1 août 2017

L’émigration au Canada (suite)

Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts

Emigrés au Canada : 

les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts

Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts
Oncle et neveu, Jean et Charles Jobin, étaient originaires d'Amfreville-sous-les-monts. Jean avait épousé en 1639 une Marie Girard, fille d'un laboureur, paysan aisé, de Saint-Cyr du Vaudreuil. Il s'était établi comme tailleur à Paris, rue Tirechappe (aujourd'hui rue du Pont–neuf).
Ils seront au Canada le point de départ d'une famille...
Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts

Le Canada au début du XVIIème siècle

Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts - Le Canada au début du XVIIème siècle
Les Français se sont établis en permanence dans la vallée du Saint-Laurent et en Acadie. Richelieu crée la Compagnie des Cent Associés, lui attribue le monopole du commerce, lui concède la Nouvelle France en seigneurie, lui faisant obligation d’y amener des colons. Une population agricole prend souche autour de Québec, l’activité principale restant le commerce des fourrures.

L’Eglise catholique commence à jouer un rôle dans le développement de la colonie. Nous l’avons vu dans le précédent article qui s’arrêtait à la mort de Champlain en 1635 (voir n°5). Le premier évêque sera François de Laval, né à Montigny-sur-Avre dans l’Eure. Ses premiers actes seront de protéger les indigènes victimes de marchands peu scrupuleux en interdisant la vente des boissons alcoolisées.

C'est en 1667 que Jean Jobin et son neveu Charles arrivent en Nouvelle France. Originaires d’Amfreville-sous-les-Monts, ils étaient maitres tailleurs d’habits à Paris.

La population immigrée de la Nouvelle France n'atteint alors pas 10 000 personnes. Les Iroquois, agriculteurs semi-sédentaires, alliés aux Hollandais et aux Anglais, font la guerre aux Français qui sont alliés aux Hurons. Les guerres avec les Iroquois s’aggravent de 1641 à 1665 puis de 1685 à 1701 date à laquelle est signée la Grande Paix de Montréal.

Champlain avait compris que pour s’assurer « l’amitié des alliés indiens », il fallait les assister dans leurs guerres d’où les raids anti-iroquois aux côtés des Hurons et des Algonquins (la tribu algonquine des Micmacs appelle les européens des « normands » ce qui marque bien leur présence prédominante). Les Iroquois s’acharnèrent contre les missionnaires français (martyre du jésuite Jean de Brébeuf et de ses sept compagnons).

Louis XIV décide de dissoudre la Compagnie et de faire de la Nouvelle France une colonie royale. Jean Talon est envoyé en 1665 comme intendant, le marquis de Tracy étant gouverneur. Sa première préoccupation est d’accélérer le peuplement du territoire, le Canada ne comptant que 2500 habitants en 1663, avec un excédent masculin. En une dizaine d’années 2000 personnes, dont la famille Jobin, sont attirées au Canada. On y envoie alors les filles du Roi…

Les Filles du roi étaient des jeunes femmes choisies par le roi de France qui devaient immigrer en Nouvelle-France au XVIIe siècle pour s'y marier et établir une famille afin de permettre de coloniser le territoire. Le Roi de France agissait comme un tuteur (leur père) en payant les frais de leur voyage ainsi qu'une dot lors de leur mariage. Cette dot était ordinairement de 50 livres. Elles étaient souvent orphelines et d'origine modeste, et à 81% d'origine urbaine ou semi-urbaine.
Elles sont entre 700 et 1000 à être envoyées en Nouvelle-France. Dix ans après leur arrivée, la population de la Nouvelle-France avait doublé.
Envoyées par Louis XIV à la demande de l’intendant Jean Talon, elles avaient en général entre 15 et 30 ans, et venaient pour la plupart des orphelinats des villes côtières telles que Honfleur, Dieppe ou La Rochelle, des Hôpitaux généraux de Paris, des hospices où étaient gardés les pauvres, les enfants abandonnés, etc. Elles débarquaient avec une dot du roi (qui était généralement une draperie et quelques articles ménagers), qui parfois n’était même pas versée et, six mois plus tard, elles étaient généralement mariées. (source : Wikipédia)

Les premiers Jobin vivront cette époque très positive. La colonisation agricole progresse : chaque exploitant était en devanture du fleuve Saint-Laurent et s’étendait plus ou moins en profondeur. C’était le rang. A la fin du régime français, les rives du fleuve étant presque entièrement occupées, on ouvrit les seconds rangs, plus éloignés de l’eau et accolés aux chemins. Le colon ne payait ni gabelle ni taille et vivait mieux qu'en France.

L’activité principale la plus lucrative restait le commerce des fourrures, la chasse et une partie du transport était assuré par les Amérindiens. Les guerres iroquoises ayant gravement perturbé les arrivages de fourrure à Montréal, les Français décideront d’aller les chercher eux-mêmes. Ainsi apparait le coureur des bois, qui stimule l’exploration de l’intérieur du continent. En 1682, Robert Cavelier de la Salle descend le Mississipi jusqu’à son embouchure : le pourtour des grands lacs et le pays des Illinois sont intégrés à l’empire commercial français, préparant la fondation de la Louisiane. La Nouvelle France est alors formée de trois colonies :
Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts - Le Canada au début du XVIIIème siècle
– le Canada, c'est-à-dire la vallée du Saint-Laurent avec le pays d’en haut, les grands lacs,
– l’Acadie, région orientale convoitée par ses voisins anglais, tour à tour perdue et récupérée, elle est cédée à l’Angleterre au traité d’Utrecht en 1713
– la Louisiane, à laquelle est rattaché l’Illinois.

