SICA, ALICEL, ALIPAP, MODOPAPER, M-REAL, Double A
Histoire du site
industriel d'Alizay
L'origine de l’entreprise est en
relation avec les dommages de guerre exigés de l’Allemagne après la Seconde
guerre mondiale. En effet, un groupe de Français est chargé de trouver des
matériels démontés par les Allemands dont l'hexagone peut disposer en
compensation des dommages subis sur son sol. L'équipe est menée par Georges
Cardi, officier de marine et ingénieur des arts et métiers.
Au début des années 1950, l'équipe
de Français sympathise avec les dirigeants d'une usine de pâte construite à
EHINGEN ; ville allemande située dans le Bade-Wurtemberg sur le Danube au sud
ouest d'Ulm. Cette entreprise fabriquait de la pâte pour les textiles
artificiels (fibranne). L'avant projet fût réalisé par des ingénieurs et techniciens
allemands.
Pourquoi le
choix d'Alizay ?
Le chef de la délégation Paul Peronne, maire des Damps, était
exploitant forestier et a sans doute favorisé le choix du site.
En 1950-1951 la famille de la Potterie met en vente le
domaine de Rouville, le château et les terres, aussitôt rachetés.
La vie de
château
Le château accueillait non seulement
les personnes pour des réunions administratives, le bureau d'études, pour les
repas, mais aussi les salariés élus pour les réunions sociales mensuelles
(comité d'entreprise et délégués du personnel). A propos des activités
sociales, le CE disposait d'une somme confortable. Ainsi de nombreuses
commissions ont été créées : voyage, entrée en 6ème, labo photo, les anciens,
bourse d'étude, équipes de foot etc... De nombreuses aides sociales ont été
accordées aux personnes en difficulté.
La SICA l'une des plus grandes
usines du département, possédait une véritable organisation syndicale puissante
et structurée.
En 1971, une loi a été votée en
rapport avec la formation continue pour adultes, à l’initiative de Bertrand
Schwartz. La direction principale pressentait déjà les problèmes d'emploi.
Ainsi trois personnes : deux cadres, une maitrise ont été détachées de leur
poste respectif pour permettre aux salariés d'accéder à un nouveau métier de
leur choix. Ils obtenaient ainsi ce qu'on appelait le CAPPUC (CAP par unité
capitalisable) après avoir franchi les deux étapes. En effet une partie de la
formation était assurée par les formateurs et l'autre par l'Éducation
Nationale. Une dizaine de salariés a été reçue avec succès.
Du personnel à
la hauteur !
Au cours de la période précitée
Jacques Meslay, un homme de haute taille, était chef du personnel et son
adjoint, moitié moins grand, venait du Midi. C'est très gentiment et avec
respect qu'il était nommé le « demi de
mêlée ».
Mais revenons dans les débuts de la
construction. Le site d'Alizay est retenu aussi pour de multiples raisons : la
proximité de la voie ferrée, la gare de Pont-de-l'Arche, la voie fluviale, la
nappe phréatique. La S.I.C.A est construite à l'image de l'usine Ehingen et
elle est dirigée par Georges Cadi assisté de Monsieur Bickell-Haupt qui est
devenu son ami.
Les travaux de construction ont été
amorcés en 1951. L'usine a démarré en octobre 1954. Elle était prévue pour
produire 30 000 tonnes. Elle a été inaugurée par Pierre Mendès-France.
La première production de pâte
n'était pas blanchie. L'atelier blanchiment a été mis en route début 1955 ; une
inondation en janvier 1955 a généré un arrêt d'usine jusqu'en février ; date de
la mise en route du blanchiment.
Le directeur avait installé son
bureau au château, et au sous-sol un espace lui était réservé. Au dessus du hublot,
une ancre était fixée. Par ailleurs, il s'exprimait en utilisant des termes de
marin. A l'usine la distribution du courrier était assurée par le mousse. Grâce
aux factions, l'usine tournait en continu. Les 3x8 étaient appelés les quarts.
Ainsi la salle de contrôle de la nouvelle chaîne construite en 1962-1963 qui
dominait les ateliers était appelée passerelle.
