1 septembre 2017

1940-45 Petites histoires d'animaux


1940-45 Petites histoires d’animaux


Le cheval Bijou

L’anecdote se situe durant l’hiver 44/45, pendant l’occupation donc, dans une petite ferme. Là depuis quelques mois un jeune citadin a endossé l’habit de charretier, pour pratiquer ce que l’on appelait à l’époque, le retour à la terre, à la fois pour aider, et, plus prosaïquement, pour manger à sa faim. Il menait avec grand plaisir, un attelage de deux chevaux, dont Bijou était son chouchou, car c’était le plus courageux et le plus obéissant; avec lui inutile de hausser le ton, ni de brandir le fouet. Mais en raison des réquisitions exigées par l’occupant, ces deux animaux ne recevant ni l’avoine, ni le fourrage que leur dur travail aurait mérité, donnaient souvent des signes de fatigue.

Or ce jour là en raison du froid persistant, les travaux des champs étant interrompus, les chevaux bénéficiaient d’un repos qu’ils devaient apprécier. Cependant il est admis que ces animaux ne doivent pas rester trop longtemps confinés dans leur écurie, sans mouvement. Alors pour permettre à Bijou de se dégourdir les pattes (non ! les jambes : les équins possèdent des jambes et pas des pattes !), le jeune charretier décide de promener son cheval, à la longe, dans la cour de la ferme. L’animal, tout content, caracole, danse, décoche des ruades, quand malencontreusement l’une d’elles atteint le garçon qui ne tenait pas la longe assez court. Le voilà par terre… Un peu étourdi, il se relève sans dommage. Mais où est passé Bijou ? Affolé, il s’est réfugié dans un bâtiment où il n’était jamais entré, franchissant une porte bien trop basse pour sa haute taille. Quand son maître va le chercher, il est là tremblant, soufflant, réfugié dans l’angle le plus éloigné, le plus sombre. Dans cette situation il réagit comme un enfant qui, conscient d’avoir mal agit, redoute une punition méritée. Lui, bien sûr ne l’a pas reçue : il a bénéficié de circonstances atténuantes.
(En juin 44, à la Libération, Bijou a servi de monture à un soldat allemand fuyant l’avancée des troupes alliées ; qu’est-il devenu ?)

Canetons désobéissants

Une fermière désirait voir des canetons s’ébattre sur sa pelouse, mais elle ne possédait pas de cane parmi sa nombreuse basse-cour ; des poules, des poules, rien que des poules. Or l’une d’elle manifestait le désir de couver, restant accroupie sur une niche désespérant vide… Alors, notre fermière, voulant sans doute faire plaisir à sa poule –que nous appellerons Gertrude-, se procura des œufs de cane, qu’elle glissa sous Gertrude, laquelle toute à sa joie de pouvoir enfin procréer, ne remarqua pas la couleur des œufs. Ils auraient dû être blancs comme doivent l’être tous les œufs de poule qui se respectent, or ceux-ci présentaient une couleur du plus joli vert pâle qui soit… Et elle accomplit à merveille son rôle de couveuse en diffusant une chaleur bienfaitrice aux œufs qui lui avaient été confiés. Pourtant, Gertrude aurait dû s’interroger quand, au bout de 21 jours, échéance habituelle chez les gallinacées, aucune vie ne se manifestait sous ses ailes protectrices. Elle patienta, patienta, et son attente fut récompensée, quand le 28ème jour, douze petits becs arrivèrent à percer les douze coquilles. Mais lorsque les petites boules jaunes apparurent, stupeur, elles ne ressemblaient pas aux habituelles boules jaunes des poussins : leurs becs sont différents, leurs pattes également, et ils pépient bizarrement…

Cependant, en dépit de ces différences, Gertrude adopte sa pseudo-progéniture qu’elle promène dans la cour de la ferme, et les canetons qui la suivent à la queue leu leu ne se posent pas de questions. On peut même penser que la poule est satisfaite de son sort, tant elle se redresse, toute fière. Quand, un jour, se retournant, elle découvre le vide derrière elle : elle les entend, mais elle ne les voit pas : où sont-ils passés ? A ses caquètements affolés, répondent des pépiements joyeux, un peu plus loin, là-bas, vers la mare, où les canetons heureux, s’ébattent joyeusement. La pauvre Gertrude surprise et inquiète, les appelle, en vain ; mais les garnements continuent à faire des ronds dans l’eau sans que la poule qui ne comprend toujours pas, puisse intervenir. Bien sûr, ils finiront par regagner le rivage, sans aucun remord, et suivront leur « mère » jusqu’à la gamelle garnie de granulés « premier âge ».

