Dessin de l’auteur |
Août 44 - Vallée de l’Andelle
(témoignage)
Après la percée de la poche de
Falaise, c'est le début de la retraite des armées allemandes vers le nord et
l'est de la France.
Pour la Werhmacht, il faudra passer la Seine à tout prix, l'infanterie traversera sur des ponts de bateaux à Poses, quant aux blindés lourds et à l'artillerie, le point désigné sera Rouen. Pourquoi Rouen, très exposé aux attaques aériennes alliées ? C'est que les ponts y sont protégés par les batteries antiaériennes allemandes postées sur la côte Sainte-Catherine. Mais la concentration de blindés de la septième armée allemande sur la rive gauche permettra à l'aviation alliée, composée d'avions d'assaut type Mitchell de les bombarder à l’aide de bombes incendiaires, ce qui fera un affreux spectacle de ferraille et de corps calcinés.
La déroute
En ce qui concerne notre vallée, il
faut savoir que les Américains ont occupé Louviers dans l'attente des
Canadiens, très en retard. Arrivé sur le terrain désigné, les Canadiens se sont
déployés, et une tête de pont a été lancée à Criquebeuf, pour s'enfoncer dans
la vallée de l'Andelle, direction nord est. Les troupes allemandes, paniquées
et surexcitées par l’arrivée imminente des alliés, vont enfermer 63 otages dans
l’église de Criquebœuf, qui seront, heureusement, sains et saufs, et abandonner une bonne partie de leur
matériel pour fuir à la nage sur des planches ou même dans des baquets.
Objectif Le Manoir
Nous savons que le pont de chemin de
fer du Manoir était l'objectif numéro un des bombardiers alliés après le
débarquement : bombardiers américains le jour, anglais la nuit. Les habitants
du Manoir étaient les plus exposés, bien sûr, à ces bombardements continus,
c'était l'enfer ! Les avions arrivaient par vagues successives au-dessus de la
Seine et larguaient des bombes d’une tonne, mais comme ces bombardements
s’effectuaient à haute altitude, la cible, à savoir le pont de chemin de fer,
ne fut, hélas, pas touché. Le village fut par contre détruit à 70 % et ses
habitants dispersés dans les villes et villages avoisinants. Au moulin de
Pîtres, nous avons accueilli l'institutrice du Manoir et une famille
rouennaise.
Bien entendu, la défense de ce pont était assurée par les batteries antiaériennes allemandes, légères et lourdes, comme les 88 Flack postées dans le secteur de Pîtres, à la Fosse aux loups, au Camp Albert, aux Flotteaux. Le PC, ou poste de commandement, était la maison carrée blanche près de l'église de Pîtres. Curieusement, ce PC a été sous surveillance permanente des chasseurs Mustang d'observation des alliés, qui n’étaient jamais inquiétés par les tirs, car les Allemands économisaient leurs munitions.
La pression alliée sur les armées allemandes devenait de plus en plus forte. C'est pour cette raison qu'une nuit, le moulin de Pîtres a été occupé par de l'artillerie allemande (canons de 105 tirés par des chevaux) et choisi comme séjour pour une remise en ordre de ce régiment. Le capitaine et son état-major devaient occuper la maison, mais compte tenu du nombre de réfugiés, il préféra aller voir plus loin et s'installa dans la maison du grand-père de Robert Fréret.
Une batterie allemande |
La défense antiaérienne allemande était toujours active dans notre secteur. Le soir du 9 août, un coup au but a descendu le Mustang du capitaine Wallace, le chasseur en flammes est tombé sur la route qui prolonge la rue des Moulins vers Romilly, et le moteur Packard s’y est profondément enfoncé ; il y est d’ailleurs resté, faisant une bosse, jusqu’à ce que la DDE l’en extraie en 1980 ; le pilote, gravement brûlé, fut conduit au PC de la maison blanche et put à sa demande se faire soigner à Rouen. Mais ce crash n’a pas été enregistré, ce qui explique la confusion dont nous reparlerons. Par contre, Camille Fréret a témoigné des faits, puisqu’il servit d’interprète entre le capitaine Wallace et le lieutenant allemand Prokoff.
