PÎTRES
1919 - 1940
(suite de la lecture des registres du conseil
municipal commencés en 1793)
(voir Pîtres sous la Révolution)
(voir Pîtres d'un Empire à l'autre)
(voir Pîtres entre 2 guerres)
La guerre 14-18 laisse peu de traces dans les registres : quelques demandes d’assistance de familles de soldats, des collectes pour le front, la demande de récupérer le boulanger et le maréchal-ferrant. Même pas de traces de cérémonies de victoire en novembre, mais en 1919 est lancé le projet d’un monument aux morts, comme cela est en train de se faire dans la France entière (un article lui sera consacré dans le prochain numéro).
Municipalité : nombreuses crises
Paul Fréret, patron des clôtures Fréret (voir n°2), est maire depuis 1910. En 1920, a réélection ne semble pas acquise, car
c'est Albert Roze, le meunier, qui arrive en tête au premier tour (les
conseillers élisent le maire). Mais au deuxième tour se présente Jean Meslin,
qui rafle toutes les voix (sauf une…), et refuse le mandat, acceptant
d'être l’adjoint de Paul Fréret qui venait derrière lui. Tour de passe-passe ?
Trois ans plus tard, en 1923, (sans même que le registre du conseil en fasse
mention!), le conseil est dissous par
décision du Ministère de l'Intérieur, qui nomme une délégation spéciale,
présidée par Paul Fréret ayant Jean Meslin et
Auguste Bélissent comme adjoints, donc
finalement très peu de changement : pourquoi cette dissolution dans ce cas
? Le mystère risque de rester entier.
Est-ce Albert Roze qui posait problème?
Après quelques recherches sur l'Internet, cet extrait du Journal Officiel... |
En tout cas, il ne sera pas réélu conseiller, alors que
Paul Fréret redevient maire, et Jean Meslin adjoint. Il reste maire en 1925,
mais démissionne en décembre 1926, remplacé par Jean Meslin avec Pierre
Delafosse (le nouveau meunier) pour adjoint, lui-même ayant refusé ce poste.
Une nouvelle crise a lieu en 1932, avec la démission de la totalité du Conseil municipal, obligeant à de nouvelles élections, qui reconduisent un conseil dans lequel on ne trouve plus Pierre Delafosse.
En 1935 Jean Meslin est réélu, avec pour adjoint A.Vallée. Il démissionne en 1939, peu avant les élections municipales, et Paul Fréret redevient maire. Il est "démissionné" en septembre 1941 par le sous-préfet, et personne n'acceptant de le remplacer, le ministre "considérant qu'il n'est pas possible de constituer une municipalité après la démission du maire, considère le conseil municipal comme dissout et prévoit une délégation spéciale*"
* Le régime de Vichy voulait des municipalités qui ne lui soient pas
hostiles ; les autres étaient destituées et remplacées par une « délégation
spéciale ».
Le président en sera Roger Harlé,
patron de la cartoucherie, assisté de Paul
Fréret, André Meslin, et R. Lefebvre. Le décret émane de Vichy, le 24
septembre, et est signé de Pierre Pucheu, qui dans une adresse aux habitants
écrit qu'il faut "considérer avec
reconnaissance l'œuvre accomplie par les précédentes municipalités … que les
regards de tous soient fixés sur la France et tous les efforts tendus à son
service sous la conduite du Maréchal Pétain."
En juillet, on avait souscrit à l' édition sur papier de Chine à 250 francs du portrait de Pétain. Le tirage sur parchemin coûtait 1 500 francs. Les préfets incitaient fortement les maires à souscrire à l'une ou à l'autre édition. Le choix de l'édition bon marché a pu être pris pour une marque de tiédeur...
Le loyer du presbytère
Le loyer du presbytère, fixé à 150
francs en 1907, avait été considéré comme trop peu élevé par le préfet, mais le
conseil municipal de l’époque, présidé
par Albert Roze, avait maintenu ce chiffre. En mai 1919, on se propose de le
porter à 400 francs. L’évêque refuse, et propose 250 francs, que le
conseil accepte pour un an. Le sous-préfet, lui, conseille de s’en tenir aux 400 francs
demandés, mais le conseil maintient son acceptation des 250 francs : les
autorités municipales se montrent à nouveau moins dures que la préfecture.
" Le presbytère n’a rien perdu de son
charme …" Plan de construction
(Archives municipales de Pîtres)
|
En février 1920, le bail du presbytère est porté à 600 francs. Dans un premier temps, on pourrait y voir une menée anticléricale, le maire, Paul Fréret*, étant libre-penseur.
