pour ses semences, que Jacques Louis Bisson a […] fourni et livré 50 boisseaux et utilisé 45 en blé et seigle pour ses semences, et que les autres laboureurs et cultivateurs ont fait très peu de livraisons voire point du tout, qu'ils ont très peu de blé et seigle et que tout sert pour l'ensemencement et leur nourriture personnelle. Il résulte que les cultivateurs et laboureurs de notre commune sont dans l'impossibilité de sortir de chez eux aucun blé attendu que les habitants s'y opposent de plus en plus ».

Dimanche 18 novembre
« reçu hier une lettre adressée par les citoyens administrateurs du district de Louviers relative aux grains et aujourd'hui sont venus quatre officiers municipaux de Pont de l'Arche accompagnés de plusieurs gens d’armes de la garde nationale pour faire lecture d'un procès-verbal de la commune et demander notre soumission à donner des ordres aux cultivateurs de notre commune à porter du blé à la halle de Pont de l'Arche : un de sac et demi par semaine ».
C’est qu’il faut ravitailler Paris, et les armées. La guerre menace, puis est déclarée en avril 1792, mesure contresignée par Louis XVI qui joue le double jeu et espère bien que la France sera vaincue par son beau-frère, l’empereur Joseph II. C’est le début d’une guerre qui durera 23 ans.

LA GUERRE


Vendredi 4 mai 1792
On reçoit le paquet contenant la loi du 20 avril 1792 sur déclaration de guerre, proposée par le roi Louis XVI et votée à l’unanimité de l’Assemblée législative moins une voix, contre le roi de Hongrie et de Bohême (l’empereur d’Autriche, Joseph II).

Jeudi 19 juillet 1792
Inventaire des armes et munitions (fusils, mousquetons, pistolets, bâtons ferrés)

Vendredi 14 septembre 1792, an IVème de la Liberté et Ier de l’Egalité
« En vertu de l’arrêté du département de l’Eure du 3 de ce mois, ordonnons que 3 fusils seront délivrés ce soir au plus tard aux 3 volontaires qui partiront demain pour la défense de la patrie en danger, en conséquence avons nommé deux commissaires pris dans notre sein savoir Jean-Louis Fréret et Jean-Pierre Depitre notables pour se transporter à l’instant chez François Milliard, laboureur, Louis Colinet aussi laboureur et Jean-Christophe Sénard citoyen de cette commune afin de les inviter au nom de la loi et de la patrie en danger de vouloir bien déposer aujourd’hui avant midi au greffe de notre municipalité chacun un fusil pour être remis en mains de nos volontaires. »

Mardi 9 octobre an I de la République
A la demande de Pont de l’Arche, il doit être fabriqué 50 piques avec leurs hampes et leurs talons de 8 pieds, selon modèle fourni.
Le marché sera adjugé à J-L Bisson, qui demande 10 livres 10 sols par pique, pour du « bois de sapin rouge du Nord, exempt de mauvais nœuds ». Délai de fabrication : un mois.
Le premier adjudicataire les proposait à 16 livres, et il y eut huit adjudications successives, ce qui montre que l’on avait vraiment besoin de travail (ou que le marché était « juteux »?)

Dimanche 16 décembre 1792
Réception des 50 piques et talons de hampe du citoyen Jacques Louis Bisson

Jeudi 14 mars 1793 an II
Lecture à l'église de la loi du 24 février relatif à l'inscription des citoyens qui se consacreront volontairement à la défense de la république.

Samedi 16 mars 1793
Demande de Louviers d'établir un tableau des chevaux et mules de luxe, non destinés à l'agriculture, et qui serviront à la défense de la patrie

POUR LA CONSCRIPTION, MANQUE D’ENTHOUSIASME….ET LES ABSENTS ONT TOUJOURS TORT


Ici un épisode intéressant montre que la défense de la République, idéal affiché, n’empêchait pas que l’on manœuvre pour échapper à la conscription.

