1 septembre 2017

L'essor industriel de Charleval

Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse
usine d'impression sur étoffes Martin Liesse

L'essor industriel de Charleval

Les moulins de Noyon

Noyon est le nom que portait Charleval jusqu'à ce que Charles IX, qui y venait fréquemment chasser, le rebaptise en 1573.
Charleval - moulins
1. le moulin banal
2. le moulin du Pont d'Andelle. Il appartenait au prieuré St Martin, détruit en 1572 car gênant la construction du château de Charles IX. Le moulin tomba en ruine à la suite des guerres de religion.
3. le moulin à tan

Deux rivières, l'Andelle et son affluent, la Lieure, l'arrosent et ne se rejoignent définitivement qu'après la traversée du bourg, situation particulièrement favorable à l'implantation d'établissements industriels à une époque où les cours d'eau fournissaient l'essentiel de la force motrice.

La manufacture de John Law

Charleval - manufacture John Law
En 1720, le célèbre contrôleur général des finances du Régent, l'écossais John Law, acheta le pavillon que Charles IX avait fait construire en attendant l'achèvement de son grand château, pour y établir une manufacture de laine. Il fit venir d’Angleterre des ouvriers qualifiés qui furent logés dans le « château », et leur installation contribua à détériorer l’édifice.

En plus de la main d’œuvre étrangère, beaucoup de journaliers des environs furent embauchés et l’effectif atteignit bientôt près de 150 personnes. Le paiement de leur salaire nécessitait chaque semaine une somme de 2000 livres selon un mémoire « pour les manufactures de Monseigneur Law », établi en vue de convertir en menu monnaie les billets de banque qui venaient d'être créés par lui et n'existaient qu'en grosses coupures. On connaît la triste fin de l'histoire : le 12 juillet 1720, la panique commençait à gagner l’opinion qui avait perdu confiance dans les billets. Il fallut réglementer leur conversion en espèces métalliques.
Charleval - manufacture John Law
L’intendant de Rouen fixa un calendrier hebdomadaire pour les paiements. Seuls les gardes syndics des métiers et les maîtres de manufacture, à l’exclusion de leurs ouvriers, étaient autorisés à se présenter à l’hôtel de la monnaie avec leurs billets de 100 livres pour être convertis, à charge de fournir la liste de la répartition qu’ils devaient faire entre les membres de leur personnel. Ainsi la manufacture de Charleval reçut 500 livres lors d’une première distribution, puis 600 livres ensuite. Ces mesures n’ont pas empêché la banqueroute ; Law dut s’enfuir et ses biens furent confisqués. La manufacture de Charleval ferma ses portes et les familles anglaises ont sans doute aussi quitté la paroisse car aucune trace ne subsiste d’elles par la suite.

Le moulin à foulon de Flavigny

Charleval - moulin à foulon de Flavigny
C'est le vieux moulin en ruine du Pont d'Andelle, pris à fief par le sieur Louis de Flavigny, entrepreneur de la manufacture royale d'Andely, dans l'intention de construire un moulin à fouler les draps. Il détourna le cours de la rivière par un canal et utilisa l’ancien lit pour alimenter la roue de son moulins.

Les draps provenaient d’Elbeuf et de Louviers, par charrois traversant Pîtres, Romilly et Pont-Saint-Pierre.

D'abord on les laissait tremper douze à quinze jours au fond de la rivière. Pendant ce séjour dans l'eau, il fallait exercer une surveillance continuelle du débit : en cas d’étiage, les draps surnageaient et ondulaient à l’air libre, ce qui pouvait détruire les couleurs. De plus, l’eau de la rivière, chargée de limon, risquait de tacher les draps et il fallait chaque jour les retirer des trempoirs pour les laver. Ensuite ils étaient battus à l’eau chaude et au savon, puis, pliés et placés dans le vaisseau (la cuve) d’une pile (elle va y être pilée, foulée) où ils étaient soumis à des coups de maillets. A plusieurs reprises, ils étaient retirés et dépliés afin d’éviter tout rétrécissement inégal de l’étoffe. 
En premier, Pierre Doré a mené le moulin jusqu’à sa mort en 1743. Plus tard, le moulinier Robert Lancelevée prit la succession. Il appartenait à une famille de foulonniers; son père et son oncle dirigeaient à Romilly les moulins de Perpignan, du Pont et de Bétille. Sous sa conduite, le moulin prospéra et un second fut construit à une trentaine de mètres du premier sur un autre canal dérivé. 
Tous les moulins à foulon de Romilly ont fermé vers 1782 sans qu’on en sache la cause. Il semble bien qu’à Charleval aussi ils ont cessé leur activité car l’état civil de la paroisse ne cite plus d’ouvriers foulonniers et deux d’entre eux ont changé de profession : l’un est devenu charretier et l’autre journalier. Cependant, après avoir connu cette période de chômage, les deux moulins appelés “le grand et le petit moulin à foulon”, étaient de nouveau en activité au début du XIXème siècle, toujours aux mains de la même famille de Flavigny, fabricant de drap aux Andelys.
Charleval - moulin à foulon de Flavigny
En rouge, le site de l'ancien moulin à blé

Le fils ajouta, en 1814, près du pont, un troisième moulin destiné à moudre le grain qui n'eut qu'une existence éphémère.

La fonderie de Jean-Pierre Koly

Le fermier général* Jean Pierre Koly avait créé une fonderie à Déville lès Rouen et envisageait d’en transférer une partie dans un site où il disposerait de beaucoup d’eau. Les Grands Jardins que jadis Charles IX avait fait aménager correspondaient à ce qu’il recherchait. Il y fit creuser un canal les traversant en diagonale, afin d’alimenter les deux roues d'un moulin destiné à la fonte des terres provenant des fabriques de monnaies et des orfèvres pour en récupérer l'or. Mais un important flottage de bois se pratiquait sur la Lieure et l’Andelle depuis le XVème siècle et un ancien marchand de bois, consulté, répondit que le fonctionnement simultané des roues ne laisserait pas assez d'eau dans la rivière pour le passage des bûches. Toutefois, le flottage étant saisonnier, si le sieur Koly acceptait de munir l’entrée de son canal de vannes et de les fermer pendant les quelques semaines, au printemps et en automne, où le bois flottait, il pourrait, en dehors de ces périodes, prendre sans causer de préjudice autant d’eau qu’il le voudrait. À ces conditions, un arrêt du Conseil Royal l'autorisait en 1768 à réaliser son projet.

