1 septembre 2017

1940-45 Petites histoires d'animaux


1940-45 Petites histoires d’animaux


Le cheval Bijou

L’anecdote se situe durant l’hiver 44/45, pendant l’occupation donc, dans une petite ferme. Là depuis quelques mois un jeune citadin a endossé l’habit de charretier, pour pratiquer ce que l’on appelait à l’époque, le retour à la terre, à la fois pour aider, et, plus prosaïquement, pour manger à sa faim. Il menait avec grand plaisir, un attelage de deux chevaux, dont Bijou était son chouchou, car c’était le plus courageux et le plus obéissant; avec lui inutile de hausser le ton, ni de brandir le fouet. Mais en raison des réquisitions exigées par l’occupant, ces deux animaux ne recevant ni l’avoine, ni le fourrage que leur dur travail aurait mérité, donnaient souvent des signes de fatigue.

Or ce jour là en raison du froid persistant, les travaux des champs étant interrompus, les chevaux bénéficiaient d’un repos qu’ils devaient apprécier. Cependant il est admis que ces animaux ne doivent pas rester trop longtemps confinés dans leur écurie, sans mouvement. Alors pour permettre à Bijou de se dégourdir les pattes (non ! les jambes : les équins possèdent des jambes et pas des pattes !), le jeune charretier décide de promener son cheval, à la longe, dans la cour de la ferme. L’animal, tout content, caracole, danse, décoche des ruades, quand malencontreusement l’une d’elles atteint le garçon qui ne tenait pas la longe assez court. Le voilà par terre… Un peu étourdi, il se relève sans dommage. Mais où est passé Bijou ? Affolé, il s’est réfugié dans un bâtiment où il n’était jamais entré, franchissant une porte bien trop basse pour sa haute taille. Quand son maître va le chercher, il est là tremblant, soufflant, réfugié dans l’angle le plus éloigné, le plus sombre. Dans cette situation il réagit comme un enfant qui, conscient d’avoir mal agit, redoute une punition méritée. Lui, bien sûr ne l’a pas reçue : il a bénéficié de circonstances atténuantes.
(En juin 44, à la Libération, Bijou a servi de monture à un soldat allemand fuyant l’avancée des troupes alliées ; qu’est-il devenu ?)

Canetons désobéissants

Une fermière désirait voir des canetons s’ébattre sur sa pelouse, mais elle ne possédait pas de cane parmi sa nombreuse basse-cour ; des poules, des poules, rien que des poules. Or l’une d’elle manifestait le désir de couver, restant accroupie sur une niche désespérant vide… Alors, notre fermière, voulant sans doute faire plaisir à sa poule –que nous appellerons Gertrude-, se procura des œufs de cane, qu’elle glissa sous Gertrude, laquelle toute à sa joie de pouvoir enfin procréer, ne remarqua pas la couleur des œufs. Ils auraient dû être blancs comme doivent l’être tous les œufs de poule qui se respectent, or ceux-ci présentaient une couleur du plus joli vert pâle qui soit… Et elle accomplit à merveille son rôle de couveuse en diffusant une chaleur bienfaitrice aux œufs qui lui avaient été confiés. Pourtant, Gertrude aurait dû s’interroger quand, au bout de 21 jours, échéance habituelle chez les gallinacées, aucune vie ne se manifestait sous ses ailes protectrices. Elle patienta, patienta, et son attente fut récompensée, quand le 28ème jour, douze petits becs arrivèrent à percer les douze coquilles. Mais lorsque les petites boules jaunes apparurent, stupeur, elles ne ressemblaient pas aux habituelles boules jaunes des poussins : leurs becs sont différents, leurs pattes également, et ils pépient bizarrement…

Cependant, en dépit de ces différences, Gertrude adopte sa pseudo-progéniture qu’elle promène dans la cour de la ferme, et les canetons qui la suivent à la queue leu leu ne se posent pas de questions. On peut même penser que la poule est satisfaite de son sort, tant elle se redresse, toute fière. Quand, un jour, se retournant, elle découvre le vide derrière elle : elle les entend, mais elle ne les voit pas : où sont-ils passés ? A ses caquètements affolés, répondent des pépiements joyeux, un peu plus loin, là-bas, vers la mare, où les canetons heureux, s’ébattent joyeusement. La pauvre Gertrude surprise et inquiète, les appelle, en vain ; mais les garnements continuent à faire des ronds dans l’eau sans que la poule qui ne comprend toujours pas, puisse intervenir. Bien sûr, ils finiront par regagner le rivage, sans aucun remord, et suivront leur « mère » jusqu’à la gamelle garnie de granulés « premier âge ».

Et il en sera ainsi tous les jours, jusqu’au moment où devenus grands, les canetons vivront leur vie de canards. Quant à Gertrude elle se verra confier, enfin, de vrais œufs de poule d’où naîtront de vrais poussins. Et ce sera la fin d’une saynète rurale qui en a fait rire plus d’un.

Canetons fugueurs

Peut-on élever des canetons sans avoir recours à une cane ? Oui, possible, mais difficile. Un fermier en a fait la curieuse expérience.