Au-dessus
du laboratoire central, était aménagée une petite pièce contenant un lit de
camp réservé pour le repos d'un
factionnaire ingénieur qui était à la disposition du personnel en cas de
problème.
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G.Cardi en 1962 à côté de sa Ferrari au départ du onzième tour de France |
Georges Cardi logeait dans une
maison située dans le parc du château. Dans ce dernier, la salle à manger des
cadres était réservée au mess. Lorsqu'il y avait des travaux de nuit le
directeur débarquait avec sa provision de sandwichs et de boissons pour
alimenter le personnel ouvrier. Tout le
monde était dans le même bateau.
Il était aussi passionné par
l'automobile, et vice-président de l'automobile club de Rouen des Essarts. Il
participa à l'organisation du grand prix des Essarts à proximité de l'usine.
Les essais eurent lieu sur les routes toute proches et au moment de la course
l'atelier de mécanique se transforma en atelier de réparation automobile. Le
réservoir de Fangio avait crevé. Il n'y en avait pas de rechange ; il fallut le
ressouder.
Travail pénible
des salariés.
L’activité physique s'imposait à
ceux qui étaient chargés de tordre un fil d'acier autour de la balle, de même
le débouchage des crépines à l'intérieur des lessiveurs, qui servaient à «
cuire » le bois. Le travail s'effectuait
dans les relents de gaz des autres lessiveurs, les vannes des circuits
n'étaient pas très étanches. C’est pourquoi une prime était accordée aux
ouvriers qui changeaient les crépines. Toutes les interventions s'effectuaient
dans une atmosphère de poussière et de gaz. Dans les premières années, la
ventilation était inexistante ou inefficace. C'est pourquoi pendant une bonne
partie de la faction l'ouvrier devait travailler
avec un masque à gaz, porté lors des
vidanges des lessiveurs. Par ailleurs, après de nombreuses années des cabines
de protection ont été installées dans divers ateliers (lessivage, presse-pâte
chaufferie etc.). Les salariés étaient protégés du bruit pour inscrire les
informations liées à la production, et se restaurer à la pause.
Date mémorable :
février 1955
A l'origine, le choix de la
fabrication était axé sur la production de textile artificiel car les débouchés
étaient assurés (l'usine de Cellophane à Mantes, Roanne, Bezons près de Paris).
Au début de la fabrication, les
difficultés techniques ont imposé aux ouvriers des moments difficiles (Ex :
éclatement du diffuseur). La nature de la lessive utilisée (bisulfite de
calcium) était aussi une source de problèmes car les dépôts de calcium
bouchaient les crépines d'aspiration de la lessive. La pâte obtenue devait être
de qualité (basse viscosité) ce qui était difficile à obtenir. Il y avait
nécessité à maintenir un débit régulier.
Pierre
Mendès-France inaugure la S.I.C.A.
Le 31 janvier 1955 Pierre
Mendès-France se rend sur place pour inaugurer la S.I.C.A. En février 1955, la
première tonne de pâte textile est produite. C'est la célèbre balle 3016 qui
deviendra par la suite l'étalon de référence pour le C.T.A (comptoir textile
artificiel).
Après un démarrage difficile,
l'année 1957 a été bonne tant pour la production que pour les prix de vente. En
décembre, la direction prévoit un production avoisinant les 130 tonnes. C'est
plus du double de celle de 1955. L'objectif est d'atteindre les 100 000 tonnes
rapidement. Cela est prévu pour mars 1958. Georges Cardi organise une grande
fête lors de la production de la cent millième tonne.
En mai 1960, de passage en France,
Kroutchev, secrétaire général du Parti Communiste de l’URSS, visite quelques
fleurons de l'industrie française. La SICA fait partie de la liste sans doute
grâce aux relations de Georges Cardi qui souligne que la SICA. est une des
usines de cellulose les plus modernes d'Europe. L'usine est embellie ; les
bâtiments sont repeints, les routes sont goudronnées, des arbres sont plantés.
Léon Zitrone est pressenti pour rendre compte de l'évènement. Mais c'est Kossyguine, moins connu, qui viendra visiter
l’usine à la suite d’une modification de calendrier.