* Les fermiers généraux étaient des financiers privés  chargés de la collecte des impôts, qu'ils conservaient, moyennant le versement à l'Etat d'une somme d'argent.
Charleval - fonderie de Jean-Pierre Koly
Service photographique des Archives Nationales NIII Eure 31

La fonderie fut construite dans l’angle sud-ouest, un canal de 3,90 m de large alimentant les roues qui actionnaient les soufflets des fours afin de fondre les particules de métaux précieux.

Cette activité ne semble pas avoir donné les résultats espérés car l'obligation de fermer les vannes d’alimentation en eau, lors du flottage du bois, contraignait la fonderie au chômage près de trois mois par an. C'est pourquoi Koly a bientôt revendu l’affaire à un négociant parisien, Guyot, qui connut les mêmes déboires et, par suite, des difficultés de trésorerie comme le prouve la plainte d'un marchand charbonnier de Perruel devant le bailli de Charleval à propos d'une somme de 200 livres pour la fourniture de charbon restée impayée plus d’un an après le marché. À son tour, Guyot chercha à se débarrasser de la fonderie deux ans plus tard et finit en 1776 par trouver acquéreur en la personne de François Lefan, fabricant à Sotteville lès Rouen, qui convertit la manufacture en moulin à farine et entreprit de détourner complètement l’Andelle au moyen d’un batardeau hermétiquement fermé pour qu’elle s’écoule entièrement par le canal qui amenait l’eau à ses roues de moulin, de sorte que le lit de la rivière se trouva à sec sur une grande longueur. Le marquis engagea un procès contre lui devant la maîtrise d’Andely.
Charleval - fonderie de Jean-Pierre Koly

La fabrique de Martin Liesse, premier établissement à caractère industriel

Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - La Seine à Eauplet au 18ème siècle
La Seine à Eauplet au 18ème siècle

Né en 1744 à Rouen, Martin Liesse fut apprenti dans une fabrique à Eauplet, où il fut initié aux secrets, jalousement gardés, de la préparation des couleurs. La police d'engagement qu'il avait signée lui prescrivait de consacrer tout son temps au service de son patron plusieurs années après la fin de sa formation. Les longues journées de travail, de 5 heures du matin à 9 heures du soir, ne le rebutaient pas mais, conscient de sa valeur professionnelle, il songea bientôt à créer sa propre entreprise.

En juillet 1772, il vient d'avoir 28 ans, il voudrait obtenir son congé avant l'expiration du contrat qui le lie à Noël Fleury. Ce dernier refuse de le laisser partir. Alors il s'entend, pour cesser le travail, avec quatre compagnons, dont Louis Goutan, appelé lui aussi à fonder sa fabrique de toiles peintes à Lyons la Forêt. Leur maître les fait condamner, pour esprit de cabale, par la justice échevinale. Ils doivent retourner dans leur atelier et payer 30 sols d'amende. La sentence est imprimée, lue et affichée sur les principales places de Rouen aux frais des ouvriers séditieux.

Enfin l'année suivante Martin Liesse obtint satisfaction et, associé à son frère Guillaume et à son beau-père, il s'installa comme fabricant de toile peinte rue d'Eauplet à Saint Paul lès Rouen et l'entreprise connut un rapide succès. L'activité de la fabrique ne cessant de croître, manquant de place, il envisageait de s'installer ailleurs et son choix s'est porté sur Charleval, sur une belle prairie qui prolongeait les jardins du "château ", au bord de la Lieure.

La fabrication de toiles peintes

         Les différentes opérations étaient exécutées en trois endroits différents :
Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - Sites reportés sur le plan Jourdheuil de 1949
Sites reportés sur le plan Jourdheuil de 1949
En 1 apprêt des toiles : les calicots étaient soumis à un trempage dans la rivière puis dans une chaudière et battus à la force des bras.

En 2 étendage des toiles: il fallait les arroser fréquemment, veiller à ce qu'elles restent bien tendues et ne soient pas salies. Ce travail était confié à des enfants. 

En 3 garancerie, où l'on effectuait la préparation des couleurs, gravure, où les graveurs, à l'aide de gouges et du maillet reproduisaient les modèles sur des planches de tilleul, impression, où les imprimeurs appliquaient la planche, enduite d'une composition de couleur épaissie de mordant, sur la toile posée à même la table, puis renouvelaient l'opération en ayant soin de juxtaposer avec précision les motifs décoratifs tandis qu'un tireur, généralement un enfant, déplaçait la toile à mesure, et retouche, travail minutieux confié à une main d'œuvre féminine.
Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - C'est l'hiver, un graveur réchauffe ses doigts engourdis
C'est l'hiver, un graveur réchauffe ses doigts engourdis

Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - Un graveur forme un apprenti à manier le maillet
Un graveur forme un apprenti à manier le maillet

Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - Tables d'impression A  tireurs (enfants) B  imprimeurs
Tables d'impression
A  tireurs (enfants)
B  imprimeurs

Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - L'épinceuse répare les défauts de la toile.  La pinceauteuse retouche les défauts d'impression.
L'épinceuse répare les défauts de la toile. 
La pinceauteuse retouche les défauts d'impression.

Une abondante main-d'œuvre 

En 1789, la fabrique employait déjà une centaine d'ouvriers et cet effectif n'a pas cessé de croître jusqu'en 1800. Tout le travail s'effectuait à la main. La rivière n'était utilisée que pour la qualité de ses eaux, nécessaire à l'apprêt des toiles, et non pour sa force motrice. Pendant les mois d'hiver les intempéries empêchaient d'étendre les toiles sur pré et la fabrique fonctionnait au ralenti.

Pendant la période d'activité, beaucoup d'ouvriers venant des alentours trouvaient un hébergement chez un logeur. Certains ouvriers imprimeurs originaires de régions lointaines se sont fixés à Charleval où ils se sont mariés.