Dimanche 17 mars 1793 an II
Assemblée générale dans l'église (la maison commune étant trop petite) : appel nominal des 18 citoyens garçons de 18 à 40 ans qui habitent la commune.
Treize présents, deux représentés, deux absents non représentés, un rayé de la liste du fait de sa fonction de premier officier municipal, selon la loi du 24 février 1793.
Les présents et représentés ont déclaré « leur vœu est de remplir sans désemparer le contingent de deux hommes que leur commune doit fournir, que tout retardement peut-être funeste à la République qui a besoin de défenseurs […] en conséquence et pour se conformer à l'article 17 de la loi du 24 février qui ne dispense pas les absents de concourir avec les autres, ils se forment en assemblée et déclarent qu'ils vont procéder au scrutin du mode qui doit être adopté par l'assemblée pour le recrutement des deux hommes qu'il doivent fournir et comme ils ne voient rien dans la loi qui leur indique la manière dont doivent concourir les absents ils demandent à être autorisés de faire nommer sur le champ deux commissaires qui procèdent conjointement avec eux au mode soit de scrutin soit de tirage au sort qui doit être adopté. »
Sont nommés commissaires : Jean-Pierre Le Sueur, laboureur et Jean-Baptiste Milliard, journalier, choisis pour être les moins alliés des deux absents.
Scrutin pour le mode de recrutement : quinze voix pour le scrutin, deux voix pour le tirage au sort, « le tout sans division ni difficulté »
Comme on le voit, la manœuvre était belle, et le résultat sans surprise :
Édouard Martin, et Pascal Bisson (les deux absents) sont proclamés défenseurs de la patrie, par quinze voix....
Les jours suivants, les deux défenseurs de la patrie vont faire des pieds et des mains pour se trouver, sans succès, des remplaçants.

Mardi 19 mars 1793 an II
A huit heures se présente à la maison commune Pascal Bisson qui demande à jouir de l'article 16 de la loi du 24 février qui lui accorde la faculté de se faire remplacer et présente le citoyen Jean-Baptiste Legrain, garçon d'environ 42 ans, né à Sennecourt, dans le district de Verneuil, demeurant chez François Milliard laboureur, qui a servi quatre ans dans le régiment du Perche et en est sorti il y a huit ans.

Vendredi 22 mars 1793
S'est présenté François Édouard Martin, demandant à se faire remplacer et a présenté le citoyen Jean-Baptiste Ménier, fils d'André, tisserand, demeurant à Louviers.

Mais les commissaires du district ne veulent pas des remplaçants, puis des remplaçants des remplaçants...sans doute peu aptes au service la patrie, ce qui amène au Manoir une visite des autorités supérieures…

Vendredi 29 mars 1793
Visite du citoyen Corot (c’est l’instituteur de Pîtres) commissaire de l'administration du district de Louviers demandant les procès-verbaux d'élection des deux défenseurs de la patrie. Il lui est fait part également que la commune ne possède ni chevaux de luxe ni fusil de guerre et qu'on ne peut fournir de souliers faute de cordonnier.  


Suite dans le registre suivant...

L’ARGENT


Le premier problème, c’est d’abord l’impôt, qu’il faut faire rentrer…C’est la tâche d’un percepteur privé qui la prend aux enchères, en adjudication, et est ensuite chargé de récolter les impôts d’une paroisse, d’un district, ou d’une province.

Lundi 26 décembre 1791
Adjudication de la perception et recouvrement des deniers de la contribution foncière et « mobiliaire » remportée par Nicolas-Yves Pelletier, le greffier de la paroisse pour 89 livres, contre J-L. Bisson qui demandait 100 livres et J-B. Depitre, 90 livres.

Lundi 9 janvier 1792
Le directoire de Louviers fixe la contribution mobilière de l’année 1791 à 754 livres.

Lundi 3 septembre 1792
Réception du « mandement » de la contribution foncière dans lequel est fixé pour la cote part de la commune: 3578,15 livres

Dimanche 14 octobre
Adjudication de la perception de la contribution foncière de 1792 : J.B.Depître l’emporte, il se propose d’assurer la perception des 3578 livres pour 78 livres (après enchères descendantes contre Pelletier). Son beau-frère, J.B. Tesson, laboureur, se porte caution.


VIE COMMUNALE


Il y a au Manoir 80 citoyens actifs* dont 70 savent signer leur nom, sur une population totale dont nous n’avons le compte exact que pour l’année 1759 : 184 personnes réparties en 54 feux (unité d’habitation pouvant comporter homme, femmes, enfants, ascendants, domestiques). Au passage, on voit que le nombre moyen d’habitants par feu est faible, à peine supérieur à trois : oublions l’image d’Epinal de familles surabondantes, le contrôle des naissances est déjà là.