L’immigration avait presque cessé à cause des guerres de Louis XIV. En 60 ans (de 1680 à 1740) il ne viendra que 5000 immigrants. Par contre la population s’accroit naturellement et passe de 16 000 à 70 000 âmes.

Les Canadiens affichent un sentiment d’appartenance distinct. La plus grande liberté dont ils jouissent dans ce pays neuf les rend plus libres que leurs homologues en métropole sans pour autant créer une société égalitaire.

Au cours de son histoire, la majorité des colons du Canada viennent de 3 grandes régions françaises : Poitou - Aunis - Saintonge, Normandie - Perche, Ile de France - Picardie.

Au cours de la guerre de 7 ans (1756-1763), que les historiens québécois appellent "la guerre de la conquête", les troupes françaises et canadiennes expulsent les américains de la vallée de l’Ohio forçant le jeune Georges Washington à capituler. Les Acadiens refusent de prêter serment à la couronne britannique et en 1755 sont déportés dans diverses colonies anglaises. Ce sera « le grand dérangement » qui laissera une trace profonde dans leur mémoire.
Au traité de Paris en 1763, la France cède le Canada à l'Angleterre, et entre 1760 et 1770 près de 2000 Canadiens rentrent en France mais beaucoup retourneront au Canada, ne pouvant s’adapter à la métropole.

            La langue du Québec garde de nombreuses traces du parler normand : ainsi calumet vient d'un ancien mot normand pour chalumeau, pipe, champelure = un robinet, croche = tordu, gricher = grimacer, asteure = à cette heure, maintenant, tant pire = tant pis, boucaner = fumer ou entrer en colère, frète = froid, itou = aussi, mi-aout = quinze août, mitan = moitié, milieu, racoin = recoin, etc.

Le déclenchement de la guerre d’indépendance américaine provoque chez les Anglais la crainte que le Québec ne se joigne au soulèvement. L’alliance des Français (Lafayette) et des indépendantistes américains suscite des espoirs chez les Canadiens.

La population française augmentant rapidement grâce à sa forte natalité, "la revanche des berceaux", les gouverneurs anglais doivent faire des concessions : en 1774, par l’Acte de Québec, les lois civiles françaises sont rétablies et la religion catholique reconnue.
Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts - L'arrivée de migrants en Nouvelle-France au XVIIIème . © Cap aux diamants
L'arrivée de migrants en Nouvelle-France au XVIIIème. © Cap aux diamants
           
L’accroissement de la population canadienne française va de 70 000 après la conquête à plus d'un million à la fin des années 1830. Après les guerres napoléoniennes, un exode massif de militaires s’établit grâce aux autorités qui accordaient terres et provisions. Il y eut 120 000 immigrants entre 1827 et 1832.
La situation se complique à cause des antagonismes persistants entre les anglais protestants, commerçants et financiers et les français catholiques et agriculteurs.

En 1834 le Parti Patriote lance un programme d’autonomie politique. Le gouvernement arrête les principaux chefs patriotes dont certains s’enfuient aux Etats-Unis. André Jobin, notaire à Montréal fut l’un des premiers patriotes appuyant constamment le Parti Patriote à l’Assemblée, et dut se cacher 5 mois en 1837-38. Le gouverneur anglais, maladroit, sera désavoué par Londres qui dotera le pays d’une nouvelle constitution. En 1848 le français est restauré comme langue officielle.

Une vague d’émigrants attirés par l’abondance du travail et des terres déferle... La production agricole double, les villes grandissent ainsi que les pêcheries et les constructions navales dans les provinces maritimes. Plus de 3 millions d’immigrants arrivent pendant les 15 années qui précèdent la 1ère guerre mondiale.
Emigrés au Canada :   les Jobin d'Amfreville-sous-les-monts - Le Roi George V et le Field Marshal Haig regardant des bûcherons canadiens au travail dans une forêt française (National Library of Scotland)
Le Roi George V et le Field Marshal Haig regardant des bûcherons canadiens au travail dans une forêt française (National Library of Scotland)
En 1914 les Canadiens s'engagent dans le conflit : sur 8 millions d’habitants, 600 000 prennent les armes, volontaires pour la plupart, et 52 000 resteront sur les champs de bataille.

La capitulation de la France en 1940 amènera le Canada à jouer un rôle important dans le soutien à l’Angleterre puis dans la victoire sur le nazisme. Des troupes canadiennes participeront au Débarquement, à la Libération et contribueront à repousser les Allemands de la vallée de l'Andelle.