Ce fut, pour Martin Liesse, un souci constant de trouver à loger ses ouvriers; à cet effet, il a loué ou acheté plusieurs maisons à Charleval, en particulier la majeure partie du « château », ancien pavillon de Charles IX. qu'il a loué puis acquis au titre de bien national.
Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - L'ancienne galerie joignant le pavillon du roi à celui de la reine avait été aménagée en logements
L'ancienne galerie joignant le pavillon du roi à celui de la reine avait été aménagée en logements

Pendant la période révolutionnaire la fabrique de toiles peintes a continué à prospérer et devint, sous le Consulat, la plus florissante de la région avec ses 30 tables d'impression. Liesse s'approvisionnait en calicots et siamoises aux halles de Rouen où il tenait aussi une maison de commerce pour écouler les 12 000 pièces imprimées chaque année.
Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - Chef de pièce (début d'impression) conservé au musée de Jouy-en- Josas
Chef de pièce (début d'impression) conservé au musée de Jouy-en-Josas

En 1806, le déclin a commencé, le nombre d'ouvriers s'est abaissé à 260, alors qu'en 1804 Martin Liesse disposait encore de trente tables d'impression qui produisaient 9000 pièces annuellement, deux ans plus tard, il n'en utilisait plus que douze, si bien que la production s'était réduite à 3600 pièces. Alors espérant redresser la situation, il s'est associé en 1807 à Jean-Baptiste Vacossin sous la raison sociale « Liesse & Vacossin ».

Mais depuis le début du siècle, la concurrence se faisait de plus en plus redoutable. Sur le territoire même de Charleval, au hameau du Petit Nojon, venait de s’établir une autre fabrique d’indiennes, appartenant à deux frères, Pierre et Charles Anty, venant de Canteleu, qui utilisait la force hydraulique pour battre les toiles, ce qui procurait un indéniable avantage à la fabrique.
           
Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse
Finalement Martin Liesse s’est résolu à céder ses parts à son associé. Il avait dû renoncer à produire des grandes pièces d’indiennes car la riposte anglaise au blocus imposé par l’Empereur empêchait d’importer les produits d’outre-mer. La toile de coton, qui valait 10 francs le quintal avant la crise, atteignait le prix exorbitant de 160 francs, quant aux teintures exotiques il devenait presque impossible de s’en procurer.

Mais en 1811 l’espoir renaissait, on avait remis en service quinze tables supplémentaires, et embauché du personnel : deux graveurs, treize imprimeurs, vingt tireurs et dix hommes de pré et, chez les femmes, sept rentreuses et cinq épinceuses. Malheureusement cette embellie fut de courte durée; la fabrique a de nouveau connu un déclin cette fois irrémédiable. Liesse assiste aux vains efforts de son successeur, avant de mourir le 16 mars 1815. Pour moderniser la manufacture, un barrage informe avait été hâtivement construit sur la Lieure, afin de mouvoir une machine à battre les toiles mais cette innovation ne put éviter la faillite et la vente par adjudication aux Andelys le 3 novembre 1819, à Michel Hutrel 

Celui-ci trouve la machine à battre les toiles que ses prédécesseurs avaient expérimentée sans trop de succès et de plus sans autorisation. D'ailleurs l'installation se révélait assez rudimentaire. Un canal ouvert à partir de la Lieure alimentait la roue motrice et sur la rivière un barrage irrégulier, construit grossièrement de pieux et de planches, assurait une chute de 57 cm de hauteur. Le nouveau propriétaire entendait mieux utiliser cette retenue et, dans l'intention de se conformer à l'instruction ministérielle du 9 thermidor an 14, il adresse une pétition au préfet le 19 avril 1823, afin d'être autorisé à conserver la machine à battre, formalité que ses prédécesseurs avaient négligée.
Charleval - usine d'impression sur étoffes Martin Liesse - Plan de la cité ouvrière et de la vieille fabrique dressé pour la vente  des biens de l'héritière de Michel Hutrel par adjudication publique en 1886
Plan de la cité ouvrière et de la vieille fabrique dressé pour la vente des biens de l'héritière de Michel Hutrel par adjudication publique en 1886

Michel Hutrel, riche propriétaire rouennais, n'exploitait pas lui-même l'usine, il la loue à Victrix Delanos. Ce fut lui qui assista le 18 mai 1834 à la vérification des ouvrages exécutés.
Près de la manufacture, Michel Hutrel avait fait construire une cité ouvrière qui a longtemps porté son nom. Limitée par la Lieure et la rue du Pont d'Andelle, elle était viabilisée par deux voies : la rue Charles IX en retour d'équerre et la rue de la Maternité. D'un côté, un long corps de logis de 55 sur 5 mètres abritait cinq logements sur un seul niveau. De l'autre côté trois maisons pourvues d'un étage totalisaient sept logements. Ceux-ci ne comportaient généralement que deux pièces: cuisine et chambre, disposées soit en enfilade, soit l'une au-dessus de l'autre. Chaque unité d'habitation disposait en outre d'une portion de grenier, d'un petit cellier et d'une parcelle de jardin de 2 ou 3 ares.


L'usine de Victor Crépet

Victor Crépet, de Rouen, acquiert le 8 octobre 1825 un moulin installé par Louis Hubert au lieu-dit « l'Acre Cornue ». Le nouveau propriétaire a construit, à la place, un corps de bâtiment servant d'habitation mais aussi une fabrique d'indiennes avec atelier d'impression et garancerie. Il en fit une usine disposant des moyens mécaniques les plus récents, utilisant l'impression au rouleau de cuivre dont les techniques de fabrication et de gravure venaient d'être mises au point.

Cependant l'implantation de son usine s'est heurtée à maintes difficultés dues à son insertion dans un milieu déjà fort occupé. Victor Crépet était venu se placer entre deux établissements plus anciens: la filature de Pottier-Baillet, à 350 mètres en amont, et le moulin à blé d'Adjutor De Fontenay, à 250 mètres en aval.