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Kossyguine à la SICA |
En 1961, les marchés de la pâte
textile chutent. Pour résoudre les difficultés, en 1962 est lancée la
construction de la chaine 2. Une nouvelle lessive, le bisulfite de sodium, est
utilisée pour « cuire » le bois.
En 1963 ce fût donc le démarrage
d'une deuxième chaîne de production dédiée à la pâte à papier. L'année était
subdivisée en campagne de production ; tantôt pâte textile, tantôt pâte
papetière. Jusqu'en 1971 la chaîne 2 fabriquera alternativement de la pâte pour
textile et de la pâte papetière.
En 1968 est né le Groupement
Européen de la Cellulose, qui comprend trois usines : la Cellulose d'Aquitaine,
les Ardennes, et la SICA. Elles sont liées par une convention d'assistance. Un
tonnage de pâte papetière est prévu pour chacune d'entre elles, soit 90 000 tonnes
de pâte pour la cellulose d'Aquitaine, 116 000 tonnes pour les Ardennes, et 130
000 tonnes pour la S.I.C.A.
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La station d’épuration |
L'année 1970 marque une étape
fondamentale dans l'évolution des techniques de production. La SICA se met à
produire de la pâte selon le procédé kraft mieux adapté à la fabrication du
papier et moins polluant. L'entreprise construit alors sa station
d'épuration de dimension équivalente à
celle d'une ville de près de 800 000 habitants ! Malheureusement ce procédé
génère de fortes odeurs désagréables s'apparentant aux odeurs de chou, ce qui
amène une réaction de la part des habitants. (voir encadré ci-après)
En 1977 le marché de la pâte papetière s'effondre. La
surcapacité mondiale est menaçante. A cette époque, les usines finlandaises créent
une unité qui, à elle seule, produit 600000 tonnes, l'équivalent de la capacité
totale des quatre usines du GEC (la Cellulose de Strasbourg avait rejoint les
trois autres unités).
En 1978, le GEC signe un protocole
de redressement avec les pouvoirs publics. La SICA doit réduire ses effectifs :
de 730 salariés elle ne doit en compter que 650. Dans le même temps, la chute
du dollar pénalise fortement les profits. Dans le groupe, les prix de revient à
la fabrication dépassent le chiffre d'affaires.
Le 27 novembre 1980, le GEC est mis
en redressement judiciaire. Le syndic nommé pose immédiatement l'avenir de la
chaîne 1, faisant écho aux préoccupations de la Direction. Début décembre, la
fermeture de la chaîne 1 est officialisée : 206 licenciements sont programmés.
Le CIRI fixe au 15 décembre 1982 la date butoir pour rétablir la santé
financière du site.
Le 6 décembre 1980, le comité
d'entreprise a connaissance de la liste. Les noms ont été affichés à la sortie
de l'usine. Les personnes concernées viennent et repartent en pleurant. D'une
seconde à l'autre, leur vie bascule. Alors commence la bataille pour l'emploi,
les entretiens avec les personnalités se multiplient. Les syndicats se
mobilisent pour refuser les licenciements car chaque salarié licencié est au
pied du mur.
L'unité
salariale se lézarde ; certains pointent au château tandis que les autres
campent devant les grilles. Le 24 décembre pendant la nuit près de 300 agents
enfoncent les grilles.
La
chaîne 1a été arrêtée et 200 salariés ont été licenciés. Les salariés
craignaient l'arrêt définitif de la SICA et pourtant l'usine redémarre dans un
contexte favorable.
Témoignage
1975, la SICA, très éclairée,
impressionnante par ses dimensions hors normes, est aussi environnée de fumées
qui se font sentir à des kilomètres à la ronde : l'air est empuanti par une odeur de chou pourri, celle
d'un gaz extrêmement volatile, le mercaptan.
C'est une odeur nauséabonde,
voire irrespirable, qui se répand extrêmement vite au gré des vents d'Ouest
dominants sur le Manoir, Pîtres, Poses,
Romilly, Pont-Saint-Pierre et parfois
même Fleury, le Plessis, Senneville .….
Au sud, les Damps sont aux
premières loges, les maisons se bradent,
prendre l'air par beau temps est devenu impossible. Les arbres et les potagers
sont touchés également.
Cette situation est intolérable.
