Le Manoir de Bonaparte à Napoléon III
Rappel des articles précédents
(1789-1800) (voir bulletins n°1, n°2, n°4) : Le Manoir, petite paroisse pauvre d’environ 360 habitants
vit du travail de la terre et de la batellerie, mais les plus pauvres y
souffrent du chômage créé par le progrès technique : les « mécaniques
à filer », beaucoup plus rapides que les rouets leur ont ôté un précieux
revenu d’appoint, quand les drapiers de Darnétal les ont adoptées et cessé de
donner du travail aux ouvriers à domicile.
La
Révolution amène des changements de noms ; le plus gros propriétaire foncier,
le noble de Coqueraumont est remplacé par le roturier Bizet, de Rouen. Pour les
habitants, le changement le plus important a été le remplacement du vieux curé
traditionaliste, Maille, doyen du prieuré de Perriers, après son refus de
prêter serment à la Constitution, par un ardent révolutionnaire, Jacques
Jérémie Leblond, qui essaie de faire bouger ses paroissiens, qui l’accusent de
les injurier du haut de sa chaire, mais n’hésitent pourtant pas en cas de
besoin à lui confier des missions de représentation puisqu’il est dans les
petits papiers du pouvoir révolutionnaire. Devant leur peu d’enthousiasme, le
curé Leblond disparaît pendant plus d’un an, engagé dans les armées de la
Révolution, et revient en héros après Thermidor, dans un village qui souffre de
la faim et des réquisitions, et ne compte plus que 257 habitants de plus de 12
ans. Tout suggère qu’il est alors l’homme le plus influent de la commune, mais
qu’il n’a plus la même ardeur révolutionnaire.
Nous reprenons la lecture des comptes-rendus du Conseil Municipal en floréal an VIII, soit mai 1800. Nous sommes sous le Consulat, déjà Napoléon perce sous Bonaparte….
Le 5 floréal an VIII, François
Milliard, propriétaire cultivateur, est nommé maire du Manoir par le préfet de
l’Eure, Masson Saint Arnaud (les maires sont maintenant nommés, choisis par la
préfet au sein du Conseil municipal élu : après Thermidor, on se méfie de
trop de démocratie).
Les maires du Manoir jusqu’en 1848
· 1790 le curé
Maille
· 1791 Jean-Baptiste
Leclerc adj. : Tesson et J.Depîtres
· 1792 Jean-Baptiste
Leclerc adj. : Tesson
· 1796 Jean-Baptiste
Tesson adj. : le curé Leblond (an IV,
réélu en l’an V)
· An VIII François
Milliard adj. : J-B Leclerc
· An IX J-B Leclerc
(après le décès de J-F Milliard) adj. : N-Y Pelletier
· An X N-Y Pelletier
après le décès de J-B Leclerc adj. : J-B Tesson
· 1809 J-B
Tesson adj. : Dominique Bisson
· 1813 J-B Tesson adj. : Dominique Bisson
· 1816 J-B
Tesson adj. : Eugène Depîtres
· 1824 J-B
Tesson adj. : Dominique Bisson
· 1826 L-J
Bisson adj. : P.Depîtres dit Boujeau
· 1832 Louis-Jean
Bisson adj. : J-B Depîtres
· 1836 Louis
Dominique Pascal Bisson
· 1848 Dominique
Bisson adj. : J-B Brunel
On
constate donc une grande stabilité dans le choix des maires et adjoints, tous
propriétaires, à deux exceptions près : Leblond, curé, et Pelletier, qui a été
pendant des années secrétaire de la municipalité, et que nous saluons au
passage pour la lisibilité de sa graphie et la qualité de son orthographe…
Pour
mémoire, François Milliard était en 1791 le deuxième acheteur de biens nationaux, après J-B Leclerc, aujourd’hui son adjoint.