Bibliographie

Histoire du Canada Paul André Linteau collection Que sais-je
Canada, guide VOIR Hachette
Les premiers français au Québec sous la direction de Gilbert Pilleul collection vie d’autrefois Archives et culture 2008
Revue Française de Généalogie n° spécial 400eme anniversaire du Québec
L’Eure berceau de célébrités, Cercle généalogique de l’Eure archives départementales
Cercle généalogique de l’Eure, Amfreville sous les Monts, mars 1998
Le Jobinfo, journal de l’Association des familles Jobin d’Amérique
Jean Raspail, En canot sur les chemins du Roi, Livre de Poche, Albin Michel 2005
Fabienne Thibeault, la fille du Saint-Laurent, éditions du Moment 2011
Louis Hémon, Maria Chapdelaine éditions Catherine Fayard et Cie, 1931
Collection des manuscrits contenant lettres mémoires et autres documents historiques relatifs à la Nouvelle France, Québec 1884, volume III, Québec 1885 volume IV



Nicole de Cournon




Malgré le grave accident dont il a été victime, Hubert Labrouche, président de la Société des anciens et amis de la batellerie de Poses, et par ailleurs membre de notre association, vient de faire paraître Le halage sur la Seine à Poses aux XVIIIe et XIXe siècles, que vous pourrez trouver auprès de notre association, avec les derniers exemplaires de son ouvrage précédent, Le village de Poses sous la Troisième république.
Le halage sur la Seine à Poses aux XVIIIe et XIXe sièclesLe village de Poses sous la Troisième république

Un article de sa plume sur l'histoire des barrages de Poses, résumé de sa conférence de l'an dernier, paraîtra dans notre prochain numéro.
Exposition sur la guerre 14-18
En septembre, à l’occasion des journées du patrimoine, Guy et Nicole de Cournon ont ouvert les portes du Manoir de Senneville à plus de 400 visiteurs. Accompagnés par une petite fille de la famille, Serge Petit ou Yvette Petit-Decroix, chacun a pu découvrir l’histoire du manoir et la qualité de sa restauration, avant de s’arrêter dans l’ancienne charreterie où, en partenariat avec notre association, étaient exposés divers objets et documents relatifs à la Grande guerre.
Exposition  sur la guerre 14-18 Manoir de Senneville
Cette exposition, remaniée et étoffée, sera présentée à la Bibliothèque de Pîtres à partir de la mi-mai, pour recevoir public adultes et scolaire.
Nous remercions ceux qui nous ont prêté des documents et des objets, et par avance ceux qui répondront à notre appel de page 1.

Le Manoir de l'an VIII à 1848

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III

Le Manoir de Bonaparte à Napoléon III


Rappel des articles précédents (1789-1800) (voir bulletins n°1, n°2, n°4) : Le Manoir, petite paroisse pauvre d’environ 360 habitants vit du travail de la terre et de la batellerie, mais les plus pauvres y souffrent du chômage créé par le progrès technique : les « mécaniques à filer », beaucoup plus rapides que les rouets leur ont ôté un précieux revenu d’appoint, quand les drapiers de Darnétal les ont adoptées et cessé de donner du travail aux ouvriers à domicile.
La Révolution amène des changements de noms ; le plus gros propriétaire foncier, le noble de Coqueraumont est remplacé par le roturier Bizet, de Rouen. Pour les habitants, le changement le plus important a été le remplacement du vieux curé traditionaliste, Maille, doyen du prieuré de Perriers, après son refus de prêter serment à la Constitution, par un ardent révolutionnaire, Jacques Jérémie Leblond, qui essaie de faire bouger ses paroissiens, qui l’accusent de les injurier du haut de sa chaire, mais n’hésitent pourtant pas en cas de besoin à lui confier des missions de représentation puisqu’il est dans les petits papiers du pouvoir révolutionnaire. Devant leur peu d’enthousiasme, le curé Leblond disparaît pendant plus d’un an, engagé dans les armées de la Révolution, et revient en héros après Thermidor, dans un village qui souffre de la faim et des réquisitions, et ne compte plus que 257 habitants de plus de 12 ans. Tout suggère qu’il est alors l’homme le plus influent de la commune, mais qu’il n’a plus la même ardeur révolutionnaire.

Nous reprenons la lecture des comptes-rendus du Conseil Municipal en floréal an VIII, soit mai 1800. Nous sommes sous le Consulat, déjà Napoléon perce sous Bonaparte….

Le 5 floréal an VIII, François Milliard, propriétaire cultivateur, est nommé maire du Manoir par le préfet de l’Eure, Masson Saint Arnaud (les maires sont maintenant nommés, choisis par la préfet au sein du Conseil municipal élu : après Thermidor, on se méfie de trop de démocratie).

Les maires du Manoir jusqu’en 1848
· 1790 le curé Maille
· 1791 Jean-Baptiste Leclerc   adj. : Tesson et J.Depîtres
· 1792 Jean-Baptiste Leclerc   adj. : Tesson
· 1796 Jean-Baptiste Tesson   adj. : le curé Leblond (an IV, réélu en l’an V)
· An VIII François Milliard   adj. : J-B Leclerc
· An IX J-B Leclerc (après le décès de J-F Milliard) adj. : N-Y Pelletier
· An X N-Y Pelletier après le décès de J-B Leclerc adj. : J-B Tesson
· 1809 J-B Tesson   adj. : Dominique Bisson
· 1813 J-B Tesson   adj. : Dominique Bisson
· 1816 J-B Tesson   adj. : Eugène Depîtres
· 1824 J-B Tesson   adj. : Dominique Bisson
· 1826 L-J Bisson  adj. : P.Depîtres dit Boujeau
· 1832 Louis-Jean Bisson   adj. : J-B Depîtres
· 1836 Louis Dominique Pascal Bisson
· 1848 Dominique Bisson   adj. : J-B Brunel

            On constate donc une grande stabilité dans le choix des maires et adjoints, tous propriétaires, à deux exceptions près : Leblond, curé, et Pelletier, qui a été pendant des années secrétaire de la municipalité, et que nous saluons au passage pour la lisibilité de sa graphie et la qualité de son orthographe…

Pour mémoire, François Milliard était en 1791 le deuxième acheteur de biens nationaux, après J-B Leclerc, aujourd’hui son adjoint.

