Marcel Berthet, champion cycliste et entrepreneur
Dans le monde du cyclisme, chacun
connaissait la selle " Idéale " que l'usine Tron et Berthet produisait à
Pont-Saint-Pierre.
Coureur, industriel passionné à l’origine de la
conception de nouvelles machines, Marcel Berthet a, pendant plus d’un quart de
siècle, contribué à l’histoire du cyclisme mondial. Son nom est un peu oublié
aujourd’hui, pourtant au-delà d’avoir inscrit son nom dans la chronologie du record du monde de l’heure, il a
contribué à l’évolution technique de la bicyclette.
Né en 1887
à Neuilly sur Seine, dès l'âge de 15 ans, il décroche des titres à Longchamp,
et en 1905, il emporte chez les amateurs la course Paris-Provins-Paris, en
1907, Paris-Dieppe. A 18 ans un avenir semble s'offrir à lui. Piètre
grimpeur, il se prend de passion pour les courses de fond.
En 1905, Lucien Petit-Breton a porté le record de l’heure à 41,110 kilomètres et cet événement a
semble-t-il marqué Marcel Berthet qui s’est mis en tète de battre ce record. En
homme qui ne laisse rien au hasard, il prend le temps de préparer sa tentative
dans les meilleures conditions. Simple
amateur, il enlève le record au professionnel. La maison Dunlop lui ayant
offert une prime de 200 francs, il fut disqualifié à vie.
En 1908, la
notoriété acquise grâce au record, il décide alors de faire une carrière de
champion professionnel. Le père, qui travaillait dans la banque, accabla son
fils. Marcel Berthet savait que sa fortune n’était pas à un guichet de banque,
mais dans ses mollets et surtout dans sa volonté inébranlable de fervent cycliste.
Il quitte le domicile paternel. Il
prend le départ du Tour de France qu’il abandonne après seulement trois étapes,
Marcel Berthet n’est pas fait pour ce genre d’épreuve et il revient très vite
sur la piste. Malgré une pointe de vitesse insuffisante il obtient
régulièrement des accessits dans les épreuves des " six jours ".
Il part courir à l’étranger en Belgique et en Allemagne où il décide de faire une nouvelle tentative du record du
monde de l’heure le 12 septembre 1909. Un vent trop fort le contraint à mettre
pied à terre avant terme ayant réussi malgré tout à améliorer son propre record
du monde des dix kilomètres.
Jusqu’en 1912, Marcel Berthet reste
le détenteur du record de l’heure, puis le grand champion suisse Oscar Egg s’en
empare une première fois déclenchant un combat épique entre les deux hommes. En
sept ans, le record du monde de l’heure venait de progresser de 3,727 km, signe évident du très haut niveau atteint par
ces deux hommes. La guerre porta un coup d’arrêt au duel entre les deux hommes.
Ces performances méritent un
immense respect quand on songe à la qualité du matériel utilisé à cette époque,
pas d’aluminium, pas de carbone, des méthodes d’entrainement rudimentaires, pas
de calcul de fréquence cardiaque, pas ou peu de connaissance en diététique.
Même le dopage en était encore à ses balbutiements
Marcel Berthet améliora son propre
record de 2,255 km alors qu’en 25 ans (1914-1939) les différents recordmen
successifs ne l’ont amélioré que de 2,023 km.
A la quête de l'aérodynamisme
Il est important de noter que
l’émulation de ce duel fit fortement progresser le record mais également la réflexion sur la technologie afin
d’améliorer les machines et diminuer la résistance de l’air.
Marcel Berthet avait ses
« combines », il fut le premier à porter des maillots de soie, il
mettait les lacets dans ses chaussures et se passait les cheveux à la gomina.
A l’aube de la guerre de 1914, le
voici en contact avec un jeune ingénieur
aéronautique Etienne Buneau-Varilla, qui avec son aide réalise un vélo doté
d’un carénage en forme d’œuf allongé, le " vélo-torpille ".
La forme très étudiée, malgré son
volume permet de vaincre la résistance de l’air. C'est ainsi qu’au cours
d’essais au Vel
d’hiv qu’il
fit sur le kilomètre, départ arrêté ou lancé, il bat le record du monde de 8
secondes. Le record sur 5 kilomètres est
battu d'une minute 4 secondes. Sur 10 kilomètres il dépasse les 50km/h.
En 1914, il
devient soldat et entre dans l’aviation de chasse, où il est instructeur. En
1918, la guerre finie, il reprend les courses. En 1921, il gagne les six jours
de Bruxelles. En Italie, il est reçu triomphalement après avoir battu
Girardengo, le Coppi de l’époque.
Ne rajeunissant pas, il quitte le domaine
de la compétition mais ne peut renoncer
à la piste. De 1927 à 1933 on le retrouve juge ou arbitre au Vel d’hiv où on l’appelle
« l’élégant Marcel » il arbitre les « Six Jours » avec Bob Desmarets, dont la fille Sophie
deviendra vedette de cinéma.
Par son mariage
avec la fille de Mr Tron, Marcel Berthet s’associe avec son beau-frère et
fabrique à Pont-Saint-Pierre la célèbre « Selle idéale » Profitant de
sa notoriété pour développer l’activité commerciale de la société, l’entreprise
familiale qui depuis 1927 était devenue une société anonyme est rebaptisée
« Tron & Berthet S.A ». Homme d’affaire avisé, il est très impliqué
dans la gestion de l’entreprise spécialement à partir de 1931, date du décès de
son beau-père Jean-François Tron, fondateur de l’établissement à Paris en 1890.