Donc notre fermier achète au marché du Neubourg, douze canetons âgés de 10 jours, déjà bien vigoureux et bien remuants. Arrivé chez lui, il les installe dans un haut carton, garni de chiffons, dans lequel ils seront bien au chaud. Mieux encore, il suspend au dessus du « nid », une puissance ampoule électrique propre à diffuser une chaleur bienfaisante. Et, bientôt, serrés les uns contre les autres, les dix canetons s’endorment. La nurserie se situe au premier étage de la maison, dans une partie inhabitée, à laquelle on accède par un escalier rustique, très pentu. La porte donnant sur la cour a-t-elle été vraiment close, ou simplement poussée ?
Le lendemain matin, notre fermier monte voir comment s’était comportée sa « progéniture » durant la nuit, et là, stupeur, le nid est complètement vide… Bien sûr il ne comprend pas ; il émet diverses hypothèses dont aucune ne le satisfait dans l’immédiat. Un prédateur ? Il aurait laissé des traces. Un chapardeur, mais dans quel intérêt ? Tel un limier, il arpente la cour, visite tous les recoins : pas d’indices visibles. Un instant même, il soupçonne son chien… Désemparé, il sort de sa cour, regarde la route, vide à cette heure matinale : rien à signaler. Oui pourtant, les enfants partant pour l’école sont regroupés au bord de la mare, visiblement attirés par un spectacle qui les réjouit. Intrigué, le fermier que nous appellerons Daniel, va les rejoindre pour comprendre et, éventuellement rappeler aux gamins qu’il est temps de se dépêcher d’aller à l’école, quand il découvre ses canetons évoluant joyeusement sur la mare... Ils sont là les fugueurs !
Tout est bien qui finit bien, et pourtant la question se pose de savoir comment ces petites bêtes, arrivées la veille, ont pu ressentir la présence d’une mare, décidé de s’y rendre, en sautant l’une après l’une les marches d’un escalier, et franchir 100 mètres avant de pouvoir enfin sauter dans l’eau ? Elles disposent probablement d’un radar et d’un G P S propres à leur espèce.

En sautant de marche en marche pour s’évader, nos jeunes fugueurs ont certes accompli un exploit sportif, rien de comparable pourtant avec les performances réalisées par leurs cousins de la ferme voisine. En effet, ces cousins là, contrairement à la coutume, n’étaient pas nés dans la basse-cour, comme tout le monde, mais dans un grenier, leur mère ayant pondu clandestinement à l’abri de tous les regards. Elle n’aurait pas dû ignorer cependant qu’un caneton tout jeunot ne sait pas voler. Et pourtant toute sotte, en bas, sur le sol, elle les appelle, les appelle ; eux là-haut la regarde et jaugent la hauteur qui les sépare, ne sachant que faire. Quand un premier courageux se jette dans le vide de 3 mètres, et atterrit sans aucun dommage, bientôt suivi, alors, de tous ses frères : de véritables athlètes ! Hélas leurs records n’ont pas été homologués et il n’y en aura pas d’autres, car la cane enfin consciente de son erreur, n’a jamais plus pondu dans un grenier.

Taupin, un cheval pendant la guerre

1944 à la ferme de Senneville, une cour de ferme très active et très animée, 8 ou 9 employés en permanence, et plus au moment de la moisson, des moutons dans la bergerie (environ 200), des vaches dans l’étable, une vingtaine de poules dans le pigeonnier, des dindes et des pintades, des canards sur la mare avec des oies, des bœufs dans la bouverie, pigeons, ramiers, rondos.

Le maitre des lieux est revenu très affaibli, en mars 1943, de 3 ans de captivité en Allemagne où il travaillait aussi dans une ferme. Les chevaux sont nombreux à cette époque où ils remplacent les tracteurs. Ce sont des percherons. Ils sont regroupés par 3 : Bayard, pommelé gris bleu, Tambour, assez clair, également pommelé, Robert, noir, attribué également à Roger ou à Trompette; puis Faraud, marron roux foncé, Papillon, marron roux plus clair, Bijou, bai c’est-à-dire rouge brun; puis Mascotte, pommelée grise et blanche attribuée à Stanislas, l’âne Coquet, gris, et enfin Taupin, percheron noir, le cheval de la cour confié à Paul.

Taupin est le tâcheron de la bande, transportant de la menue paille, du bois, des betteraves, tout ce qui est nécessaire à l’alimentation des animaux et accomplissant les tâches variées de la ferme. Sa stalle est vers la seconde porte de l’écurie, la quatrième en partant du mur du sud.
Au printemps 1944, les allemands réquisitionnent des chevaux. Ils viennent à Senneville choisissent Taupin et l’emmènent. La vie et le travail continuent bien sûr tant pour les hommes que pour les animaux.

Le 6 juin 1944 a lieu le débarquement sur nos côtes. Eté 1944 la libération de la Normandie et de la France se poursuit. A l’automne 1944 on apprend que les chevaux réquisitionnés sont rendus et que leurs propriétaires peuvent aller les chercher à Pont de L’Arche ce que font son maitre et Roger.

Taupin revient à Senneville et aussitôt arrivé dans « sa cour » il se précipite dans l’écurie, retrouve « sa place »
Les témoins en ont les larmes aux yeux et s’en souviennent encore avec émotion.

Les poules de Douville

Pendant la guerre le maire de Douville avait fait compter les poules élevées dans sa commune pour permettre une égale répartition des œufs.

Tcheka, le chien de Chantal

Le 2 septembre 1939 Hitler envahit la Pologne. Liées à la Pologne par un accord de défense, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. 8 mois s’écoulent avant que ne commencent réellement les combats. Ce fût la « drôle de guerre » période pendant laquelle la France reste sur la défensive.

Jusqu’au 10 mai 1940 l’opinion publique ne croit pas à la guerre. Le 22 mai Paul Reynaud déclare « la patrie en danger » au moment où les armées du Reich passent à l’attaque et entrent en France.

Les bombardements et l’avance des Allemands jettent des centaines de milliers de civils désemparés sur les routes de France grossissant les rangs des premiers réfugiés venus de Belgique. Ils avancent dans un pays bouleversé : c’est l’Exode.

Dans la vallée de l’Andelle, une jeune femme avec sa fille Chantal, âgée d’un an, et un bébé de 15 jours, Patrice, vie ce bouleversement : son mari mobilisé est absent.

Elle part dans sa voiture cabriolet Renault avec ses enfants et son chien Tcheka, un berger belge groenendael noir, animal chéri de son mari. En route elle s’arrête dans un garage pour faire de l’essence. Dans la fébrilité de ce voyage, un moment d’inattention et le chien disparait. On le cherche, affolé, en vain. Il faut repartir et la jeune femme demande au garagiste s’il veut bien s’en occuper. Elle lui donne son adresse et repart avec ses « petits ».

Elle reviendra assez vite chez elle après cette expédition décidée dans l’affolement. Et le chien ?

Il reviendra à la maison retrouvé par le merveilleux garagiste et expédié dans une caisse à trous aux bons soins des PTT. Admirable !