* " il ne rentrait jamais dans l'église", nous a rapporté une
vieille habitante de Pîtres, elle-même pratiquante, "mais il aurait mérité de vivre cent ans car il ne
faisait que du bien".
Cela a pu jouer, mais il suffit de
se reporter à l'inflation d'après-guerre pour s'apercevoir que ces exigences
étaient plutôt douces : 150 francs de 1907, déjà considérés comme une faible
somme, n'en valaient plus que 50 en 1920 par le simple jeu de l'inflation! Mais
on est habitué à une monnaie stable
depuis un siècle, et on comprend mal qu'il faille réajuster les prix.
(voir france-inflation.com)
En fin de compte, l'Abbé Périnelle s'en tire très bien, puisqu'il refuse de payer 600 francs, et qu'on établit un nouveau bail à 325 francs, soit moins de 100 francs de 1907 ! Le conseil ne sera pas rancunier, puisqu'il votera en 1939 une participation aux frais d'inhumation de "Périnelle, indigent, curé à Pîtres pendant 33 ans".
Poste , téléphone
En 1920, le conseil municipal
proteste : "considérant
que la privation de courrier postal le dimanche cause un grand préjudice aux
habitants des villages…. que par la suite de cet état de choses une partie de
la France se trouve isolée du reste de la Nation pendant 48 heures par
semaine..." (on se croirait en présence d’un
texte écrit sous la Révolution) "...qu’il
est normal que les facteurs ruraux puissent disposer d’un jour par
semaine" (le facteur travaillait déjà 6
jours sur 7) "…demande que la distribution
du courrier postal soit rétablie le dimanche dans les villages et les
hameaux".
Le chemin de fer, la gare
En 1923 on
prévoit de doubler la ligne de chemin de fer Charleval-Pont de l'arche, ce qui
sera fait, pour peu de temps car les Allemands pendant l'Occupation
récupéreront une voie pour fondre des canons...
Par contre le projet de transformation de la halte en gare
est jugé trop cher. Il sera définitivement abandonné en 1931, le conseil
dénonçant la "mauvaise organisation de
l'administration des travaux publics qui exagère la part demandée aux
communes".
Commencent aussi les demandes de barrières au passage à niveau, dont on ne verra le résultat que dans les années 1980. On proteste aussi contre une suppression éventuelle de la ligne, en soulignant les inconvénients de l'autocar (verglas, brouillard, etc.).
En 1939 la municipalité soutient l'offre de M. Riquier qui propose une desserte de Rouen à Amfreville par autocar : le chemin de fer commence à rencontrer la concurrence de la route.
Electricité
L'électrification commence vers 1920. Le syndicat intercommunal des cantons de Fleury et de Pont de l’Arche va opter pour une concession à la Société Andelysienne d’électricité. Les lignes électriques coûtent 53 650 francs (environ 5 millions d'euros 2015), dont un cinquième est payé par la Société Andelysienne et deux cinquièmes par les consommateurs éloignés.
Ecoles
Depuis
l'ouverture des aciéries de Pompey, la population a augmenté, et une seconde
classe est prévue chez les garçons et
les filles, car les effectifs vont de 70 à 80 élèves. L’extension coûtera
33 355 francs (environ 3 millions d'euros 2015,
la construction en brique revenant évidemment plus cher...)
Cette ouverture de classe supplémentaire n'est pas encore faite en 1929, puisqu'on la demande encore, et qu'on mandate le maire pour la construction de locaux.
Mais l'année suivante voit la création de deux postes d'instituteurs (l'instituteur est M. Robineau) et la commune emprunte alors pour 30 ans les 160 000 francs qui restent à sa charge (sur 317 745). On annulera par la suite l'emprunt à la caisse des dépôts et consignations en arguant que l'État doit le prendre lui-même en charge.
Filles et garçons, une centaine, rassemblés devant leurs écoles, avant la construction des ailes |
En 1936 l'inspecteur primaire demande
l'ouverture d'une troisième classe (il y a en effet 98 élèves)
et le conseil donne un avis favorable en disant que l'on
pourra utiliser la cantine, mais l'année suivante, cafouillage : le conseil
municipal rappelle qu'il "avait demandé
inconsidérément" la création d'une troisième classe
de garçons, d'abord, puis "revenant sur cette erreur
manifeste" une troisième classe de filles et
de jeunes enfants, qu'il persiste dans cette dernière demande, et menace de ne
plus prendre à l'école les enfants de moins de six ans ni ceux des communes
voisines. La situation semble très tendue, si l'on en juge par cette lettre
adressée à Jean Meslin par Paul Fréret, suivie de sa lettre à l'Inspecteur.