Le bureau de bienfaisance de la commune avait hérité d'une prairie qui avait appartenu jadis à l'Hôtel-Dieu de Noyon. Pour faciliter la construction de sa fabrique, Victor Crépet avait retiré le vannage du canal dérivé de la Lieure qui alimentait un réseau de fossés destiné à son irrigation. Quand l'usine fut mise en marche, il n'a pas rétabli le barrage en tête du canal d'irrigation et le maire dut à plusieurs reprises en demander la restitution.

Enfin les deux parties signèrent une transaction, approuvée par l'ordonnance du 22 avril 1833, obligeant Crépet à fournir au moins un pouce d'eau dans les fossés de la prairie.

L'usine était exploitée par un locataire, Hyacinthe Boimard, quand, le bâtiment, situé sur la rive droite, fut ravagé par un incendie en 1847. Ce fabricant fut nommé maire par l'arrêté du Préfet du 18 juin 1855 mais, en 1860, par suite de mauvaises affaires, il a quitté la commune sans donner de déclaration de changement de domicile.
Après 1860, l'impression sur indienne périclite. Le manque d'envergure obligea l'indienne locale à se contenter d'une production à bon marché, ne s'attachant guère à la perfection du dessin et de la couleur. Les fabricants hésitaient à engager les fonds nécessaires au renouvellement de l'outillage, d'autant plus que les progrès techniques avaient mis sur le marché des machines coûteuses qui imprimaient en plusieurs couleurs simultanément.
De plus, ils négligèrent la constitution de stock de toiles blanches en réserve. C'est pourquoi ils furent durement frappés quand sévit la crise cotonnière, imputable à la guerre de Sécession en Amérique. Ils ne trouvaient alors, et encore avec difficulté, que des tissus fabriqués à partir de coton provenant de l'Inde, qui prenaient mal l'impression.

Les moulins à papier, initiatives locales.

Les moulins à papier, établis sur trois sites différents de la Lieure en 1791, 1817 et 1822, sont dus à l'initiative d'habitants de Charleval, nés dans la commune, qui ont investi des capitaux acquis dans le commerce ou l'artisanat.

Le premier de ces maîtres fabricants, Louis Pierre Leroux, était né le 3 septembre 1752, d'un père épicier, qui, à sa mort en 1775, laissait trois fils. Jacques François s'était orienté vers la prêtrise et devint curé de Charleval en 1784, les deux autres, Louis Pierre et Bon Ange, s'associèrent dans la création du moulin à papier en 1791.

Louis Pierre devint maire de Charleval en 1802, il remplaçait Louis Adrien Ratel révoqué à cause d'un emprisonnement pour dettes. En 1807, il fut à son tour suspendu pour avoir toléré la présence d'un conscrit réfractaire dans sa commune. Déféré devant le tribunal des Andelys, il fut acquitté. En dépit de ce jugement favorable, le préfet a refusé de le réintégrer sous prétexte que son exemple encouragerait la négligence des maires à poursuivre les déserteurs. Cependant le collège électoral convoqué pendant les Cent jours l'a proclamé adjoint. Il était alors sexagénaire et disposait d'un revenu de 1500 francs. De nouveau maire en 1816, il a rempli cette fonction jusqu'à sa mort, le 31 janvier 1820

Au lieu-dit « l'Acre Cornue », le cas de Louis Hubert est similaire: un père marchand boulanger qui disposait lui aussi de quelques biens dont le revenu était estimé à 49 livres.Son frère aîné prit la succession à la boulangerie tandis que lui-même fut cultivateur avant de fonder son moulin à papier.

En ce qui concerne « la Grande Cour », pour Florentin Amand Pellerin, né le 20 avril 1792 d'un charpentier, la constitution du patrimoine semble plus tardive mais, en 1790, le père jouissait d'un rang social équivalent aux précédents. Il fut officier municipal après Thermidor, devint adjoint au maire en 1809 et démissionna en mars 1815. Il était alors propriétaire avec 1200 francs de revenu.

Les capitaux disponibles étaient somme toute plutôt limités, toutefois ces entrepreneurs avaient reçu en héritage des terres que traversait la Lieure avec un bâtiment situé au bord de la rivière et aménageable en moulin à peu de frais.

Des équipements au moindre coût

Louis Pierre Leroux s'est installé en 1791 sans autre formalité que le consentement tacite de ses voisins et quelques années passèrent avant que le maître papetier ne se préoccupe de se mettre en règle. Ce ne fut qu'en 1809 qu'un décret impérial l'autorisa à conserver son moulin.

L'équipement hydraulique, au plus simple, ne comportait pas de canal de dérivation; le lit de la rivière avait été partagé en son milieu par un mur qui, d'un côté, servait de bajoyer au coursier de la roue et, de l'autre, canalisait les eaux de décharge. La vanne lançoire s'appuyait sur la rive droite où était le moulin et, à gauche, la vanne de décharge maintenait l'eau de manière à créer une retenue de 63 cm de hauteur. Ces vannages en bois, ne comportant que deux éléments de 1,50 mètre de large, étaient constitués de planches coulissant dans des gorges latérales.


Sous le poids des difficultés

Louis Hubert fut moins heureux que ses deux compatriotes dans son entreprise. Il avait signé avec un propriétaire voisin un compromis ayant pour objet un échange de parcelle qui lui donnait la possibilité de rectifier le cours de la Lieure afin de faciliter la sortie de l'eau du moulin dont il avait commencé la construction. Il avait ouvert ses canaux sans en avoir l'autorisation. Il entra en conflit avec de Fontenay, propriétaire du moulin à blé situé à 200 mètres en aval : plainte devant le juge de paix de Grainville puis devant le tribunal de première instance des Andelys. Alors, dans le dessein de noyer la roue du moulin à papier qui venait d'être mis en service, de Fontenay érige dans la rivière, à la limite des propriétés, un poteau en pierre avec vannage, qu'il sera astreint à retirer à la suite d'un procès. Toutefois il n'a pas renoncé pour autant à son opposition qu'il manifesta lors de l'enquête commodo et incommodo. Il finit par obtenir un arrêté du préfet qui ordonnait la démolition du moulin non autorisé. Louis Hubert s'est découragé, d'autant plus qu'en six années de service son moulin ne lui avait apporté aucun bénéfice, c'est pourquoi il l'a vendu.

