LE MANOIR DU SECOND EMPIRE A LA GUERRE
14-18
à travers les registres du Conseil
Municipal 1853-1914
Nous reprenons les registres
de délibération du conseil municipal en 1853, au moment où Louis Napoléon
Bonaparte vient de se proclamer empereur, devenant ainsi Napoléon III et
inaugurant le Second empire.
Le
Manoir sera décrit ainsi par Charpillon et Caresme, dans leur Dictionnaire historique de
toutes les communes du département de l’Eure (Delcroix, Les
Andelys, 1868) :
- surface des terres 239 hectares.
- population : 346 habitants.
- école à Pîtres.
- 3 débits de boissons.
- 2 permis de chasse.
- agriculture : céréales, plantes sarclées
- industrie. – néant.
Bref, une commune pauvre, qui n'a pas d'école, et même plus de curé. On assiste donc à un déclin certain tout au long du siècle, situation qui ne se trouvera modifiée que par l'arrivée de l'usine de Pompey en 1917.
Les maires : Bisson, Brunel, Roze, Milliard
De
1826 à 1901, les Bisson se succèdent à la mairie : Louis Jean, Louis Dominique,
puis Dominique Augustin, qui reste maire jusqu'à sa démission en 1874, laissant
la place à son adjoint Brunel, pour 10 ans, avant qu'en 1884, un Bisson dit
aîné ne reprenne le flambeau jusqu'à sa démission en 1901.
Ils ne font pourtant pas partie des vieilles fortunes du Manoir. Le premier Bisson que nous ayons repéré, Jacques, arrivait en quatrième position en 1790 sur le registre des impôts, inscrit comme fermier de la veuve Levavasseur, et nous ne trouvons aucune trace de Bisson sur le registre des vingtièmes (impôt sur les revenus) de 1760.
Sans faire partie des plus forts imposés, les Brunel, Roze, Milliard, sont propriétaires, rentiers ou cultivateurs aisés.
Début d'opposition
Le
conseil municipal du Manoir est généralement respectueux du gouvernement en
place. En 1859, il adresse à Sa Majesté l'Empereur des Français tous ses vœux à
l'occasion de la paix : « bonheur, satisfaction et joies… pour l'heureux retour en
France, après avoir été exposé à de plus grands dangers…. glorieuse paix ». Il s'agit bien sûr d'une référence aux
batailles de Magenta et Solférino qui, après la Crimée, marquent les succès de
la politique extérieure de Napoléon III.
Napoléon III à la bataille de Solférino, par Meissonier, 1864 |
Cependant, aux élections municipales de 1865, Bisson reste certes en tête mais est suivi de près par Milliard et deux nouveaux venus, qui démissionnent sitôt élus. Le préfet consulté sur l'attitude à tenir répond « il n'y a pas à se préoccuper de l'acceptation ou du refus de ces Messieurs... » Il y aura donc huit conseillers municipaux au lieu de dix le jour de l'installation et de la prestation de serment : « obéissance à la Constitution et fidélité à l'Empereur ". Serment que les démissionnaires n'ont donc pas voulu prononcer … On sait que depuis 1863 le nombre d'opposants à l'Empire a triplé, marquant un succès des Républicains et des Monarchistes. La suite montre que Milliard était plutôt à classer parmi les monarchistes.
En septembre 70, la défaite de Sedan devant la
Prusse et la captivité de l'empereur entraînent la chute de l'Empire et la
proclamation de la République, et en octobre le Préfet délégué par le
Gouvernement de la Défense nationale nomme une commission administrative pour
exercer provisoirement les fonctions municipales à la place de Bisson qui
venait d'être réélu, mais les trois membres de cette commission restent Bisson,
Brunel et Grenier, qui avaient pourtant naguère prêté serment à l'Empereur, et
qui seront réélus en avril 1871.
Un peu de ménage chez Monsieur le maire
En
mai 1874, le maire estime que "depuis plus de 30 ans que les pièces et archives de la
mairie du Manoir sont déposées dans les appartements qu'il habite, à défaut de
maison commune pour les recevoir, il ne peut supporter plus longtemps cet état
de choses", et
demande que l'on cherche une location, assez vite trouvée puisqu'en juin, on
vote 80 francs de loyer pour la maison commune.
