1 avril 2017

James MacPherson Lemoine en visite à Pîtres

James Mac Pherson Le Moine

Un Québecois chez l'Abbé Vaurabourg


Le texte ci-dessous est la traduction par nos soins d’un extrait de « Edimbourg, Rouen, York », récit d’un voyage en Europe, dans lequel James Mac Pherson Le Moine, historien reconnu au Québec, raconte son passage à Pîtres sur les traces de ses ancêtres et sa rencontre avec l’abbé Vaurabourg. Il existe à Québec une avenue James Lemoine (on y a préféré oublier le côté écossais du personnage)

Arrêtons-nous au centre d’un vieux village normand et voyons s’il ressemble à nos propres villages français. (Note : l'auteur parle des villages canadiens français)
Nous sommes à Pîtres, qui fut jadis le siège du royaume, et est maintenant une commune modeste, rustique, résidence tranquille d’une paysannerie industrieuse. Il est là, étendu sous les rayons brûlants du soleil d’août, à l’ombre de collines élevées, à la jonction des charmantes vallées de la Seine, de l’Eure et de l’Andelle ; la plus élevée de ces collines s’appelle la Côte des Deux Amants, et nous verrons bientôt pourquoi. D’une minuscule gare de chemin de fer, la grande route, faite de pavés, passe sur un petit pont, le long de haies, de robustes murs de pierre et de pâturages, et mène vers le village, petit mais chargé d’Histoire. A plus d’un égard, le paysage rappelle le Canada, si ce n’est que les habitants paraissent plus pauvres, de manières plus rustres, moins éduqués, que chez nous. Ici, une ferme d’un seul niveau, à côté, une grange au toit de chaume, tout près, des paysans en blouses grossières bleues ou grises, moissonnant (pas de faucheuses ici) avec la même faucille primitive, utilisée depuis des siècles par leurs ancêtres : les femmes en blanches câlines gaufrées, sabots, mantelets, mènent les chevaux vers les champs de blé ou vers la grange.

Carte postale de l’église de Pîtres sans rosace
Carte postale de l’église de Pîtres sans rosace

Les prairies et les pâturages proches des fermes sont en général bien pourvus d’arbres ombreux. Malheureusement, la mutilation uniforme de l’arbre, dont on réduit toutes les branches à l’état de simples moignons, pour fabriquer du charbon de bois et des fagots, lui donne un aspect désolé, mutilé. Assailli douloureusement, dégingandé, l’arbre ressemble à un gigantesque parapluie fermé, couronné d’une coiffe feuillue, avec une frange de feuilles vertes descendant à quelques pieds du sol. Nous avons noté ces douloureuses difformités non seulement en Normandie, mais même tout près de Paris ; il faut aller en Angleterre pour trouver un respect convenable des parcs et des arbres. La Normandie cependant, nous a intéressés par sa magnifique race de chevaux de trait : ils sont généralement gris ou blancs. On rencontre à l’occasion ces splendides spécimens de la race équine à Paris et en Angleterre ; ils valent 2 500 francs, environ 100 livres, chacun. Ils étaient plus actifs et plus élégants que les chevaux flamands que nous avons vus sur les quais d’Anvers. Les énormes chevaux de trait d’Anvers ressemblent à des éléphants de taille modérée.
Reprenons notre examen de Pîtres. La petite église était délabrée, son cimetière négligé, couvert de mauvaises herbes, tout à fait, hélas, comme certains des nôtres. Sur le devant ou l’arrière des maisons, les carrés de légumes ou de fleurs : tournesols, roses, œillets, pavots, marguerites, pivoines, bruyère. Un petit jardin bien entretenu nous mena au presbytère où nous trouvâmes un curé aux cheveux blancs, charmant, hospitalier et instruit. Quel plaisant accueil quand nous, les Canadiens présentâmes nos lettres d’introduction !