Le besoin de soldats
La guerre qui
continue exige de lourds contingents, beaucoup tentent d’y échapper, la chasse
aux réfractaires ou déserteurs s’intensifie…
Le 22 germinal an VIII, une lettre
du préfet demande de fournir « l'état des conscrits et réquisitionnaires
ayant obtenu un congé ou exemption de services, et par quelle autorité et pour
quels motifs », puis en prairial exige le « départ forcé de la totalité des conscrits de l'an VIII »
(512 hommes pour le département)
En l’an IX, on reçoit en mairie « des citoyens de la force armée qui ont demandé à prendre connaissance des tableaux des réquisitionnaires et conscrits de la commune ».
Leurs pouvoirs sont rédigés ainsi :
« Liberté
Egalité, à Évreux le 17 pluviôse an IX de la république française et
indivisible, le général de brigade Laroche commandant le département de l’Eure
au lieutenant Ray : vous pouvez citoyen parcourir l'un après l'autre les
différents cantons de ce département soit pour la poursuite des brigands soit
pour la recherche des réquisitionnés et conscrits retardataires.
Salut, fraternité.»
On convoque en mairie les réquisitionnés et
conscrits du Manoir pour justifier leur congé de convalescence. « Ils se
sont tous présentés sur le champ à l'exception de Jean-Louis Leclerc, fils de
Jean-Pierre. Il nous a été requis par les officiers de la force armée de
déposer chez son père deux fantassins pour y rester chez lui jusqu'à ce que
ledit Leclerc ait justifié pour lui ou qu'il soit venu prendre sa feuille de
route. »
Le système se
révèlera efficace, au bout de deux jours de ce régime, Jean-Louis Leclerc se
présente à la mairie pour prendre sa feuille de route et se rendre au dépôt
militaire d'Évreux. Il déclare en outre avoir payé 12 francs aux deux hommes
qui sont restés chez lui pour les deux jours et leur nourriture : on comprend
que son père ait préféré écourter l’expérience …
La propagande napoléonienne
Bonaparte
a besoin d’hommes, il doit aussi assurer son image. Les maires sont chargés de
lire « publiquement et sans délai » les bulletins de l'armée de la
célèbre bataille de Marengo (14 juin 1800) contre les Autrichiens, dans le
Piémont italien, dont le rapport officiel sera réécrit trois fois…
On
raconte qu’après la bataille, le cuisinier dut se contenter des maigres
provisions collectées (pillées) dans les villages voisins : poulet, œufs,
tomates, écrevisses, pain rassis, huile d'olive... mais que le Premier Consul
trouva excellent ce «poulet Marengo».
On
aura aussi le brun Marengo, le marengo, monnaie de 20 francs or : les produits
dérivés, ça ne date pas d’hier...
Accès de religion, ou de bonapartisme ?
On
reçoit au même moment (messidor an VIII, soit juin 1800) une lettre du
sous-préfet par laquelle il fait réprimande au maire de ce que des citoyens du
Manoir se sont transportés dix jours auparavant à Pont-de-l'Arche,
« rangés en haie » et ont chanté « un hymne latin appelé veni creator ».
Ou bien les citoyens du Manoir ont
décidé de se livrer à des provocations gratuites, ce qui ne leur ressemble
guère, ou bien ils sont allés fêter dignement la bataille de Marengo, obéissant
vraisemblablement à un mot d’ordre non-officiel mais bien dans l’air du temps,
et le sous-préfet fait seulement semblant de s’offusquer : on verra bientôt que
le Veni creator (Viens esprit créateur...) sera le chant du sacre de
l’empereur, et certains diocèses ordonneront alors qu’il soit chanté « dans
toutes les églises du diocèse en action de grâces de l'escaltation (sic) de
Napoléon Bonaparte à la dignité impériale ».
Engagez-vous !