Le besoin de soldats

La guerre qui continue exige de lourds contingents, beaucoup tentent d’y échapper, la chasse aux réfractaires ou déserteurs s’intensifie…

Le 22 germinal an VIII, une lettre du préfet demande de fournir « l'état des conscrits et réquisitionnaires ayant obtenu un congé ou exemption de services, et par quelle autorité et pour quels motifs », puis en prairial exige le « départ forcé de la totalité des conscrits de l'an VIII » (512 hommes pour le département)

En l’an IX, on reçoit en mairie « des citoyens de la force armée qui ont demandé à prendre connaissance des tableaux des réquisitionnaires et conscrits de la commune ».

Leurs pouvoirs sont rédigés ainsi :
« Liberté Egalité, à Évreux le 17 pluviôse an IX de la république française et indivisible, le général de brigade Laroche commandant le département de l’Eure au lieutenant Ray : vous pouvez citoyen parcourir l'un après l'autre les différents cantons de ce département soit pour la poursuite des brigands soit pour la recherche des réquisitionnés et conscrits retardataires.
Salut, fraternité.»
 On convoque en mairie les réquisitionnés et conscrits du Manoir pour justifier leur congé de convalescence. « Ils se sont tous présentés sur le champ à l'exception de Jean-Louis Leclerc, fils de Jean-Pierre. Il nous a été requis par les officiers de la force armée de déposer chez son père deux fantassins pour y rester chez lui jusqu'à ce que ledit Leclerc ait justifié pour lui ou qu'il soit venu prendre sa feuille de route. »
Le système se révèlera efficace, au bout de deux jours de ce régime, Jean-Louis Leclerc se présente à la mairie pour prendre sa feuille de route et se rendre au dépôt militaire d'Évreux. Il déclare en outre avoir payé 12 francs aux deux hommes qui sont restés chez lui pour les deux jours et leur nourriture : on comprend que son père ait préféré écourter l’expérience …

La propagande napoléonienne

Bonaparte a besoin d’hommes, il doit aussi assurer son image. Les maires sont chargés de lire « publiquement et sans délai » les bulletins de l'armée de la célèbre bataille de Marengo (14 juin 1800) contre les Autrichiens, dans le Piémont italien, dont le rapport officiel sera réécrit trois fois…
Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III - Marengo Napoléon Bonaparte

On raconte qu’après la bataille, le cuisinier dut se contenter des maigres provisions collectées (pillées) dans les villages voisins : poulet, œufs, tomates, écrevisses, pain rassis, huile d'olive... mais que le Premier Consul trouva excellent ce «poulet Marengo».
On aura aussi le brun Marengo, le marengo, monnaie de 20 francs or : les produits dérivés, ça ne date pas d’hier...

Accès de religion, ou de bonapartisme ?

On reçoit au même moment (messidor an VIII, soit juin 1800) une lettre du sous-préfet par laquelle il fait réprimande au maire de ce que des citoyens du Manoir se sont transportés dix jours auparavant à Pont-de-l'Arche, « rangés en haie » et ont chanté « un hymne latin appelé veni creator ».

Ou bien les citoyens du Manoir ont décidé de se livrer à des provocations gratuites, ce qui ne leur ressemble guère, ou bien ils sont allés fêter dignement la bataille de Marengo, obéissant vraisemblablement à un mot d’ordre non-officiel mais bien dans l’air du temps, et le sous-préfet fait seulement semblant de s’offusquer : on verra bientôt que le Veni creator (Viens esprit créateur...) sera le chant du sacre de l’empereur, et certains diocèses ordonneront alors qu’il soit chanté « dans toutes les églises du diocèse en action de grâces de l'escaltation (sic) de Napoléon Bonaparte à la dignité impériale ».

Engagez-vous !

La carrière militaire peut attirer : en 1809 se présente en mairie Adrien Flamand, 30 ans, garçon tailleur, souhaitant s'enrôler pour les services des côtes et des placés de première ligne ; même démarche de Pierre Manquant dit Magnole, 18 ans, manœuvre chez le sieur Requer, maître maçon et maire d’Alizay, et pour Étienne Pierre Dominique Tesson, 31 ans, membre de la garde nationale.

Chemins

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III - Détail de la carte Levasseur de 1854
Détail de la carte Levasseur de 1854
         Ils sont toujours une des grandes préoccupations de la municipalité.

En 1801, on se plaint de leur « grande détérioration, causée par le grand nombre de voitures publiques qui passent et les détériorent ainsi que les champs avoisinants » (les voitures roulent dans les champs pour contourner le mauvais état des routes), mais on n’a pas d'argent pour les réparer.

On ne veut pas des contournements !
En 1810, une lettre du sous-préfet demande de s'exprimer sur le projet d'une route de Pont-de-l'Arche à Fleury traversant la commune du Manoir. Le souhait des élus est de voir cette route emprunter la grand-rue, alors que le projet, qui sera repris pour aboutir à l’actuelle départementale passe au-dessus du bourg. En 1825, le conseil municipal accepte de payer 3000 francs en trois ans à condition que la route passe dans le Manoir.

Il est à noter que les élus de Pîtres ont exactement la même réaction : on craint avant tout l’enclavement, et on tient absolument à ce que la route passe au milieu du village, quitte ensuite à protester contre les dégradations entraînées par les charrois.