Et il en sera ainsi tous les jours, jusqu’au moment où devenus grands, les canetons vivront leur vie de canards. Quant à Gertrude elle se verra confier, enfin, de vrais œufs de poule d’où naîtront de vrais poussins. Et ce sera la fin d’une saynète rurale qui en a fait rire plus d’un.

Canetons fugueurs

Peut-on élever des canetons sans avoir recours à une cane ? Oui, possible, mais difficile. Un fermier en a fait la curieuse expérience.

Donc notre fermier achète au marché du Neubourg, douze canetons âgés de 10 jours, déjà bien vigoureux et bien remuants. Arrivé chez lui, il les installe dans un haut carton, garni de chiffons, dans lequel ils seront bien au chaud. Mieux encore, il suspend au dessus du « nid », une puissance ampoule électrique propre à diffuser une chaleur bienfaisante. Et, bientôt, serrés les uns contre les autres, les dix canetons s’endorment. La nurserie se situe au premier étage de la maison, dans une partie inhabitée, à laquelle on accède par un escalier rustique, très pentu. La porte donnant sur la cour a-t-elle été vraiment close, ou simplement poussée ?
Le lendemain matin, notre fermier monte voir comment s’était comportée sa « progéniture » durant la nuit, et là, stupeur, le nid est complètement vide… Bien sûr il ne comprend pas ; il émet diverses hypothèses dont aucune ne le satisfait dans l’immédiat. Un prédateur ? Il aurait laissé des traces. Un chapardeur, mais dans quel intérêt ? Tel un limier, il arpente la cour, visite tous les recoins : pas d’indices visibles. Un instant même, il soupçonne son chien… Désemparé, il sort de sa cour, regarde la route, vide à cette heure matinale : rien à signaler. Oui pourtant, les enfants partant pour l’école sont regroupés au bord de la mare, visiblement attirés par un spectacle qui les réjouit. Intrigué, le fermier que nous appellerons Daniel, va les rejoindre pour comprendre et, éventuellement rappeler aux gamins qu’il est temps de se dépêcher d’aller à l’école, quand il découvre ses canetons évoluant joyeusement sur la mare... Ils sont là les fugueurs !
Tout est bien qui finit bien, et pourtant la question se pose de savoir comment ces petites bêtes, arrivées la veille, ont pu ressentir la présence d’une mare, décidé de s’y rendre, en sautant l’une après l’une les marches d’un escalier, et franchir 100 mètres avant de pouvoir enfin sauter dans l’eau ? Elles disposent probablement d’un radar et d’un G P S propres à leur espèce.

En sautant de marche en marche pour s’évader, nos jeunes fugueurs ont certes accompli un exploit sportif, rien de comparable pourtant avec les performances réalisées par leurs cousins de la ferme voisine. En effet, ces cousins là, contrairement à la coutume, n’étaient pas nés dans la basse-cour, comme tout le monde, mais dans un grenier, leur mère ayant pondu clandestinement à l’abri de tous les regards. Elle n’aurait pas dû ignorer cependant qu’un caneton tout jeunot ne sait pas voler. Et pourtant toute sotte, en bas, sur le sol, elle les appelle, les appelle ; eux là-haut la regarde et jaugent la hauteur qui les sépare, ne sachant que faire. Quand un premier courageux se jette dans le vide de 3 mètres, et atterrit sans aucun dommage, bientôt suivi, alors, de tous ses frères : de véritables athlètes ! Hélas leurs records n’ont pas été homologués et il n’y en aura pas d’autres, car la cane enfin consciente de son erreur, n’a jamais plus pondu dans un grenier.

Taupin, un cheval pendant la guerre

1944 à la ferme de Senneville, une cour de ferme très active et très animée, 8 ou 9 employés en permanence, et plus au moment de la moisson, des moutons dans la bergerie (environ 200), des vaches dans l’étable, une vingtaine de poules dans le pigeonnier, des dindes et des pintades, des canards sur la mare avec des oies, des bœufs dans la bouverie, pigeons, ramiers, rondos.