Il démissionne deux mois après pour laisser la place à Brunel Jean-Baptiste fils*, jusqu'en 1884, date à laquelle c'est un autre Bisson, dit aîné, qui reprend le flambeau, avec Gustave Roze comme adjoint.
En 1885 on achète, pour 50,55
francs, un buste de la République, modèle Doriot. C'est un choix modéré. Il
y a en effet deux grands types de Marianne : révolutionnaire, avec le bonnet
phrygien, et souvent un sein découvert,
ou plus sage avec la couronne, parfois surmontée de l'étoile, symbole des
Lumières, dont fait partie la Marianne de Théodore Doriot.
En 1871, Thiers avait interdit la représentation du bonnet révolutionnaire,
emblème séditieux, mais il réapparaît en 1879.
En
1896 Bisson Jean-Baptiste Augustin, conseiller général, rentier, 37 ans (c'est
tout jeune), est élu maire, Roze restant adjoint. Il démissionnera en 1901,
laissant la place à Roze qui aura pour adjoint Alexandre Milliard, qui lui-même
prend sa place en 1904. En 1912, il faut trois tours à Milliard pour l'emporter
sur Bisson Jean-Baptiste Augustin devenu Bisson aîné.
Crise municipale
Il
n'est pas souvent facile de repérer à quoi correspondent les changements à la
tête de la municipalité. Il faut un conflit entre l'instituteur et
municipalité, dont nous ne trouvons
aucune trace dans le registre, mais aux Archives départementales de l'Eure,
pour que l'Inspecteur de l'instruction primaire nous donne quelques pistes en
1907 : "M.
le maire du Manoir, réactionnaire avéré" (il s'agit alors d'Alexandre Milliard) et plus loin : "tous les Républicains du
canton de Pont de l'Arche et en particulier
M. Brunel, ancien maire".
Comme nous l'avions pressenti, il y a bien au Manoir une vie politique, scandée
par le débat entre Républicains et opposants" "réactionnaires",
terme qui en général désignait les
Monarchistes ou les Bonapartistes, et les positions de Milliard en 1865
indiquent qu'il se situait dans le camp monarchiste.
A
la session de juin 1911, il n'y a que quatre présents : Milliard, Revert,
Guernier, Grenier (sans aucun doute ses partisans) et en 1912, on refuse le
budget présenté par le maire car "des crédits ont été annulés bien que d'une extrême urgence" (porte de la cave de
l'institutrice, réparation des tables de l'école, remplacement de plusieurs
fruitiers dans le jardin de l'école, réfection des berges de la Seine) et on
vote 30 francs supplémentaires pour les livres de prix, cinq francs pour la
mutualité scolaire. On voit donc que l'école n'était pas la préoccupation de
Milliard….
En août, on reproche au maire qui a « oublié » de réunir les membres du conseil, d'avoir encaissé sur son compte 13,80 francs. Il les a restitués, mais reçoit un blâme avant que le compte administratif ne soit adopté.
Le curé, le presbytère
Depuis 1809, le Manoir n'a
plus de curé, et a protesté contre l'obligation qui lui était faite d'aller à
la messe à Pîtres, puis a obtenu une possibilité de culte au Manoir avec comme desservant le curé d'Alizay. En 1851,
on lance un projet de construction de presbytère.
En
décembre 1853, la municipalité autorise l'acquisition d'un terrain pour y construire
un presbytère et vote pour ce faire à l'unanimité une imposition
extraordinaire.
En 1878 l'abbé Degenetais, précédemment curé à Forêt-la-folie est nommé curé du Manoir et on s'inquiète donc des réparations urgentes du presbytère, qui seront payées avec les droits versés "par les étrangers à la commune qui relèvent du sable dans la carrière".
Puis en 1881*, restrictions de crédit au clergé : la préfecture supprime ses subventions au traitement du desservant, 200 francs, la réparation de l'église, 150 francs, du presbytère, 200 francs, qui devront être pris en charge par la fabrique**. La commune, considérant que la trésorerie de la fabrique est insuffisante pour supporter les charges va s'en acquitter tout en demandant le rétablissement des subventions.