En 1847, sollicitée pour contribuer à l’établissement d’un chemin d’Ecouis à Alizay, par Houville, Amfreville, Senneville, Flipou, Amfreville, Pîtres, le Manoir, Alizay, la municipalité répond que ce n’est pas mieux pour la commune que la grande route numéro 12 de Bourgtheroulde à Gournay (celle que l’on appelait route de Pont-de-l’Arche à Fleury en 1810), «plus utile est plus courte pour le trajet d’Alizay à Ecouis », et que donc elle considère qu’elle n’a pas à contribuer à son entretien.

On voit que la mise en place de routes suscitait déjà de nombreux débats et pouvait prendre beaucoup de temps, mais c'était aussi pour les communes un des postes de dépenses les plus importants.

La fouille d’un mètre cube de cailloux est payée 33 centimes de franc, son chargement en brouette 20 centimes, et son transport sur 30 mètres 10 centimes : même sans calculette, on peut s'apercevoir qu’il fallait travailler dur (un m3 de caillou pèse environ deux tonnes).

Insécurité

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III
Les années de la Terreur, les troubles du Directoire, la famine, les guerres ont laissé un vide d’autorité dans lequel le brigandisme s’installe...

Le 28 vendémiaire 1800, ordre est donné au citoyen Bisson, capitaine de la garde nationale, de demander un nombre d'hommes suffisant pour monter la garde chaque jour et surtout la nuit.

Le 12 ventôse an IX, soit après l’attentat royaliste de la rue saint-Nicaise auquel Bonaparte n’avait échappé que de justesse, on reçoit une lettre du préfet « portant le signalement de quatre scélérats qui ont dirigé et exécuté l'attentat du 3 nivôse contre la personne du premier consul », et une relative aux brigands sur les routes qui attendent les malles et les voitures pour les piller.

Années perdues…

2 messidor an X, c’est la dernière date rédigée selon le calendrier révolutionnaire que nous trouvons dans les registres, avec un petit mystère : messidor an X, c'est juin 1802, or le registre reprend, sans interruption, le 1er janvier 1808, donc 6 années ont disparu… pendant lesquelles Napoléon s’est couronné empereur (2 décembre 1804), et Nicolas-Yves Pelletier a été nommé maire du Manoir (15 décembre 1807).

Par ailleurs, pendant les années qui suivent on trouvera surtout des faits divers, auparavant peu présents : les maires ont vu leur rôle réduit par Napoléon au maintien de l’ordre public.

Le Manoir réclame un curé

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III
En 1809, le préfet demande la fermeture de l'église du Manoir, faute de prêtre, et rattache le Manoir à l'église de Pîtres, provoquant un tollé dans la population, qui accumule les arguments contre cette mesure : l’église de Pîtres à une demi lieue, elle est trop petite pour accueillir 400 âmes du Manoir –le chiffre paraît d’ailleurs un peu exagéré, même en comptant les nourrissons et les impotents-, la distance trop grande pour les enfants qui vont au catéchisme, et surtout en plein hiver. En conséquence de l'avis général du conseil et de la population il est décidé de proposer au préfet et à l'évêque de fournir un traitement annuel de 500 francs, un logement convenable et décent pour un ecclésiastique, d'entretenir l'édifice religieux, et de fournir les meubles et objets nécessaires au culte.
Le 15 avril, le conseil confirme les propos du 15 janvier, à savoir que les habitants du Manoir se sont rendus à l'église de Pîtres et « ont dû rester dehors dans la froidure de l'hiver à cause de la petitesse de l'église ». Ils demandent par lettre au préfet et à l'évêque l'autorisation de maintenir le culte au Manoir.

Puis on n’entendra plus parler du problème avant 1838, date à laquelle on comprend qu’une autre solution avait dû être trouvée : avoir recours aux services du curé d’Alizay, puisque à l’occasion d’une demande de paiement du logement du desservant adressée par la commune d’Alizay, le conseil proteste, avançant qu’il est « surpris par la demande d'Alizay qui n'avait jamais rien demandé, est riche, alors que le Manoir est pauvre, paie le desservant et a dû réparer l'église : on refuse « formellement ».

On décide par ailleurs ce jour-là que le mur du cimetière sera refait en « bizare*».

* une hypothèse, non confirmée, est qu’il s’agit d’un mélange de matériaux (bi- = deux)

Faits divers

En janvier 1808, on enregistre la déclaration de grossesse de Marie Catherine Depîtres.

Ce type de déclaration avait été rendu obligatoire pour les femmes non mariées par un édit d’Henri II, en 1556, pour éviter les avortements et les infanticides. Cette obligation était tombée en désuétude au XVIIIe siècle, et la Révolution et le Code civil y avaient mis définitivement fin, mais certaines femmes continuèrent à faire cette déclaration, qui permettait que le poids financier de l'éducation de leur enfant soit pris en charge par la collectivité lorsque le père ne voulait pas le reconnaître et qu'aucun candidat au mariage, et donc à la reconnaissance de paternité, ne se présentait.

Sorcellerie

En 1809, Jean-Louis Rivette, pêcheur, amène en mairie une "gabe", ou "gobe", "un poison qui pourrait faire périr tous les bestiaux". Il déclare l'avoir trouvé dans son jardin avec d'autres et sans en connaître les dangers, les avoir jetés sur le côté et enfouis. Il ajoute que la femme du nommé Loisel qui s'est disputée avec son époux un mois plus tôt lui a fait des menaces : « je suis partie pour faire un voyage qui te coûtera cher », c'était pour aller trouver son mari qui gardait les moutons sur la commune d’Ymare. Le procès-verbal est adressé au sous-préfet de Louviers.