Par
ailleurs, le conseil demande à M. Mendès-France des renseignements sur la fourniture de lait dans les écoles, et
proteste contre la distribution des prix : "certains de ceux-ci ont été
délivrés au nom de formations politiques", et "en vue d'éviter des
incidents regrettables pour l'avenir" on supprime l'allocation municipale
de 1000 francs, remplacée par une distribution de lait en période hivernale,
pour laquelle on vote un budget de 4000 francs.
En octobre, , le conseil "décide de ne plus se réunir avant d'avoir obtenu satisfaction" concernant la troisième classe.
En 1939, il se joint à la pétition de parents dont les petites filles n'ont pu être admises à l'école, et argumente qu'il y a alors 173 élèves, dont 11 étrangers à la commune, répartis en cinq classes, plus 19 qui n'ont pas été acceptés, ce qui porte le total à 192, et qu'on ne peut donc imposer une sixième classe puisqu'on supprime cette sixième classe si l'effectif est inférieur à 200 ...
En novembre, on installe un mur de refend dans l'école pour
assurer l'enseignement provisoire
(souligné sur le registre) des évacués de la région parisienne, et on attend de
l'aide.
Les vacances scolaires
En 1800,
les vacances allaient du 5 août au 20 septembre, pour permettre aux enfants d'aider à la moisson et
aux vendanges. Napoléon III accorde cinq jours supplémentaires pour les
fêtes de Pâques, puis il faut attendre 1939 pour une importante extension : 2
jours à la Toussaint, 2 semaines à Noël, 2 ou 4 jours au mardi-gras, 2 semaines
à Pâques, et grandes vacances du 15 juillet au 30 septembre.
En 1926, on ne trouve trace à Pîtres que de six jours de congé accordés aux écoles primaires, en plus de Pâques et des grandes vacances : quatre le 1er janvier et deux à la Pentecôte.
Circulation, automobile, routes
La vitesse dans l'agglomération est limitée à 40
km/h pour les automobiles, et 25 km/h pour les camions, et 6 km/h au carrefour.
Pas encore de feux ou de stops au carrefour, mais
des instructions fermes pour la sécurité !
|
En 1936, 196 ouvriers de Pompey signent une pétition demandant la réfection de la route et son goudronnage (sans doute une indication sur le mode de transport pour se rendre au travail : il ne se fait plus à pied comme auparavant).
Adoption de l'instrument de base : le sifflet à roulettes ! |
Dérivation de l’Andelle
En 1931 on
évoque les plans de dérivation de l’Andelle, d'un pont et d'une passerelle, le
remblai du "trou de la commune" (est-ce le même que le "trou du
curé" ?), décrit comme formant un fer à cheval derrière l'usine Fréret.
Elle est
approuvée si les habitants du port de Poses (qui, comme chacun sait, est à
Pîtres) peuvent se rendre en voiture dans le bourg.
En 1936, on pétitionne pour que l’Andelle soit classée ni
navigable ni flottable: c'est la fin d'une époque.
La Seine, l’eau
Le barrage de Martot, détruit en 1938 |
D'
importants travaux ont lieu sur la Seine pour la rendre plus navigable, c'est
le sens de la destruction du barrage de Martot : les écluses d'Amfreville
deviennent le dernier obstacle avant la mer, et la marée remonte jusqu'à
Pîtres. Mais le niveau de la nappe phréatique a suivi la baisse du niveau de la
Seine, et les puits vont disparaître, ce qui explique qu'en 1939 on se
préoccupe de l'adduction d'eau : 9 points d'eau sont prévus sur la commune, et
on crée un Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région en
aval du barrage de Poses, comprenant les communes allant de Pîtres à Martot.
(il existe encore sous le nom de SIAEP Andelle-Seine)
Fêtes
Chaque année on fixe le programme de la fête du 14 juillet, soit en règle générale
illuminations, tir, rassemblement, distribution des prix, décollation d’oie et
jeu de ciseaux (couper les yeux bandés une ficelle à laquelle est attaché un
cadeau), et le bal.
La décollation de l'oie, pratique barbare ?
Un défenseur de la tradition défend cette pratique sur son site (arquebusiers.be/decapitation-oie.htm),
avec des arguments parfois peu convaincants : cela "n'a rien de barbare
puisque l'animal est mort" (essayons donc avec des chats ou des chiens
!…) "la tradition remonte au moins au Moyen-Age" (au nom de la
tradition, rétablissons alors le pilori, le bûcher, la roue...et en remontons
plus loin, les sacrifices humains !)