* Jules Ferry, alors président de
Conseil, mène une politique de laïcisation de l'enseignement, qui lui vaut chez
ses adversaires le surnom de "Ferry sans Dieu"
** Une fabrique est l'association
de paroissiens qui gère la trésorerie d'une paroisse
Conflit avec le curé de Pîtres
En juin 1884, le Manoir n'a plus de
curé, et c'est celui de Pîtres, l'abbé Vaurabourg***, qui assure le culte, mais
les rapports sont tendus : le conseil "regrette que l'attitude hostile du desservant à l'égard des
paroissiens l'oblige à supprimer à partir du 1er juillet prochain la subvention
traditionnelle et prend l'engagement de rétablir dans la suite la susdite
subvention au desservant auquel incombera le devoir de rétablir les anciennes
relations amicales et courtoise entre l'église et les paroissiens."
***Adolphe Stanislas Vaurabourg est
curé de Pîtres de 1869 à 1894. Particulièrement actif, il collabore aux
sociétés savantes, écrit une brochure sur Pîtres, prévoit la reconstruction
complète de l’église, et entreprend la construction d’une usine sur l’Andelle,
projet inachevé. Voir dans notre bulletin n°1 Le trou du curé
Est-ce l'abbé Vaurabourg, nommé desservant au Manoir, qui a déclaré la guerre ? Un état du presbytère dressé en décembre 1884 montre qu'on est en situation de conflit : l'abbé, très précis, il y met largement en avant les aspects négatifs (avaries, manque ceci cela, etc.) qui sont même soulignés dans le texte.
En
1899 l’évêque est prêt à nommer un prêtre âgé (en fait à la retraite) au
Manoir, le curé de Pîtres conservant l'administration et les services
religieux, mais le conseil émet un avis négatif, considérant que cela
reviendrait trop cher pour le service rendu et que « le vénérable curé qui a bien
voulu donner la préférence à la commune du Manoir n'aurait pas près de la
population l'accueil sympathique sur lequel il désire pouvoir compter... " (jolie litote?)
En
1900, on refuse le crédit de 100 francs pour le transport du curé tant que l'on
ne s'entend pas sur le jour de la première communion. (on comprend donc que les
frais de route de Pîtres au Manoir sont habituellement payés, et que le curé
fait passer le Manoir après Pîtres quand il s'agit des dates de cérémonies).
En
1908, une somme de 55 francs versée à la veuve Depîtres pour le transport du
desservant au premier trimestre 1906 semble indiquer que l'on s'est entendu sur
220 francs annuels. C'est
plus que le salaire du garde-champêtre.
Chemins, routes ...
Ce
sont toujours les centimes additionnels qui paient la réparation des chemins,
s'ajoutant en général à une journée de prestations en nature. Les trois chemins
les plus fréquemment cités sont celui d’Alizay au Manoir, du Manoir à Pîtres,
le chemin de la haie Adam, et le chemin des haies de Pîtres.
Régulièrement on rappelle les tarifs en vigueur pour la réfection des chemins : ainsi la fouille d'un mètre cube de terre est payé 30 centimes, le transport sur 30 m à la brouette d'un mètre cube de terre ou de cailloux 10 centimes. Ces tarifs n'ont pas évolué au cours du siècle : ce n'est qu'après la guerre 14-18 que l'on connaîtra l'inflation.
On prend une série de mesures pour mettre fin au désordre qui semble régner dans la carrière communale d'extraction, dont on finira par interdire l'accès aux non-habitants de la commune.
En
1866, le conseil refuse de payer pour le chemin n° 58 d’Houville à Alizay, -qui
devrait être considéré plutôt comme d’Houville à Pîtres-. Que révèle cette
mauvaise humeur ? Plutôt que le mauvais état du chemin de Pîtres, au Manoir,
surtout le fait que les habitants du Manoir se sentent peu attirés vers les plateaux du Vexin, ce
qui est moins le cas pour Pîtres.