Tcheka retrouvera son maitre à son retour et vivra quelques années heureuses auprès de sa famille et des deux enfants qui ont grandi et vieilli mais s’en souviennent encore avec émotion.

            Noms des chevaux de Pîtres en 1922 relevés dans les Archives municipales:
Bayard, mouton Gustin, Rigadin, Coco, Bichette, Charlotte, Boulotte, Laury, Charlot, Coquette, Loulou, Poulot, Maurette, Poulotte, Plutus, Sultan, Coquet, Tambour, Margot, Papillon, Pinson, Nicotine…
Bijou arrive nettement en tête avec 9 représentants, suivis de 4 Charlots ...


Claude Certain

Nicole de Cournon



Qui a peint le val de Pîtres ?

Pierre Le Trividic La plaine de Pîtres

Qui a peint le Val de Pîtres ?


Dans le domaine des arts graphiques et plus particulièrement de la peinture, Rouen a vu passer les plus grands noms, quelle que soit l’époque ou la nationalité, de Richard Parkes Bonington (anglais, 1802-1828) à Marcel Duchamp (1887-1968), en passant par William Turner (anglais, 1775-1851), Camille Corot (1796-1875), Johan Barthold Jongkind (hollandais 1818-1891) ou Claude Monet (1840-1926). Cet environnement favorable a vu l’éclosion de « L’Ecole de Rouen », mouvement essentiellement paysagiste, tout d’abord ‘impressionniste’ avec Albert Lebourg (1849-1928) puis ‘fauve’ avec Robert-Antoine Pinchon (1886-1943), soit une trentaine de peintres nés entre 1850 et 1900 et formés à L’Ecole des Beaux Arts de Rouen. Citons également Pierre Le Trividic (1898-1960), portraitiste des rues et du port de Rouen.

Mais quel grand nom a bien pu venir peindre dans notre Val de Pitres ?

Aujourd’hui, les peintres amateurs foisonnent et nombre sont les expositions municipales qui les présentent au cours d’un week-end annuel. Force est de constater que cet engouement est récent et date des années 1950 pour les plus anciennes manifestations (1). Avant la seconde guerre mondiale, dans notre Basse Vallée de l’Andelle, le temps alloué aux loisirs, quand il existait, était plutôt consacré aux choses aratoires (chasse et pêche), qu’aux choses artistiques. De plus, nos familles rurales ayant besoin des bras de l’ensemble de la famille et des revenus en découlant pour vivre, elles voyaient inopportun un dessein artistique dans sa progéniture. Les désirs artistiques des enfants ne pouvaient être compris et assouvis que dans les milieux plus aisés, souvent urbains, et sensibles aux choses de l’Art.

1. Rouen inaugure sa première exposition municipale en 1833, sous l'égide du Conservateur du Musée des Beaux Arts, Louis Garneray (1783-1857), peintre de Marines au parcours artistique tumultueux ; quant à Paris, le « Salon » voit le jour en 1737, et même en 1667 par Colbert dans sa version d’origine, prétexte à montrer au Roi les œuvres créées par les artistes sous tutelle.

En fait, c’est dans l’amélioration des voies et des moyens de transport que se trouve la raison de la venue d’artistes dans nos campagnes. La ligne ferroviaire Paris-Rouen ouvre en 1843. Et c’est souvent, sur l’invitation de proches que l’on voit arriver ces peintres et leur palette. Ainsi Camille Pissarro (1830-1903) débarque aux Damps en septembre 1892, près de Pont-de-l’Arche sur l’invitation d’Octave Mirbeau (1848-1917), écrivain et critique d’art, qui possède une magnifique résidence sur les bords de l’Eure et y réside de 1888 à 1892 (2). Pissarro nous laisse quelques toiles montrant « Le Jardin d’Octave Mirbeau », où la plaine d’Igoville s’éclaire des lumières dorées des champs de blé.

2. Cette propriété existe toujours. 

PISSARRO Le Jardin d'Octave Mirbeau  73x92 coll. Mayer Chicago
PISSARRO Le Jardin d'Octave Mirbeau 73x92 coll. Mayer Chicago

Tout comme Georges Sporck (1870-1943), compositeur et grand collectionneur, qui incite Pierre Dumont (1884-1936) (3) à peindre sa magnifique propriété anglo-normande qui se dresse sur les quais du Petit-Andely.

3. Peintre renommé appartenant à la seconde génération de « L’Ecole de Rouen » et ami intime de Pinchon et Marcel Duchamp.

Dumont Le petit Andely   81x100, 1923
Dumont Le petit Andely 81x100, 1923

Toujours au Petit-Andely, Paul Signac (1863-1935) s’y installe durant l’été 1886 et compose une dizaine de toiles divisionnistes (pointillistes), qui sont aujourd'hui au Musée d’Orsay, à la National Gallery, etc., œuvres devenues de référence pour ce mouvement néo-impressionniste. 
SIGNAC Les Andelys 65x81 Musée d'Orsay
SIGNAC Les Andelys 65x81 Musée d'Orsay

Afin de ne pas nous disperser, nous tairons les peintres locaux andelysiens, mais toutefois reconnus, de la fin du XIXème et première moitié du XXème siècles, tels Eugène Clary, Georges Le Meilleur, René Sautin, deux des fils Pissarro (Ludovic Rodo et Georges Manzana), etc
POUSSIN Autoportrait 98x74 Louvre
POUSSIN Autoportrait 98x74 Louvre
POUSSIN Autoportrait 98x74 Louvre - détail de l'autoportrait
détail de l'autoportrait

Parmi les "très grands", vous me direz que Nicolas Poussin (1594-1665) est né Aux Andelys. Mais, en fait, il n’a jamais représenté quelque paysage normand que ce soit, le « paysage », art mineur à cette époque, servant de fond de composition ou confortant le message pictural du peintre dans les meilleurs cas. Nonobstant, Poussin ne renia jamais ses origines normandes, les exhibant même fièrement dans une de ses dernières œuvres, un autoportrait, en 1650 : « Nicolai Poussini Andelyensis Pictoris »
LEBOURG La Seine à Muids 46x80 coll. part.
LEBOURG La Seine à Muids 46x80 coll. part.