Le capitaine Wallace, mort en captivité le 15 février 1945 |
Sources :
- Bureau de
renseignement de la Werhmacht Westbar - Klesterwald, 20 février 1945, Oflagluft
West décès du capitaine Wallace N. Emmer, 0- 73 04 22 (signé) par le major et
vice-commandant.
- témoignages
d’habitants
Pour
terminer, les Canadiens et Polonais sont arrivés le 29 août 1944, il y eut des
échanges de tirs et sur la route (alors) nationale, une automitrailleuse
canadienne a sauté sur une mine, faisant des blessés parmi les occupants. Ce
même jour, vers 14 heures, Pîtres a été arrosé d'obus incendiaires, des tirs de
dissuasion en direction des Allemands, si bien qu'un bâtiment du moulin a pris
feu en quelques minutes. C'était la panique, les Allemands attaqués couraient
dans tous les sens, les français porteurs d'eau s'activaient dans l'autre !
Enfin,
ce 29 août, la bonne nouvelle est arrivée : c'était la Libération, la fin du
cauchemar.
Quelques faits
Pont-Saint-Pierre 31 mai 1944 11:53
Un bombardier américain B26
Marauder est abattu sur le territoire de
Pont-Saint-Pierre au lieu-dit
l'Hermitage. Cinq occupants ont sauté en parachute (un tué, un prisonnier, trois
évadés). L’équipage se composait de: U W. Miller, TJ Yates, DB Braine, D.E.
Mitchell, A M Staffo, et S. Tirpak.
sources :
Archives départementales de l’Eure
Romilly
sur Andelle, le 9 septembre 1943
Un avion allemand tombe dans la rue,
met le feu à plusieurs maisons. Il s’était délesté de ses bombes avant de
tomber. Le pilote, Gegefreiter Willy Jungfer, est inhumé à Beauvais.
Sources :
- Témoignage privé :
l’avion s'est écrasé au 16 rue des ormes à Romilly, Sur la propriété Julien. Un
voisin, M. Caradec, a été tué dans son jardin.
- Archives
départementales de l’Eure
Pont-Saint-Pierre,
juillet 1944
Chute d'un avion allemand à Pont-Saint-Pierre, le 18 juillet à 10h30,
abattu dans ladite commune à proximité de l'usine Tron et Berthet, dans un pré,
l'avion est totalement détruit. Le pilote, qui a sauté en parachute, est sain
et sauf. Aucune victime, aucun dégât.
sources :
- Rapport de la
Gendarmerie nationale
La bombe volante V1 et la fusée V2.
Il y avait plus de 600 rampes de
lancement en Seine-Maritime. Si le compas de route se déréglait, la trajectoire
était faussée et la bombe errait dans les airs jusqu'à épuisement du carburant
en une descente silencieuse précédant l'explosion. À signaler que quelques
pistriens ont vu passer ces engins diaboliques.
En 1940, la Werhmacht était totalement motorisée, mais en 1944 la majorité des divisions allemandes d'infanterie et d'artillerie est hippomobile. Pour le cheval il est prévu un masque à gaz modèle 41 et des lunettes protectrices.
La retraite allemande se faisait aussi à bicyclette, c'est pour cette raison que des perquisitions étaient organisées dans les villes et villages. À Pîtres, les Allemands à la recherche de vélos, grenades au ceinturon, faisaient des fouilles de la cave au grenier dans toutes les maisons.
Après chaque bombardement du Manoir, les hommes valides recevaient un avis de réquisition en vue de déblayer pour une remise en état de la ligne de chemin de fer, avec la surveillance aérienne des alliés le danger était permanent.
Facéties…
Des éléments de l’armée allemande de
passage à Pîtres se sont arrêtés devant la boulangerie, en vue d'un
casse-croûte, et, pour appuyer ses exigences l'un d'entre eux a posé sa
mitraillette sur le comptoir pour convaincre notre boulanger, qui s'est
exécuté. Cette générosité valait bien une confidence: « nous, repousser
Américains ! ». La suite des événements prouvera le contraire.
Le miracle de Poses-Amfreville.