En 1885 le conseil s'oppose au projet de Pîtres qui veut supprimer une partie du chemin rural numéro 28, dit du Manoir, cette protestation se fondant sur le fait que ce chemin est la continuation directe de celui qui part de la mairie du Manoir vers le Taillis, et il en appelle "à l'administration supérieure".
En
1896, le conseil approuve le placement en chemin de grandes communication de la
route départementale, évoquant le fait que le Manoir n'est traversé que par
quelques centaines de mètres de cette route départementale, loin des
habitations
En 1897, le bac du passage d'eau des Damps doit être remplacé, le coût de l'opération est de 1800 francs et le préfet demande combien le Manoir est prêt à mettre. Réponse : ce bac n'a aucun intérêt pour le Manoir et ne dessert que Léry et Poses, donc rien, (ce qui montre le peu d’importance de cette rive avant la construction de Val de Reuil).
…et chemin de fer
Le
projet de voie directe de Rouen à Orléans a été remis en cause au profit de
liaisons locales, et en 1867 s'ouvre l'enquête sur le chemin de fer de Gisors à
Pont de l'arche. La commune proteste car il va couper quatre chemins et porter
ainsi un « préjudice
considérable aux cultures », et refuse un projet de chemin latéral qui rallonge les
parcours.
Les
conflits de voisinage avec Pîtres reprennent : Pîtres demande le déport de 300 m d'un passage à niveau pour
le chemin de la Salle au port de Poses, pour accéder aux terres des marais. Le
conseil refuse car cela « porterait préjudice aux terres de Varennes » et « serait éternellement
regrettable pour le coup d'œil aussi blessant, d'un va-et-vient en sens
contraire aussi bref à l'entrée d'une commune sur un chemin très fréquenté
généralement." La syntaxe est obscure, mais on voit le sens
général, cette phrase est intéressante car il est rare à l'époque de voir
évoquer la dégradation des paysages.
En
février 1875 la carrière étant épuisée, le conseil demande l'autorisation
d'utiliser la redoute faite pendant la guerre pour défendre le passage du pont
de chemin de fer sur la Seine à l'ouest de la commune, «qui se révèle inutile et
même nuisible car elle réduit le chemin de Pont de l'Arche, empêche la clôture
de la ligne »",
et signale qu'un enfant est mort écrasé
sur la voie.
A
partir de 1912, il s'agira pour la commune d'obtenir une halte sur la voie de
chemin de fer, et de s'opposer à la construction d'une deuxième ligne qui
aurait permis de diriger des trains vers Paris sans rebroussement en gare de
Pont-de-l'Arche. La
halte est refusée car prévue à Pîtres. Voir en annexe la tentative du maire,
signalant les inconvénients de la ligne pour la commune. Une dernière demande
plutôt modeste : payer le tarif de troisième classe sans supplément en venant
de Paris n'aura pas plus de succès.
Assistance aux indigents
En
1854, on recensait huit indigents, deux hommes et six femmes. Au préfet qui
demande la création d'une société de secours mutuel, le conseil répond :
"(elle) ne
pourra réussir dans la commune du Manoir, attendu que l'on ne pourrait arriver
à établir une fondation qui puisse remplir le but de la mission". Néanmoins 300
francs, pris sur les fonds de l'instruction primaire. seront destinés à créer
des travaux pour les sans-emploi.
Les
enfants scolarisés dans l'école publique le sont, nous l'avons dit, à Pîtres.
On sait qu'à l'époque la scolarisation n'est ni obligatoire ni gratuite. Il y a
au Manoir un instituteur dans l'école libre, qui accepte aussi les filles, pour
lesquelles sa femme donne des cours de couture.
Les élèves paient directement l'instituteur, et la commune paie la scolarisation des indigents : on en trouve six en 1860. Ce chiffre évoluera au fil des années entre six et huit, avec souvent plus de la moitié des enfants provenant d'une même famille (ou du moins portant le même nom).
Quelques
notes glanées dans le registre :
- en 1875 augmentation de 12 francs par an jusqu'en 1881 pour l'extinction de la mendicité.