Deux amis des Damps me proposent de créer une "association de défense
contre les nuisances", ce qui est fait dans la foulée et une bagarre
commence, qui va durer quatre ans.
Nous passons nos loisirs à
organiser des réunions, à coller des affiches dans toutes les communes
concernées (l'une représente un enfant avec un masque à gaz, jouant dans son
jardin) et adressons à tous : maires, administrations, Préfet de l'Eure,
Chambres de commerce, Premier
ministre, Président de la république,
radios et télévisions régionales et nationales, et enfin quotidiens et
hebdomadaires, un dossier très documenté avec photos à l'appui. Des articles
paraissent, dont un dans le Canard enchaîné, qui titre « La vallée de chou
pourri », tant et si bien que la direction de la SICA qui refusait tout
dialogue, commence à prendre cela au sérieux et à recevoir les responsables de
l'association.
Un ingénieur suédois,
polytechnicien de surcroît, nous lance, en guise de boutade : "que
voulez-vous, c'est l'odeur de l'argent !" Il deviendra un ami …
Petit à petit, des mesures sont
prises pour capter le mercaptan avant sa diffusion dans l'atmosphère. Près d'un
million de francs de l'époque y sont consacrés, et au bout de trois ans la
situation est redevenue presque normale …
La leçon à retenir est qu’il ne
faut jamais baisser les bras et accepter passivement une telle atteinte à
l'environnement sous prétexte d'activité économique. On doit concilier les
deux, même si le coût est relativement élevé. Les syndicats, qui n'étaient guère favorables à notre action car ils
craignaient pour l'emploi, verront par la suite que ce n'était pas là le
problème.
(Roger Sionnière)
1981 Adieu SICA,
bonjour ALICEL
Quel grand moment ce redémarrage ! «
Nous nous sommes battus pour la réouverture » diront les salariés actifs dans ce combat. L'espoir habitait ces hommes
qui ont défendu leur cause en indiquant au Directeur de Cabinet du Préfet qu'il
était possible de porter la production de 350 tonnes par jour à 600 tonnes.
D'ailleurs certains salariés qui avaient reçu leur lettre de licenciement ont
dû revenir dans l'entreprise. Il fallait produire sans le soutien des banques.
Peu à peu la confiance a été restaurée entre les différents intervenants.
Deux ou trois mois après la reprise,
le dollar s'envole. La pâte se vend soudain au plus haut prix, alors
l'entreprise se met à gagner de l'argent. Quelques investissements sont
réalisés (une dizaine de millions de franc), consistant à réutiliser du
matériel de la chaîne 1 pour augmenter la production de la chaîne 2. La date butoir
est toujours fixée au 15 décembre 1982.
En mars 1982, une solution
transitoire est alors mise en place sous l'égide du grand groupe papetier
suédois MODO et les papeteries Maresquel. En effet, MODO qui a depuis 1968 une
papeterie à Pont-Sainte-Maxence (PSM) signe alors un contrat de location
gérance temporaire avec l'administration judiciaire de la SICA. Rapidement
l'usine de PSM achète la moitié de la production de la SICA.
Début 1983, deux projets de
développement sont étudiés en partenariat avec le Comité interministériel
redressement industriel :
- première possibilité, porter la production
de la pâte papetière à 480000 tonnes.
- deuxième possibilité, maintenir la production
aux environs de 100000 tonnes et investir dans une machine à papier sur le
site. C'est donc à cette période que germe l'idée de construction d'une machine
à papier. Lors de la faillite du GEC, MODO est intéressé par l'acquisition du
site d'Alizay, mais l'affaire ne sera pas conclue ; sans doute que les
responsables politiques de l'époque ne souhaitaient pas céder un outil
stratégique à un groupe étranger.
Le 23 février 1985, la SICA est
adjugée pour 5 millions de francs à un groupe d'actionnaires constitué autour
de Jacques Lejeune, Directeur Général de PSM. Ce groupe crée la société ALICEL.
MODO est actionnaire à hauteur de 17%
ALICEL
devient une société financière au capital de 30 millions de francs dont 10
millions de francs sont détenus par le groupe Sopargés–Mafipa autrement dit par
Jacques Lejeune.