"La méthode varie selon les
régions, elle se faisait soit au sabre, les yeux bandés l'oie pendue ou à
terre, ou à main nue en courant (plutôt pour les enfants), ou en chariot tiré
par des hommes ou par des chevaux ou encore comme toujours actuellement lancé à
cheval, et même à vélo…" c'est plus moderne… il est d'ailleurs étonnant
qu'on n'ait pas pensé aux motards...Elle cesse d'être perçue progressivement, mais ne sera abrogée officiellement qu'en 1971.
En 1934, la crise pesant de plus en plus lourd, on décide
que le bal ne sera pas gratuit, qu'il n'y aura pas de jeux et que les
illuminations seront réduites, et en 1939 on soustrait 2000 francs sur le
budget des fêtes pour l'assistance aux mobilisés.
Assistance, aide sociale
En
1920, on vote un don de 400 francs qui seront envoyés au mont Saint-Quentin,
dans la Somme, pour aider à sa reconstruction (situé près de Péronne, le
village avait été entièrement détruit).
Puis la crise de 1929, née aux Etats-Unis, n’atteint guère la France qu’à partir de 1932, et on en trouve de nombreuses traces dans le registre des délibérations :
· réunion pour "examiner la situation créée aux ouvriers
et ouvrières des chaussures par suite de la grève des usines de Pont de
l'Arche" (trois présents)
· emploi des chômeurs à des travaux communaux : budget de
2000 francs.
· demande la création d'une caisse de chômage à laquelle
seraient alloués 3000 francs, dont les allocations cessent du 1er juin au 1er octobre « pour
raisons budgétaires " (on estime que la période des travaux agricoles
permet de trouver du travail). Cette caisse sera rattachée
à la caisse départementale, mais l'année suivante, elle
ferme, faute de pouvoir rembourser l'emprunt car les subventions n'arrivent
pas.
La base
d’allocation d'aide est de 7 francs par jour pour la personne secourue , plus 4
francs pour une épouse, si elle ne travaille pas, et environ 2 francs par
enfant, selon l’âge, mais ceci en général pour seulement 3 jours par semaine,
soit en moyenne environ 15% du salaire d'un ouvrier.
Cyclone
Cette même
année est votée une aide de 2000 francs pour les victimes
du cyclone au port de Poses. Effectivement,
du 23 au 24 février 1935, un violent cyclone traverse la France d'ouest en est,
seul le Nord étant épargné.
Réfugiés
L'année 1938 voit l'arrivée de
réfugiés de la région parisienne, que l'on accueille d'abord dans les écoles,
puis que l'on va disperser chez les habitants, en prévoyant qu' "une
cuisine sera établie par quartier ".
En
1938, ceux de la guerre d'Espagne ne sont pas encore arrivés, il doit donc
s'agir des juifs autrichiens, de Vienne, qui fuient Hitler après l'Anschluss.
Budget
En 1927,
estimant insuffisante la taxe sur les chiens, le conseil la porte à 10 ou 4
francs, selon la catégorie, puis en 1931, à 24 ou 6 francs (soit moins d'une
dizaine d'euros 2015 en moyenne) : les frais de perception devaient déjà
l'emporter sur le rapport, ce qui entraînera son abandon.
Taxe sur les chiens
Le Second Empire
avait établi une taxe municipale, selon deux catégories : chiens d'agrément ou
de chasse, et chiens utiles, servant à guider les aveugles, à garder les
troupeaux ou les habitations. La raison invoquée était la lutte contre les
chiens errants et la rage. Pour les chiens de compagnie, on peut y voir une
taxe somptuaire, comme pour les chevaux de selle et les attelages des voitures
suspendues, et plus tard les billards ou les vélocipèdes.
Le budget de la commune a augmenté
depuis le 19ème siècle, mais reste peu élevé : en 1934, par exemple, il est de
12 000 euros en équivalent 2015.
Ecologie
Beaucoup
d'espèces, parfois aujourd'hui protégées, sont encore à l'époque considérées
comme de vraies nuisances et traitées comme telles : on organise la destruction
des pies, corneilles, geais, émouchets, buses, et en 1936, on fait lecture
d'une lettre adressée par M. Mendès-France, député et maire de Louviers, sur la
destruction des nuisibles, "considérant les dégâts occasionnés chaque
année par ces animaux."
Mais
il y a encore de beaux poissons dans l'Andelle…