1931 Sur la droite, en compagnie de Joséphine Baker |
Son passage dans l’aviation l’avait
introduit dans un autre milieu. Le voici en contact avec la maison Caudron, le
constructeur d’avion et l’ingénieur Marcel Riffard aérodynamicien réputé. Ils préparent un projet fou : battre le
record de l’heure en roulant à 50 km/h.
A 46 ans il s’entraine et sait qu’il
réussira.
Le vélodyne est né. Les essais durent huit
mois en soufflerie chez Caudron-Renault
Le 8 septembre 1933, avec son
"engin" Berthet parcourt 48,664 km dans l’heure. Déçu, il se remet en
piste au Parc des Princes, mais sa tentative est interrompue après 40 minutes,
sur crevaison.
Après quelques modifications et par trois
fois, les essais échouent. Une douloureuse chute parait même mettre fin à ses tentatives. Mais c’est
méconnaitre la ténacité de Marcel
Berthet.
Le 18 novembre 1933, les vélodromes
parisiens n'étant pas disponibles, il se présente sur la piste de 2,5 km de Montlhéry, le temps
est maussade, malgré des flaques d’eau et une zone de ciment neuf qui fait
patinoire, Berthet s’installe sur son deux-roues, ferme la porte de
l’habitacle. Il sait qu’il n’est plus le Berthet d’il y a un mois et demi. Dix
spectateurs seulement sont présents, amis, mécaniciens qui regardent le nom
peint sur la curieuse machine : « Vélodyne ».
Bien qu'il ait en vérité dépassé les 50km
dans l’heure, puisqu’il accomplit 20 tours de piste, mais la piste de
l’autodrome n’étant reconnue au point de vue cycliste, qu’à 2496 mètres de tour
au lieu de 2500, le record est officiellement homologué à 49.922 km/h.
Marcel Berthet sera déçu par le résultat
officiel. « plus de 10 fois j'ai évité la chute, il me fallait éviter
les flaques d’eau déclara –t-il, " cela me console, car ce record, je le
fais pour moi, pour le sport, pour ma satisfaction personnelle et je n’ai aucun
intérêt… ". Pas de contrat faramineux à la clé. Le sport pour le
sport. Autre temps autre mœurs.
Le vélodyne n’eut pas d’avenir, Berthet y
croyait pourtant.
Il crée alors sa propre pédale « la
Berthet-Lyotard en collaboration avec Pierre Lyotard, pédale légère (190 g )
caractérisée par sa plate-forme confortable, sa « langue » permettant
un clipsage du pied plus facile. Pierre Lyotard possédait une entreprise dans la
région stéphanoise, disparue dans les années 1980. Elle a notamment
fabriqué les pédales en caoutchouc blanc
qui ont équipé les fameux « Solex ».
Tron et Berthet
A partir de
1933, il participe à la commercialisation des selles "Idéale". Son
ami Daniel Rebour lui suggère de vendre
des selles cuir déjà rodées c’est-à-dire assouplies, d’où l’appellation
"rodée main selon Daniel Rebour". Le cuir est estampillé TB, initiales de Tron et
Berthet. que l'on retrouve également sur le nez métallique du bec de selle qui
cache la vis de tension.
Positionnée dans le haut de gamme, l’entreprise n’a pas pu survivre face à la
concurrence des produits vendus à bas prix, elle fut contrainte à la fermeture
en 1980.
Un peu avant 1950, son entourage voit
Marcel Berthet décliner, maigrir à vue d’œil, perdre toute vitalité, avec des
douleurs dans les articulations, vomir toute nourriture. Les médecins se
succèdent, avec des diagnostics
contradictoires et des traitements différents.
L'analyse d’une mèche de ses cheveux
révèle l'existence d’une intoxication à l’arsenic. L’affaire fait grand bruit.
De nombreuses rumeurs circulent, finalement une vieille gouvernante est mise en cause et est emprisonnée à Evreux.
Marcel Berthet décède le 07 avril 1953
.
L’œuf de Berthet
Le "vélo-torpille" est
remarquable par la simplicité de construction. Il est constitué par une
carcasse légère en bois courbé recouverte par une toile parfaitement tendue
identique à la voilure de parachute. A l’avant de cette charpente le tissu est
remplacé par du celluloid en feuille mince et transparente ce qui permet au
cycliste de voir parfaitement sa route. Le coureur est entièrement enfermé dans
l’appareil ; seule sa tête peut émerger par un trou disposé à la partie
supérieure. Il pénètre à l’intérieur de l’œuf par deux portes en bois contreplaqué,
s’ouvrant de chaque coté. A la partie inférieure est aménagée une large
ouverture, de sorte que les chevilles et les pieds sont apparents à chaque coup
de pédale. La carcasse très rigide est reliée à la bicyclette par une armature
en tubes et fils d’acier, qui assure à l’ensemble une indéformabilité absolue.
Le poids total du vélo-torpille (bicyclette comprise) est de 17 kg.
Le vélodyne
Il pèse 14 kg dont 7 pour l’enveloppe qui comprend une partie
inférieure cylindrique et une partie haute profilée en tulipier mince, moulé en
deux épaisseurs. Les bandes de tulipier sont recouvertes d’une toile de carton
identique à la voilure des parachutes de
l’époque, pesant 80g /m², enduite d’un vernis. Au sommet un heaume permet de loger
la tête du coureur, assure la vision et l’aération par une étroite ouverture,
les roues sont entoilées.
Ses records
1905 : premier au Paris –Provins –Paris
1907 : record du monde de l’heure
1909 : record du monde des 10 km
1913 : record du monde de
l’heure: 43,775 km
record de vitesse sur
le km : 57.3 km/h
Sources:
-
revues cyclistes (Plein air, Miroir des sports, La vie au grand air, Sport
illustré),
-
archives personnelles.