Une nouvelle usine voit le jour. Des
investissements vont améliorer le parc à bois, la cuisson et le lavage pour la
phase 1, et pour la phase 2 le blanchiment. La salle de contrôle du parc à bois
est complètement automatisée. Ces changements techniques ont donné lieu à une réorganisation
des postes de travail ; là où ils étaient 120 en 1960, puis 80 avant
transformation, ils ne sont plus que 40 environ. Les autres salariés sont
reclassés ou partent en préretraite. Depuis l'arrêt de la chaîne 1, on évite
les licenciements. Après les 2 premières phases, suit la phase 3 en rapport
avec l'évaporation, la chaudière, le four à chaux et la caustification. La
phase 4 en relation avec la machine à papier sur le site d'Alizay demeure
toujours un projet. On en parle sérieusement vers 1985. Les études débutent
vers 1987 qui dureront 2 ans.
En 1989 250 000 tonnes de pâte est
le niveau de production record atteint. La construction d'une machine à papier
est décidée.
Il y avait eu deux chaudières CAIL,
puis une BABCOCK (BW). Il y aura désormais une nouvelle chaudière, la STEIN.
Elle démarre un jour de fête, le 15 août
1990. Les CAIL brûlent des écorces et du fuel. La BW était dimensionnée pour
une usine produisant 180 000 tonnes de pâte kraft ; la chaudière STEIN l'est
pour 300 000 tonnes. Avec la machine à papier, la demande d'énergie augmente
sur le site, il devient économiquement très avantageux de convertir la BW à la
combustion à écorces. Il faut savoir que le fuel ou le gaz coûtent beaucoup
plus cher que la biomasse (déchets de végétaux comme par exemple les écorces,
les morceaux de palettes la sciure, etc.).
Une bonne nouvelle satisfait les
salariés et la direction. En effet grâce à la cuisson continue, il n'y a plus
d'arrivée sporadique des gaz et des explosions de joints qui libéraient des
odeurs. Avec le débit continu, le problème dû aux odeurs a été diminué.
L'entreprise investit dans une
nouvelle turbine 27 700 kilowatts appelée TA4. Les chaudières CAIL sont
arrêtées. On cesse aussi d'utiliser les deux anciennes turbines : 4500 et 8100
kW. La nouvelle TA4 transforme en électricité la vapeur recueillie de la
chaudière Stein.
Début 1990, création de la société
ALIPAP. Le génie civil démarre. La machine est abritée dans un long bâtiment :
22m de hauteur pour 235 m de long et 40 m de large. C'était une des plus
grosses du monde à l'époque de sa construction et encore aujourd'hui une des
plus importantes d'Europe. La machine à papier a produit des bobines à la
vitesse de 1000 m de papier par minute et 8,60m de large. Désormais ALICEL et
ALIPAP se côtoient sur le même site. Les salariés traversaient le parking pour
aller d'une usine à l'autre.
Modopaper
En 1991, l'usine est reprise par le
groupe MODO et le 22 décembre sort la première feuille.
Au début de l'année 1994, la filière
papier traverse la crise la plus profonde depuis les années 1930. Toutes les usines de pâte à papier françaises
connaissent des déficits importants. ALICEL perd plus de mille francs à la tonne de pâte. « Jusqu'à quand le
groupe MODO soutiendra t-il un de ses seuls sites à perdre de l'argent ? »
relatait un article de Paris-Normandie le 12 janvier 1994.
En 1997, un nouveau pas est franchi
avec le lancement de la production de ramettes de format A4 A3 et
l'installation d'une première coupeuse. C'était à l'époque, la première
coupeuse au monde avec trois lignes de conditionnement qui pouvaient
fonctionner en même temps. Les futurs coupeurs, pour voir fonctionner sur le
terrain ce dont ils avaient entendu parler, se rendent dix jours en Suède,
avant d'aller passer trois semaines à Pont Sainte-Maxence et à Hambourg. Moment
de détente en Allemagne, le fournisseur offre un soir une séance géante de
karting sur un circuit couvert juste à côté de l'usine. Le premier septembre
1997 est un grand jour : c'est le démarrage de la production. Des visiteurs
étrangers sont là, Brésiliens, Russes… En octobre le service finition A4 est à
l'honneur. L'ambassadeur de Suède se rend sur le site pour assister à son
inauguration officielle. C'est la fête à ALIPAP. L'ambassadeur appuie sur le
bouton pour démarrer la coupeuse et c'est parti pour environ 5 à 6 heures. Puis
un souci d'automate engendrera quelques heures d'arrêt.
