Église de Pîtres
Nous vous proposons une visite-promenade de l'église de Pîtres commençant par un tour extérieur de l'édifice et se poursuivant par la découverte de l'intérieur de l'église. Notre but est de vous inciter à aller la découvrir sur place, ce texte en main, comme nous l'avons proposé lors de la journée d'ouverture exceptionnelle du 7 octobre 2012. Nous serons amenés à employer quelques termes spécifiques qui seront expliqués dans un glossaire en fin de texte.
Nous partons du
calvaire situé dans le cimetière et cette première halte nous permet, d'une
part d'évoquer le site et l'histoire de l'église, d'autre part d'appréhender le
bâtiment dans sa globalité.
Tout ce que nous
savons nous permet de situer l'église, construite dès le Xe siècle
en bordure du village gallo-romain, sur les restes de la demeure royale qui,
elle-même, avait été édifiée sur des restes antiques. Il y avait eu plusieurs
cimetières extérieurs au village avant que le cimetière actuel ne soit associé
à l'église elle-même.
L'église est
dédiée à Notre-Dame. La paroisse faisait partie du diocèse de Rouen jusqu'à la
Révolution et dépendait de Notre-Dame de la Ronde : c'est un chanoine de cette
église rouennaise qui gérait l'église de Pîtres. Aujourd'hui la paroisse est
rattachée au diocèse d'Évreux et fait partie d'un regroupement de paroisses
appelé Notre-Dame de Seine-Andelle.
L'église de Pîtres
est orientée est-ouest et présente un plan général assez simple, composé de
deux ensembles rectangulaires, la nef et le chœur, auxquels se sont ajoutés au
sud, c'est-à-dire à notre droite, deux chapelles latérales qui débordent de la
nef sur le cimetière. L'église mesure 32 m de long sur 13 m de large au chevet.
Nous laissons pour
l'instant la façade occidentale qui se dresse devant nous pour rejoindre la rue
de l'église, afin de découvrir le mur nord du bâtiment et nous nous arrêtons
sur le trottoir d'en face afin d'avoir du recul.
Avant 1903 |
Ce mur de la nef est le plus ancien de l'édifice et date des Xe - XIe siècles pour la partie orientale, à notre droite, et du XIIe siècle pour la partie occidentale, à notre gauche, comme le montre d'une part l'appareillage de pierres qui conserve des traces d’opus spicatum, et d'autre part les deux ouvertures romanes en plein cintre qui subsistent : l'une à notre droite est toujours libre et est entourée de belles pierres taillées ; l'autre à notre gauche est maintenant murée et comporte des tuileaux de récupération sur les claveaux. Il existait d'autres fenêtres de même type, mais celles-ci ont disparu au XIXe siècle quand ont été ouvertes les deux grandes baies que l'on voit aujourd'hui ; les contreforts ont été ajoutés à la même époque. La troisième baie date du XVe siècle ; elle est de style gothique et comprend trois meneaux.
En progressant rue
de l'église en direction de la Côte des Deux amants, nous arrivons maintenant
au niveau du chœur : construit au XIIIe siècle, il est à deux
travées et sur la première est érigée la tour clocher. De l'endroit où nous
sommes le plan de ce clocher semblait être carré, mais en fait il est barlong.
Cet édifice a été étayé de contreforts et percé au nord de deux fenêtres
ogivales au XVe siècle. Jusque vers 1960, une petite tour de pierre
placée à gauche de cette fenêtre permettait de monter au clocher ; elle a été
remplacée par la tour métallique que l'on voit aujourd'hui. Le haut du clocher
est ceinturé d'une corniche formée de petites arcatures en tiers-point qui
surmontent des trèfles creusés dans le parement. Au-dessus de la corniche, sur
ses quatre faces, le clocher possède deux fenêtres géminées. La sacristie qui
était autrefois adossée au mur nord du chœur a été démolie en 1965, ce qui
permet une meilleure visibilité de l'église.
Après 1903 |
Entrons dans le cimetière pour observer le chevet plat, percé de ce côté par deux fenêtres jumelles en ogive. Au sud, à votre gauche, le chœur est flanqué de deux chapelles du XVe siècle qui tournent leurs pignons vers le cimetière. Un appentis s'appuie sur l'une d'elles : il abrite une pietà du XVIe siècle dont une restauration malheureuse a abîmé le visage. C'est cette statue qui donne lieu aujourd'hui encore à une procession en l'honneur de la Vierge Marie, le vendredi précédant le dimanche des Rameaux.