* Les citoyens actifs sont ceux qui paient l’équivalent de trois journées de travail, soit en général trois livres de contribution.

Vendredi 6 janvier 1792
Querelle de clocher ! « Distraction » d’un terrain situé au Manoir au profit des communes de Pitres, Alizay et Poses, appartenant au sieur Girot de Fresne-L’Archevêque. Chaque commune voudrait bien en percevoir l’impôt. On demande au district de statuer.
La réponse sera sèche, franchement agacée, et un rien menaçante. Nous la reproduisons ci-dessous, la qualité d’écriture des bureaux de Pont de l’Arche en rendant la lecture aisée (voir en bas de page).

Lundi 16 janvier 1792
Délibération pour fourniture de papier, bois et lumière de la municipalité et appointements du secrétaire/greffier :
Papier, chandelle : 27 livres
Greffier : 72 livres pour 1790, 80 livres pour 1791

Vendredi 4 mai 1792
Le département attribue la somme de 200 livres pour remise en état du chemin de Pont de l’Arche à Pont Saint Pierre.
Les élections vont avoir lieu, avec un mode de scrutin plus démocratique.

Dimanche 7 octobre 1792 an I de la République française
En vertu de la loi du 15 août 1792 relative au serment des fonctionnaires, «la municipalité du Manoir prête serment de fidélité à la Nation et de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en la défendant » signé J.B Leclerc, maire, J.B. Tesson, J.L. Fréret, Jacques Depître, Jacques-Louis Bisson, J.P. Pîtres, Martin Revert, Leblond, Nicolas Pelletier et J.P. Grenier.
C’est le nouveau personnel municipal en place, on trouve de nouveaux noms, mais ce n’est pas un bouleversement radical, J-B Leclerc, laboureur, reste premier magistrat.

Mercredi 31 octobre 1792 an I
Séance pour le règlement des dépenses de la commune :
Papier, bois et lumière : 25 livres 1sol 6 deniers, plus 28 livres 9 sols de frais, plus les appointements de Pelletier, greffier, 100 livres pour l'année 1792
Ce même jour, Pelletier, qui est aussi maître d'école, signale que le nombre d'enfants n'est pas suffisant pour « gagner sa vie », et la municipalité lui accorde 50 livres par an, laquelle somme sera répartie sur les contributions foncières et mobilières.

Dimanche 2 décembre 1792 an I
Est élu maire Jean-Baptiste Leclerc, qui recueille 16 voix sur 23, puis deux officiers municipaux : Jean-Baptiste Tesson et Jean-Baptiste Revert (qui refuse à cause du délabrement de sa santé), d’où de nouvelles élections : Pierre Leclerc élu le samedi suivant est nommé procureur de la commune.
Élection de six notables :
Martin Revert père, Étienne Dienis, Jean-Baptiste Revert dit Rousset, Jean-Baptiste de Pîtres fils de Pierre, Jean-Baptiste Charles Bernard Revert, Jean Tesson, fils de Claude.
Les Revert ont visiblement le vent en poupe, sont-ils les représentants d’une tendance plus radicale, jacobine, ou se contentent-ils de se placer ?

RELIGION


Des mesures novatrices...

Dimanche 26 février 1792,
Assemblée pour délibérer sur la distribution du pain béni « par égalité, sans distinction »

Vendredi 30 mars 1792
A la requête de J.-L. Bisson, procureur de la commune, il est désormais nécessaire de sonner l’angélus tous les jours à midi pour la commodité des travailleurs des champs.

Un curé trop révolutionnaire !
Le premier maire du Manoir, élu en 1790 était son curé, Maille, doyen du prieuré de Perriers, notable aisé, représentatif du premier personnel révolutionnaire, avant la Convention. Il refuse de prêter serment à la Constitution, et est remplacé en septembre 1792 par le citoyen Leblond, curé constitutionnel, qui représente tout à fait la nouvelle vague révolutionnaire, et prend vite de l’importance, non sans susciter des conflits….

