Les Vikings
La
fibule de Pîtres
De furore normanorum
"Libère-nous,
Seigneur, de la fureur des hommes du Nord !", c'est la prière que l'on
répète dans les églises après les multiples raids vikings du IXème, qui
pillaient particulièrement monastères et
abbayes.
L'abbé
Cochet, considéré comme un des principaux fondateurs de l'archéologie en
France, conservateur du musée des Antiquités de Rouen, a travaillé longuement
sur le site de Pîtres, et après ses
études sur la période gallo-romaine, il rend compte en 1871 dans cette
"Notice sur deux fibules scandinaves trouvées à Pîtres (Eure) en 1865 et
entrées au musée de Rouen" d'une très importante découverte
" Pendant cent ans les barques des
hommes du Nord ont couvert nos mers et
envahi nos fleuves. A diverses reprises des nuées de pirates se sont
abattues sur nos rivages et ont pillé nos villes et rançonné nos abbayes. Un siècle entier ils
ont fait trembler l'Europe et démoli
l'œuvre de Charlemagne : c'est à tel point que cette période de
l'histoire peut être appelée le siècle des Normands. Les peuples, abandonnés de
leurs chefs et réduits au désespoir, se
tournaient vers Dieu et les saints. Ils tiraient du fond des sanctuaires et du
sein des tombeaux les châsses et les
reliques des martyrs et des confesseurs, qu'ils portaient processionnellement-à
travers la contrée, demandant à grands cris d'être délivrés de la fureur des
Normands. La Seine les voyait
périodiquement apparaître sur ses bords, et chaque printemps ramenait dans nos
eaux les flottes barbares. Parfois même elles hivernaient dans nos îles et dans
nos camps. L'histoire a enregistré les noms d'Oissel et de Jeufosse comme ayant
été pour les Normands des stations de prédilection. …
De
cette grande époque piratique, qui avait agité le monde et fait trembler
l'Europe, nous ne possédions que quelques petites pièces d'argent connues sous
le nom de monnaies des Rois de la mer. En dehors de cela nous n'avions pas une
arme, pas un vase, pas un ornement que nous pussions avec certitude reporter à
nos origines normandes. …On citait bien, il est vrai, le casque
d'Amfreville-sous-les-Monts, aujourd'hui déposé au Musée National d'archéologie de Saint-Germain en Laye; mais la
preuve de sa nationalité n'a jamais été
administrée. [...]
Aujourd'hui, grâce à la découverte dont
nous venons de rendre compte, nous possédons sur l'époque normande des
invasions un monument incontestable ….
Le casque gaulois trouvé en Seine à Amfreville-sous-les-Monts se trouve aujourd’hui au Musée National d'archéologie de Saint-Germain en Laye. |
En 1865, un ouvrier terrassier tirait du caillou pour les routes dans un champ de la commune de Pitres, canton du Pont-de-l'Arche (Eure), quand il rencontra une sépulture dont il ne tint pas compte. Il venait de passer au tamis des cailloux remués par sa bêche et déjà il les avait jetés sur des tas de pierres choisies, lorsqu'il aperçut deux objets de métal fort différents du silex [...]
Le lieu [...] est on ne peut plus intéressant pour l'époque
qui nous occupe. Pitres, en effet, était un palatium
mérovingien voisin des bords de la Seine, et peu éloigné de cette ile d'Oissel
où avaient probablement hiverné les pirates scandinaves. C'était à Pitres qu'au
plus fort des invasions Charles le Chauve avait réuni trois diètes ou conciles
(de 861 à 869), afin de prendre des mesures contre ces mêmes Normands, la
terreur de la France. Pitres et son royal palais durent être l'objet de toutes
les convoitises des corsaires du Nord. Un d'entre eux, sans doute, y aura
trouvé son tombeau.1 "
1. Les Vikings pratiquaient traditionnellement
l'incinération, mais on note à cette
époque un nette régression au profit de l'inhumation.
En fait, l'abbé aurait dû écrire "une d'entre elles", car ces fibules "en carapace de
tortue" sont des attributs du vêtement féminin. Patrick Perrin, directeur
des Musées et monuments de la Seine-Maritime
qui a consacré aux fibules de Pîtres un article dans la revue
"Connaissance de l'Eure" d'avril 1993, explique que chacune est
composée de deux pièces de bronze, réunies par des rivets, chacune étant les
résultat d'un long travail de fonderie : matrice sculptée en bois dur, négatif
primaire en argile, positif secondaire en cire perdue, négatif secondaire en
argile recouvert d'une couche de cire,
puis d'argile pour obtenir la pièce avec ses deux faces, chauffage pour évacuer
la cire, et enfin moulage du bronze…. travail qui n'est pas fondamentalement
différent de ce qui se pratique aujourd'hui à quelques centaines de mètres dans
les aciéries du Manoir.
L'utilisation des fibules. |
Ces fibules sont assez répandues dans les nécropoles scandinaves, mais le modèle de Pîtres est relativement rare, et paraît originaire de Norvège.
Détail de la fibule |
Quant à la présence de cette tombe à Pîtres, elle ne peut s'expliquer que par un séjour prolongé de Vikings, qui dans ce cas pouvaient amener leurs femmes, peut-être en 855 lors de la prise du castrum.