L’US Airforce n'a pas inscrit Poses
comme site à bombarder, sachant que dans une opération carpet bombing,
un objectif de 1000 m² devait être arrosé de bombes sur une surface de 1 km²,
seule solution pour les forteresses B17 volant à 10 000 m d'altitude pour
anéantir l'objectif désigné, comme pour le Manoir, devenu un paysage lunaire.
La
traversée de la Seine sur un pont flottant, le seul que les Allemands aient
construit, a été établie entre Poses et le Val Pitan. Pour que ce pont ne soit
pas attaqué par les avions alliés, il n’était utilisé que de nuit et démonté au
matin, les trois éléments étant cachés le long des berges dans la journée. Plus
de 16 000 véhicules ont franchi ce pont entre le 19 et le 24 août 1944, à
l'exclusion des chars de plus de 40 t qui devaient être détournés vers les bacs
d’Elbeuf. À retenir cette révélation de l'ingénieur Courtois, chargé des
questions relatives à la Seine et au barrage, qui a examiné avec le colonel
Schultz la possibilité de faire passer la Seine à marée basse, c'est-à-dire à
sec, aux chars lourds types Panther et Tigre... Le projet, considéré comme
farfelu, a été abandonné.
À moi de me déplacer pour voir les lieux de plus près, dans ce dédale d'îles, j'étais accompagné par M. Hubert Labrouche, maire de Poses, qui a désigné l'île Gribouillard Vadenay comme la planque du pont flottant de Poses. Ce même jour nous avons rencontré Casimir, un habitant de Poses qui se souvient très bien de la retraite allemande, il avait 14 ans à l'époque, plus de 100 000 hommes ont franchi la Seine sur ce pont ! Mais au dernier jour des soldats ont reçu des tirs de la part de résistants et n'ont pas hésité à revenir dans le village pour débusquer l'ennemi, quatre posiens qui ont ainsi été exécutés; c'est le seul incident avec la population.
Lors du bombardement du 6 juillet 1944 vers 19 h, il y eut deux morts aux écluses, démolition du bajoyer de la grande écluse sur 85 m et destruction des postes de transformation, en plus des tirs de roquettes par des avions sur les péniches, qui ont fait des victimes parmi les mariniers.
Après le départ des Allemands, j'ai vu une équipe de gamins de Pîtres qui se chargeaient de démonter les obus dans les postes abandonnés de DCA, pour récupérer cuivre et poudre, souvent cachés dans les greniers des maisons à l'insu des parents. Pour ma part, j'avais récolté une quantité d'éclats d'obus provenant des tirs de la DCA, ainsi que des conteneurs de fusées éclairantes, mais au retour du régiment je n'ai plus rien retrouvé de mes collections…
La stèle de la rue des Moulins. Confusion sur les noms
Elle est dédiée à un crash qui a eu lieu ailleurs, à
la suite d’une confusion avec celui dont nous avons parlé plus haut…
Havoc
A-20, bombardier moyen du 410ème groupe de bombardement basé à
Gosfield en Angleterre, parti le 4 août 1944, avec pour objectif le pont
d’Oissel. A 20h08, arrivés sur l'objectif, les six appareils font un premier
passage, la visibilité est nulle, mais la défense antiaérienne allemande est
active ; c'est au cours du deuxième passage que l'un des trois avions,
volant à basse altitude est atteint par un obus qui le coupe dans la partie
arrière du fuselage. À bord, c'est la panique. À l'appel du mitrailleur qui
crie à l'évacuation, le pilote, Walsh, ne semble pas sortir de son cockpit,
Fred Herman, l'observateur et Karl Hauser, le mitrailleur sauteront, malgré l'angoisse qui les étreint car ils
n'ont jamais sauté en parachute. Les deux parties du bombardier tomberont aux
Essarts (parcelle 90) non loin de la route du Milthuit. Il y eut une formidable
explosion et le pilote se trouva éjecté à quelques mètres des débris de
l'avion, mortellement blessé. C'est le lendemain vers 7 heures qu'on signale à
M.Houel, de la Défense passive de
Grand-Couronne que le corps d’un des aviateurs a été trouvé en forêt.