Allons plus avant
dans le cimetière pour nous placer le long du mur de clôture face aux deux
chapelles latérales. Elles ont été construites au XVe siècle avec de
nombreux matériaux de remploi : moellons de calcaire, silex, grès, briques,
disposés en assises irrégulières. La chapelle sur notre droite est éclairée par
une fenêtre à meneaux de style gothique rayonnant avec un oculus ; les
ouvertures de la seconde, fenêtres et portes, sont récentes, de même que les
deux bâtiments qui la jouxtent et qui constituent aujourd'hui la sacristie. En
continuant vers l'entrée de l'église, nous passons devant le mur nord ;
plusieurs fois remanié, il comporte deux baies du XIXe siècle et une
du XVe siècle, en partie occultée par un des bâtiments récents.
Nous arrivons
maintenant devant la façade occidentale devant laquelle nous nous arrêtons :
elle a été refaite en 1903 avec des pierres calcaires disposées en assises
régulières. Une rose et le portail, en pierre plus ocre, sont réalisés dans le
style gothique. Un porche à pans de bois précédait autrefois cette entrée. Le
tympan du portail est nu mais la base de l'arc est ornée de deux éléments
décoratifs : à droite les armes de Pîtres, qui comportent trois lancettes et
deux étoiles ; à gauche, un écusson qui montre en son centre le monogramme de
Charlemagne, Karolus en latin, repris par Charles le chauve. Tout autour se
déroule la formule de protection du roi IHV NATE DI CARLUM DEFENDE POTENTER ("Jésus
né de Dieu, défends puissamment Charles") et apparaissent les deux dates
de 862 et 864 rappelant les deux conciles que le roi a réunis à Pîtres.
Nous entrons dans
la nef. Les fenêtres de l'époque primitive sont largement ébrasées à
l'intérieur. La voûte est en lambris ornés de dessins noirs au pochoir. Elle a
été repeinte au XIXe siècle. Le carrelage est très discret et très
présent en même temps, dans les tons ocre, noir et jaune, aux motifs anciens ou
plus récents, dans une même harmonie. Il proviendrait de la région de Beauvais.
La nef étroite et
longue montre deux époques de construction : la partie orientale, vers le
chœur, est du Xe siècle tandis que la partie occidentale, vers
l'entrée, est un agrandissement du XIIe siècle, comme nous l'avons
vu à l'extérieur.
Les fenêtres,
imitation de deux fenêtres gothiques, ouvertes en 1887, ont un peu dénaturé
l'édifice. Levons la tête pour admirer les entraits engoulés : ce terme
imagé désigne les pièces de charpente horizontale joignant les arbalétriers et
dont les extrémités entrent dans la gueule d'un animal. L'un de ces entraits
est un engoulant denté. Les deux autres auraient eu leurs dents
effacées, on ne sait pourquoi. Ces gueules de monstres évoquaient les dragons
qui décoraient les bateaux des vikings de sinistre mémoire.
Dirigeons-nous
vers le chœur et arrêtons-nous devant chacun des deux autels latéraux : à dais
et à panneaux à compartiments flamboyants, ils sont du XVIe siècle,
remaniés à la période néogothique du XIXe siècle. Ils ont été
classés Monuments Historiques en 1912. Sur celui de gauche, la statue de la
Vierge n'est pas d'origine, sur l'autre, à droite, la statue de saint Sébastien
est du XVIe siècle. Elle a été repeinte. Un tabernacle en bois du
début du XVIIe siècle, représentant le Christ, embellit cet autel.
Le chœur est long
de deux travées de voûte ogivale, il date du XIIIe siècle. L'arc
triomphal séparant la nef du chœur n'a pas de moulure. Ses bords sont seulement
épannelés, c'est-à-dire dégrossis. Sur la première travée du chœur se trouve la
tour clocher que nous avons vue de l'extérieur. L'autel principal, en bois
richement travaillé, a été conçu au XIXe siècle autour du tabernacle
du XVIe siècle qui représente l'Adoration des mages; les personnages
sont vêtus à la mode du XVIe siècle.
Vous remarquerez
les reliques enchâssées dans le bas de l'autel, ce sont celles de saint Mauxe
et saint Vénérand, martyrs d’Acquigny dont l'histoire se perd au tout début de
l'époque mérovingienne.