Nous fûmes contraints d’accepter l’invitation cordiale de Monsieur le curé à partager avec lui ce qu’il lui plaisait d’appeler son pauvre ordinaire campagnard. « Pîtres est trop loin de Rouen, dit-il, pour que j’aie toujours sous la main de la viande fraiche, mais si vous pouvez vous résoudre à manger un lièvre normand, je vais en faire tuer un jeune et gras »  Ayant sur le champ accepté son offre, nous nous retirâmes avec notre hôte dans le jardin, pour examiner les parterres de fleurs, les plantations, les poiriers et les pommiers, et une sorte de vigne rustique cultivée en Normandie. Bientôt Marie, la vieille ménagère extrêmement active et très bavarde, vint nous dire que le déjeuner était prêt, « comme il était » ajouta-t-elle avec un soupir. Le voyage et l’exercice avaient bien sûr aiguisé notre appétit ; mon compagnon et moi-même fîmes amplement justice, d’abord au potage, ensuite au lièvre juteux et rôti, puis au gruyère, qui était exquis ; ensuite vint une petit plat de blanquette ; des pommes, des prunes et des poires suivirent ; le cidre normand est un délicieux breuvage, qui déborde des timbales d’argent ; puis un bordeaux vieux fit le tour de la table ; suivit une tasse d’un divin café moka ; les confiseries, et un petit verre d’eau de vie, pâle et vieille (c’est-à-dire une cuiller à café de vieux cognac dans de délicats verres de Sèvres) mit fin à la fête. Le pousse-café, qu’il faut avaler en trinquant à la mode de Normandie (c’est-à-dire que les verres doivent se choquer) : tout ceci d’un curé normand ne recevant de l’Etat que 900 francs par an, nous sembla une merveille d’hospitalité, de savoir-faire et de goût. L’abbé n’était pas seulement accueillant, c’était un gentilhomme cultivé et qui avait voyagé ; il nous détailla les annales de Pîtres, dont il avait écrit l’histoire. Après qu’il eût épuisé ses questions sur le Canada, ses coutumes, si les Anglais opprimaient les Français, sa population, son commerce, sa littérature, etc.…, ce fut notre tour d’en poser sur la Normandie de notre hôte ; « quelles traces restait-il de l’invasion normande du IXème siècle ? Quelle était l’histoire de la petite église paroissiale, qui, nous dit-on, datait de plus de mille ans ? Pourquoi la montagne proche s’appelait-elle la Côte des Deux Amants ? » Notre hôte répondit : « Depuis plus de vingt ans, je suis chargé de cette paroisse. Dans l’idée de restaurer les murs qui croulent de notre église chargée d’histoire, j’ai consacré mes soirées libres à compiler l’histoire de Pîtres, bien que la somme obtenue par la vente de cet ouvrage reste modeste. Vous serez sans nul doute étonnés d’apprendre qu’il y a mille ans le Roi de France avait un château royal dans ce hameau sans prétention.
Pîtres, à ses débuts, fut un poste de l’armée romaine, une résidence royale sous notre dynastie mérovingienne, le siège d’un palais, et une forteresse pour les princes de la seconde race. Les années auraient sans nul doute fait de Pîtres une ville importante, si un événement imprévu n’avait modifié sa destinée : les invasions normandes du IXème siècle ont brisé son avenir, et la construction à Pont de l’Arche de forts et de structures pour arrêter ces barbares a centré sur ce lieu la vie et les activités de Pîtres. C’est une longue histoire. Ce fut spécialement un prince de la lignée carolingienne, Charles le Chauve, qui donna à Pîtres son lustre dans ces jours anciens. Pîtres était renommé pour ses ateliers de monnaie, et il est plus que probable que ce fut pourquoi Charles le Chauve y publia en 864 la loi connue sous le nom d'Edit de Pîtres, concernant la frappe de la monnaie. Pîtres fut aussi choisi par Charles le Chauve comme lieu de rencontre de ces assemblées nationales connues comme les Conseils de Pîtres . En 861 et 862, dans cette même petite église près d'ici, que j'ai entrepris de restaurer, le roi de France Charles le Chauve tint ces Etats généraux auquel assistaient les archevêques de Rouen, Reims et Sens, les évêques de Paris, Évreux, Coutances, Soissons,  Senlis, Tournai, Chalon-sur-Saône, Laon, Meaux, Tournai, Troyes, Autun, Lisieux, Sées, Beauvais. En 864, un concile encore plus important s'y réunit, environ 50 archevêques et évêques ; mais je dois vous renvoyer à mon travail sur Pîtres pour plus de détails. En ce qui concerne le nom de cette colline, son origine est à la fois romantique et tragique. Il y a très très longtemps, un fier baron de Pîtres avait une fille très belle ; un jeune dont la naissance n'était pas noble lui avait sauvé la vie lors d'une chasse au sanglier et demandé sa main. Le baron, ajoutant la cruauté à la fierté, accepta, à la condition que le jeune, sans aide, et sans se reposer, la porte en haut de la côte. Il y réussit, mais tomba mort en arrivant.
« De crise cardiaque » suggéra mon compagnon…Le jeune était-il trop faible ou la jeune fille trop lourde, notre hôte ne pouvait dire. Après une telle catastrophe, la demoiselle sans aucun doute se retira dans un couvent.
Mesdames et Messieurs, j'ai décrit, tel que nous l'avons trouvé, un village de Normandie. Pîtres, vous ne vous en doutez pas forcément, avait pour nous un intérêt spécial. Il y a plus de 200 ans, un gentilhomme aventureux venu de Pîtres débarqua sur nos rivages et devint un seigneur canadien ; je suis l'un de ses descendants.