La carrière militaire peut
attirer : en 1809 se
présente en mairie Adrien Flamand, 30 ans, garçon tailleur, souhaitant
s'enrôler pour les services des côtes et des placés de première ligne ;
même démarche de Pierre Manquant dit Magnole, 18 ans, manœuvre chez le sieur
Requer, maître maçon et maire d’Alizay, et pour Étienne Pierre Dominique Tesson,
31 ans, membre de la garde nationale.
Chemins
Détail de la carte Levasseur de 1854 |
Ils sont toujours une des grandes
préoccupations de la municipalité.
En 1801, on se plaint de leur «
grande détérioration, causée par le grand nombre de voitures publiques qui
passent et les détériorent ainsi que les champs avoisinants » (les
voitures roulent dans les champs pour contourner le mauvais état des routes),
mais on n’a pas d'argent pour les réparer.
On ne veut pas des
contournements !
En 1810, une lettre du sous-préfet
demande de s'exprimer sur le projet d'une route de Pont-de-l'Arche à Fleury
traversant la commune du Manoir. Le souhait des élus est de voir cette route
emprunter la grand-rue, alors que le projet, qui sera repris pour aboutir à
l’actuelle départementale passe au-dessus du bourg. En 1825, le conseil
municipal accepte de payer 3000 francs en trois ans à condition que la route
passe dans le Manoir.
Il est à noter que les élus de Pîtres ont exactement la même réaction : on craint avant tout l’enclavement, et on tient absolument à ce que la route passe au milieu du village, quitte ensuite à protester contre les dégradations entraînées par les charrois.
En 1847, sollicitée pour contribuer
à l’établissement d’un chemin d’Ecouis à Alizay, par Houville, Amfreville,
Senneville, Flipou, Amfreville, Pîtres, le Manoir, Alizay, la municipalité
répond que ce n’est pas mieux pour la commune que la grande route numéro 12 de
Bourgtheroulde à Gournay (celle que l’on appelait route de Pont-de-l’Arche à
Fleury en 1810), «plus utile est plus courte pour le trajet d’Alizay à Ecouis
», et que donc elle considère qu’elle n’a pas à contribuer à son entretien.
On voit que la mise en place de routes suscitait déjà de nombreux débats et pouvait prendre beaucoup de temps, mais c'était aussi pour les communes un des postes de dépenses les plus importants.
La fouille d’un mètre cube de
cailloux est payée 33 centimes de franc, son chargement en brouette 20
centimes, et son transport sur 30 mètres 10 centimes : même sans calculette,
on peut s'apercevoir qu’il fallait travailler dur (un m3 de caillou pèse
environ deux tonnes).
Insécurité
Les années de la Terreur, les troubles
du Directoire, la famine, les guerres ont laissé un vide d’autorité dans lequel
le brigandisme s’installe...
Le 28 vendémiaire
1800, ordre est donné
au citoyen Bisson, capitaine de la garde nationale, de demander un nombre
d'hommes suffisant pour monter la garde chaque jour et surtout la nuit.
Le 12 ventôse an
IX, soit après l’attentat royaliste de la rue saint-Nicaise auquel Bonaparte
n’avait échappé que de justesse, on reçoit une lettre du préfet « portant le
signalement de quatre scélérats qui ont dirigé et exécuté l'attentat du 3
nivôse contre la personne du premier consul », et une relative aux brigands sur
les routes qui attendent les malles et les voitures pour les piller.
Années perdues…
2 messidor an X, c’est
la dernière date rédigée selon le calendrier révolutionnaire que nous trouvons
dans les registres, avec un petit mystère : messidor an X, c'est juin
1802, or le registre reprend, sans interruption, le 1er janvier 1808, donc 6
années ont disparu… pendant lesquelles Napoléon s’est couronné empereur (2
décembre 1804), et Nicolas-Yves Pelletier a été nommé maire du Manoir (15
décembre 1807).
Par ailleurs,
pendant les années qui suivent on trouvera surtout des faits divers, auparavant
peu présents : les maires ont vu leur rôle réduit par Napoléon au maintien de
l’ordre public.