Dimanche 6 mai 1792
Procès-verbal établi par les membres de la municipalité contre le curé Leblond, pour insultes proférées envers eux au cours de la messe et des vêpres de ce jour dans l’église du Manoir.
Le curé Leblond leur reproche de cacher la vérité et de ne pas informer les citoyens.

Mardi 8 mai 1792
La municipalité dépose une requête contre Leblond auprès du directoire du district de Louviers.
Nous n’avons pas trouvé de réponse à cette requête sur les registres du Manoir, mais il est vraisemblable que le district ait soutenu Leblond…

Samedi 15 décembre 1792
Inventaire des registres de l'église (baptême mariage...) établis depuis 1670 et transfert au secrétariat de la municipalité qui sert de maison commune.
C’est la laïcisation de l’Etat-civil

Dimanche 16 décembre 1792
Le citoyen curé Leblond est nommé unanimement lecteur des lois grâce à son civisme et son patriotisme, et le citoyen Ministre de l'intérieur sera invité à adresser ce qui se passe chaque jour dans l'auguste Assemblée des représentants du peuple français.
Le curé Leblond l’a visiblement emporté, ou du moins on a préféré se rallier à lui, et il poursuit sa tâche d’évangélisation révolutionnaire, puis, allant jusqu’au bout des ses convictions, il s’engage dans les armées révolutionnaires… En reviendra-t-il vivant ?

Voir aussi nos articles sur la Révolution à Romilly et Pont-St-Pierre après la Révolution du n°13



Les bombardements au Manoir

Le Manoir - Bombardements
Collection particulière

Les bombardements du Manoir



Le Manoir - Bombardements
Collection particulière

Le pont du Manoir (voir notre article n°13) avait été mis en service en 1893.Durant la guerre 1939-45, il constitue un objectif stratégique, puisqu’il est l’un des franchissements de la Seine par la ligne de chemin de fer Paris-Le Havre. Les premiers bombardements sont le fait des Allemands, qui ne réussissent pas à le détruire, mais font au Manoir les premières victimes civiles de l’Eure. Puis, pour ralentir l’avance allemande, le 10 juin 1940 c’est l’armée française qui en fait sauter une travée, réparée en octobre 1941 par l’occupant allemand. Enfin, le 27 mai 1944 les bombardements alliés réussissent à le détruire, mais presque tout le Manoir l’est aussi. Après construction d’un ouvrage provisoire, le pont reconstruit à l'identique est mis en service le 12 décembre 1948. 
Le Manoir - Bombardements
Collection particulière. On aperçoit encore au bout de la rue l’ancienne église.

Le Manoir - Bombardements
Collection particulière. Cette très belle photo montre que le Manoir a eu aussi son pont levant...


L’abbé Vaurabourg et le trou du curé

projets d’implantation d’une usine hydraulique à Pîtres


Pourquoi l'abbé Vaurabourg, l'entreprenant curé de Pîtres, et son collègue de Romilly, ont-ils échoué ?

En 1878, les abbés Jeannin et Vaurabourg, respectivement curés de Romilly et de Pîtres, déposent en préfecture un projet d’installation d’usine hydraulique qui suppose quelques aménagements de l’Andelle, comme ceux qui avaient été réalisés un demi-siècle auparavant en amont, sur et près de l’île Sainte-Hélène. Il n’en est malheureusement resté qu’un début de travaux, le « trou du curé ».

projets d’implantation d’une usine hydraulique à Pîtres
Le plan déposé aux Archives de l’Eure montrant les projets d’implantation d’une usine à Pîtres
  • Qui sont-ils ? D’où vient l’argent ? Est-ce une folie ?
  • Les rêves de l’abbé Vaurabourg pour l’église de Pîtres.
  • La brochure de l’abbé Vaurabourg sur Pîtres et les questions un peu vexantes mais intelligentes qu’il pose.
  • Pourquoi cela n’a pas réussi ?
  • Pourquoi cela ne pouvait pas réussir.
  • Les débuts de travaux.


Toutes les réponses au prochain numéro, du moins celle que nous aurons trouvées….