La régularité du
plan primitif de l'église a été détruite par l'adossement des deux chapelles au
XVe siècle : ces chapelles communiquent avec le chœur par deux
arcades ogivales. Le mur qui les sépare est également percé d'arcades, de sorte
qu'elles forment un double chœur. L'ancien autel comportait un bas-relief en
bois représentant un miracle de Saint-Nicolas aidant des marins qui l’avaient
invoqué dans une tempête, à l'époque du concile de Nicée, c'est-à-dire en 325,
du vivant même du saint. Ce panneau en bois du XVIIe siècle a été
remis en valeur sur le haut du mur séparant les deux chapelles latérales.
Revenons dans la
nef. Les statues qui jalonnent le parcours dans l'église sont d’époques
différentes. Les plus récentes sont dans la première partie de l'église et sont
reconnaissables au badigeonnage qui les uniformise. Ce sont les plus populaires
au XIXe siècle en général et dans notre région en particulier :
Jeanne d’Arc, Notre-Dame de Lourdes, saint Martin, saint Antoine de Padoue,
saint Joseph et sainte Thérèse de Lisieux. Sur l'arc séparant la nef du chœur
se trouve un Christ en croix, sans doute œuvre du XVIIe siècle,
restauré au XIXe.
Repartons vers le
chœur où nous pouvons admirer, intactes, des statues plus anciennes,
polychromes : celle de sainte Catherine d'Alexandrie écrasant son tortionnaire
réduit à l'état de gnome, saint Nicolas, sans attribut particulier, rappelant
avec le bas-relief, le culte très fervent du saint dans notre région. Sainte
Catherine et saint Nicolas sont chacun à leur façon les protecteurs des
mariniers. Sainte-Catherine est invoquée pour retrouver le corps des mariniers
noyés dans la Seine. Les statues de saint Denis, du XVe siècle, et
de sainte Christine, du XVIIe, proviendraient de la chapelle d'un
château voisin.
Un bâton de
procession du début du XIXe siècle complète des objets de culte,
attestant la vie religieuse continue de la paroisse de Pîtres.
Le jour de la
visite vous avez pu voir deux statues remarquables, reste d'un ensemble sculpté
de la fin du XVIIe siècle-début XVIIIe siècle,
représentant Joseph et Marie en adoration. Ces personnages en bois, avec des
traces de polychromie sont magnifiques. Saint Joseph offre une ressemblance
étonnante avec le Christ comme cela se voit souvent dans des œuvres peintes ou
sculptées du XVIIe siècle.
Les vitraux
Nous terminerons
notre visite en nous arrêtant devant quelques vitraux. Ceux-ci ont été refaits
au XIXe siècle mais quelques éléments plus anciens ont été
conservés. Le plus intéressant à ce sujet se trouve dans la verrière nord du
chœur qui est divisée en 3 lancettes ; celle du milieu encadre un vitrail du
XVIe siècle qui représente une fois encore une piéta, figurée sous
un dais. Le verre coloré du vitrail offre une harmonie de couleurs (dont le
jaune d'argent) que l'on retrouve sur les vitraux des lancettes latérales : ils
ont été réalisés dans le dernier quart du XIXe siècle par
Duhamel-Marette, maître-verrier très réputé de Rouen qui a abondamment décoré,
à cette époque, les églises de l'Eure.
Enfin dans le haut
de la verrière on peut voir une Annonciation et Dieu le Père, vitraux du XVIe
siècle.
Les autres verrières de Duhamel-Marette
représentent soit des saints particulièrement vénérés à cette époque (comme
saint Nicolas, saint Sébastien, sainte Catherine déjà cités ou encore saint
Pierre, saint Paul, saint Jean-Baptiste, sainte Anne...) soit des saints moins
connus mais qui ont sans doute un rapport avec les généreux donateurs des
vitraux, comme saint Alphonse de Liguori, sainte Élisabeth de Hongrie ou saint
Stanislas Kostka (Stanislas était le
prénom de l'abbé Vaurabourg, le très actif curé de Pîtres à la fin du XIXème
siècle).