- en 1875 augmentation de 12 francs par an jusqu'en 1881 pour l'extinction de la mendicité.
- en 1880 le nombre de ménages nécessiteux
est évalué à six.
- en août 1884, J-B Brunel donne de ses
propres deniers cent bourrées pour les pauvres.
La commune prend aussi en charge les frais de ses habitants envoyés à l'extérieur : 100 francs pour une indigente de plus de 70 ans envoyée chez les petites sœurs des pauvres à Évreux, 2,50 francs par jour pour une jeune fille placée à Rouen à l'hospice général pour traitement spécial de l'hystérie, mais la commune n'accepte de prendre charge ce traitement que pour un mois, cette somme étant prise sur la part des pauvres dans les concessions du cimetière, la subvention départementale habituelle devant être les 2/5èmes du total. Elle votera ensuite un deuxième et dernier secours de 30 francs pour 20 jours de traitement supplémentaire, en mentionnant qu'il s'agit d'un « sacrifice extraordinaire » et en faisant remarquer qu'il ne tiendra qu’à cette fille de pouvoir continuer son traitement « sans qu'il en coûte un sou à la commune » si elle travaillait « à côté de l'hospice où les malades vont prendre chaque jour moyennant une faible rétribution les douches qui constituent une le remède spécial en la circonstance ».
Le nombre d'indigents semble baisser vers la fin du siècle : il n'en reste que 3 ou 4.
En 1905, en application d'une loi sur l'assistance obligatoire aux vieillards infirmes ou invalides, on estime à 15 francs l'allocation mensuelle calculée sur le nécessaire : 9 pour l'alimentation, 1 pour les vêtements, 3 pour le logement, 2 pour le chauffage. Même si ces sommes peuvent être considérées comme des minima, elle donne une précieuse indication sur le coût de la vie à cette époque. Notons au passage que l'on considère que l'alimentation revient plus cher que l'habitation, ce qui serait aujourd'hui l'inverse.
La guerre de 1870.
Réquisitions.
En
août 1870, on procède au recensement de la garde nationale sédentaire et on
inscrit 62 noms pour le service ordinaire : depuis juillet la France est en
guerre. En septembre, 38 gardes nationaux procèdent dans la salle de la mairie
à l'élection de leurs chefs : Blondel
Célestin Napoléon comme lieutenant et comme sous-lieutenant Brunel
Jean-Baptiste fils (tous deux sont conseillers municipaux).
En décembre, on trouve des pages de tableaux de réquisitions faites par les Prussiens : si la commune a été largement touchée par l'occupation prussienne, c'est qu'il y avait un poste de garde au niveau du pont.
Quand
on réclame de l'argent à la commune, afin de donner de l'ouvrage aux ouvriers
sans travail et des secours aux indigents, le conseil répond en invoquant « la charge écrasante pour la
commune, déjà grevée de réquisitions énormes et [par l’] occupation permanente de
Prussiens à entretenir chez nous jour et nuit », et demande donc une
autorisation pour détourner de leur affectation primitive des sommes déjà
affectées : on prend ainsi 100 francs sur le budget de réparation de l'église,
100 francs sur celui de l'achat d'un drapeau, 150 francs sur la réparation du presbytère
et on prévoit de prendre sur la réparation des chemins vicinaux.
En 1871, on trouve pour la première fois mention des Allemands et non plus des Prussiens (qui étaient d'ailleurs plutôt Saxons ou Bavarois). Au passage, une charmante formule qui évoque "leur séjour dans nos contrées".
En avril, pour régler les dépenses de mobilisation, on prévoit un seul paiement plutôt que par emprunt, en prélevant 348 francs. sur les 1450 francs. affectés à l'instruction primaire, 300 francs sur les réparations de l'église, et 300 francs sur l'achat d'un terrain pour une place communale. Ces sommes permettront de payer le contingent de la commune dans les dépenses d'habillement, d'équipements, d'armements et de soldes des gardes nationaux mobilisés.