Des entreprises artisanales précaires

Ces moulins à papier n'eurent guère de longévité. Celui de Pierre Leroux ne figure déjà plus dans les statistiques de 1812 qui ne citent que le moulin de Vascœuil, voisin de l'Isle-Dieu. Sans doute a-t-il été remis en marche par la suite car on le retrouve, sur le cadastre de 1836. Sa cessation définitive d'activité intervint peu après car son propriétaire écrivait le 29 septembre 1841: « le moulin à papier ne marche plus, ayant été détruit par les flammes il y a plus de deux ans ».

Si l'établissement de Vascœuil, avec 17 employés, fabriquait 5 200 rames de papier en 1812, celui de Leroux à Charleval n'eut jamais cette importance. Entre 1792 et 1807, outre les deux frères associés, il n'employait guère trois personnes.
Usines à Charleval
La carte d'État Major est l'œuvre du capitaine Morin en 1825, qui nous apprend que les deux moulins, qui existaient de Charleval à Romilly, produisaient ensemble 8 000 rames de papier gris, de qualité commune. Il fournit en outre des renseignements techniques intéressants sur leur fonctionnement. L'opération préalable consistait à réduire des vieux linges pourris en bouillie par des battages successifs. La pâte obtenue, diluée dans une grande cuve d'eau tiède, était brassée. Un ouvrier y plongeait des sortes de moules, recueillant une pellicule de pâte destinée à devenir une feuille de papier. Ensuite chaque forme, retirée de la cuve, était renversée sur un feutre. Les feuilles, ainsi mises en pile, étaient pressées afin d'en retirer l'eau puis elles étaient disposées séparément sur des cordes suspendues dans une sécherie ouverte à l'air libre. Enfin le papier subissait l'opération de collage dans une chaudière emplie de colle claire et, de nouveau séché, il était mis en rame et ébarbé.
                                   (suite au prochain numéro)

Sources

- ADE
- ETUDES NORMANDES, revue trimestrielle n°2 1980 Jean Vidalenc « Quelques témoignages sur le pays de Lyons et la vallée de l'Andelle »


Robert Taupin



(cet article est le résumé d'une étude plus complète, d'une vingtaine de pages, que vous pouvez vous procurer auprès de l'auteur, de l'association, ou de la mairie de Charleval)

Pîtres 1831 : supplique d'un ancien combattant des guerres napoléoniennes

Supplique d'un ancien combattant de Pîtres à la Reine Marie Amélie de Bourbon

Supplique d'un ancien combattant de Pîtres


L'auteur de cette lettre, trouvée par un membre du club philatélique de Pont-Saint-Pierre, est un ancien combattant originaire de Pitres, du nom de Frétigny, soldat des guerres napoléoniennes. 

On estime généralement que les guerres de la Révolution et de l'Empire ont fait aux alentours de cinq millions de morts, dont presque un million de soldats français.

Après Waterloo, en 1815, les soldats de Napoléon survivants sont des vaincus : les vainqueurs, essentiellement Angleterre, Prusse et Autriche, rétablissent en France la monarchie (Louis XVIII), qui éprouve bien sûr peu de sympathie pour ces soldats qui se sont battus pour la Révolution ou "l'ogre de Corse". Cependant, pour ne pas se mettre toute l'armée à dos, la Restauration versera néanmoins des pensions militaires, mais en privilégiant évidemment les Vendéens ou les Emigrés qui s'étaient battus dans le "bon" camp.

En 1830, suite aux Journées de juillet, avec l'arrivée au pouvoir d'un roi qui avait été partisan de la Révolution, fils du régicide Philippe-Egalité, naît chez les anciens combattants l'espoir d'être mieux traité.

Voici ce courrier écrit avec emphase mais quand même beaucoup de style

Auguste Reine1,

Vos sujets dévoués doivent trouver accès à votre munificence

Je suis officier de la garde nationale2, ancien maréchal des logis3 d'artillerie à cheval ; je n'ai aujourd'hui que ma pension de la Légion d'honneurpour toute ressource, après 14 ans de services actifs, 11 campagnes ; mes enfants sont en bas âge. Lors de la débâcle des glaces5 j'ai perdu mon bateau, et depuis je ne sais comment faire pour me rétablir.
En 1813, à Dresde6, j'ai été porté pour officier au premier Bataillon bis, 1ère Cie du train d'artillerie ; mais le 27 du même mois, je fus fait prisonnier de guerre à Dresde, et conduit dans les prisons d'Holmutz7, et ne suis rentré en France qu'en août 1814. La Restauration8 a méconnu mes droits à ma nomination au grade d'officier que j'ai mérité.

Dans la grande semaine9, me trouvant à Paris, je me suis battu avec honneur contre ceux qui maltraitaient le peuple. J'étais à la prise du Louvre10, à la rue Richelieu, rue de Rohan11, à la prise de la pièce de 8 qui tirait sur nous près du théâtre français ; à la prise des Tuileries. J'ai conduit à l'hôpital de charité le nommé Moyon, blessé à côté de moi rue de Rohan, et cela en passant sur le pont Royal malgré la barricade et les coups de fusil qui se croisaient.

Le 30 juillet je me suis porté sur Sèvres, Saint-Cloud12 et Versailles, avec mon beau-frère, le sieur Cauzot-Demarest, ancien militaire, en accompagnant M. le colonel Poque, aide de camp du général de La Fayette13, ainsi que les certificats que j'ai l’attestent.

En août dernier ma demande d'une place de garde à cheval au Roi, a été transmise au Maître des finances et de là au Directeur des forêts ; enfin je viens de recevoir une lettre de ce dernier, après 10 mois de sollicitation, qu’en lieu d'une récompense nationale, je ne devais espérer aucune place faute de vacance : pourtant cette déception n'est pas légale à l'égard d'un ancien militaire, d'un patriote de juillet, sans fortune est chargé de famille ! ! ! ..

