5 avril 2023

Hubert Terry, amoureux de la nature

Hubert Terry, amoureux de la nature
Hubert Terry 

un champion de la nature à Amfreville-sous-les-monts



« Quel est, du Vespertilion de Natterer et du Vespertilion de Bechstein, celui dont l'oreille présente le tragus le plus développé ? »

Hubert Terry opte pour Bechstein et perd 3,7 millions de francs, une fortune qui lui aurait permis de se consacrer entièrement à la zoologie et de faire monter les 12 000 m de pellicules dont il voudrait faire un film.

Depuis cinq semaines il gagne dans l’émission « Le gros lot » qu’anime Pierre Sabbagh, mais après avoir beaucoup hésité, il vient de donner la mauvaise réponse au grand dam de tous ses supporters.

Nous sommes à la fin des années 50, peu de gens ont encore la télé, mais cela ne l’empêche pas d’être un champion que tout le monde connaît. Jusqu’à ce jour, ses connaissances en matière de sciences naturelles ont ébloui les téléspectateurs.

C’est pourquoi, lorsque, sûr de son savoir, il refuse que sa réponse ne soit pas acceptée, et proteste hautement contre la chaîne (il n’y en avait que deux à l’époque), on ne voit pas en lui un mauvais perdant mais on le prend au sérieux et on le soutient. La question affirme-t-il, était mal posée, et c’est pourquoi il a choisi cette réponse que la chaîne considère comme erronée, mais de nombreuses sommités de la biologie ou des sciences naturelles le soutiennent vigoureusement, comme le très célèbre Jean Rostand.

Hubert Terry, amoureux de la nature - Jean Rostand, à droite et quelques experts examinant les possibilités de recours d’Hubert Terry
Jean Rostand, à droite et quelques experts examinant les possibilités de recours d’Hubert Terry

Il avait raison, mais n’a pas les moyens de se lancer dans la bataille du pot de terre contre le pot de fer, et renonce à une somme qu’il voulait investir dans le montage du film animalier.

Il était né en 1920, en Inde, fils d’une rouennaise et d’un père de nationalité anglaise, chef de police à Delhi, grand chasseur de tigres mangeurs d’hommes. C’est en élevant au biberon un petit tigre qu’il engage son rapport avec les animaux. Puis, orphelin, il est placé à 13 ans par l’Assistance Publique comme commis agricole dans une ferme à Saint-Aubin Celloville, où il trouve plus de chaleur dans l’écurie où il couche parfois, qu’auprès des fermiers.

Il constate à quel point les animaux, sauvages ou domestiques, sont régulièrement massacrés et se fait leur ami. La sous-alimentation, le froid, le travail pénible, lui valent une attaque de paralysie des quatre membres. Un de ses oncles suisses le recueille et il devra rester entièrement allongé pendant deux ans.

Quand il rentre en France en 1940, il est arrêté par la Gestapo qui considère que puisqu’il est né aux Indes, il est de nationalité anglaise. Pendant ces 20 mois de captivité, il voit mourir de faim beaucoup de compagnons des cellules voisines. Il explique que vers la fin de son séjour, il s’est nourri en volant à une araignée qui les prenait dans sa toile les guêpes qu’elle capturait, et ce parce qu’il avait respecté, dans sa cellule, le nid d’une autre espèce de guêpes, dont les réserves de miel attiraient ces guêpes communes.

À la fin de la guerre, il va s’établir en Angleterre, où il se spécialise dans la taxidermie, et sa réputation amène le zoo de Londres à l’engager comme directeur de son laboratoire. À 28 ans, il quitte l’Angleterre pour travailler au laboratoire de biologie marine de l’université de Paris, à Banyuls, dans les Pyrénées-Orientales.

Il se fait militant de la cause animale, s’insurgeant contre les massacres inutiles de rapaces, d’oiseaux migrateurs, de serpents, tentant de convaincre chasseurs et agriculteurs en multipliant les appels dans les journaux de province. C’est pour cela qu’il se transforme en homme des bois, partageant de plus en plus la vie des bêtes sauvages pour les filmer sur le vif, se nourrissant lui-même de racines, de champignons, d’herbe, de baies, etc.

Hubert Terry, amoureux de la nature

Il avait commencé par passer le brevet d’instituteur, mais n’avait pu, à la suite d’un accident, accéder à l’université. Il sera autodidacte, lisant énormément, travaillant dans des parcs animaliers, voyageant sans relâche.
Hubert Terry, amoureux de la nature

Vipères, frelons, rats ne l’effraient pas. Pour le tournage de « Jacquou le croquant », qui fut l’un des films de télé les plus regardés, on lui confie le dressage de plusieurs centaines de rats.

Il anime tous les mois à la MJC de Vincennes des séances pour les Jeunes Amis des Animaux, avec des projections (cette époque n’était pas encore saturée d’images…) et récits de ses expériences. C’est pour pouvoir monter et montrer les kilomètres de pellicule qu’il a tournés qu’il s’était lancé à la chasse au gros lot...

Hubert Terry, amoureux de la nature - Pour étudier les petits rongeurs,  une taxidermie en 2D
Pour étudier les petits rongeurs,  une taxidermie en 2D

En plus, il va devoir quitter son logement de Vincennes, le propriétaire voyant d’un mauvais œil l’habitation transformée en ménagerie. Un voisin recueille chez lui ses animaux, mais il lui faudra bien finir par trouver une solution.

Il viendra habiter à Amfreville-sous-les-Monts, près de la forêt, une modeste demeure qu’il transforme en arche de Noé. La Société Protectrice des animaux de l’agglomération rouennaise lui confie souvent ses cas désespérés. Sa maison abrite un hibou cinquantenaire, un faucon, un épervier, des tortues, un chien…

Hubert Terry, amoureux de la nature

Il ne vit pas pour autant complètement coupé du monde, et va manifester contre l’extension de l’aéroport de Boos ou la création d’un aérodrome de plaisance à Flipou, toujours prêt à défendre la nature. Décédé en 2006, il est inhumé à Saint-Aubin-Celloville.

 

Sources

- Radar n°478

-  Paris-Normandie

-  Télé magazine

-  Revue des Jeunes Amis des Animaux

 

Philippe Levacher