Il sera classé sans suite, ce qui était sans doute très raisonnable, mais dommage pour nous...

Une haine qui dure

On trouve en 1816 le procès-verbal d’une rixe entre deux femmes, Marie-Lise Revert, fille de Pierre Revert, puis trois ans plus tard, en 1819, une plainte de Pierre Revert : « sa fille Marie Catherine a été agressée par Marie Lefebvre, sa voisine, qui lui a donné deux coups de manche à balai sur la figure... elle en a eu le visage ensanglanté... en la menaçant tôt ou tard qu'elle aurait sa mort.» Cette Marie-Catherine est la sœur de Marie-Lise étant déjà citée dans la rixe de 1816...

Révocation du garde-champêtre

Le 1er mai 1824, à la suite de plaintes des habitants contre Jean-Louis Leclerc, lui reprochant de ne pas garder propriétés et récoltes car il a trop d'occupations, entre autres aller à Rouen vendre des fruits...

1830 La monarchie de juillet

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III
Charles X, qui croyait pouvoir en revenir à l’Ancien régime, est chassé à la suite de trois journées de barricades à Paris (les Trois glorieuses), et remplacé par Louis-Philippe, le « roi bourgeois ».

Garde nationale

Elle est théoriquement composée de tous les Français âgés de 20 à 60 ans mais la loi n'appelle au service ordinaire que ceux qui ont les moyens de supporter les frais d'habillement et d'armement. Aussi n’y trouve-t-on que des hommes aisés, ce qui lui donne son caractère de milice bourgeoise, rempart des propriétaires contre le désordre. Sa composition permet donc de repérer les notables de la commune.

Le 5 décembre 1830 on élit l'encadrement pour les communes d’Alizay et le Manoir : Louis Milliard est élu capitaine et Jacques Nicolas Milliard lieutenant. Puis en 1831 de nouvelles élections ont lieu pour le Manoir seul dont la garde est composée de 70 hommes* : Deshais Philippe est élu capitaine, Depîtres Jean-Baptiste, officier en retraite, lieutenant, Brunel Jean-Baptiste sous-lieutenant, Bisson Dominique Augustin sergent major.

* ce chiffre nous a paru élevé, mais il comporte le service de réserve. Le véritable service est appelé "ordinaire", et lui seul est effectif et composé des habitants les plus aisés.

            A noter que l’on trouve là les noms des futurs maires et adjoints.

Aux élections communales de 1831, le droit de vote venant d’être élargi par l’abaissement du cens de 300 à 200 francs, on ne trouve pourtant que 23 électeurs réunis pour élire les conseillers. Bisson Louis Dominique Pascal, cultivateur, Brunel Jean-Baptiste, marinier, et Depîtres Jean-Baptiste, cultivateur, arrivent en tête x-aequo avec 20 voix chacun, suivis par Bisson Louis Jacques, le maire en fonction, 17 voix, et Depîtres Jean-Pierre, son adjoint, 15 voix, comme Milliard Jean-Baptiste, cultivateur propriétaire, Deshaies Philippe Lambert, capitaine de la garde …. les autres conseillers sont un Bisson, un Leclerc, et un Deshaies, maçon. Il y a donc dans le conseil deux non-agriculteurs : un marinier et un maçon.

Ecole

Le 27 janvier 1834, on dresse l’état des indigents pour les écoles, conformément à la loi Guizot de 1833. Ils sont au nombre de 18.

La loi Guizot oblige chaque commune de plus de 500 habitants à ouvrir et à entretenir une école de garçons ; l’école n’est pas encore obligatoire, mais elle doit être gratuite pour les plus pauvres.

Puis on verra, conformément à la loi du 22 avril 1836, une institutrice qui vient présenter en mairie son brevet de capacité, brevet du deuxième degré délivré par le recteur de l'académie de Rouen..
Nous ne savons pas où se faisait la classe, car il faut attendre 1845 pour que soit mentionné l’achat d'un terrain pour l'école, près de l'église.

Un document intéressant: la liste des plus imposés en 1835

Bizet (Rouen) 925, veuve Martin (Manoir) 204, Levavasseur (Rouen) 161, veuve Depîtres Jacques (Manoir) 80, Tesson Jean-Pierre (Alizay) 67, Perrier Daniel (Rouen) 61, Leclerc Jean-Baptiste et Louis 55, Delaporte (Pont-de-l'Arche) 54, veuve Tesson Jean-Baptiste 47 Darcel (négociant à Rouen) 35.

Les trois quarts de la propriété sont donc aux mains de non-résidents, le principal changement apporté par la Révolution étant que les biens confisqués aux Caillot de Coqueréaumont, barons de Pont-Saint-Pierre, ont été rachetés par les Bizet, négociants de Rouen.