Pendant plusieurs fois j'ai vainement fait le voyage de la capitale, exprès pour obtenir un emploi, me fondant sur mes services et mon dévouement à Votre majesté. Aujourd'hui que je suis réduit à une position malheureuse, que rien ne va, surtout dans mon état ; je dois avec la sincérité d'un ancien militaire, invoquer un secours de la bienveillance de la Reine des Français; heureux si ma fervente prière parvient jusqu'à elle; son bon cœur sera sensible à mon humble demande, et ce bienfait à l'égard d'un citoyen qui possède l'estime de beaucoup d'honnêtes patriotes, ne restera pas sans effet de reconnaissance.
Je suis avec un profond respect,
Auguste Reine,
De votre Majesté,
Le très fidèle sujet
M. Frétigny
chevalier de la Légion d'honneur,
maître marinier,
Demeurant à Pîtres près et par le Pont-Saint-Pierre (Eure)

Le mot munificence est bien employé : capacité à faire des dons, à rémunérer
Déception : c’est l’action de décevoir, la tromperie, ce sens est resté en anglais

Profitons de cette supplique pour réviser un peu l’histoire de France

Portrait de la reine avec ses deux enfants, peint par Louis Hersent
Portrait de la reine avec ses deux enfants, peint par Louis Hersent

1- C'est à l'épouse, Marie Amélie de Bourbon-Siciles (avec un s, car il y en a deux) et non au Roi que s'adresse cette lettre, Reine des Français et non Reine de France.

2- La Garde nationale est le nom donné lors de la Révolution française à la milice de citoyens formée dans chaque ville, à l’instar de la garde nationale créée à Paris. Elle a existé sous tous les régimes politiques de la France jusqu'à sa dissolution en juillet 1871, aux lendemains de la Commune de Paris

3– grade de sous-officier dans l’infanterie ou l’artillerie

Légion d'Honneur
4- Elle est créée en 1802 par le 1er consul. C’est un nouvel ordre qui récompense à vie des mérites acquis individuellement. Napoléon remet les premiers insignes le 15 juillet 1804 aux plus hauts personnages du pays.
Il y a en 1814 32000 légionnaires (et non chevaliers) dont la pension annuelle varie de 250 à 3000F selon le grade, rente conséquente pour des soldats d’origine modeste

5– L’hiver 1829-1830 fut le plus rigoureux du XIXe siècle. Il marque la fin du « petit âge glaciaire » (1500-1830). Cet hiver-là dura de mi-novembre à février et il y eut jusqu'à 2 mètres de neige en Normandie.

Bataille de Dresde, 26. Août 1813, par Edme Bovinet
Bataille de Dresde, 26. Août 1813, par Edme Bovinet

6- La bataille de Dresde lors de la campagne d’Allemagne contre la 6ème coalition est une des dernières victoires de Napoléon les 26 et 27 aout 1813 remportée avec un minimum de pertes : 8000 tués et blessés sur 120000 hommes côté français et 27000 tués, blessés et prisonniers sur 140000 hommes côté ennemi
Louis XVIII Tableau du Baron Gérard
Louis XVIII Tableau du Baron Gérard

Charles X Tableau du Baron Gérard
Charles X Tableau du Baron Gérard

7- Il s’agit de la célèbre prison moldave d’Olmutz et non d’Holmutz où Lafayette fut emprisonné par les Prussiens et les Autrichiens durant 3 ans dans des conditions effroyables.

8- La Restauration marque le retour de la monarchie des Bourbons avec Louis XVIII (mort en 1824) et Charles X frères de Louis XVI. On distingue deux Restaurations : la première avant les Cent Jours et la seconde après l’abdication de Napoléon.
La Liberté guidant le peuple Célèbre tableau de Delacroix illustrant cette Révolution
La Liberté guidant le peuple Célèbre tableau de Delacroix illustrant cette Révolution

9– C’est la Révolution de Juillet qui s’est déroulée les 27, 28 et 29 juillet dite des « Trois Glorieuses ».
Après une longue période d’agitation ministérielle puis parlementaire, le roi Charles X tente un coup de force constitutionnel par ses ordonnances de Saint-Cloud du 25 juillet 1830 (nouvelle dissolution de la Chambre des députés, modification de la loi électorale, organisation de nouvelles élections, suspension de la liberté de la presse). En réaction, un mouvement de foule se transforme rapidement en révolution républicaine. Le peuple parisien se soulève, dresse des barricades dans les rues.
Attaque du Palais du Louvre le 29 juillet 1830. École française du XIXe siècle. Paris, Musée Carnavalet.
Attaque du Palais du Louvre le 29 juillet 1830. École française du XIXe siècle. Paris, Musée Carnavalet.
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10– Deux régiments des troupes royales rallient les insurgés. Le palais du Louvre n’est plus défendu et passe aux mains des révolutionnaires,
combat de la rue de Rohan est un des tableaux le plus célèbre d’Hippolyte Lecomte

11– Le combat de la rue de Rohan est un des tableaux le plus célèbre d’Hippolyte Lecomte (1781-1857) peintre d’Histoire. Ce n'est en revanche pas ici le triomphe de la peinture : foule statique, composition transversale à comparer avec le tableau de Delacroix sur le même thème.

12– C’est à Saint-Cloud que s’est réfugié Charles X 

14– C’est le célèbre général de La Fayette héros de l’indépendance des Etats-Unis. Quand les Américains arrivèrent en 1917 durant la Première Mondiale, ce fut aux cris de « La Fayette, nous voici »

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Nicolas ou Jacques Louis Romain ?


Partons à la recherche de l'auteur de cette supplique !