Le Manoir réclame un curé
En
1809, le préfet demande la fermeture de l'église du Manoir, faute de prêtre, et
rattache le Manoir à l'église de Pîtres, provoquant un tollé dans la
population, qui accumule les arguments contre cette mesure : l’église de Pîtres
à une demi lieue, elle est trop petite pour accueillir 400 âmes du Manoir –le
chiffre paraît d’ailleurs un peu exagéré, même en comptant les nourrissons et
les impotents-, la distance trop grande pour les enfants qui vont au
catéchisme, et surtout en plein hiver. En conséquence de l'avis général du
conseil et de la population il est décidé de proposer au préfet et à l'évêque
de fournir un traitement annuel de 500 francs, un logement convenable et décent
pour un ecclésiastique, d'entretenir l'édifice religieux, et de fournir les
meubles et objets nécessaires au culte.
Le 15
avril, le conseil confirme les propos du 15 janvier, à savoir que les habitants
du Manoir se sont rendus à l'église de Pîtres et « ont dû rester dehors
dans la froidure de l'hiver à cause de la petitesse de l'église ». Ils
demandent par lettre au préfet et à l'évêque l'autorisation de maintenir le
culte au Manoir.
Puis on n’entendra plus parler du
problème avant 1838, date à laquelle on comprend qu’une autre solution avait dû
être trouvée : avoir recours aux services du curé d’Alizay, puisque à l’occasion
d’une demande de paiement du logement du desservant adressée par la commune
d’Alizay, le conseil proteste, avançant qu’il est « surpris par la demande
d'Alizay qui n'avait jamais rien demandé, est riche, alors que le Manoir est
pauvre, paie le desservant et a dû réparer l'église : on refuse
« formellement ».
On décide par ailleurs ce jour-là que le mur du cimetière sera refait en « bizare*».
* une hypothèse, non confirmée, est qu’il s’agit d’un
mélange de matériaux (bi- = deux)
Faits divers
En
janvier 1808, on enregistre la déclaration de grossesse de Marie Catherine
Depîtres.
Ce type de déclaration avait été
rendu obligatoire pour les femmes non mariées par un édit d’Henri II, en 1556,
pour éviter les avortements et les infanticides. Cette obligation
était tombée en désuétude au XVIIIe siècle, et la Révolution et le Code
civil y avaient mis définitivement fin, mais certaines femmes continuèrent à
faire cette déclaration, qui permettait que le poids financier de l'éducation
de leur enfant soit pris en charge par la collectivité lorsque le père ne
voulait pas le reconnaître et qu'aucun candidat au mariage, et donc à la
reconnaissance de paternité, ne se présentait.
Sorcellerie
En 1809, Jean-Louis Rivette,
pêcheur, amène en mairie une "gabe", ou "gobe", "un
poison qui pourrait faire périr tous les bestiaux". Il déclare l'avoir
trouvé dans son jardin avec d'autres et sans en connaître les dangers, les
avoir jetés sur le côté et enfouis. Il ajoute que la femme du nommé Loisel qui
s'est disputée avec son époux un mois plus tôt lui a fait des menaces : « je
suis partie pour faire un voyage qui te coûtera cher », c'était pour aller
trouver son mari qui gardait les moutons sur la commune d’Ymare. Le procès-verbal est adressé au sous-préfet de Louviers.
Il sera classé sans suite, ce qui
était sans doute très raisonnable, mais dommage pour nous...
Une haine qui dure
On
trouve en 1816 le procès-verbal d’une rixe entre deux femmes, Marie-Lise
Revert, fille de Pierre Revert, puis trois ans plus tard, en 1819, une plainte
de Pierre Revert : « sa fille Marie Catherine a été agressée par Marie
Lefebvre, sa voisine, qui lui a donné deux coups de manche à balai sur la
figure... elle en a eu le visage ensanglanté... en la menaçant tôt ou tard
qu'elle aurait sa mort.» Cette Marie-Catherine est la sœur de Marie-Lise étant
déjà citée dans la rixe de 1816...