KNIGHT Le moulin de Muids coll. part.

En nous rapprochant de la Vallée de l’Andelle, nous trouvons Muids qui accueillit Albert Lebourg durant l’été 1903. Quelques années auparavant, en 1895, le peintre américain Aston Knight (1873-1948) avait portraituré « Le Moulin de Muids ».
Louis Aston Knight, comme toute une colonie de peintres américains qui parcouraient la Normandie, "fournissait" pour le marché outre-atlantique. Il répondait à une clientèle de collectionneurs friands du côté romantique et exotique « à la française ».

Niquet.  Neige à Poses, 1916  54x65
Niquet. Neige à Poses, 1916 54x65

De l’autre côté des écluses, Léon Suzanne (1870-1923), peintre de ‘L’Ecole de Rouen’, puis son disciple, Marcel Niquet (1889-1968), né à Poses et y ayant effectué toute sa carrière, ont peint les bords de Seine et ses activités de batellerie ou de pêche.
           
DELATTRE Pont de l'Arche 54x65 coll. part.
DELATTRE Pont de l'Arche 54x65 coll. part.

Un peu plus loin, un pilier de « L’Ecole de Rouen », Joseph Delattre (1858-1912) est venu peindre la plaine du (vieux) Vaudreuil et ses peupliers vers 1895, ainsi que le pont qui enjambe la Seine à Pont de l’Arche. Gustave Loiseau (1865-1935) a régulièrement posé son chevalet dans la campagne euroise et, tout particulièrement celle des fermes de St Cyr-du-Vaudreuil.

Oui, il y a bien la dynastie Langlois à Pont-de-l’Arche, Hyacinthe (1777-1837) et son fils Polyclès Langlois (1814-1872), mais leurs sujets de prédilection se tournent vers les monuments rouennais.
LOISEAU St Cyr du Vaudreuil 60x73 coll.part.
LOISEAU St Cyr du Vaudreuil 60x73 coll.part.

Concernant enfin la basse Vallée de l’Andelle, notons que Philippe Zacharie (1849-1915), Professeur de dessin aux Beaux Arts de Rouen dès 1879 et ainsi maître de toute une génération de peintres dont Pinchon et Le Trividic, est né à Radepont. A notre connaissance, aucune vue de sa ville natale de sa main.
MALENCON Edmond terrassant le sanglier, tel saint Georges le dragon
MALENCON Edmond terrassant le sanglier, tel saint Georges le dragon

Certes, le Château de Pont-Saint-Pierre a bien été reproduit en gravure, mais dans un but plus descriptif et historié qu’artistique. C’est également un peu le cas de Paul Malençon, avec ses cinq tableaux sur la Légende des Deux Amants, peintre au cœur des recherches de notre ami Jean Barette (voir notre bulletin n°4). Idem pour Eugène Cauchois (1850-1911), grand peintre de natures mortes, né à La-Neuville-Chant-d’Oisel, mais sans paysage local laissé.

Il faut connaître cette anecdote croustillante mais navrante : le grand Claude Monet aimait à demander à Michel, son second fils, de le conduire dans la côte des Deux Amants, afin de jouir du point de vue. En effet, Claude Monet posséda l’une des premières automobiles du département, une Panhard-Levassor. Et Michel, conducteur passionné, prenait alors le volant (4). Mais Claude Monet ne peindra rien de notre vallée de l’Andelle, hélas !

4. Michel Monet perdra la vie, d’ailleurs, d’un accident de la route en 1960

Mais tout cela ne nous dit pas qui a posé son chevalet au Val de Pitres ! Deux noms prestigieux liés à « L’Ecole de Rouen » se dégagent et que nous traiterons dans un prochain article.

Allez, je vous le dis : Robert-Antoine Pinchon et Pierre Le Trividic.
Lire aussi les articles sur Marcel Niquet et Léon Minet

Eric Puyhaubert




Bibliographie

Lespinasse L'école de Rouen
Michel de Decker Claude Monet
Pissaro et Venturi Catalogue raisonné (archives personnelles)

N.B. une partie des tableaux ici représentés ne se trouvent pas sur internet



Le pertuis de Poses

Le Pertuis de Poses

Le pertuis de Poses
Un canal dans la plaine…


Sur la carte de CASSINI N° 25 du début XIXe siècle figure un ouvrage dans la plaine de Poses, canal avec écluse et pont ; et pourtant ce canal et ses équipements n'ont jamais existé ! Notons que ce canal figure justement à proximité du village de Poses où se trouvait un pertuis*, difficulté majeure pour la navigation en Seine
Le Pertuis de Poses - Carte de Cassini N°25 Rouen 1820 environ
Carte de Cassini N°25 Rouen 1820 environ

La navigation sur la Seine à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle

Nécessités économiques

De tout temps et en particulier à la fin du XVIIIe siècle et durant le XIXe siècle la navigation sur la Seine a eu une très grande importance pour le commerce intérieur des marchandises et même pour le transport de voyageurs. Grâce à des canaux permettant la jonction avec la Loire, puis de la Loire avec la Saône, une communication continue existe entre l'Océan et la Méditerranée et traverse la France du Nord-ouest au Sud-est. Cette voie facilite alors les importations et exportations en produits de toutes sortes et approvisionne la Capitale avec une redistribution dans tout le pays. C'est dire l'importance économique à cette époque de la Seine, maillon essentiel du réseau fluvial en France. En 1824 il transite entre Paris et Rouen 150 000 t de marchandises (25 000 t par la route) et 300 000 t entre Paris et le Havre. Tout obstacle sur la Seine induisait un coût supplémentaire parfois énorme pour ce transport. Une des préoccupations des gouvernants était donc de réduire ces obstacles. L'un d'eux justement était très célèbre dans le monde des mariniers, c'était le Pertuis de Poses.