Faits divers, vols, violences

Le 6 juin 1832, une plainte est déposée par Jean-Baptiste Tesson, pour insultes faites à son épouse par Marie Leclerc, veuve Revert : «ayant vomi les imprécations ci-après détaillées avec les plus grands torts », ce qu'elle reconnaît. «Vu les regrets faits devant nous par ladite Leclerc, nous n'avons pu faire autrement que de la prendre en commisération […] malgré que les injures sont strictement audacieuses contre la susdite dame Tesson […] la veuve Revert a dit à dame Tesson qu'elle était une voleuse et qu'elle avait montré son cul à tous les meuniers et que son beau-père avait volé la commune». La veuve Revert a préféré payer les assignations et autres frais et être garantie des preuves qu'elle était apportée de subir (il faudrait sans doute comprendre : "d’épreuves qu’elle était à portée de subir", l'orthographe étant souvent approximative.)
1835 – disparition d'une femme de 63 ans, on présume « qu'elle a tombé à la rivière »
- interdiction de récoltes ou de pâture sur les champs privés, de cueillir des herbes dans les « ozrais » (oseraies) et sur les prairies artificielles : les habitants pauvres semblent avoir gardé les habitudes du temps des communaux

– 1837, plainte pour vol chez la veuve Modeste Tesson, préjudice environ 15 fr. en pièces de un franc d'argent, en demi francs et 10 liards, trois quarts de carte pour faire des cols de chemise. De lourds soupçons sur un dénommé Langlois dit Bourdet, marchand de harengs à Alizay
– plainte de Mlle Catherine Tesson (27 ans) servante chez Jean-Jacques Leclerc pour coups au visage par le sabot de la veuve Eugène Depîtres.
– 1843, plainte de Vincent Langlois, cultivateur, pour vol : porte forcée, ainsi qu’une armoire, 700 francs cachés dans les draps ont disparu, les voisins n'ont rien entendu
– vol avec effraction de 30 francs cachés dans l'armoire, chez Leclerc Élisabeth
– 1844, plainte de Maillard Augustin, conducteur du bateau-drague : de petits bateaux en fer servant à l'exploitation de la drague ont été coulés en coupant les cordages, «par une infâme malveillance »
– vol chez Monique Leclerc, veuve Guernier, sans effraction, de 80 francs dans un gobelet d'argent, et de monnaie soit 96 francs en tout.
1845
– veuve Leclerc : 294 francs, même procédure, pas de soupçons, mais le lendemain, l’argent a été rapporté «déposé sur le seuil de la porte de son étable à vache» et retrouvé en présence de témoins ….
– des vols de bois causent une altercation avec un habitant de Pîtres, arrêté par le berger de la ferme de l’Essart.

Le droit au suffrage

Le 24 mars 1834, le sieur Bisson Louis Dominique Pascal a déclaré céder à son fils Bisson Dominique Augustin la somme de 30 francs de ses revenus fonciers pour qu'il ait le droit d'être électeur censitaire de la commune.

Ceci rappelle que le suffrage est resté censitaire, réservé à ceux qui paient une somme minimale d’impôts : la France ne compte que 246 000 électeurs en 1847, pour environ 36 millions d’habitants.

Le conflit avec Pîtres

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III
Le différend qui existe entre les deux communes n’est pas encore réglé. Ainsi en mai 1821 on trouve huit pages de délibération sur les frontières avec Pîtres et en 1835 des échanges de terrains ont lieu entre les deux communes, entérinés ou décidés par une lettre à en-tête de Louis-Philippe, signée par Adolphe Thiers, qui tranche provisoirement le conflit : la pointe Quenet n'est pas à Pîtres, les terrains en liseré vert sur le plan numéro 2 sont au Manoir...
Mais l’année suivante, à propos des bornages, l’affaire reprend, et on évoque à nouveau les actes de 1642 et de 1822, et en 1841 on procède encore à des délimitations.


Les terres

En 1836 on procède à un classement des terres et des tests faits sur trois propriétés, Levavasseur, veuve Martin et Jean-Baptiste Milliard, montrent une proportionnalité entre estimations et revenus réels. Le classement est donc approuvé.
L’insuffisance des revenus de la commune est signalée trois fois au préfet.

L’arrivée du chemin de fer, le pont

En 1841, à propos d’un projet de pont sur la Seine, on signale qu’il y a préjudice pour la commune, car le pont pourrait provoquer une embâcle de glace comme à Pont-de-l'Arche, et on demande qu’un chemin soit prévu sur ce pont.

En 1842, les friches de Saint-Martin (43 ha 39 ca) sont vendues à la compagnie de chemin de fer pour 12 francs l’hectare.

Communaux

En 1842 on met en location les communes pâtures « à condition que chaque locataire soit tenu de cultiver et ensemencer en bon ménager, en se conformant à l'usage du pays sans pouvoir y faire aucune détérioration »

Carrières

En 1843, l’autorisation est donnée d'ouvrir une carrière, pour «itirer du bloc».

Noyer

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III - vente aux enchères d'un noyer
On vend aux enchères un noyer, « qui devra être arraché avec racines dans un délai d'un mois ». C’est Victor Eugène, sabotier, qui l’achète pour 25 francs.

Pauvres

En 1847 a lieu une réunion sur convocation du sous-préfet pour voter des ressources pour les pauvres : le Manoir déclare 12 pauvres, que « jamais ses indigents n'ont été mendier hors commune », qu’il est donc inutile de créer des ressources extraordinaires; La liste des ces 12 pauvres est dressée : elle comporte 8 femmes, dont 4 veuves. On leur affecte 100 francs.