Les indemnisations
Dès
octobre 1871, on reçoit des pouvoirs publics de quoi pourvoir à une première
indemnisation des réquisitions prussiennes, de 1039,95 francs, sur les 6933
francs de pertes admises par l'administration, et on commence le versement par
les plus nécessiteux.
En 1872 a lieu une révision des réclamations faites par ceux qui ont subi pillage, vols et dégâts durant la guerre. Les sommes sont en général revues à la baisse, mais une moitié est conservée telle quelle, le total passe de 3169 fr. à 2730. Il ne semble donc pas qu'il y ait eu de trop fortes surestimations.
On reçoit 590 francs d'indemnités pour les personnes qui ont logé et nourri les soldats et chevaux allemands du 3 au 11 mars 1871, moins 56,80 francs pour les frais d'encaissement et les timbres… et on décide que le remboursement se fera au « marc le franc* de la charge subie » si le total à rembourser est supérieur. En janvier 1875 le bilan est fait : 57 habitants ont logé 415 soldats et 121 chevaux. Ils recevront un franc par homme ou par cheval (on notera qu’il est aussi coûteux de nourrir un cheval qu'un homme).
* Quand on sait que l'on ne pourra
pas tout rembourser, on calcule la somme globale et rembourse le pourcentage du montant de la
créance en rapport à cette somme
Cimetière
En 1878 les héritiers Brunel donnent
13 ares, soit 1300 m², à la commune pour l'agrandissement du cimetière (ce qui
nous apprend le décès de Brunel père, dont le nouveau maire est le fils). Le
conseil n'accepte que si les frais d'acte sont à la charge des donataires, puis
accepte la donation contre une concession perpétuelle "après avoir mûrement
réfléchi", formule
qui est ensuite rayée..., et en appelle à la générosité de la préfecture pour
ledit agrandissement. Nous ne savons pourquoi cette donation suscite si peu
d'enthousiasme...
En juin, on échange la pièce donnée par la famille Brunel contre une autre possédée par Madame de Saint-Ouen de la Heuze (alliée aux Bizet et aux Coqueréaumont). On prévoit un crédit de 2000 francs pour la construction d'un mur, puis, par manque de crédits sans doute, on décide qu'un "treillage mécanique en chêne (sic) à bon marché" fera la clôture du cimetière.
En
1882 on fixe les prix au mètre carré des concessions (pour une tombe ordinaire
ce prix doit être multiplié par deux) : perpétuelle, 75 francs; 30 ans, 25
francs; et temporaire 15 francs. Un paragraphe qui déclare que "si l'administration
gouvernementale le décide, les propriétaires de concessions seront dépossédés
sans indemnité, et les tombes sans concession devront être détruites par les
familles ou à leurs frais" est barré et déclaré " annulé par le préfecture ". C'est peut-être la raison
pour laquelle on augmente les prix des concessions qui passent
respectivement à 100, 30, et 15 francs (prix maintenu peut-être par souci
démocratique).
Le maire avance à la commune 155 francs
pour clore le cimetière en haie vive : on serre les cordons de la bourse.
L'année suivante, on vote 50 francs pour la construction d'un calvaire.
Pompes funèbres
Elle
sont l'objet d'un discours, entièrement retranscrit sur le registre, de
l'ancien maire Bisson aîné, qui monte à l'assaut en novembre 1912 contre
Milliard qui vient de remporter l'élection en mai.
"La confrérie de charité**,
qui pendant de longues années avait assuré à la satisfaction de tous, le
service des pompes funèbres est disparue depuis bientôt dix ans sans avoir,
avant sa dissolution, cherché à se constituer en association légale. Le conseil
municipal, antérieurement à 1911, n'ayant pas été saisi de la question, n'a pu
accorder à qui que ce soit l'autorisation stipulée par les lois circulaires sur
le monopole des pompes funèbres. (ce qui dédouane l'orateur)
... ceux d'entre vous, Messieurs,
qui ont eu l'honneur de poser une première fois cette question devant le
conseil, depuis les élections municipales dernières se sont heurtés
immédiatement à une résistance opiniâtre qui leur a révélé plus clairement
qu'aucun autre argument n'aurait pu le faire, la nécessité absolue de poser un
peu de lumière dans les obscurités de la situation.