Types de bateaux utilisés

Le transport se fait par des bateaux de bois de différentes sortes, souvent ces bateaux ne faisait qu'un seul voyage, à leur arrivée à Paris ils étaient "déchirés" pour fournir du bois de chauffage. Pour les marchandises il y avait quatre classes qui diffèrent par leurs longueurs 56 ; 59 ; 38 et 34 mètres et largeurs respectives 9,33 ; 8,40 ; 7 et 6,50 mètres. Avant la révolution une centaine de bateaux de ces sortes assuraient le service entre Paris et Rouen.
Le Pertuis de Poses - Bateau ou besogne* fait et construit par Vincent Coullon à Auxerre
Bateau ou besogne* fait et construit par Vincent Coullon à Auxerre

L'accueil, la maintenance de ces bateaux nécessitent des ports, dans l'Eure, Pont-de-l'Arche, Poses, Les Andelys, Vernon sont des ports ; Poses est de plus un relais de halage et un lieu de péage.

Les méthodes de navigation

            Une des méthodes de navigation la plus usitée sur la Seine fut sans conteste le halage* avant que la vapeur ne la rende obsolète.
Le Pertuis de Poses - Le halage par des humains
Le halage par des humains

Le chemin de halage existait déjà au XVe siècle comme en témoigne une ordonnance royale de 1415 faisant obligation aux riverains de créer et d’entretenir un chemin pour le trait des chevaux d’où des conflits fréquents entre riverains et bateliers. Mais, nous le confirment les procès-verbaux de la Vicomté de l’Eau au XVIIIe siècle, le chemin de halage était souvent en mauvais état, envahi par le fleuve, les chevaux avançaient alors avec de l’eau jusqu’au ventre… On note jusqu’à 122 contraventions dans l’Eure en 1766 pour chemin mal entretenu.
Le cheval de rivière, animal de trait pour les bateaux, ne remplace, dans notre région, les hommes ou haleurs qu’à partir de Louis XV. Le cheval utilisé pour le halage était une race particulière, « cheval de rivière », race rustique de souche cauchoise qui devait être dressée pour ce travail ; l’emploi de chevaux d’agriculture pour le halage se révélait souvent un échec et entraînait parfois des accidents.
Le Pertuis de Poses - Le halage par des chevaux
Le halage par des chevaux

Le halage était dangereux, la perte des chevaux par blessure ou noyade fréquente. Le cheval, animal coûteux, bien soigné, devait être sauvé à tout prix ; le charretier était autorisé à sacrifier plutôt le bateau que son attelage, par exemple en sectionnant avec une dague qu’il portait à la ceinture le châbliau*, câble de trait du bateau.
Le Pertuis de Poses - Chevaux de halage - E. Frémiet
Chevaux de halage - E. Frémiet

Les équipements (harnais de rivière, collier de marine, courbes, câbles) étaient dispendieux ; à Poses, le coût des câbles représentait jusqu’à 10% des frais payés par les mariniers pour le franchissement du pertuis ; autrefois, les habitants des villages environnants appelaient les Posiens « les câbleux », allusion à l’utilisation massive de cordages. Les chevaux qui avançaient de front par deux le plus souvent, formaient une courbe*, plusieurs courbes successives constituant le run*, chaque courbe devait être guidée par un homme charretier. 
Sur un magnifique vitrail de 1605 dans l'église Notre-Dame-des-Arts à Pont-de-l'Arche figure une scène montrant le halage de deux bateaux mêlant humains (richement habillés) et chevaux formant des courbes.
Le Pertuis de Poses - Vitrail de l'église Notre-Dame -des-Arts à Pont-de-l'Arche. (Photo Nicole Calas)
Vitrail de l'église Notre-Dame -des-Arts à Pont-de-l'Arche. (Photo Nicole Calas)

Le vitrail est constitué de quatre panneaux qui fourmillent de détails.
– Dans le premier à droite on voit les chevaux menés par des charretiers.
– Dans le deuxième plusieurs dizaines de haleurs – hommes, femmes et enfants – en tenue du dimanche tirent des cordages.
Le Pertuis de Poses - Les haleurs (Photo Nicole Calas)
Les haleurs (Photo Nicole Calas)

– Dans le troisième deux commerçants, propriétaires des bateaux, reconnaissables à leurs capes de voyageurs, surveillent les opérations.
Le Pertuis de Poses - La cité de Pont-de-l'Arche (Photo Nicole Calas)
La cité de Pont-de-l'Arche (Photo Nicole Calas)

– Dans le dernier la cité de Pont-de-l'Arche et les deux bateaux qui sont halés Les deux bateaux sont reliés par un câble et sur le pont se trouve le maitre de pont, personnage qui dirigeait et guidait les monteurs afin d'éviter que le bateau ne percute une pile du pont.
Le Pertuis de Poses - Chronologie des différents moyens de navigation sur la Seine de la fin du XVIIIe au début du XXe
Chronologie des différents moyens de navigation sur la Seine de la fin du XVIIIe au début du XXe

Dans cette même ville de Pont-de-l'Arche s'est développée une industrie de la chaussure dont une des origines pourrait être liée à la nécessité de fournir aux haleurs des chaussures destinées en particulier à leur activité
Les charretiers de rivière constituaient un groupe professionnel, artisans riverains du fleuve, spécialisés dans le halage dont le monopole était confirmé par des privilèges locaux et qui étaient payés par les bateliers. Ces derniers avaient aussi en charge la nourriture des animaux ; les charretiers de Poses s’estimaient les plus qualifiés de Poses à Vernon. Des conflits naissaient souvent entre les artisans de cette corporation.