La tempête de
1999 a fait vivre un exploit humain.
On s'en souvient, le matin du
dimanche 26 décembre 1999, une tempête d'une violence rare dévaste le nord de
la France. Dehors, les arbres tombent, à l'intérieur on a l'impression que les
fenêtres vont exploser. Quand le vent se calme, on constate que le convoyeur de
copeaux est tombé sur le bâtiment du parc à bois. Paysage apocalyptique. Toute
la journée, les opérateurs et le personnel d'astreinte s'affairent à mettre
l'usine en sécurité.
Le lendemain, les salariés
découvrent les conséquences de ce séisme. On ne peut plus alimenter la cuisson
en copeaux. Inquiets, les salariés touchés s'organisent : un magnifique élan de
solidarité naît. En dix jours, les services techniques montent une alimentation
provisoire par soufflerie, récupérée sur un site suédois. Le 12 janvier 2000,
la cuisson est à nouveau alimentée en copeaux. Dans un temps record, les
salariés et les entreprises sous traitantes travaillent à la reconstruction du
convoyeur à copeaux, et le 19, c'est chose faite.
En janvier 2001 est installée la
coupeuse 7, totalement dédiée au A4, format devenu à cette époque le format
standard en raison de l'utilisation de plus en plus importante des ordinateurs.
Le démarrage est très difficile : elle ne commence à produire des ramettes
qu'un mois plus tard.
Les projections sur l'évolution du
marché du papier sont alors optimistes. Le savoir-faire est important. Toute
approximation est immédiatement sanctionnée. Par exemple, si le couteau est
usé, la qualité de la tranche de papier sera mauvaise, et chez le client, la
sanction est immédiate : réclamation. De plus, les manipulations informatiques
ne peuvent être effectuées qu'avec une parfaite connaissance de l'outil. Les
problèmes ont fait chuter le rythme. Aux rebobineuses il est tombé de 70 000
tonnes à l'année à 40 000 tonnes. La réclamation client à la tonne passait de
50 centimes à 4 euros. Des sessions de formation avec les fournisseurs, une
optimisation des plans de maintenance portent leurs fruits. Peu à peu, le
fonctionnement redevient normal.
C'est aussi en 2001 que le stock
automatique est installé, mais un nouvel incident viendra ternir ces
améliorations constantes. Pendant les travaux du génie civil, par une nuit
d'orage, les eaux sont remontées par les égouts qui n'étaient pas encore
raccordés. la fosse devant accueillir le stock automatique est transformée en
piscine. Après bien des aventures l'atelier finira par fournir un papier de
qualité aux divers clients.
L'activité des
labos.
A l'époque de la SICA, il y avait
deux laboratoires : l'un assurait les contrôles, l'autre la recherche. Au total
treize personnes travaillaient à la journée dans ce secteur. Par ailleurs, des
factionnaires effectuaient des contrôles pour assurer un bon suivi de la
fabrication. L'ambiance de travail était très bonne. Un salarié raconte qu'il
lui arrivait d'acheter de l'extrait d'anis aux transporteurs italiens de
passage à l'usine, pour fabriquer du pastis. Malgré les hottes d'aspiration, de
« fines odeurs » subsistaient. L'odeur de l'usine imprégnait les murs et les
vêtements. Les salariés avaient hâte de rentrer chez eux pour se changer.
En 1990, un laboratoire avait été
installé dans le bâtiment de la machine à papier. Il comptait huit personnes à
la journée et douze personnes en faction pour assurer les contrôles quotidiens
sur la pâte et le papier, la recherche et le développement étant effectués
ailleurs dans le groupe M-Real. En juin 2000, le groupe suédois Modo-paper est
repris par le finlandais Mesta-Serla, et devient de ce fait M-Real.