Le château de Logempré

Château de Logempré à Douville / Pont St Pierre

Un château oublié : le château de Douville, dit à tort de Logempré

« Le château de Douville était assis dans les prairies au bord de l’Andelle, mais sur la rive droite de cette rivière, qui le séparait du village; Les ruines qui subsistent de cette forteresse font en réalité partie du territoire de Pont-Saint-Pierre. […] La partie la plus ancienne, le donjon, fut élevée dans la seconde moitié et probablement dans le dernier quart du XII°siècle. […] C’était une tour carrée flanquée aux angles de quatre tours rondes reposant sur un soubassement polygonal.» 
Château de Douville
Louis Régnier, l’auteur d’une brochure publiée en 1909 et traitant entre autres des châteaux de Douville et de Logempré introduit son sujet en se plaignant des confusions de noms. « Les historiens et les archéologues qui ont écrit sur cette partie de la vallée de l’Andelle ont embrouillé comme à plaisir les faits qui se rapportent au château de Pont-Saint-Pierre et aux châteaux voisins: ils ont confondu ces différents manoirs, et les faiseurs de cartes postales illustrées, plus excusables, sont venus, en ces derniers temps, ajouter au chaos. »
Château de Douville
Après cet avertissement, l’auteur nous expose ce qui vient d’être lu sur le château de Douville, qui passe de mains en mains : Longchamp, Ponthieu, la Haye,Calleville, Montfort, puis passe aux Anglais : Talbot,Cherwyn, et retour aux Calleville, puis Longchamp, Tiercelin, jusqu’en 1610, mais il est alors abandonné, sert de carrière de pierres et passe avec le fief de Douville entre les mains des Roncherolles.


Dans ce cas qu’en est-il du château de Logempré ? La réponse de L. Régnier, après une longue démonstration, est sans appel : « il y eut, au Moyen-âge, dans la vallée de l’Andelle, à l’est de Pont-Saint-Pierre, deux châteaux-forts distincts et tout à fait indépendants : d’une part le château de Douville ; de l’autre la Malemaison, détruite en 1359 et rebâtie au commencement du règne de Charles VI sous le nom de Logempré » (c’est-à-dire, le lecteur l’aura compris, le château de Pont-Saint-Pierre ).

(voir l'article sur les châteaux de Pont-Saint-Pierre)
Château de Douville
Château de Douville aujourd'hui


Château de Douville
Château de Douville aujourd'hui

Château de Douville
Château de Douville aujourd'hui


Poids et mesures sous l’Ancien Régime


Les unités de mesure anciennes

La Révolution Française va mettre en place un système unifié de mesures sur l’ensemble du territoire national, répondant ainsi à une forte demande des cahiers de doléances. Vous pourrez constater, en prenant connaissance ci-dessous d’une faible partie des unités de mesure utilisées sous l’Ancien Régime, combien ce besoin était réel ! Rappelons aussi que le système qui remplacera tout ce fatras ( qui de plus sera décimal, ce qui facilite grandement les calculs !) est entièrement basé sur le mètre, que l’on a voulu universel, en le définissant comme la millionième partie du quart d’un méridien.

Longueurs

BRASSE : une brasse = 5 pieds = 1,6242 m
COUDÉE : une coudée ordinaire = 0,50 m
LIEUE
- une lieue gauloise = 2,222 km
- une lieue de Paris jusqu'en 1674 = 1666 toises, de 1674 à 1731 = 2000 toises = 3,898 km, à partir de 1737, elle valait pour le transport des grains 2400 toises, pour les ponts et chaussées 2000 toises, pour les postes 2200 toises
LIGNE : une ligne = 12 points = 1/12 pouce = 1/144 pied = 1/1728 toise = 0,2255 cm
PERCHE
- une perche ordinaire = 20 pieds = 3 toises 1/3 = 6,496 m
- une perche de Paris = 18 pieds = 3 toises = 5,8471 m
- une perche royale = 22 pieds carrés = 51,07 mètres carrés
PIED : un pied = 12 pouces = 0,325 m
POINT : un point = 1/20736 toise = 1/1728 pied = 1/144 pouce = 1/12 ligne = 0,188 mm
POUCE :
- un pouce = 2,54264 cm
- un pouce de l'Ancien Régime = 12 lignes = 2,707 cm
TOISE : une toise = 6 pieds de roi = 1,9493 m. La toise étalon fut créée en 1735

La toise est une mesure de différente grandeur, selon les lieux où elle est en usage.
Celle de Paris établie en quelques autres villes du Royaume, est de six pieds de Roi, &son étalon ou mesure originale, est exposée au Châtelet de Paris ; c'est pourquoi elle est appelée toise du Châtelet.
La toise de maison est de six pieds.
La toise de Charpentier est de cinq pieds &demi.
La toise de Mesureurs de terres &de vignes est de cinq pieds seulement.
La toise de Mesureurs de bois &forêts est de cinq pieds &demi, selon la Coûtume d'Orléans.
Dans celle de Bourbonnois &au Pays de la Marche, la toise est de six pieds.