Il
fallait donc organiser l'inhumation de ce soldat, ce sera le 5 août en présence
de l'adjudant Chaigneau et de l'officier allemand chef de la place de
Grand-Couronne. Le pilote sera placé dans le carré militaire à côté des soldats
français morts au champ d'honneur. Dans son témoignage, M. Houel, qui a déposé
son rapport en mairie, se souvient de cette période où la tombe du pilote a
toujours été entretenue, fleurie par la population de Grand-Couronne. Dans
notre enquête, nous avons rencontré M. Schneider, historien de cette ville,
grand résistant, qui se souvient d'avoir serré la main le 4 août 1944 aux deux
aviateurs rescapés, quelques instants avant l'arrivée des soldats allemands.
L’équipage avant une mission |
Sur les injonctions pressantes de M. Karl Hauser, dans sa lettre de Cayucos, Californie, du 5 mars 1995, nous tentons de retrouver cet endroit. Je lui signale qu'une reconnaissance sur le terrain est nécessaire, et rendez-vous est pris le 4 mars 1997 entre M. Haeuser, venu de Cayucos, M. Barthélemy, M. Goujon, et moi-même. Nous nous rencontrons dans la maison des gardes forestiers de la forêt des Essarts.
Le
garde nous a guidés sur les parcelles enregistrées comme étant les points de
chute des aviateurs ainsi que celui du bombardier de ce 4 août 1944.
M. Karl Hauser fut pleinement satisfait d'avoir retrouvé l'endroit où il avait pris contact avec le sol français. Ces démarches n'ont pas été expéditives comme dans son premier voyage mais ont demandé un certain temps pour obtenir des pièces justificatives valables que les archives nous ont communiquées.
Ces témoignages qui se recoupent proviennent d’archives de l'USAir force et de la Flak allemande mais aussi des témoins oculaires : M. Langlois, président des anciens combattants de Grand Couronne ; M. Masson, journaliste, qui a serré la main à un aviateur nommé Herman ; M. Quéquiner, qui a vu le pilote mortellement blessé.
Le 1er juillet 1945, un
membre de l'armée américaine, aidé de quatre prisonniers allemands, a pratiqué
l'exhumation du corps du pilote qui sera inhumé près du Havre. Après la guerre,
sa famille demandera le retour de ses restes vers les États-Unis où il sera
inhumé dans un cimetière civil en Pennsylvanie. Les habitants de Grand-Couronne
peuvent aussi lire sur la stèle que les sergents Karl Haeuser et Fred Herman ont été faits prisonniers.
Dans un rapport allemand en date du 8 mars 1944, on trouve « Havoc A-20, Grand-Couronne, prison à Évreux de deux sergents prisonniers de guerre, pour intelligence. Camp à Chartres ». Un passage à la Kommandantur pour les questions rituelles et ils prirent le chemin d’un camp pour aviateurs en Allemagne, dans l'attente de la libération prochaine.
Sources :
- Albert Houel,
témoin de la Défense passive de Grand couronne ; M. Schneider, historien,
rencontré à son domicile.
- service historique
des armées alliées, Normandy Office, officer in charge.
- Grand-Couronne se
souvient (archives municipales) pour la transmission du souvenirQue s'est-il passé à Pîtres le 6 août 1944 ?
D'après le témoignage d'un
archiviste des Ponts et chaussées au mois d'août 1944, un groupe de bombardiers
A-20 (bimoteur) a été vu au-dessus des écluses de Poses et l'un d'eux s'est
subitement détaché et a envoyé plusieurs projectiles dans la passe numéro
1, la rendant inutilisable. Puis il a dû
être touché par la Flak allemande, a évolué très bas afin de repérer un point
de chute pour se délester de ses bombes : ce sera la cour de la ferme Meslin à Pîtres…
Au fond du cratère de la ferme Meslin (fonds privé Meslin)
|
A cet instant, je faisais la queue à l'épicerie Malivoir en compagnie d'un réfugié, pour notre ration de beurre. L’explosion assourdissante a déclenché un Notre-Père, prière apaisante dans pareilles circonstances. Quant à l'avion, il se posera sur le ventre au Buc près de Louviers et deux corps y seront découverts, ceux de Thomas Magnus et de John Lapointe, relevés début 1945 pour une nécropole militaire américaine, probablement Saint-Laurent de Colleville.