L’ancienne église du Manoir
La commune du Manoir possédait une
église ancienne, dédiée à Saint-Martin, qui fut détruite pendant la seconde
guerre mondiale lors des bombardements du pont de chemin de fer. Elle a été
remplacée par celle que l’on connait aujourd’hui, construite au début des
années 50.
On connait cette église et son
emplacement grâce à d’anciens plans, des photos, des cartes postales. Il en
subsiste quelques vestiges visibles in situ ainsi que quelques éléments de
statuaire et de mobilier sauvés de la destruction et placés dans l’édifice
actuel.
Deux plans conservés aux Archives
Départementales nous permettent de la localiser :
– un
plan de 1787, «plan géométrique de la paroisse du Manoir sur Seine divisé
en trois parties, levé par Pierre Renault arpenteur royal à Pont de l’Arche par
les soins de Louis Nicolas Paul Maille, curé de laditte paroisse» ADE 2 pp
110.
– le
plan cadastral dit « napoléonien » de 1831 terminé sur le terrain le
1er septembre 1831 sous l’administration de M Passy, préfet, M
BISSON, maire….. par M Girard, géomètre de 1ere classe. (ADE III pp 735)
Elle était située au triège des Vignettes près de la route d’Alizay. En face se trouvait le presbytère composé de plusieurs bâtiments répartis sur un terrain en triangle dont certains ont disparu au début du XIXe siècle. L’église était entourée de son cimetière.
Son
allure générale donnée par le plan de 1787 est celle d’une construction simple
à une seule nef surmontée d’un clocher avec flèche ce que confirment les photos
et cartes postales du début du XXe siècle, qui par ailleurs nous
permettent de préciser quelques détails :
– la
nef est prolongée par un chœur en léger retrait ;
– les
murs sont construits en brique et moellons de calcaire ;
– la
couverture de la nef est en tuiles, celle du clocher en ardoises.
L’essentiel de l’édifice semble dater du XVIe siècle, comme c’est le cas pour de nombreuses églises de la région mais une petite ouverture romane qui apparait sur le mur nord du haut prouve l’existence d’un bâtiment antérieur. Les documents iconographiques montrent également de larges baies cintrées ouvertes dans le mur de la façade ouest aux XVIIe, et XVIIIe siècle. On aperçoit aussi une construction rectangulaire, la sacristie, qui flanque le mur nord de la nef.
Des travaux au XIXème siècle ont permis de maintenir cette église en bon état ; en 1865 le pignon ouest est rebâti et une grande porte d’entrée est posée ; on entreprend aussi des travaux de maçonnerie sur la voûte. En 1882 le cimetière est agrandi grâce à une donation de terrain. En 1885 le pavage de l’allée centrale de la nef est refait à neuf là encore grâce à une donation.
Cette église fut détruite par les
bombardements intenses que subit la commune de mai à août 1944.
Aujourd’hui il ne reste qu’un amas
de pierres à son emplacement, constituant une sorte de terre-plein dans
l’ancien cimetière. Quelques pièces furent heureusement sauvées. Elles sont
maintenant déposées dans la nouvelle église.
C’est le cas d’une plaque
commémorative en calcaire de 55 cm de hauteur sur 35 cm de largeur qui comporte
une dédicace gravée : elle nous apprend que le jour de la Saint-Michel en
septembre 1519, l’évêque de Veriense* est venu consacrer l’église en présence
du curé, ce qui corrobore l’exécution d’importants travaux, voire la
reconstruction de l’église en ce début du XVIe siècle.
* Nicolas de Cauquainvilliers ou Coquinvilliers, évêque de
Viane ou Veriense, prieur de Saint- Laurens-en-Lyons et suffragant de
l'archevêque de Rouen.
Une autre pièce
remarquable sauvée des destructions de la guerre est la charité de Saint-Martin
exécutée au XVIe siècle. On y reconnait la scène habituelle de
Saint-Martin à cheval en train de partager son manteau avec un pauvre. Le
saint, soldat romain du IVe siècle après JC est ici représenté comme
un chevalier du XVIe siècle, vêtu d’une tunique à plis, chaussé de
bottes montantes et coiffé d’un chapeau à aigrette. Le mendiant est de
dimensions plus réduites. Il est torse nu et s’appuie sur un bâton. Le groupe
est sculpté dans le calcaire et garde des traces de polychromie, notamment du
rouge, du bleu et de l’ocre-jaune.
Un fragment de retable en pierre du
XVIe siècle fait aussi partie de ces œuvres appartenant à l’ancienne
église et aujourd’hui à l’abri dans la nouvelle. Sa partie inférieure est
abîmée et il manque les deux ailes latérales dont on ne voit plus que la partie
moulurée sur les côtés. Il représente une crucifixion avec ses trois
personnages principaux : le Christ et les 2 larrons. Le Christ a un corps
mal proportionné avec un long buste, de petites jambes et des bras
graciles ; mais la tête est traitée avec beaucoup de détails. Les deux
larrons sont accrochés sur des tau : le bon larron, la tête redressée vers
le haut (vers le ciel) est surmonté d’un ange. Le mauvais larron, la tête
renversée vers le bas (vers l’enfer) est cimé d’un diable qui emporte son âme.
D’autres personnages apparaissent sur le tableau notamment des cavaliers dont
l’un muni d’une lame s’apprête à transpercer le flan du crucifié, et des
angelots portants des calices destinés à recueillir le sang du Christ.
Deux
statues ont également été sauvées : une Sainte Barbe et une Vierge à
l’Enfant datées toutes les deux du XVIe siècle et taillées dans du
calcaire.
Sainte Barbe apparait près de la
tour dans laquelle elle a été enfermée par son père. Les proportions du corps
semblent là aussi disproportionnées, d’autant plus qu’une vilaine restauration
en ciment lui a donné un cou de girafe. La sculpture a gardé une grande partie
de sa polychromie.
La
vierge à l’Enfant montre Marie vêtue d’une robe rouge et d’un manteau bleu
retenu par une cordelette ; elle tient l’enfant Jésus sur son bras gauche.
De longs cheveux bruns tombent sur son manteau.
Mais la pièce maitresse de ces
éléments anciens ayant appartenus à l’ancienne église est incontestablement le
lutrin en chêne de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe ;
il est composé d’un socle à deux pieds supportant quatre panneaux au-dessus
duquel s’élève un double pupitre. Un système à vis permet de régler la hauteur
du pupitre. C’est l’ornementation des panneaux qui est particulièrement
remarquable et riche : on y voit aussi bien une croix surmontée d’un IHS
(Iesus Hominum Salvator : Jésus Sauveur des Hommes) qu’un dragon formé
d’entrelacs ou encore des lettres AM (Ave Maria : je vous salue Marie)
ornées avec des fleurs de lys, symboles de la Vierge. Ce lutrin provient peut-être
de l’ancien prieuré des Deux Amants qui aurait aussi fourni à l’église
Saint-Martin des stalles dont il ne reste rien sauf des photos.