Charles le Chauve, dans la
bible de Vivien, réalisée vers 845
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Charles le Chauve, le château neuf de Pîtres, les Normands.
Charles le Chauve est le petit-fils de Charlemagne . A sa naissance, en
823, son père, Louis le Pieux, a déjà
partagé l'Empire, qui s’étend sur une grande partie de l’Europe, entre ses
trois premiers fils. Après de nombreuses batailles, accords et trahisons, il
finit par obtenir ce qui deviendra le royaume de France, et recevra même, à la
fin de sa vie, le titre d'Empereur des Romains, comme Charlemagne son
grand-père.
Son surnom, il ne
le doit nullement à une calvitie, mais au fait que contrairement à l’usage des
guerriers francs, il porte les cheveux courts, comme les hommes d’Eglise. Il a
passé sa vie à livrer bataille, mais aura toujours préféré négocier. Au traité
de Verdun, en 843, il partage l'Empire avec Lothaire et Louis le Germanique, et
reçoit la Francie Occidentale. Mais les
Normands font des incursions de plus en plus menaçantes, ne se
contentant plus de piller les côtes, mais remontant la Loire et la Seine, et
assiègent même Paris en 845. Charles le Chauve, qui doit constamment batailler
contre des vassaux qui trahissent et même contre ses frères, commence par payer
les Normands pour qu'ils ne reviennent
pas piller son territoire. Mais ceux-ci n'obéissent à aucune autorité
unificatrice, les uns prennent l’argent et les autres continuent à piller….
Charles le Chauve
décide donc de les arrêter, et de les empêcher de remonter la Seine. Ils ont
établi dans une île, à Oissel, un camp permanent, et de là menacent Paris.
Le drakkar reconstitué et exposé au musée d'Oslo
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La Chronique de Fontenelle (voir sources) rapporte qu'en août 855 un contingent de Vikings s'était emparé du "castrum de Pîtres ", sans aucun doute un camp retranché établi sur le théâtre gallo-romain. Charles le Chauve prend alors la décision de s'établir dans le Val de Pîtres et de leur barrer la Seine. Ce sera l'origine du pont de Pont de l'Arche. On discute encore pour savoir si le palais dont il ordonne alors la construction se trouvait à Pîtres, ou bien à Pont-de-l'Arche, ou entre les deux... Querelle d’érudits que récapitule en 1792 Aubin-Louis Millin de Grandmaison, membre d’une multitude de sociétés savantes. L’intérêt de son texte est qu’il fait un inventaire exhaustif des sources écrites, même si ses opinions méritent quelques objections : la marée, par exemple, remonte bel et bien jusqu’à Pîtres, et Pistes –Pistae en latin– est bien à l'origine du nom de Pîtres, mais désignait alors toute la basse vallée de l’Andelle.
Implantations vikings sur les
îles de la Seine
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Nous le citons :
« Trompés par le nom d'un village, appelé Pitres,
qu'ils ont découvert au confluent de l’Andelle et de la Seine , ils [ ses
prédécesseurs] ont privé le Pont-de-l'Arche de l'honneur d'occuper la
place de Pistes, et ils l'ont attribuée à ce village. M. de Valois dit, dans sa
Notice des Gaules , imprimée en 1675, qu'il n'y a plus de doute que ce Pitres
n'occupe le lieu des Pistes. Son opinion est aussi celle des PP. Mabillon et
Germain dans la Diplomatique , du P. Bessin dans son édition des conciles de
Normandie et de M. le Brasseur dans l'histoire civile et ecclésiastique du
comté d'Evreux. Ce dernier va jusqu'à appeler conciles des Pitres les conciles
tenus à Pistes. Il n'y a guère que le P. Hardouin qui , dans la nouvelle
édition de tous les conciles., soit revenu au premier sentiment par une note
qui est à-côté du concile de Pistes de 861 ; qu'il met en 862 , et où il
témoigne que des personnes fort instruites croient que ce lieu est le même que
le Pont-de-1'Arche.[…]À l'exception du rapport de nom qui se trouve entre
Pistes et Pîtres, et de la proximité des lieux, tout condamne le P. Mabillon et
ses partisans, jusqu'au passage des anciens sur lesquels ils se fondent. On lit
dans la vie de Saint Condet , solitaire du septième siècle, que le flux de la
mer dans la Seine montait jusqu'à Pistes . Le Pont-de-l'Arche en est encore le
terme ordinaire, et il ne parvient pas jusqu'à Pitres, qui est à une petite
lieue au-dessus de cette ville. . Il est dit, dans les annales de Saint Bertin, qu'en 862 , Charles le Chauve fit
venir les grands du royaume , avec beaucoup d'ouvriers et de chariots, à Pistes
, qui était au confluent de l'Andelle et de l'Eure avec la Seine , et qu'il y
bâtit des forteresses, pour couper aux Normands le passage par ces rivières.
