L'émigration au Canada
Nous dédions cette étude à Daniel Jobin,
d’Ecouis, brutalement décédé en juillet 2013. Il nous avait très aimablement
reçus et ouvert ses archives familiales. Nous avions découvert grâce à lui la
richesse des relations renouées entre les cousins canadiens et français,
descendants des premiers Jobin partis de notre petit coin de Normandie vers le
Canada au XVIIème siècle (1638). Nous lui en sommes très reconnaissants et
associerons toujours son souvenir à cette passionnante découverte des Canadiens
français.
Au moment où nous célébrons la libération de notre région particulièrement de la vallée de l’Andelle fin aout 1944, alors que la Voie du Souvenir jalonne nos routes depuis les plages du débarquement jusqu’aux lieux des combats, nous nous rappelons tous nos liens avec ce magnifique pays que l’on appelait « La Nouvelle France ». Nous avons souvent oublié l’histoire de cette région francophone du monde américain et retenu du Québec une image mythique qui a éclipsé des pans de celle du Canada peu présente dans l’enseignement français : « on oublie que la Nouvelle France a partagé l’ancien Régime avec la mère Patrie, que le Canada n’a pas connu la Révolution de 1789, que la laïcité officielle de la France lui est étrangère, enfin qu’il n’a pas connu sur son sol les conflits mondiaux ».
On omet aussi la cession du Canada par la France, on occulte l’abandon d’une terre dont les habitants partagent notre langue, la religion et la parenté. Par contre, en retrouvant nos cousins canadiens actuellement, on laisse de côté la réalité actuelle de ce territoire situé dans l’immense continent nord-américain anglophone que bordent les Etats-Unis avec lesquels il effectue 80% de ses échanges économiques. Il faut changer de regard, « l’observateur doit changer d’esprit de mesure et même de vocabulaire » disait André Siegfried, afin d’apprécier les mentalités, les rapports interpersonnels et politiques et les réalisations de sa population.
Dans cette grande aventure à la fois épique et familière nous suivrons la famille Jobin partie d’Amfreville sous les Monts, caractéristique de ces familles de migrants français vers le Canada.
A la fin du XVème siècle et au début du XVIème, les
grandes puissances maritimes européennes se lancent à la recherche d’une
nouvelle route vers l’Asie. Par le traité de Tordesillas, la papauté partage le
Nouveau Monde en 1494 entre l’Espagne et le Portugal. Les intérêts anglais et
français ne sont pas pris en compte mais des représentants de notre pays sont
présents sur les côtes du Brésil au début du XVIème siècle et s’aperçoivent que
des Normands et des Bretons sont déjà là. A l’affut des profits générés par ces
expéditions, les grands Etats du vieux continent recherchent des routes plus au
nord. Des anglais avec John Cabot découvrent Terre-neuve où sont déjà venus des
Bretons et des Basques. Les grands marins sont recherchés par les princes et
les marchands conscients des richesses à exploiter.
Le florentin Verrazano est chargé par des banquiers italiens établis à Lyon et des marchands de Rouen et de Dieppe de trouver une route vers l’Asie par le Nord-Ouest. Il obtient le soutien de François Ier qui n’accepte pas le partage de Tordesillas. Son voyage en 1523 est un échec mais l’idée d’un « passage » demeure. On découvre les richesses drainées par les Espagnols et les Portugais.
Portrait de Jacques Cartier par Théophile Hamet, 1844, d'après un portrait aujourd'hui disparu produit en 1839 par François Riss. On ignore en fait son vrai visage. |
En 1534, François Ier confie une mission à Jacques Cartier. L’évêque de Lisieux, Guillaume Le Veneur, obtient du pape une dérogation au traité de Tordesillas : les Français, ou d'autres pourront s’approprier « les terres encore non découvertes ».
A son premier
voyage (vingt jours de traversée), Jacques Cartier atteint Terre-Neuve et
établit un contact avec les Indiens. Il donne à ce pays le nom du roi et prend
possession de la région avant de rentrer à Saint Malo. A son second voyage
(cinquante jours de traversée) de mai 1535 à juillet 1536, il veut trouver des
« richesses ». On oublie le « passage ». Il découvre
l’estuaire du Saint Laurent guidé par deux Iroquois. Au milieu d’août 1535, des
Européens entendent pour la première fois le nom de Canada (le pays des
cabanes). Avec ses hommes, Jacques Cartier atteint le site du futur Québec puis
le Mont Royal (futur Montréal). Le roi soutient un 3ème voyage avec
Roberval comme gouverneur et lieutenant général et Cartier comme Capitaine
général et maitre pilote pour « de plus amples découvertes ». Jacques
Cartier établit deux forts et une colonie*. De jeunes enfants français et
indiens sont échangés pour qu’ils apprennent les deux langues et servent
ensuite de « truchements » c'est-à-dire d’interprètes.