Le maitre des lieux est revenu très affaibli, en mars 1943, de 3 ans de captivité en Allemagne où il travaillait aussi dans une ferme. Les chevaux sont nombreux à cette époque où ils remplacent les tracteurs. Ce sont des percherons. Ils sont regroupés par 3 : Bayard, pommelé gris bleu, Tambour, assez clair, également pommelé, Robert, noir, attribué également à Roger ou à Trompette; puis Faraud, marron roux foncé, Papillon, marron roux plus clair, Bijou, bai c’est-à-dire rouge brun; puis Mascotte, pommelée grise et blanche attribuée à Stanislas, l’âne Coquet, gris, et enfin Taupin, percheron noir, le cheval de la cour confié à Paul.

Taupin est le tâcheron de la bande, transportant de la menue paille, du bois, des betteraves, tout ce qui est nécessaire à l’alimentation des animaux et accomplissant les tâches variées de la ferme. Sa stalle est vers la seconde porte de l’écurie, la quatrième en partant du mur du sud.
Au printemps 1944, les allemands réquisitionnent des chevaux. Ils viennent à Senneville choisissent Taupin et l’emmènent. La vie et le travail continuent bien sûr tant pour les hommes que pour les animaux.

Le 6 juin 1944 a lieu le débarquement sur nos côtes. Eté 1944 la libération de la Normandie et de la France se poursuit. A l’automne 1944 on apprend que les chevaux réquisitionnés sont rendus et que leurs propriétaires peuvent aller les chercher à Pont de L’Arche ce que font son maitre et Roger.

Taupin revient à Senneville et aussitôt arrivé dans « sa cour » il se précipite dans l’écurie, retrouve « sa place »
Les témoins en ont les larmes aux yeux et s’en souviennent encore avec émotion.

Les poules de Douville

Pendant la guerre le maire de Douville avait fait compter les poules élevées dans sa commune pour permettre une égale répartition des œufs.

Tcheka, le chien de Chantal

Le 2 septembre 1939 Hitler envahit la Pologne. Liées à la Pologne par un accord de défense, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. 8 mois s’écoulent avant que ne commencent réellement les combats. Ce fût la « drôle de guerre » période pendant laquelle la France reste sur la défensive.

Jusqu’au 10 mai 1940 l’opinion publique ne croit pas à la guerre. Le 22 mai Paul Reynaud déclare « la patrie en danger » au moment où les armées du Reich passent à l’attaque et entrent en France.

Les bombardements et l’avance des Allemands jettent des centaines de milliers de civils désemparés sur les routes de France grossissant les rangs des premiers réfugiés venus de Belgique. Ils avancent dans un pays bouleversé : c’est l’Exode.

Dans la vallée de l’Andelle, une jeune femme avec sa fille Chantal, âgée d’un an, et un bébé de 15 jours, Patrice, vie ce bouleversement : son mari mobilisé est absent.

Elle part dans sa voiture cabriolet Renault avec ses enfants et son chien Tcheka, un berger belge groenendael noir, animal chéri de son mari. En route elle s’arrête dans un garage pour faire de l’essence. Dans la fébrilité de ce voyage, un moment d’inattention et le chien disparait. On le cherche, affolé, en vain. Il faut repartir et la jeune femme demande au garagiste s’il veut bien s’en occuper. Elle lui donne son adresse et repart avec ses « petits ».

Elle reviendra assez vite chez elle après cette expédition décidée dans l’affolement. Et le chien ?

Il reviendra à la maison retrouvé par le merveilleux garagiste et expédié dans une caisse à trous aux bons soins des PTT. Admirable !

Tcheka retrouvera son maitre à son retour et vivra quelques années heureuses auprès de sa famille et des deux enfants qui ont grandi et vieilli mais s’en souviennent encore avec émotion.

            Noms des chevaux de Pîtres en 1922 relevés dans les Archives municipales:
Bayard, mouton Gustin, Rigadin, Coco, Bichette, Charlotte, Boulotte, Laury, Charlot, Coquette, Loulou, Poulot, Maurette, Poulotte, Plutus, Sultan, Coquet, Tambour, Margot, Papillon, Pinson, Nicotine…
Bijou arrive nettement en tête avec 9 représentants, suivis de 4 Charlots ...


Claude Certain

Nicole de Cournon