M-Real et
l’environnement
M-Real va se préoccuper davantage de
la qualité et du respect de l'environnement. L'usine obtient les certifications
de qualité ISO* puis la certification environnement ISO 14001. Un audit de
renouvellement a lieu tous les trois ans. L'engagement de progrès s'applique
aussi en amont de l'usine : en 2003 M-real a obtenu la certification PEFC (Pan
European Forest Certification), qui garantit que la chaine d'approvisionnement
de bois répond aux exigences de la gestion du bois et des forêts.
Le passé, chiffons, l'avenir, le bois.
Au XIXème siècle la pénurie de
chiffons destinés à la fabrication du papier suscita l'émergence d'une nouvelle
matière première, le bois. L’Europe était alors riche en bois, et le coût élevé
des transports fit que les papeteries se trouvèrent près des zones de
production. Mais la donne change à la fin du XXème siècle. Des pays que l’on
appelait du Tiers-Monde, souvent anciennement colonisés, s’industrialisent.
L'Indonésie ou le Brésil dans lesquels le bois pousse six à sept fois plus vite
qu'en Europe construisent de gigantesques usines de pâte. Les salariés
s'interrogent. En effet, il se peut que dans l'avenir la rareté du bois
bouleverse l'implantation des usines de pâte. Depuis 1996, des wagons
traversent une partie de la France pour transporter à Alizay des milliers de
tonnes de bois du Morvan. Les salariés s'interrogent: qu'en sera t-il dans
quelques années ?
De 2005 à 2011 l'activité de
l'entreprise semble présenter de sérieuses difficultés, que la direction
justifie par l'important déficit récurrent du site normand et de très mauvaises
perspectives.
M-Real menacée.
L'information tombe en mai 2011 : « Le groupe papetier finlandais M-Real a
indiqué mercredi qu'il envisageait la fermeture de son usine d'Alizay qui
emploie 330 salariés et dont les performances financières et les perspectives
sont selon lui « très mauvaises » ». Dans un communiqué, le groupe précise qu'il
convie les repreneurs potentiels à se manifester dans le cadre d'un « processus public » dont la date est fixée au
plus tard fin septembre 2011. Dans l'hypothèse où aucun repreneur crédible ne
serait retenu par M-Real dans le délai imparti, la fermeture de la papeterie
d'Alizay est envisagée.
Octobre 2011. Les représentants du
personnel ont rencontré le ministère de l'agriculture le 5. Le PDG du groupe
papetier finlandais a promis de ne pas engager la fermeture de l'usine avant la
fin des négociations avec les deux repreneurs restant en compétition, alors
même qu'il avait convoqué le 3 octobre à Helsinski un comité d'administration
du groupe pour obtenir son feu vert à la mise en route de cette fermeture.
La
fermeture de l'usine de pâte à papier du site, d'une capacité de 250 000
tonnes, a lieu en juillet 2010. Est-ce la fin ?
Double A
Au
printemps 2013, l'usine longtemps arrêtée est rachetée par le département de
l'Eure, ce qu'Arnaud Montebourg qualifie de « micro nationalisation locale
temporaire », pour être revendue aussitôt à la société thaïlandaise Double A,
qui relance la production quatre
mois après le rachat. Elle annonce avoir
expédié aux Émirats Arabes Unis six conteneurs de papier de qualité supérieure.
Les papiers de haute qualité sont produits à partir de fibres courtes en
provenance de Thaïlande, à partir d'arbres d'élevage à croissance rapide,
cultivés par plus de 1,5 millions d'agriculteurs sous contrat et plantés au
sein ou autour des champs de riz et d'autres cultures, assurant ainsi la
biodiversité de ces espaces, annonce l'entreprise.
Et l’avenir ?
L’activité
sur le site a toujours été en dents de
scie, mais l’usine a encore une fois réussi à renaître de ses cendres grâce à
la confiance et la solidarité de tous.
|
C l’Eure. Septembre 2013 |
Sources :
- 1954-2004 De la SICA à M-REAL, coordonné
par Bernadette Le Page, publié par le
Comité d’édition du groupe de projet de M-Real et Etat d’esprit
- articles de Paris-Normandie et de La dépêche
-
témoignages du personnel
Christiane
Bonnefoy