Révocation du garde-champêtre
Le 1er mai 1824, à la suite de plaintes des habitants
contre Jean-Louis Leclerc, lui reprochant de ne pas garder propriétés et
récoltes car il a trop d'occupations, entre autres aller à Rouen vendre des
fruits...
1830 La monarchie de juillet
Charles X, qui
croyait pouvoir en revenir à l’Ancien régime, est chassé à la suite de trois
journées de barricades à Paris (les Trois glorieuses), et remplacé par
Louis-Philippe, le « roi bourgeois ».
Garde nationale
Elle est théoriquement composée de
tous les Français âgés de 20 à 60 ans mais la loi n'appelle au service
ordinaire que ceux qui ont les moyens de supporter les frais d'habillement et
d'armement. Aussi n’y trouve-t-on que des hommes aisés, ce qui lui donne son
caractère de milice bourgeoise, rempart des propriétaires contre le désordre.
Sa composition permet donc de repérer les notables de la commune.
Le 5 décembre 1830 on élit
l'encadrement pour les communes d’Alizay et le Manoir : Louis Milliard est élu capitaine et Jacques Nicolas
Milliard lieutenant. Puis en 1831 de nouvelles élections ont lieu pour le
Manoir seul dont la garde est composée de 70 hommes* : Deshais Philippe est élu capitaine, Depîtres
Jean-Baptiste, officier en retraite, lieutenant, Brunel Jean-Baptiste sous-lieutenant, Bisson Dominique Augustin
sergent major.
* ce chiffre nous a paru élevé, mais il comporte le service
de réserve. Le véritable service est appelé "ordinaire", et lui seul
est effectif et composé des habitants les plus aisés.
A noter que l’on trouve là les
noms des futurs maires et adjoints.
Aux élections communales de 1831, le
droit de vote venant d’être élargi par l’abaissement du cens de 300 à 200
francs, on ne trouve pourtant que 23 électeurs réunis pour élire les
conseillers. Bisson Louis Dominique Pascal, cultivateur, Brunel Jean-Baptiste,
marinier, et Depîtres Jean-Baptiste, cultivateur, arrivent en tête x-aequo avec
20 voix chacun, suivis par Bisson Louis Jacques, le maire en fonction, 17 voix,
et Depîtres Jean-Pierre, son adjoint, 15 voix, comme Milliard Jean-Baptiste,
cultivateur propriétaire, Deshaies Philippe Lambert, capitaine de la garde ….
les autres conseillers sont un Bisson, un Leclerc, et un Deshaies, maçon. Il y
a donc dans le conseil deux non-agriculteurs : un marinier et un maçon.
Ecole
Le
27 janvier 1834, on
dresse l’état des indigents pour les écoles, conformément à la loi Guizot de
1833. Ils sont au nombre de 18.
La loi
Guizot oblige chaque commune de plus de 500 habitants à ouvrir et à entretenir
une école de garçons ; l’école n’est pas encore obligatoire, mais elle doit
être gratuite pour les plus pauvres.
Puis on verra, conformément à la loi du 22 avril 1836, une institutrice qui vient présenter en mairie son brevet de capacité, brevet du deuxième degré délivré par le recteur de l'académie de Rouen..
Nous ne savons pas
où se faisait la classe, car il faut attendre 1845 pour que soit mentionné l’achat d'un terrain pour
l'école, près de l'église.
Un document intéressant: la liste des plus imposés en 1835
Bizet
(Rouen) 925, veuve Martin (Manoir) 204, Levavasseur (Rouen) 161, veuve Depîtres
Jacques (Manoir) 80, Tesson Jean-Pierre (Alizay) 67, Perrier Daniel (Rouen) 61,
Leclerc Jean-Baptiste et Louis 55, Delaporte (Pont-de-l'Arche) 54, veuve Tesson
Jean-Baptiste 47 Darcel (négociant à Rouen) 35.