Que ceux qui trouvent que ce n’était après tout pas si compliqué se rassurent, nous ne leur avons livré qu’un résumé très simplifié de l’état des mesures anciennes, par exemple, pour la seule toise, nous aurions pu ajouter, tiré du Dictionnaire de Trévoux (1752) :
… et même la valeur du « pied du roi », dont le nom indique pourtant qu’il se voulait mesure unifiée, variait sensiblement d’un bout à l’autre du royaume:

Lieu
Valeur en cm
Normandie Beauvaisis
29,9
Lorraine
29,2
Strasbourg
28,9
Dijon
31,5
Mâcon
33,5
Bordeaux
35,7
Lyon Grenoble
34,1
Aix-en-Provence Avignon
27,0

Aires, surfaces

ACRE :
- 1 acre = 1 arpent carré. Selon la perche utilisée, on obtient : - une acre d'arpent = 220 × 220 = 48 400 pieds de Roi carrés = 51, 072 ares
- une acre ordinaire = 200 × 200 = 40 000 pieds de Roi carrés = 42, 208 ares
- une acre de Roi = 180 × 180 = 32 400 pieds de Roi carrés = 34, 189 ares
ARPENT :
- 1 arpent = 35 à 50 ares selon les localités
- un arpent royal = 100 perches ou cordes = 5107 mètres carrés
- un arpent des eaux et forêts (carré de 220 pieds de coté) = 5120 mètres carrés
- un arpent de Paris (créé en 1669) (carré de 180 pieds de côté) = 3419 mètres carrés
CHARRUE : une charrue » 12 arpents (surface de terre labourable en une journée)
FAUCHÉE : une fauchée = 15 à 18 ares (quantité de blé ou d'avoine qu'un homme peut faucher en une journée)
HOMMÉE : une hommée = 2 ares environ de terre bêchée par un homme et par jour
JOURNAL ou OUVRÉE : surface labourable par un homme en un jour, une ouvrée = 34,284 ares
VERGÉE : une vergée = 1/4 arpent = 1276 mètres carrés

Volumes, capacités

BARRIQUE : une barrique de Paris = 402 L
BOISSEAU : un boisseau de Paris (créé en 1670) = 16 litrons » 12,7 L
CORDE :
- une corde = 2 voies = 3,84 ou 2,74 stères (selon l'unité de longueur de 2,5 ou 3,5 pieds)
- une corde de grand bois = 1 1/7 voies de Paris = 4,3875 stères = 128 pieds cube
- une corde des eaux et forêts = 2 voies de Paris = 3,8311 stères = 112 pieds cube
FÛT :
- un gros fût = 32 veltes
- un petit fût = 27 veltes (milieu du XVIIIe siècle)
MUID :
- un muid = 300 pintes (vers 1590, suivant une ordonnance de Henri IV)
- un muid pour l'avoine = 2 muids = 3746 L, un muid pour le blé = 12 setiers = 1873 L,
- un muid pour le vin = 200 pintes de Saint Denis = 300 pintes de Paris = 279,395 L
- Le muid des vaisseaux devait avoir une contenance de 36 setiers de 8 pintes par setier soit 270 L environ muid de Paris = 280 pintes = 250 à 260 L
- Autres muids (matières sèches ) = 12 setiers = 144 boisseaux = 1873,20 L
- un muid à sel = 12 setiers = 2635 L en été et 2713 L en hiver
- Dernier exemple1456,60 muids de vin = 2100 livres tournois
LITRON : = 1/16 boisseau = 0,79375 L
PIÈCE : une demi pièce de Paris = 112 à 115 L
PINTE : une pinte de Paris (définie en 1742) = 2 chopines ou 1/8 setier = 1/144 feuillette = 48 pouces cube
PIPE : une pipe de Paris = 620 L. Encore utilisée, elle vaut 1,5 muid
QUARTE : une quarte = 2 boisseaux = 1 pot = 1/2 pichet
QUEUE :
- une queue = 8 soillées = 360 pots = 669,6 L
- une queue de Paris = 894 à 900 L
RASIÈRE : une rasière = 33 pots » 70 L
SETIER :
- un setier de Paris = 8 pintes = 7,45 L
- un setier (pour les boissons) = 0,466 L
- un setier (pour l'avoine) = 7 minots = 273,17 L
- un setier (pour le blé ou le seigle) = 4 minots = 156,12 L
SOLIVE : une solive = 3 pieds cube = 0,1028 stère
TONNEAU :
- un tonneau = 1 muid = 1 poinçon = 140 pointes = 2 feuillettes
- un tonneau = 20 quintaux = 2000 livres = 979,012 kg
- un tonneau (réservé aux bateaux) = 1,44 mètre cube (fut adopté par Colbert en 1681)
VOIE : une voie (pour le bois) = 1/2 corde de grand bois = 1,92 stère.