Nos délibérations sont là pour rappeler les phases par lesquelles a dû passer cette question pourtant si simple, et justifier une fois de plus cette vieille maxime « qu’aux grands mots de grands remèdes sont indispensables ». Il n'a pas fallu moins en effet que le refus répété du vote du budget pour qu'aujourd'hui nous puissions examiner, discuter et régler cette affaire. […]
Votre commission m'a demandé de vouloir bien me charger d'étudier et préparer un projet de ces statuts […] Des raisons personnelles que la plupart d'entre vous connaissent m’auraient autorisé à refuser de fournir ainsi un travail relativement long, et tout à fait spécial, au lieu et place de l'administration municipale dont c'était plutôt le rôle, mais en apportant tout mon concours à cette œuvre, mon acceptation, donnait le précieux avantage de pouvoir librement et bien en face exposer nos propositions […] "
** La confrérie de charité, chargée
principalement d'assurer les inhumations, aurait effectivement dû se déclarer
association depuis la loi de 1901.
Suivent les statuts de l'Association des frères de charité du Manoir sur Seine qui obtiendrait la concession du monopole du service des pompes funèbres.
On prévoit trois classes d'inhumation, de quatre francs par porteur en première classe, à 2,50 francs en troisième classe pour les indigents, dont le "surplus mis en réserve" servira à "acquitter les frais d'inhumation des membres actuels ou à venir de l'association qui compteront au jour de leur décès cinq années de service"
Cette concession est consentie et acceptée pour une durée de cinq années moyennant une redevance annuelle de 500 francs que l'association s'engage à payer le 1er novembre de chaque année.
Budget
Le total du budget de la commune
reste modeste, en 1880 par exemple il se monte à 5407 francs.
Les baux des biens communaux nous apprennent qu'ils sont constitués de 16 parcelles allant de 50 à 78 ares : surfaces modestes donc, loués environ 32 francs l'hectare.
En 1883, on voit apparaître un nouveau poste : 380 francs pour un cantonnier.
En 1885, la commune, toujours en mal d'argent emprunte auprès de Joseph Frétigny, entrepreneur de transports par eau résidant à l'île Lacroix (c'est une famille de mariniers originaires de Pîtres) qui prête 6000 francs à rembourser en 15 annuités de 500 francs, offre plus avantageuse que celle de la Caisse de Dépôt (effectivement le calcul le montre).
Calomnie
L'hiver
85-86 voit une série de vols et la démission d'un conseiller municipal, et on
voit le lien entre les deux faits, dans une formulation mystérieuse du registre
des délibérations : "considérant que des soupçons
diffamatoires ont été portés sur des innocents de la commune et jusque dans
l'administration elle-même par d’aucunes personnes qui n'ont pas pu être
maîtres de leur sang-froid et par d’autres dont la spécialité et la
satisfaction personnelle est de faire le plus de mal possible à leur prochain à
l’aide de la médisance la plus vive et la plus basse, considérant qu'il y a
lieu de rendre à chacun ce qui lui appartient et d'en informer les habitants,
décide d'inscrire au registre la lettre de M. le procureur …. qui établit sans
équivoque l'identité du coupable (qui n'a rien à voir avec le conseiller), XXX Alphonse Théodore…." et effectivement ce rapport
qui énumère le vol de lapins, cidre, lard, pommes de terre, etc. classe sans
suite l'affaire car le coupable « ne paraît pas jouir de la plénitude de ses facultés
intellectuelles ".
Règlements de comptes ?
En novembre 1889, demande d'explications à
Brunel, ancien maire, "pour
le mauvais état des terres qu'il loue à la commune qui sont en friche et non
pas en jachère". Le conseil « tient compte des dix ans
pendant lesquels il a exercé les fonctions de maire et de la perte de temps que
cela a pu entraîner en particulier lors de la construction de la mairie école.
Il ne sera donc pas tenu de fumer et d'ensemencer, malgré le cahier des
charges, mais devra labourer avant janvier 1890 et laisser ensuite la terre
libre pour le prochain locataire ».