Les trois quarts de la propriété
sont donc aux mains de non-résidents, le principal changement apporté par la
Révolution étant que les biens confisqués aux Caillot de Coqueréaumont, barons
de Pont-Saint-Pierre, ont été rachetés par les Bizet, négociants de Rouen.
Faits divers, vols, violences
Le 6 juin 1832,
une plainte est déposée par Jean-Baptiste Tesson, pour insultes faites à son
épouse par Marie Leclerc, veuve Revert : «ayant vomi les imprécations ci-après
détaillées avec les plus grands torts », ce qu'elle reconnaît. «Vu les regrets
faits devant nous par ladite Leclerc, nous n'avons pu faire autrement que de la
prendre en commisération […] malgré que les injures sont strictement
audacieuses contre la susdite dame Tesson […] la veuve Revert a dit à dame
Tesson qu'elle était une voleuse et qu'elle avait montré son cul à tous les
meuniers et que son beau-père avait volé la commune». La veuve Revert a préféré
payer les assignations et autres frais et être garantie des preuves qu'elle
était apportée de subir (il faudrait sans doute comprendre : "d’épreuves
qu’elle était à portée de subir", l'orthographe étant souvent
approximative.)
1835 – disparition
d'une femme de 63 ans, on présume « qu'elle a tombé à la rivière »
-
interdiction de récoltes ou de pâture sur les champs privés, de cueillir des herbes
dans les « ozrais » (oseraies) et sur les prairies artificielles : les
habitants pauvres semblent avoir gardé les habitudes du temps des communaux
– 1837, plainte
pour vol chez la veuve Modeste Tesson, préjudice environ 15 fr. en pièces de un
franc d'argent, en demi francs et 10 liards, trois quarts de carte pour faire
des cols de chemise. De lourds soupçons sur un dénommé Langlois dit Bourdet,
marchand de harengs à Alizay
– plainte
de Mlle Catherine Tesson (27 ans) servante chez Jean-Jacques Leclerc pour coups
au visage par le sabot de la veuve Eugène Depîtres.
– 1843,
plainte de Vincent Langlois, cultivateur, pour vol : porte forcée, ainsi
qu’une armoire, 700 francs cachés dans les draps ont disparu, les voisins n'ont
rien entendu
– vol avec
effraction de 30 francs cachés dans l'armoire, chez Leclerc Élisabeth
– 1844,
plainte de Maillard Augustin, conducteur du bateau-drague : de petits bateaux
en fer servant à l'exploitation de la drague ont été coulés en coupant les
cordages, «par une
infâme malveillance »
– vol chez Monique
Leclerc, veuve Guernier, sans effraction, de 80 francs dans un gobelet
d'argent, et de monnaie soit 96 francs en tout.
1845
– veuve
Leclerc : 294 francs, même procédure, pas de soupçons, mais le lendemain,
l’argent a été rapporté «déposé sur le seuil de la porte de son étable à vache»
et retrouvé en présence de témoins ….
– des vols
de bois causent une altercation avec un habitant de Pîtres, arrêté par le
berger de la ferme de l’Essart.
Le droit au suffrage
Le
24 mars 1834, le sieur Bisson Louis Dominique Pascal a déclaré céder à son fils
Bisson Dominique Augustin la somme de 30 francs de ses revenus fonciers pour
qu'il ait le droit d'être électeur censitaire de la commune.
Ceci rappelle que le suffrage est resté censitaire, réservé à ceux qui paient une somme minimale d’impôts : la France ne compte que 246 000 électeurs en 1847, pour environ 36 millions d’habitants.