C'est formidable de pouvoir retrouver la trace de ce sieur Frétigny près de deux siècles plus tard grâce aux archives en ligne sur le site de la légion d'honneur qui nous donne beaucoup de renseignements.
Il y a deux Frétigny Nicolas et Jacques (Louis) Romain nés tous deux à Pîtres qui ont participé aux guerres napoléoniennes et ont eu la légion d'honneur mais les documents les concernant sont répertoriés dans le même dossier au nom de Frétigny Nicolas

Etat civil

Jacques (Louis) Romain
Nicolas
né le 18 avril 1780
né le 13 mai 1784
fils de Jacques Romain
fils de Jacques (Louis) François
et de De Pitre Marie-Thérèse
et de De Pitre Marie-Anne

Campagnes et état de services
Jacques Louis Romain Fretigny Pîtres

2ème escadron du train d'artillerie à cheval grade final maréchal des logis
On ne connaît pas les étapes de son avancement
Nicolas Fretigny Pîtres

















33éme d'infanterie de ligne
2ème régiment des grenadiers et voltigeurs réunis
Il débute comme grenadier en 1805, gravit tous les échelons de la carrière militaire, caporal en 1806,
fourrier puis sergent en 1807,
sergent-major en 1809,
adjudant en 1810,
sous-lieutenant en 1811, lieutenant en 1813 et termine capitaine en 1813
A fait 2 campagnes sur les côtes de l’Océan an 14 et 1806 en Autriche, 1807 et 1808 en Prusse et Pologne, 1809 en Allemagne, 1810 et 1811 en Espagne, 1812 à Moscou en Russie et 1813 en Saxe. En tout 11 campagnes !
A fait les campagnes de l’an 13 et de l’an 14, de 1806, 1807, 1808 à la Grande Armée
1809 armée d’Allemagne,
1812 en Russie
1813 Grande Armée

Ils ont donc participé aux mêmes campagnes mais pas dans les mêmes armes. On peut supposer quand même que deux « payses » pouvaient se retrouver au bivouac quand ils ne combattaient pas
Ils avaient bien mérité tous les deux d’avoir la Légion d’honneur après toutes ces campagnes et tous ces kilomètres parcourus. On possède les actes de nominations. 




Jacques Louis Romain Fretigny Pîtres

Jacques Romain l’obtient le 18 septembre 1813 à Pirna lieu de l’Etat-major de Napoléon à la bataille de Dresde
Nicolas Fretigny Pîtres

















Nicolas l’obtient le 1er octobre 1807 certainement parce qu’il a été blessé d’un coup de feu à la jambe gauche, le 14 juin 1807 à la bataille de Friedland.
Il dut donc s’illustrer lors de cette bataille.
Il est encore blessé le 10 octobre à Pirna d’un coup de feu à la jambe droite et a reçu de fortes contusions

Or la bataille de Pirna ou bataille de Dresde a eu lieu les 26 et 27 août, donc cette blessure est obtenue en dehors du champ de bataille

La supplique est rédigé par un maréchal des logis de la 1ère compagnie du train d'artillerie donc on a retrouvé notre auteur : il s'agit de Jacques Romain
MAIS...
il dit dans la supplique qu’il a été fait prisonnier en 1813 à Dresde le 27 du même mois (!) et libéré en août 1814 
MAIS...
c’est sur les états de services de Nicolas que l’on trouve cette mention : « prisonnier de guerre à Dresde le 12 novembre 1813, rendu le 30 juillet 1814 »

Pour confirmation, comparons les signatures 
Signature du sieur Frétigny Pîtres au bas de la supplique à Marie-Amélie
Signature du sieur Frétigny au bas de la supplique à Marie-Amélie

Signature de Jacques Romain sur son acte de mariage - Pîtres
Signature de Jacques Romain sur son acte de mariage

Signature de Nicolas sur son serment de fidélité à la Légion d’honneur -  Pîtres
Signature de Nicolas sur son serment de fidélité à la Légion d’honneur


Pas de doute, l’auteur de cette lettre est bien Jacques Louis Romain FRETIGNY


Jacques Romain a-t-il usurpé cette information et s'est-il prévalu de cet emprisonnement alors qu'il s'agissait de son cousin pour renforcer sa demande ou est-ce une erreur des services des armées qui ont établi leurs états de service à postériori ? C'est plutôt la deuxième possibilité qu'il faut retenir et qui explique d'ailleurs l'écart de date

A la fin des guerres, ils rentrent au pays, se marient et reprennent leurs activités : Jacques Louis Romain est maître marinier comme son père et Nicolas devient épicier à Rouen 






Jacques Louis Romain se marie avec Marie Anne Ursule Planche qui meurt en 1818 et dont il a une fille Clara Ursule en 1815
Nicolas se marie avec Rosalie Brunne (1788/1841) à Rouen le 27 octobre 1818 dont il a 3 enfants Rose Albertine (1819) Eugène (1821) décédé dès sa naissance et Armande Florentine (1823)
Il se remarie avec Marie Félicie Letellier dont il a 4 enfants : Clara-Ismerisse (1829) Rose-Denise (1830), Louis Damas Romain (1832) et Alexandre Médéric (1833)
Il meurt à Rouen le 29 décembre 1855 à l’âge de 71 ans. C’est un bel âge pour un soldat qui a fait toutes les campagnes napoléoniennes et a été blessé deux fois !
Il a donc bien trois enfants en bas âge quand il écrit sa supplique le 29 mai 1831

Mais leurs conditions de vie doivent être difficiles car tous deux font écrire des demandes d’aide par les maires des communes de leur domicile celui de Pitres (Depitre) pour Jacques Louis Romain et celui de Rouen (Aimé Baudry) pour Nicolas. faisant référence aux enfants. 





Nous , Maire de la commune de Pîtres […] sur l’attestation des Sieurs Aubé Pierre maréchal, Fréret Jean-Louis propriétaire, Lapôtre Jean-Baptiste marchand épicier et Mathias Jean–Baptiste tonnelier habitants de cette commune certifions de toute notre responsabilité personnelle qu’il est de notoriété publique et à notre connaissance que le Sieur Frétigny Jacques Romain ex maréchal des logis et membre de la légion d’honneur domicilié dans cette commune est dans l’impossibilité de subvenir à l’éducation de Ursule Clara sa fille
Nous, Maire de la ville de Rouen, Gentilhomme de la Chambre du Roi, Membre de la Chambre des Députés des Départements, Chevalier de l’Ordre Royal de la Légion d’Honneur par l’attestation des Sieurs Jean-Charles Le Breton, négociant, Dranguer chef de bataillons en retraite, chevalier de Saint Louis officier de l’Ordre Royal de la légion d’honneur et Raffy chevalier du même ordre, habitants de cette ville , bien connus et dignes de foi d’après les renseignements particuliers que nous nous sommes procurés, certifions qu’il est de notoriété publique que M. Frétigny Nicolas [...] ne possède aucun immeuble, qu’il est sans fortune, qu’il n’en a point à espérer de sa famille, ni de celle de son épouse; Enfin qu’il n’a pour pourvoir à ses besoins, à ceux de son épouse et de quatre enfants dont deux sont du 1er mari de sa femme, que son faible traitement de non activité et le produit de l’état d’épicier en détail qu’il exerce maintenant ici, produit très faible et qui ne lui permet pas de donner seul à ses deux enfants l’éducation convenable. Nous attestons en outre que M Frétigny est d’une excellente conduite, qu’il est bon père et qu’il a droit aux bontés du Gouvernement[…]
Fait à Pîtres le 12 novembre 1826
A Rouen En l’hôtel de Ville , le 16 août 1827
  