Pont-de-l'Arche par Nicolas Tassin 1731 |
Voilà encore la véritable situation du Pont-de -l'Arche: celle de Pitres , qui est au seul confluent de l'Andelle avec la Seine, à une demi-lieue au-dessus du confluent de l'Eure, n'y convient pas , puisque des fortifications faites en cet endroit, auraient laissé aux Normands la liberté de cette autre rivière. Une chronique de Fontenelle nous apprend que Charles fit faire à Pistes, en 865, un pont, défendu à chaque bout par un très fort boulevard , après avoir chassé de ce lieu les Normands, qui avaient à leur tête Sidroc. Flodoard marque aussi que Himonar écrivit à Charles relativement à ce pont, et à Wenilon, archevêque de Rouen , qui en avait la conduite. Enfin, on lit encore dans les annales de Saint Bertin , que Charles se rendit à Amiens par le Mans et Evreux , ville voisine du nouveau château qu'il avait bâti à Pistes . Or, il n'y a à Pitres ni pont ni vestige de pont; tandis qu'au Pont-de-l'Arche on en voit un fort beau, à l'un des bouts duquel est un fort, qui y fait une île par le moyen d'un très large fossé où l'eau de la rivière passe , ce qui le rendait impénétrable du côté de la campagne. Il reste aussi quelque trace du fort, qui était à l'autre bout du côté de la ville. De plus, ce pont est fort ancien , puisqu'il en est fait mention dans des actes de près de 700. Ne vaut-il pas mieux convenir que ce pont est le même que celui que Charles fit construire cent quarante ans auparavant, dans la même place , que de supposer qu'un ouvrage si solide ait si tôt péri? »
Aujourd’hui, on
semble s’accorder sur le fait que Charles le Chauve résidait à Pîtres, où il
ordonna en 873 la construction d’un
château de pierre et de bois , le "château neuf de Pîtres" (castellum
novum) des Annales de Saint-Bertin. Le terme « novum » suggère
l'existence d'un établissement antérieur et l'on peut se demander si son
l'emplacement n'est pas tout simplement celui du camp fortifié (castrum ) assiégé en 855.
Il n'y aurait donc
peut-être, en fait de palais, qu’une réhabilitation d’un ancienne position
mérovingienne, elle-même établie sur l’emplacement du théâtre gallo-romain.
Pour le reste, c'est bien sûr à Pont-de-l'Arche que Charles le Chauve fit
construire un pont, à une extrémité d'un territoire qui était nommé le Val de
Pîtres .
Durant les séjours
qu'il effectue à Pîtres, Charles le Chauve continue à régler les affaires du
royaume, lors de Conciles (en latin concilium, qui donne aussi conseil),
assemblées d'évêques et de nobles. C'est
au cours de l'un de ces conciles, tenu en 864, qu'est décidée une
refonte des monnaies, dotant l'ensemble du royaume d'une seule monnaie, à cours
obligatoire, puisque la refuser exposait au risque de bastonnade (quant
aux faux monnayeurs, ils ont la main
coupée).
Cet Edit de
Pîtres est donc un acte extrêmement important, bien connu des numismates,
qui affirme une conception moderne et nationale de la monnaie.
Dom Guillaume Bessin, Concilia Rotomagensis provinciæ, Rouen, Vaultier, 1717
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Avers et revers d'une monnaie de Charles le Chauve |
Dans le même ordre d'idées, l'édit prévoit aussi le recensement des hommes libres obligés de servir militairement le roi.
Il engage aussi la
construction de forteresses pour faire face aux invasions vikings, et des
améliorations du sort des esclaves et
colons.
En 875, Charles le Chauve hérite du trône impérial et des royaumes
d'Italie et de Provence, il est à Rome
pour Noël, 75 ans exactement après le couronnement de Charlemagne, pour y être
couronné empereur par le pape, bien loin de Pîtres, qui servit à nouveau de
séjour royal à plusieurs reprises sous le règne de Charles le Simple (898-911).
voir aussi notre article sur le pont de Pîtres
Sources
Les deux sources contemporaines des
événements sont :
La « Gesta Abbatum
Fontanellensium », dite Chronique de Fontenelle, écrite par un moine
du monastère de Saint-Wandrille, dans la
première moitié du IXème siècle
Les Annales de Saint Bertin écrites de 835 à 861 par Prudence, évêque
de Troyes, puis jusqu'en 882 par Hincmar, archevêque de Reims traitent du
royaume franc occidental de 829 à 882.
Ces récits sont
des documents de première main, mais doivent néanmoins être reçus avec
prudence: il s'agit rarement de témoignages directs, ils ne sont pas exempts
d'erreurs et de volonté hagiographique.
Les seuls
documents qui ne peuvent être sujets à caution sont les actes officiels :
capitulaires, édits, décisions des conciles. Ils ont été collectés par Dom
Guillaume Bessin, moine bénédictin,
le dernier d'une longue série de ses confrères qui ont travaillé à la
collection des actes carolingiens, édités sous le titre Concilia
Rotomagensis provinciæ (Conciles de la province de Rouen)