Le conflit avec Pîtres
Le différend qui
existe entre les deux communes n’est pas encore réglé. Ainsi en mai 1821 on
trouve huit pages de délibération sur les frontières avec Pîtres et en 1835 des
échanges de terrains ont lieu entre les deux communes, entérinés ou décidés par
une lettre à en-tête de Louis-Philippe, signée par Adolphe Thiers, qui tranche
provisoirement le conflit : la pointe Quenet n'est pas à Pîtres, les terrains
en liseré vert sur le plan numéro 2 sont au Manoir...
Mais l’année
suivante, à propos des bornages,
l’affaire reprend, et on évoque à nouveau les actes de 1642 et de 1822, et en
1841 on procède encore à des délimitations.
Les terres
En
1836 on procède à un classement des terres et des tests faits sur trois
propriétés, Levavasseur, veuve Martin et Jean-Baptiste Milliard, montrent une
proportionnalité entre estimations et revenus réels. Le classement est donc
approuvé.
L’insuffisance
des revenus de la commune est signalée trois fois au préfet.
L’arrivée du chemin de fer, le pont
En 1841, à propos d’un projet de pont sur
la Seine, on signale qu’il y a préjudice pour la commune, car le pont pourrait
provoquer une embâcle de glace comme à Pont-de-l'Arche, et on demande qu’un
chemin soit prévu sur ce pont.
En 1842, les friches de Saint-Martin (43 ha 39 ca) sont vendues à la compagnie de chemin de fer pour 12 francs l’hectare.
Communaux
En 1842 on met en location les communes
pâtures « à condition que chaque locataire soit tenu de cultiver et ensemencer
en bon ménager, en se conformant à l'usage du pays sans pouvoir y faire aucune
détérioration »
Carrières
En 1843,
l’autorisation est donnée d'ouvrir une carrière, pour «itirer du bloc».
Noyer
On vend aux enchères un noyer, « qui
devra être arraché avec racines dans un délai d'un mois ». C’est Victor
Eugène, sabotier, qui l’achète pour 25 francs.
Pauvres
En 1847 a
lieu une réunion sur convocation du sous-préfet pour voter des ressources pour
les pauvres : le Manoir déclare 12 pauvres, que « jamais ses
indigents n'ont été mendier hors commune », qu’il est donc inutile de créer des
ressources extraordinaires; La liste des ces 12 pauvres est dressée : elle
comporte 8 femmes, dont 4 veuves. On leur affecte 100 francs.
En mars 1848, l'hospice de
Pont-de-l'Arche réclame 151
francs pour le séjour de Forfait Désiré Amédée, de père et mère indigents, père
infirme, fille épileptique, deux enfants chargés de famille. On lui répond :
« Les ressources de la commune sont absorbées par l'indispensable, et sont
en déficit. Les autorités n'ont pas été consultées pour l'entrée à l'hospice de
cet individu qui est un ouvrier employé au chemin de fer, qui a reçu sa
blessure sur la ligne et a été envoyé à l'hospice par M. le chef de la station
dudit chemin de fer à Alizay », donc refus.
En mai 1848, « sous la présidence du
citoyen maire » (la Révolution qui a lieu en février a chassé Louis-Philippe
et remis au goût du jour le vocabulaire républicain), on fait lecture d'une
circulaire du département de l'arrondissement, demandant de « subvenir le plus
promptement possible à la subsistance de la classe ouvrière partout où les
travaux habituels seraient suspendus et secourir à domicile les indigents et
les ouvriers invalides afin d'ôter tout prétexte à la mendicité et au
vagabondage »
On prévoit
des travaux de terrassement pour occuper les ouvriers sans travail*, on procède
à un recensement : 20 personnes valides et 3 âgées ou malades. Le salaire sera
de un franc par jour et 90 centimes par mètre cube de caillou. Sur les 942
francs placés au Trésor, 400 seront dédiés aux secours.