Alcool
En 1905, le maire demande de fixer
un endroit commun pour distiller, mais le conseil s'y oppose, estimant que cela
causerait du dérangement.
En
1907, une circulaire du préfet rappelle la loi du 23/11/73 et du 17/7/80 sur
les débits de boissons proches des écoles. Le conseil déclare qu'effectivement
il n'y a jamais eu d'arrêté sur les deux débits et qu'il n'y a pas lieu d'en
prendre car ils sont loin des écoles, du cimetière, ou de l'église, et ajoute
qu'il "déplore
comme tous les bons citoyens les funestes effets de l'alcoolisme dont les
ravages augmentent sans cesse... [et demande] des mesures urgentes à prendre en haut lieu pour combattre
ce fléau, en premier lieu l'interdiction de la fabrique et de la vente de
l’absinthe." Voilà qui tombe bien,
puisqu'on ne produit que de la goutte !
Annexes
Interventions de Bisson aîné contre une deuxième ligne de chemin de fer (et contre Milliard…)
1912
Ce texte est intéressant car il
mentionne la possibilité d'une activité touristique pour la commune
Il
n'est pas douteux qu'examinée de près, cette situation n'obtienne une légitime
compensation aux désastreuses conséquences de l'exécution de ce raccordement.
Les chemins de communication, sauf un, seront en effet coupés, la plupart pour
la seconde fois, puisqu'ils le sont déjà par la ligne existante, la ligne
nouvelle devrait aussi former une sorte de rempart fortifié qui ne pourra
manquer de détourner à l'avenir le passage de tous les touristes qui auraient
pour habitude ou qui auraient pu la prendre à l'avenir, de venir profiter de la
situation exceptionnelle de la commune sur les bords de la Seine et à faire
profiter pour ces mouvements d'affaires de plus sont plus importants, le
développement de la commune. La compensation tout indiquée et qu'on ne pourrait
difficilement refuser à une commune aussi gravement atteinte dans sa prospérité
serait la création de la halte demandée …
1913
Nous croirions mes amis et moi,
manquer à notre devoir de représentants consciencieux et indépendants en ne
nous faisant pas ici les interprètes fidèles de l'émotion profonde qui s'est
emparée de nos concitoyens lorsqu'ils ont appris qu'une nouvelle voie ferrée
allait mutiler les restes demeurés intacts de notre territoire....
À aucune époque de notre histoire
communale nous n'avons été ainsi placés sans défense ni renseignements en face
d’une éventualité aussi redoutable. (est visé ici Milliard, le nouveau maire)
Les
responsabilités sont engagées à l'heure actuelle, nous entendons, nous, dégager
la nôtre. C'est dans cette mairie, qu'en faisant relever les parcelles des
terrains nécessaires, l'administration des chemins de fer a posé les bases du
projet. C'est dans cette même salle qu’à la date du 20 mars dernier, plusieurs
d'entre nous ont insisté auprès de M. le maire, pour qu'il s'informe des
clauses et conditions essentielles du projet, et qu'il les soumette d'urgence
au conseil municipal afin que cette assemblée puisse prendre, avant la clôture
de l'enquête, toute décision qu'elle jugerait utile et nécessaire. Cet
avertissement est resté sans effet, le conseil n'a pas été convoqué, rien n'a
été fait, et l'enquête est close.
L'opinion publique ne nous pardonnerait
pas de couvrir par notre silence cette indifférence inexplicable. Nous
demandons donc au conseil municipal de vouloir bien avec nous, blâmer cette
attitude, en exprimant le très vif regret que rien n'ait été tenté pour
réserver l'avenir.
Proposition adoptée par sept voix contre deux,
ont voté pour : Messieurs Bisson aîné,
Leclerc Louis, Grenier Armand, Revert Raphaël, Mathias Albert, Leclerc
Sénateur, Grenier Chéri
ont voté contre : Messieurs Guernier
Clérisse, Revert Louis, M. Milliard, maire, s'est abstenu.
Sources :
Archives municipales du Manoir 1D6 et 1D7
et Archives départementales de l'Eure