Le pertuis de Poses et son franchissement

Le Pertuis de Poses En bleu les cours d'eau : Seine, Andelle En bleu foncé le pertuis de Poses En rouge les différents chemins de halage En pointillés rouges les traversées du pertuis
Le Pertuis de Poses
En bleu les cours d'eau : Seine, Andelle
En bleu foncé le pertuis de Poses
En rouge les différents chemins de halage
En pointillés rouges les traversées du pertuis

Poses est une commune de l'Eure située dans une boucle de la Seine. Le barrage et les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts, en face de Poses, se situent au PK 202*, à 40 km à l'amont de Rouen. Ce sont les derniers ouvrages de la Seine avant la mer à 163 km. D'abord village de pécheurs et de haleurs il est devenu le lieu d'ancrage de nombreux mariniers, ces activités fluviales montrent bien l'emprise que la Seine a exercé de tout temps sur le village.
Le franchissement du pertuis de Poses qui s’étalait sur environ 3 km de l’amont de l’embouchure de l’Andelle au Mesnil de Poses-Tournedos, était impossible en période de crue et en basses eaux d’été lorsque la profondeur de la rivière pouvait s’abaisser à 0,65 m voire
0,50 m.
Aux péages royaux ou communaux (droit de tonlieu*, de boète*, de jettement*, de levage*, de gouvernail*, de chaîne*, de travers, de neuvage*) s’ajoutaient à Poses des faux frais qui étaient de véritables concessions : droit de bourgel*, droit de taraugage*, droit de palage*, droit de parage*, droit de bachot*. Les frais étaient cinq fois plus élevés à la remonte qu’à la descente, ceux pour les cordes représentaient 10% des sommes dues par le marinier. 

Diverses activités induites par le halage animaient les rives de la Seine dans la traversée du village : relais d’écurie, auberges, tavernes, maréchaux-ferrants, bourreliers, cordiers, charpentiers de marine, approvisionnement des animaux en nourriture… et faisait bien entendu la prospérité du village.

Les conséquences liées aux difficultés de la remonte, possible environ 6 mois par an seulement, étaient nombreuses :
– multiplication des chevaux : aux chevaux de run* (4 à 10) nécessaires pour haler dans les racles* s’ajoutaient, à la remonte de ce pertuis, des chevaux de renfort*, de 12 à 46 pour les bateaux les plus grands et en charge.
– nécessité de spécialistes locaux : les charretiers-relayeurs*, le maître de pertuis, charge royale, devenu chef de pertuis après la Révolution assisté de 16 à 40 aides ou farigaudiers*. Chef incontesté, le maître de pertuis, responsable du passage, organisait la remonte et la descente des bateaux, déterminait le nombre de chevaux nécessaires, faisait payer les péages…
– participation de nombreux hommes pour les manœuvres : changement de rives des hommes et des bateaux, transport et guide des cordages, aides diverses… 450 hommes, encore au milieu du XIXe siècle, travaillaient au halage à Poses, un nom de famille typiquement posien est hérité de cette période : HALLE HALLE.
– voyages longs, dangereux et difficiles ; la configuration géographique du fleuve entraînait de nombreux changements de rive : 52 entre Rouen et Paris en basses eaux, 8 à Poses sur 3 km. Plusieurs heures – plus de 5 pour des bateaux moyens – étaient nécessaires pour franchir le pertuis de Poses. Pour un voyage Rouen-Paris aller et retour, les bateliers partaient 15 à 20 jours jusqu’à 1 mois dans les moments les plus difficiles.
– des voyages coûteux pour les bateliers :
Le Pertuis de Poses - Embarquement à Paris sur un coche d'eau
Embarquement à Paris sur un coche d'eau

Si l’essentiel du halage assurait le transport des marchandises, le transport des voyageurs par coches d’eau halés par des hommes et des chevaux, organisé dès le XVIIe siècle, se pratiquait encore au XIXe ; des batelets* de 12 places ou des galiotes avec 72 personnes à bord emmenaient en « service accéléré », prioritaire, en marche forcée, 24 heures sur 24, les voyageurs en 5 jours de Rouen à Paris et en 4 jours à la descente. Durant ce trajet, véritable aventure, les voyageurs étaient parfois amenés à mettre pied à terre afin que le bateau franchît à vide les passages difficiles.
Le Pertuis de Poses - Un autre type de coche d'eau
Un autre type de coche d'eau

Les problèmes posés par le pertuis de Poses

Jusqu'en 1852, date des premiers barrages et écluse à Poses, le fleuve était dans un état quasi sauvage. Seuls, quelques aménagements sommaires réalisés en 1749, 1795 et 1839, construction à l'aval de perrés* de pierre perpendiculaires aux rives, assuraient une certaine retenue d'eau pour la navigation mais renforçaient les courants ; il faut imaginer un niveau de la Seine 4 à 5 m plus bas que l'actuel à l'amont, des atterrissements, bancs de galets par exemple, une rivière avec plusieurs bras de faible profondeur et aux courants violents ; il y avait 1,40 m de dénivelé sur 3 à 4 km entre l'aval, ancienne embouchure de l'Andelle, et le Mesnil à Poses à l'amont.

Dans ces conditions la navigation dans le bras de Poses, rive gauche, était très difficile, dangereuse et longue (plusieurs heures pour franchir ce pertuis). De plus la navigation n'était possible que moins de six mois par an, à cause notamment des périodes de crue ou au contraire d'étiage, c'était donc un frein au développement du commerce, à une époque où 80 % des transports, entre Rouen et Paris, étaient assurés par voie fluviale. Ce pertuis, comme le pertuis de la Morue dans la région de Bezons, avait un impact négatif sur le commerce de l'époque.

À cela s'ajoutaient d'autres difficultés financières, en effet franchir ce pertuis était une entreprise fort onéreuse par le nombre de personnes employées et de chevaux utilisés. En particulier pour la remonte il fallait faire appel à du renfort ; aux XVIIIe et XIXe siècles, selon la catégorie du bateau, de 24 à 46 chevaux étaient nécessaires pour les bateaux montants ; la descente du fleuve n'était pas exempte de dangers, loin s'en faut. Aussi toutes ces difficultés de navigation au niveau de son pertuis rendaient-elles Poses célèbre chez les mariniers ! D'où l'idée ancienne d'aménager voire de supprimer ce pertuis.