Masses

DENIER : un denier = 24 grains = 1/8 gros = 1,272 g
GRAIN :
- un grain = 1/24 denier = 0,053 g
- un grain métrique = 0,25 carat = 0,05 g
GROS : un gros = 3 deniers = 1 once = 72 grains = 3,816 g
LIVRE : une livre = 16 onces = 2 marcs = 489,506 g
MARC : un marc = 8 onces = 64 gros = 244,752 g
ONCE : une once = 1/8 marc = 8 gros = 24 deniers = 3,0594 g
QUINTAL : un quintal = 100 livres = 48,951 kg
TORCHE : paquet de 150 brins d'osier 



Les noms de rues de Pîtres


Pîtres


Les noms des rues à Pîtres


Sur le recensement de 1911 ci-contre, on peut noter qu’il n’y a pas de rue de l’Eglise, elle s’appelle encore rue Dumontier, mais il n’y a pas eu de Dumontier, c’était la rue du montier (monastère).
Pîtres - Recensement de 1911
Recensement de 1911

Tous les noms de rues de cette époque sont en effet descriptifs, on n’avait pas encore pris l’habitude de baptiser les rues en l’honneur de tel ou tel personnage.
Ainsi :
Féron : ferronier, forgeron, on trouve dans beaucoup de villages et petites villes des rue de la forge.
Bise : Est-ce le vent froid qui y soufflait ? À creuser...
Bocq, Bosc : c’était une rue menant vers le bois
Bourgerue : c’est tout simplement la rue du bourg
Geôle : c’était celle de la prison. A partir de quand a-t-on pris l’habitude de prononcer puis parfois d’écrire gé-ole au lieu de « jôle » ?
Moulins : il y en avait trois aux îles Sainte-Hélène
Ravine : recevait, et c’est encore le cas lors d’un orage, les eaux venant des terres situés au-dessus du village
Taillis : c’est un bois destiné plutôt à une exploitation fréquente ( pour le chauffage)
En 1931 apparaissent la rue de la pointe, dont on comprend le nom en voyant le plan du village, et la rue de la salle ( nous n’avons pas encore trouvé d’explication)

Il faut bien sûr ajouter le chemin de la remise, la rue des jardins, le chemin du marché, et le chemin boyer, le seul nom sur l’origine duquel on peut hésiter : chemin des bœufs ? Nous aborderons les noms plus récents dans un prochain article.

Le centre de Pîtres, au nord de la rue Dumontier (actuellement rue de l’Eglise) sur le cadastre de 1834 , dit napoléonien, car la décision d’établir systématiquement les cadastres date de l’Empire.
Le centre de Pîtres, au nord de la rue Dumontier (actuellement rue de l’Eglise) sur le cadastre de 1834, dit napoléonien, car la décision d’établir systématiquement les cadastres date de l’Empire.

Pîtres - sud de la rue Dumontier, avec la Seine, la port de Poses et l’Andelle avant qu’on en modifie le cours.
...et le sud de la rue Dumontier, avec la Seine, la port de Poses et l’Andelle avant qu’on en modifie le cours.