* C'était la solution que le gouvernement de la IIème
république avait trouvée pour régler le problème du chômage : organiser de
grands chantiers de terrassement : voirie, urbanisme, etc. capables de
mobiliser beaucoup de main-d'œuvre. Il lui manqua surtout de quoi payer les
salaires, ce qui aboutit à l'insurrection de juin et à la rupture entre les
ouvriers et la République.
Les traces des changements opérés au
niveau national sont peu nombreuses, sauf peut-être l’arrivée en tête aux
élections du 30 juillet 1848 d’un homme nouveau, Rousselin Célestin, suivi des
« habituels habitués ». Seront néanmoins retenus Bisson Dominique,
maire, et Brunel Jean-Baptiste, adjoint.
Presbytère
En
1851, un projet de presbytère est estimé à 420 francs pour le terrain et 8000
francs de travaux.
Une souscription volontaire de 600 francs des habitants est alors prévue, accompagnée d’un emprunt qui sera remboursé par un impôt extraordinaire de 20 centimes par franc.
Serments
Ils
changent au gré des régimes...
mai 1852 :
« je jure obéissance à la Constitution, fidélité au Président »
octobre
1852 «... au Président et à la Constitution » l’ordre est inversé...
février
1853 : « obéissance à la Constitution et fidélité à l'Empereur »
Le conseil y ajoute une adresse à
l’Empereur à l'occasion de son mariage avec Eugénie de Montijo :
«
Sire, le bonheur, la satisfaction et la joie que nous éprouvons en voyant nos
vœux sympathiques si bien réalisés par l'union solennelle que vous venez
d'accomplir, vous promettez au pays une descendance directe destinée à
soutenir, à perpétuer la force et la gloire de cette couronne qu'ont relevé la
volonté de Dieu et la reconnaissance nationale.
Vive l'Empereur,
vive l'impératrice !»
... ce qui est beaucoup plus
respectueux que l'épigramme qui circule alors anonymement dans Paris :
Montijo, plus belle que
sage
De l’Empereur comble les vœux.
Ce soir, s’il trouve un
pucelage C’est que la belle en avait deux !
Annexe 1 - Les richesses d'une veuve en 1800.
Le 6 messidor an VIII, soit le 25
juin 1800, on établit, à la suite du décès de Marie-France Tesson, veuve
Hébert, un état de ce qu'elle laisse à ses héritiers, François Hébert, présent
lors de l'inventaire, et Jean-Baptiste Hébert, absent car défenseur de la
patrie.
Ces états de succession se trouvent en général dans les archives notariales, mais celui-ci se trouvait glissé dans le registre des délibérations du conseil municipal du Manoir.
On y détaille d'abord les instruments de fer, servant au feu : une crémaillère, un vieux gril, un chenet, un bout de pelle à feu, une pincette, et un crémaillon.
Viennent ensuite trois vieilles
marmites, dont deux sans couvercle, une chaudière de fer, une d’airain, une
brochette à rôtir
La
vaisselle est très modeste : trois plats, six assiettes, sept cuillères (on
notera l'absence de fourchettes) et deux bouteilles de verre : elles ont donc
suffisamment de valeur pour qu’il vaille la peine de les noter.
On note
aussi un très petit miroir, puis le mobilier, qui se compose de deux chaises,
une table et un banc, trois coffres, contenant une vieille chemise, deux
bonnets, trois jupons, un bois de lit, avec paillasse, oreiller et une
couverture. S’y ajoutent une balance de bois, une force à tondre les moutons.
Un rouet se trouve au grenier : il nous rappelle que les habitants pauvres du
Manoir n'ont plus de travail à domicile depuis que les drapiers de Darnétal ont
cessé de leur en envoyer, s’étant équipés de machines à filer mues par la force
de l’eau, comme en Angleterre.
Annexe 2 - Une déclaration de grossesse
«... quelle ma
déclarée destre en saintes de viron six mois et demy... "les
problèmes des Français et de l'orthographe ne datent pas d'aujourd'hui.
Sources :
Archives municipales du Manoir sur Seine, registres des
conseils municipaux