Les solutions proposées

Pendant une soixantaine d'années, de multiples projets pour supprimer ce pertuis sont envisagés, les uns très élaborés, les autres justes ébauchés, certains parfois irréalistes. En voici quelques uns :

 
1) Dans un premier projet, on proposait d'ouvrir un canal de Portejoie à Longuemare, petite ferme sur le cours de l'Eure, et de rendre l'Eure navigable de ce point jusqu'au village des Damps où l'Eure se jetait dans la Seine.
2) Dans un deuxième projet, on proposait de rendre à la Seine sa profondeur et donc de la rendre navigable entre Portejoie et Poses.
3) Dans un troisième projet, on proposait d'ouvrir un canal partant au dessus du village de Portejoie et ayant son embouchure dans la Seine, vis-à-vis du Manoir.
Le Pertuis de Poses - Les trois premiers projets pour réduire le Pertuis
Les trois premiers projets pour réduire le Pertuis
4) Enfin diverses considérations techniques permirent d'envisager un projet de canal dans la plaine de Poses, entre le Mesnil de Poses et le Calvaire, projet présenté en 1812 par M. LESCAILLE Ingénieur en chef du Corps royal des Ponts et Chaussées.

Le projet de canal dans la plaine de Poses

Prises de décisions et avancement du projet
Le premier texte, émanant de l'État, abordant le problème du pertuis de Poses est un arrêté du comité de travaux de la Convention Nationale du 28 floréal an III (17 mai 1794) qui stipule, notamment, que « la commission des travaux publics, prendra sans délai les mesures nécessaires pour perfectionner la navigation de la Seine depuis Paris jusqu'à Rouen, principalement au passage de Poses »
Le Pertuis de Poses - Copie récente d'un arrêté du comité de travaux de la Convention Nationale 1794
Copie récente d'un arrêté du comité de travaux de la Convention Nationale 1794

Dans un mémoire remis en 1810 au chef du gouvernement lors de la visite des travaux de l'écluse de Pont-de-l'Arche par Napoléon 1er il est écrit : « … les différents travaux qu'il serait absolument indispensable d'exécuter pour éviter le passage difficile et dangereux du pertuis de Poses ».
Un décret du 24 février 1811 de sa Majesté Impériale et Royale ordonne de construire une écluse à Poses ainsi que le mentionne un arrêté du Préfet de l'Eure, en date du 14 avril 1811 qui indique : « La navigation étant extrêmement difficile dans la partie du cours de la Seine vis-à-vis le village de Poses et au dessus de ce village jusqu'à Portejoie, le Gouvernement a reconnu la nécessité d'entreprendre les travaux nécessaires pour éviter ce passage et faciliter d'autant plus la navigation qu'au moyen de ces travaux, de ceux qui sont sur le point d'être exécutés à Pont-de-l'Arche et de ceux que l'on projette de faire à Vernon, elle n'éprouvera plus que de légers obstacles pour arriver jusqu'à la capitale de l'Empire. ». S'ensuit un devis concernant les travaux à effectuer. Dans une note du 28 juin 1811 en marge du même document, il est indiqué qu'une adjudication de 139 900 F a été faite le 11 juin 1811.
Le Pertuis de Poses - Arrêté du Préfet de l'Eure du 14.04.1811
Arrêté du Préfet de l'Eure du 14.04.1811

Ci-dessous "traduction" de la lettre

6e Arrondissement du Bassin de Seine
Rivière de Seine Écluse de Poses
Département de l'Eure
Navigation Intérieure
Devis des ouvrages à faire pour les approvisionnements nécessaires pour la construction d'une écluse à sas en aval et près le village de Poses à l'embouchure d'un canal de dérivation que l'on projette d'ouvrir, afin d'éviter à la navigation les obstacles qui s'opposent à la libre circulation vis-à-vis de Poses et au dessus de ce village jusqu'à Portejoie.
Observations préliminaires
La navigation étant extrêmement difficile dans la partie du cours de la Seine située vis-à-vis le village de Poses et au dessus de ce village jusqu'à Portejoie, le Gouvernement a reconnu la nécessité d'entreprendre des travaux nécessaires pour éviter le passage et faciliter d'autant plus la navigation qu'au moyen de ces travaux, de ceux qui sont sur le point d'être exécutés à Pont-de-l'Arche et de ceux que l'on projette de faire à Vernon, elle n'éprouvera plus que de légers obstacles pour arriver jusqu'à la Capitale de l'Empire

Article 1er […]

Le Pertuis de Poses - Brochure parue en 1822 contenant le mémoire de M. DE LESCAILLE
Brochure parue en 1822 contenant le mémoire de M. DE LESCAILLE

D'après un mémoire du 20 janvier 1812, de 23 pages extrêmement complet et précis, présenté par M. DE LESCAILLE ingénieur en chef, le Conseil Général des Ponts et Chaussées a arrêté que « les ouvrages à exécuter devaient être établis sur la rive gauche de la Seine où se fait le halage au moyen d'un canal de dérivation et d'une écluse à sas destinée à racheter la chute de 1,40 m qui existe sur toute la longueur du pertuis de Poses ». 

Travaux envisagés, caractéristiques
Pour annihiler les effets du pertuis, il est projeté quatre ouvrages principaux à savoir :
– un canal en ligne droite partant du Mesnil de Poses, passant par le Calvaire de Poses et se terminant dans la Seine à l'aval de ce calvaire.
longueur totale :         4061 m
largeur :                         20 m
Les terres de déblai constitueront deux talus jouant le rôle de digues assez hautes pour mettre le canal à l'abri des inondations

– une écluse à sas destinée à racheter la chute de 1,40 m qui existe sur toute la longueur du pertuis de Poses
longueur du sas :        70,00 m
largeur du sas :            7,80 m
mouillage :                  1,75 m
– un petit pont tournant sur la tête amont de l'écluse de 1,45 m de large pour piétons et chevaux

– un pont en charpente, plus vers l'aval assurant la continuité des chemins entre Poses, Léry et le Vaudreuil
La surface totale des ouvrages couvrant 32 ha.