En mars 1848, l'hospice de Pont-de-l'Arche réclame 151 francs pour le séjour de Forfait Désiré Amédée, de père et mère indigents, père infirme, fille épileptique, deux enfants chargés de famille. On lui répond : « Les ressources de la commune sont absorbées par l'indispensable, et sont en déficit. Les autorités n'ont pas été consultées pour l'entrée à l'hospice de cet individu qui est un ouvrier employé au chemin de fer, qui a reçu sa blessure sur la ligne et a été envoyé à l'hospice par M. le chef de la station dudit chemin de fer à Alizay », donc refus.

En mai 1848, « sous la présidence du citoyen maire » (la Révolution qui a lieu en février a chassé Louis-Philippe et remis au goût du jour le vocabulaire républicain), on fait lecture d'une circulaire du département de l'arrondissement, demandant de « subvenir le plus promptement possible à la subsistance de la classe ouvrière partout où les travaux habituels seraient suspendus et secourir à domicile les indigents et les ouvriers invalides afin d'ôter tout prétexte à la mendicité et au vagabondage »
Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III
On prévoit des travaux de terrassement pour occuper les ouvriers sans travail*, on procède à un recensement : 20 personnes valides et 3 âgées ou malades. Le salaire sera de un franc par jour et 90 centimes par mètre cube de caillou. Sur les 942 francs placés au Trésor, 400 seront dédiés aux secours.

* C'était la solution que le gouvernement de la IIème république avait trouvée pour régler le problème du chômage : organiser de grands chantiers de terrassement : voirie, urbanisme, etc. capables de mobiliser beaucoup de main-d'œuvre. Il lui manqua surtout de quoi payer les salaires, ce qui aboutit à l'insurrection de juin et à la rupture entre les ouvriers et la République.

Les traces des changements opérés au niveau national sont peu nombreuses, sauf peut-être l’arrivée en tête aux élections du 30 juillet 1848 d’un homme nouveau, Rousselin Célestin, suivi des « habituels habitués ». Seront néanmoins retenus Bisson Dominique, maire, et Brunel Jean-Baptiste, adjoint.

Presbytère

En 1851, un projet de presbytère est estimé à 420 francs pour le terrain et 8000 francs de travaux.

Une souscription volontaire de 600 francs des habitants est alors prévue, accompagnée d’un emprunt qui sera remboursé par un impôt extraordinaire de 20 centimes par franc.

Serments

Ils changent au gré des régimes...


mai 1852 : « je jure obéissance à la Constitution, fidélité au Président »
octobre 1852 «... au Président et à la Constitution » l’ordre est inversé...
février 1853 : « obéissance à la Constitution et fidélité à l'Empereur »

Le conseil y ajoute une adresse à l’Empereur à l'occasion de son mariage avec Eugénie de Montijo :
Eugénie de Montijo

« Sire, le bonheur, la satisfaction et la joie que nous éprouvons en voyant nos vœux sympathiques si bien réalisés par l'union solennelle que vous venez d'accomplir, vous promettez au pays une descendance directe destinée à soutenir, à perpétuer la force et la gloire de cette couronne qu'ont relevé la volonté de Dieu et la reconnaissance nationale.
Vive l'Empereur, vive l'impératrice !»

... ce qui est beaucoup plus respectueux que l'épigramme qui circule alors anonymement dans Paris :
Montijo, plus belle que sage
De l’Empereur comble les vœux.
Ce soir, s’il trouve un pucelage            
C’est que la belle en avait deux !


Annexe 1 - Les richesses d'une veuve en 1800.

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III - Héritage de Marie-France Tesson
Le 6 messidor an VIII, soit le 25 juin 1800, on établit, à la suite du décès de Marie-France Tesson, veuve Hébert, un état de ce qu'elle laisse à ses héritiers, François Hébert, présent lors de l'inventaire, et Jean-Baptiste Hébert, absent car défenseur de la patrie.

Ces états de succession se trouvent en général dans les archives notariales, mais celui-ci se trouvait glissé dans le registre des délibérations du conseil municipal du Manoir.

On y détaille d'abord les instruments de fer, servant au feu : une crémaillère, un vieux gril, un chenet, un bout de pelle à feu, une pincette, et un crémaillon.
Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III - Héritage de Marie-France Tesson
Viennent ensuite trois vieilles marmites, dont deux sans couvercle, une chaudière de fer, une d’airain, une brochette à rôtir
La vaisselle est très modeste : trois plats, six assiettes, sept cuillères (on notera l'absence de fourchettes) et deux bouteilles de verre : elles ont donc suffisamment de valeur pour qu’il vaille la peine de les noter.
On note aussi un très petit miroir, puis le mobilier, qui se compose de deux chaises, une table et un banc, trois coffres, contenant une vieille chemise, deux bonnets, trois jupons, un bois de lit, avec paillasse, oreiller et une couverture. S’y ajoutent une balance de bois, une force à tondre les moutons. Un rouet se trouve au grenier : il nous rappelle que les habitants pauvres du Manoir n'ont plus de travail à domicile depuis que les drapiers de Darnétal ont cessé de leur en envoyer, s’étant équipés de machines à filer mues par la force de l’eau, comme en Angleterre.

Annexe 2 - Une déclaration de grossesse

Le Manoir sur Seine de Bonaparte à Napoléon III - déclaration de grossesse
«... quelle ma déclarée destre en saintes de viron six mois et demy... "les problèmes des Français et de l'orthographe ne datent pas d'aujourd'hui.

Sources :


Archives municipales du Manoir sur Seine, registres des conseils municipaux   


Michel Bienvenu

Jacques Sorel