L'église de Pîtres sans son clocher : en juillet 1945, une tornade a fait pivoter le clocher, que l'on a dû démolir pour des raisons de sécurité. |
Sources
1. Inventaire de
l'église de Pîtres établi par la DRAC, 2004
2. Charles Vasseur
: L'église de Pîtres in Eglises de l'Eure 1856
3. Léon Coutil :
Bulletin monumental 1901
4. L'église de
Pîtres in Nouvelles de l'Eure n°15, 1963
5. Serge Zago:
Pîtres in bulletin de l'AMSE, août 1965
6. K-F Werner : Les
origines dans Histoire de France, sous la direction de Jean Favier, 1995
7. Claire Beurion :
bilan archéologique de Pîtres, 1992
9. Histoire des
saints et de la sainteté chrétienne, ouvrage collectif, Hachette, Paris 1988
10. Architecture,
inventaire général du patrimoine culturel, éditions du patrimoine 2011
11. Plan cadastral
de 1835, III PL 739, et série G aux Archives départementales de l'Eure
Nicole de Cournon
Yvette Petit-Decroix
GLOSSAIRE
Abside : extrémité d'une église, derrière le chœur.
Appareillage : disposition des pierres
Arc triomphal : arc qui sépare la nef du chœur
Arc : courbe qui décrit une voûte ou la partie supérieure d'une
baie.
Arcature : série d'arcades de petite dimension
Arc brisé : arc aigu formé de deux segments de cercle se coupant suivant un certain
angle.
Barlong : rectangulaire, et dont la longueur est
orientée perpendiculairement à la direction principale, ou de référence.
Bas-relief : sculpture faisant corps avec un fond
sur lequel elle se détache, mais moins que la sculpture dite en demi-relief et
celle dite en haut-relief.
Chapiteau : pierre portant un ensemble de moulures
et d'ornements qui coiffe ou couronne le fût d'une colonne, d'un pilastre, d'un
pilier.
Chevet : extrémité d'une nef d'église, derrière
l'autel, concluant le chœur.
Chœur : partie de l'église précédant l'abside, où se trouve le
maître-autel.
Claveaux : pierres taillées en forme de coin qui
entrent dans la composition d'un arc ou d'une voûte.
Contrefort : bloc de maçonnerie élevé en saillie sur
un mur pour l'épauler ou le renforcer.
Fenêtres géminées : groupées par deux.
Ferme : assemblage de pièces de bois qui portent
le faîte d'un comble.
Gothique : utilisant l'arc brisé, ou ogive, le style
gothique a permis de construire des églises plus hautes, et plus lumineuses
Haut-relief : sculpture aux reliefs très accusés sans
pourtant qu'ils se détachent du fond. Forme de sculpture se situant entre la
bosse et le bas-relief.
Lancette : ogive de forme très allongée
Meneau : élément structurel vertical en pierre de
taille, bois ou fer qui divise la baie d'une fenêtre ou d'une porte.
Monogramme : emblème qui réunit plusieurs lettres en
un seul dessin
Nef : partie d'une église comprise entre le portail et le chœur
dans le sens longitudinal.
Néogothique : style architectural né au milieu du 18e
siècle en Angleterre et florissant au XIXe siècle dans le cadre du romantisme.
Il fait revivre les formes médiévales du gothique. L'usine
Levavasseur de Radepont est un très bel exemple de ce style utilisé pour un
bâtiment profane.
Oculus : ouverture généralement ronde pratiquée
dans une voûte.
Ogive : arc brisé.
Opus spicatum : disposition de pierres ou briques en
oblique, comme l'arrête d'un poisson.
Piéta, ou Vierge de Pitié : Vierge Marie pleurant le Christ
descendu mort de la croix, thème artistique récurrent (Mater dolorosa).
Plein cintre : arc qui décrit un demi-cercle.
Remploi :synonyme de réemploi
Roman :style architectural qui se caractérise principalement par
l'utilisation d'arcs en plein cintre
Rose : ouverture de forme circulaire, agrémentée le plus souvent d’un vitrail
circulaire. communément appelée rosace, surtout quand elle se trouve à l’une des extrémités de la nef ou d’un bras
du transept.
Sacristie : l'annexe d'une église où le prêtre se
prépare pour célébrer les cérémonies liturgiques ; on y conserve les ornements
Tiers-point : un arc dans lequel s'inscrit un triangle
équilatéral.
Tuileaux : fragment de tuiles cassées
Tympan : partie verticale d'un portail, comprise
entre le linteau et un arc.
Voûte : couvrement intérieur d'un édifice.