Coûts et devis
En 1812 nous avons des calculs approximatifs (base : écluse de Pont-de-l'Arche) 
– Estimation                                                                                       1 417 315, 00 F
– Intérêts par an 4 %                                                                                56 692, 00 F
qui seront couvert par les produits du passage des bateaux soit               57 743, 00 F
– Dépenses pour l'écluse projetée : traitements du receveur, du chef éclusier, des deux aides-éclusiers, entretien annuel, en tout                                                           10 000, 00 F


En 1813 nous avons un devis estimatif beaucoup plus précis :
– écluse à sas, pont tournant, pont charpenté, canal de dérivation       1 369 253, 08 F
– matériaux déjà approvisionnés après adjudication                               139 900, 00 F
Soit au total                                                                                         1 509 153, 08 F


En 1822 nouvelle estimation                                                                1 388 432, 00 F


Mise en œuvre
– une adjudication des travaux le 11 janvier 1811 pour 1 500 000 F
– un devis, du 14 avril 1811, des ouvrages à exécuter pour l'ouverture d'un canal de dérivation près de Poses
- avec approvisionnements nécessaires à la construction de l'écluse de Poses : 7600 m3 de moellons de la carrière de Vernon et 1890 m3 de pierre de taille de Vernon. Il semble que ces matériaux aient été amenés sur place

- avec une estimation à 1 417 315 F et versement annuel de 56 692 F couvert par les produits de passage des bateaux (c'est-à-dire péages) dans cette écluse soit 57 743 F– avec les dépenses, notamment en personnel, pour l'écluse projetée
– une lettre du Préfet du 28 mars 1812 qui ordonne l'envoi de déserteurs aux travaux de l'écluse de Poses
Le Pertuis de Poses - Lettre du Préfet du 28 mars 1812
Lettre du Préfet du 28 mars 1812

Problèmes


Bien entendu ce projet souleva quelques réticences et des problèmes apparurent inévitablement qu'on retrouve entre autre au travers :
– d'une délibération du Conseil Municipal de Poses du 27 octobre 1811 montrant l'opposition de la commune à la construction du canal pour diverses raisons, lesquelles seront réfutées aussitôt par M. DE LESCAILLE dans son mémoire.
– d'un courrier du 29 septembre 1818 portant sur l'attribution d'indemnités aux habitants du village pour entreposage sur leurs terrains, de matériaux destinés à la construction des ouvrages et qui indique donc les revendications de certains propriétaires.

Le projet était donc bien avancé comme en témoigne une quinzaine de courriers, en gros 70 pages, sur ce sujet : décret impérial, arrêtés préfectoraux, devis établis, mémoires, circulaires, lettres…
Et pourtant ce canal, malgré son report sur la carte de Cassini, ne sera jamais commencé ! 
Nous en ignorons encore les raisons. Peut-être que suite aux événements de cette époque troublée, le projet s'est révélé trop couteux ou peut-être que l'idée de construire une plus grande écluse à Amfreville-sous-les-Monts fit abandonner le projet. Il faudra attendre en effet 1850-1852 pour voir les premiers ouvrages (écluses et barrages) à Amfreville-sous-les-Monts et Poses qui supprimeront à tout jamais les inconvénients du célèbre pertuis.

 Le Pertuis de Poses - Les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts et le barrage de Poses aujourd'hui (2011)
Les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts et le barrage de Poses aujourd'hui (2011)

Hubert LABROUCHE

Jean-Carles EBRO



GLOSSAIRE

Le Pertuis de Poses - Allège
Allège : bateau de petite taille accompagnant les besognes et servant à vider temporairement ces dernières
Bachot (droit de) : indemnité pour conduire, grâce à une barque (le bachot) les aides du chef de pertuis à bord du bateau à haler (à Poses) 
Batelet : terme ancien désignant une barque d’assez grande taille 
Le Pertuis de Poses - Besogne ou bateau normand

Besogne ou bateau normand : bateau de bois assurant le transport des marchandises entre Paris et Rouen aux XVIIIe et XIXe siècles
Boête (droit de) ou droit de navigation : impôt recueilli dans une boîte
Bourgel (droit de) : gratification que le chef de pertuis est censé recevoir pour son fils sur la totalité des bateaux (à Poses)
Courbe : pièce de bois assurant la liaison entre cheval et bateau et où s’accroche la corde de trait, c’est aussi un couple de chevaux de rivière marchant de front
Châbliau : cordage de trait reliant le bateau aux chevaux pour le halage
Chaîne (droit de) : droit prélevé au passage de pont, de bac…
Charretier-relayeur : charretier de rivière chargé de recruter les chevaux de renfort pour le passage du pertuis
Farigaudiers : aides au chef ou maître de pertuis
Gouvernail (droit de) : droit d’escuyage ou droit de pilotage
Halage : pratique de navigation qui consiste à tirer (= haler) le bateau à partir de la berge par des hommes ou des animaux
Jettement (droit de) : droit, péage applicable aux marchandises débarquées
Levage (droit de) : taxe prélevée au passage des marchandises d’un pays dans un autre
Neuvage (droit de) : droit exigé de tout bateau neuf ou passant pour la première fois en certains points
Palage (droit de) : droit d’amarrage de courte durée sur des pieux, propriétés des riverains, afin de retenir les bateaux (péage typiquement posien)
Parage (droit de) : manœuvre payante qui consiste à empêcher les cordes des bateaux de s’arrêter aux obstacles de toute nature que présente le halage dans la traversée de Poses

Le Pertuis de Poses - Perrés
Perrés : murs, revêtements en pierres sèches qui protège un ouvrage et empêche les eaux de le dégrader ou les terres d'un talus de s'effondrer
Pertuis : endroit rétréci, à forte pente, de faible profondeur où le courant est très rapide
PK 202 : Point kilométrique 202, signifie que le lieu en question se situe à 202 km, en suivant la Seine, de l'origine qui se situe à la pointe de l'Île de la Cité à Paris
Racle : endroit du fleuve aux eaux calmes, profondes, de navigation aisée
Remorquage : pratique consistant à tirer ou remorquer un bateau non motorisé avec un bateau motorisé, un remorqueur le plus souvent
Renfort (chevaux de) : chevaux supplémentaires pour effectuer la remonte de la rivière aux endroits difficiles tels les pertuis ou les ponts
Run (chevaux de) : chevaux de rivière nécessaires pour haler les bateaux sur le parcours
« normal » du fleuve
Taraugage : manœuvre payante qu’un aide de pertuis effectue en dehors du pertuis (à Poses)
Tonlieu (droit de) : impôt perçu au profit du pouvoir souverain
Touage : système de propulsion en se halant sur une chaîne ou un câble tendu au fond de la rivière