Extrait de Edimbourg, Rouen, York, conférence délivrée le 25 novembre 1881 devant la Literary and historical society .
D'origine écossaise et canadienne-française, James Mac Pherson LeMoine , membre fondateur de la Société royale du Canada, en est le président en 1894-1895. De 1863 à 1906, il publie sept volumes regroupés sous le titre Maple Leaves (feuilles d'érable), qui restent une référence au Canada


Les ancêtres de J.M. LeMoine - L'émigration vers le Canada

Louis Lamarre dit Gassion (≈1630- 1663) : matelot, né à Pîtres, arrive au Québec en juin 1658; il épouse la veuve  Jeanne Garnier en 1659; un petit-fils de Louis Lamarre, Jean-Philippe, s'établira sur la rive sud de Montréal et sera à l'origine d'une bonne partie des familles Lamarre de Laprairie, St-Philippe et villages des environs;

Jacques Le Ber dit Larose né vers 1633 à Pîtres de Robert LEBER et Colette CAVELIER, décédé en 1706 Montréal; est un grand notable de la Nouvelle-France, plus particulièrement de Montréal. Il arrive au pays en 1649. Il s’installe à Montréal vers 1654 où, comme bien des colons, il se transforme souvent en guerrier pour affronter les Iroquois. Même rendu à un âge avancé, il se rend au combat en territoire iroquois. En 1658, il épouse Jeanne Le Moyne (1636-1682), sœur de Charles Le Moyne de Longueuil et de Châteauguay et fille de Pierre Le Moyne, (décédé vers 1657 Dieppe) hôtelier à Dieppe, qui a des neveux à Pitres. Le couple a cinq enfants : une fille prénommée Jeanne, devenue une célèbre recluse*, et quatre fils dont Pierre, le premier peintre connu de Montréal. Peu de temps après de son mariage, Jacques Le Ber s’associe à son beau-frère Charles Le Moyne pour de prospères activités commerciales dans le domaine de la fourrure, la pêche à la morue, le commerce avec les Antilles; cofondateur de la Compagnie du Nord en 1682, il s’intéresse à l’ensemble des ressources canadiennes et s’avère un pionnier de leur exploitation. Vers 1670, il est désormais un puissant et respecté marchand. Il devient un de ces grands notables consultés par les autorités pour les affaires de la colonie. A une certaine époque, il est considéré comme le plus riche marchand du Canada.  Il est anobli en 1696, et achete, avec Charles LEMOINE, le domaine de Senneville dans Montréal.
* Jeanne Leber ( 1662-1714) est honorée au Canada à l'égale d'une sainte. A l'àge de 18 ans elle choisit de vivre recluse sous le toit paternel puis dans une cellule dans une chapelle qu’elle fit construire.
  
François Le Ber (1626-1694), frère de Jacques Le Ber s’installe en Nouvelle-France probablement vers 1657. Il est père d’une fille née d’un précédent mariage en France avec Françoise Lefrançois et de six autres enfants de son mariage en Nouvelle-France avec Jeanne Testard, originaire de Rouen en 1662.

Jean leMoyne des Pins, né en 1634 (ou 1640) à Pitres de Louis Le Moyne et Jeanne Lambert, quitte la France avec son frère en 1655 ou 1656 pour le  Québec

Ils s’associent avec des Leber, originaires eux aussi de Pîtres .