Jacques Louis Romain Fretigny PîtresNicolas Fretigny Pîtres


Si les deux cousins ont eu une jeunesse aux armées presque identique, les deux courriers de demande d’aide et la supplique montrent que leurs chemins ont divergé ensuite. En effet Nicolas fait faire sa demande par le maire royaliste de Rouen et lui–même à résigner un serment de fidélité à l’Ordre Royal de la légion d’honneur en 1817
serment de fidélité à l’Ordre Royal de la légion d’honneur en 1817
Par contre Jacques Romain en participant aux « Trois Glorieuses » est ouvertement républicain ou bonapartiste. Mais il est très habile pour faire référence dans la supplique deux fois à La Fayette, qui a été très actif pendant les "Trois Glorieuses" et a été un artisan de l'établissement de la monarchie de Juillet donc le citer donne un intérêt supplémentaire à son courrier.
Il mentionne la prison d’Olmutz où La Fayette a été emprisonné comme lui. Et il cite le colonel Poque aide de camp de La Fayette avec lequel il a fait le coup de feu. (Le colonel Poque Beauvais est un Béarnais à qui La Fayette confia la délicate mission de convaincre Charles X de s’embarquer pour l’Angleterre le 3 août 1830. En récompense il reçut le commandement militaire du château de Pau, jusqu’en 1848.)

Son courrier a-t-il reçu une réponse ? On a retrouvé une demande confidentielle de renseignements datée de 1836 dans les archives municipales de Pîtres sur un Frétigny membre de la Garde Nationale
Est-ce pour lui attribuer un poste ou s’enquiert-on de ses opinions politiques ?

Monsieur le Maire
Je vous prie de me donner des renseignements sur Frétigny capitaine de la garde nationale de votre commune.
J’ai besoin de connaître
1– s’il est marié
2– s’il a des enfants et quel en est le nombre
3- S’il a servi, en quelle qualité pendant combien de temps
4– s’il jouit d’une pension
5– quels sont ses moyens d’existence
6– quelle est sa conduite, de quelle considération il est environné dans le pays
7– enfin si ses opinions politiques sont sages
Veuillez vivement apporter tous vos soins dans les informations que vous prendrez et me les transmettre le plutôt possible.
J’userai avec toute la discrétion possible de cette communication que je réclame de votre obligeance.
Le Sous Préfet de Louviers

Sur la liste nominative de 1832 des gardes nationaux de Pîtres, il y a 11 Frétigny sur 263 noms et Jacques Romain est sur cette liste au numéro 161. Ses idées en 1836 sont certainement les mêmes que celles qui explique son engagement durant la Révolution de juillet et c’est certainement de lui dont il s’agit !

On retrouve Jacques Louis Romain à Ranville (Calvados) où il meurt en 1846. Il est alors Inspecteur aux carrières de Ranville. C’est certainement un poste officiel qui lui a été attribué. Ses différentes demandes dont sa supplique ont donc abouti !

Depuis des temps très anciens, jusqu'au milieu du XIXe, on extrayait des carrières de Ranville des pierres de qualité qui servirent à de nombreuses constructions de la région et même au delà. L'histoire dit que la cathédrale de Westminster à Londres fut construite en pierres de ces carrières.




L'affaire Kratz, complément



Affaire Kratz. Compléments


En même temps que notre dernier bulletin paraissait, fin 2014, dans le numéro 174 de Connaissance de l'Eure, un article d'André Goudeau, Rumeurs d'espionnage en vallée de l'Andelle durant la Grande Guerre, portant sur ce que nous avions intitulé l'affaire Kratz.
Nous y retrouvons bien sûr les mêmes données, puisque puisées aux mêmes sources, mais notre aînée, et respectable revue, apporte quelques documents supplémentaires, venant de la presse régionale ou nationale de l'époque. Il nous a permis d'en citer quelques extraits.
... l'industriel subit de violentes attaques de la part du journal royaliste L'Avant-garde de Normandie, qui se proclamait organe du nationalisme intégral en Haute-Normandie. Ainsi dans le numéro du 6 octobre 1912, le périodique s'en prenait à Kratz dans la rubrique Les Métèques chez nous. Quelques semaines plus tard, le 3 novembre 1912, un titre en caractères gras barrait la pre­mière page : « Un Allemand Maire d'une com­mune normande » et la semaine suivante, l'Avant garde racontait que des camelots du roi avaient tenté de perturber une fête patriotique à Dou­ville. Là encore, le journal titrait sur toute la lar­geur de la une : « Comment sept Camelots ont pu faire le vide autour d'une « Vède batriotique ».
La revue cite La libre parole : «Mais pour le moment, il ne quitte plus sa commune où, dit-il, son devoir de maire le retient. C'est lui qui en effet renseigne les familles sur le sort des soldats du pays, tués, bles­sés ou faits prisonniers. Et nul mieux que lui, ne sait dire aux familles inquiètes ou endeuillées : «Votre carçon, madame, il a fait son défoir de pon Français. Ché le sais bar le ministère où che n'ai que tes amis».

Merci donc à Connaissance de l'Eure et à André Goudeau pour avoir rappelé à quel point le racisme chauviniste pouvait être stupide et malodorant, et rappelons que le carçon d'Henri Kratz a bien fait son défoir de pon Français, puisqu'il est mort pour la France, âgé de 17 ans. (voir n°6