* les mots colonie et colons ont une
signification particulière dans l’histoire du Québec . Il faut les entendre
dans le sens d’occupation de terres forestières pour y développer
l’agriculture. Le colon s’établit sur un
« front pionnier », sans connotation péjorative.
A la fin du XVIème siècle, après la mort de François Ier, les premières difficultés religieuses s’aggravent avec Henri II. La France semble se désintéresser de l’Amérique sauf à en faire un refuge pour les Huguenots (les protestants). Il faut attendre Henri IV en 1598, la paix intervenue avec l’Édit de Nantes, et la paix avec l’Espagne au traité de Vervins pour que la monarchie s’intéresse de nouveau au Canada.
En 1603 le roi nomme Pierre Dugua de Mons lieutenant-gouverneur de la Nouvelle France. Il obtient les droits exclusifs de la traite des fourrures avec les Indiens.
Viennent alors les premières tentatives et les premiers déboires de fondation d’une colonie avec le dieppois Pierre de Chauvin, puis d’alliance avec les Indiens-Algonquins et Hurons contre les Iroquois.
En 1608 Champlain devient le
lieutenant de Dugua de Mons. Marin et soldat visionnaire, il sera le père de
la Nouvelle France. Il fonde une
nouvelle compagnie avec deux marchands de Rouen, Collier et Legendre qui lui
fournissent tous les moyens matériels et financiers nécessaires à cette
entreprise, lui permettant d’explorer le
Saint Laurent pour trouver le site idéal où s’implanter. Son choix s’arrête sur
Kébec « l’endroit où la rivière se rétrécit » (pour mémoire Jacques
Cartier y avait jeté l’ancre 75 ans plus tôt).
Les Français installent là leur « habitation ». Malgré le scorbut et le manque de nourriture, Champlain imposera Québec comme base de l’implantation et de la pénétration française au Canada. Son mérite est de passer outre les hésitations royales (Henri IV et Sully) en privilégiant le long terme et en jetant les bases d’un peuplement véritable. Ce combat sera celui de toute sa vie. Il fera vingt-trois fois** le voyage entre la France et le Canada (l'aller dure en moyenne un mois). En 1619 il sera renommé « lieutenant du Roi au Canada ». Avec ses compagnons il a fondé des colonies durables dans la vallée du Saint Laurent et exploré la moitié du continent. Ensemble ils ont édifié la Nouvelle France qui, à son apogée, va s’étendre de la baie d’Hudson jusqu’à la Nouvelle Orléans, en Louisiane, au sud et de Terre Neuve aux Rocheuses, à l’ouest. Bien que protestant (il est de Brouage près de la Rochelle, région acquise au protestantisme) Champlain devra accepter que la colonie soit catholique du fait de la participation de la Monarchie française. Montréal sera fondée par quelques dévots sous le nom de Ville Marie au pied du Mont Royal, près des rapides de La Chine, ce nom donné par les premiers explorateurs montrant bien qu’ils cherchaient encore la route de la soie et se croyaient en Asie.
** En 1716, un capitaine disait
encore : « J’ai été sept fois au Canada et j’ose assurer que le plus favorable
de ces voyages m’a donné plus de cheveux blancs que tous ceux que j’ai faits
ailleurs. »
C’est alors que se situe l’arrivée de la famille Jobin en Nouvelle France. Nous les retrouverons dans un prochain numéro.
Les Indiens :
Au XVIème
siècle, ceux qu’on appelle « les sauvages » ont en fait une culture
très développée. Ils se répartissent en deux groupes principaux, avec 500
langues différentes et 22000 dialectes : les Iroquois, agriculteurs
semi-sédentaires, dont l’alimentation est composée aux trois quarts de maïs,
dans la vallée du Saint-Laurent et les Algonquins qui vivent de chasse, pêche,
et cueillette d’été dans les plaines au nord du Québec.
Avec l’arrivée des Européens, ils apprennent des notions
d’élevage, découvrent le cheval qui devient une monnaie d’échange très
importante, et des techniques pour les cotonnades, les outils, les armes, les
chaudrons, le pain. En échange, ils aident les Européens à s’adapter à la vie
nord-américaine : canots d’écorce, raquettes, remèdes naturels. S’ils
n’avaient pas partagé avec eux leurs techniques de survie, leurs territoires et
leurs ressources, les premiers explorateurs et colons auraient été bien plus
nombreux à mourir et auraient peut-être tout abandonné.
Champlain s’assure
l’amitié des Hurons, intermédiaires dans les échanges de fourrures contre
objets européens, en les assistant dans leur guerre contre les Iroquois, ce qui
lui permet de pénétrer l’intérieur du pays. Cette alliance va constituer un
lien essentiel pour l’existence de la colonie, contre les Iroquois, alliés aux
Hollandais puis aux Anglais, qui s’attaquent aussi aux missionnaires français.