1 mai 2017

Pîtres, d'un Empire à l'autre (1800-1850)

Pîtres

D’un Empire à l’autre
dans les archives municipales de Pîtres


Dans le numéro 1, nous avions laissé les habitants de Pîtres dans une situation de quasi-famine, en 1794, le conseil municipal tentant tous les moyens d'y pourvoir : envoi d'une délégation à Paris (l'instituteur Corot, ancien maire), tentatives d'achat de farine, et évidemment recours aux réquisitions, de moins en moins efficaces : en fructidor an III, les conseillers se disent "forcés de donner des sous" aux malheureux pour qu'ils se fassent délivrer du blé par les laboureurs de la commune "dont la plupart n'ont pas obéi à la moitié de la réquisition", donc ont gardé leur blé.
L'époque est encore troublée, la chute de Robespierre et les ennuis qu'ont maintenant ses partisans ont rendu les gens prudents, ainsi, le 15 brumaire an IV, (6/11/1795), on trouve : " les habitants ont été convoqués au son du tambour pour l'élection de l'agent municipal et de son adjoint; ne s'étant trouvées que quatre personnes, l'assemblée a été renvoyée à demain soir". La semaine suivante, Jean-Louis Menu est installé comme agent municipal. Il est marchand de bois, était représentant de Pîtres à la réunion de rédaction des cahiers de doléances en 1789 : c'est donc, après trois maires venus de la ville, le retour aux commandes d'un notable local, appartenant à ces familles de cultivateurs, marchands de bois ou mariniers dont les noms reviennent sans cesse :
Lebert, Letellier, Laurent, Gandois, Poulain, Mathias, Morlet, Thouet, Depîtres, Menu, Frèret, Frétigny, Tesson, Rose, Vigor….

L'Empire s'achève sur la défaite de Waterloo. En juillet 1815, soit un mois plus tard, on demande aux principaux propriétaires et habitants une acceptation de loger, nourrir et fournir les troupes alliées (anglais, prussiens, russes, autrichiens) : la France est occupée.
En 1816, sur demande du district, on organise l'abattage des arbres de la Liberté, derniers symboles de la Révolution (les derniers qui existent place des Frotteaux (sic); le prix de leur vente est distribué aux nécessiteux de Pîtres, comme de l'argent dont on aurait un peu honte...

La chute de Robespierre, le 9 Thermidor an II (juillet 1794) marque la fin de la Terreur, et l'arrivée au pouvoir, à la place des Jacobins, de modérés qui veulent en finir avec ce qu'ils considèrent comme des excès et jouir en paix des avantages qu'ils ont pu acquérir contre la noblesse et le clergé. Ils ne veulent donc surtout pas revenir en arrière, et pour ce faire finiront, contre le péril royaliste, par se trouver un homme fort : le général Bonaparte.
Que reste-t-il à Pîtres des personnages en vue de la Révolution ?
Jacques Dumont, membre du Comité de surveillance de Pîtres, donc très engagé avant Thermidor, au point de devoir se faire délivrer après la chute de Robespierre un brevet de "non-terrorisme" pour échapper aux poursuites et retrouver le droit de porter une arme, qui avait marié une fille à un Lecamus, famille de drapiers de Louviers, en novembre 93, devient maire de Pîtres en août 1795 (fructidor an III). Plus aucune mention de l'instituteur et maire Corot, sans doute retourné à Paris, ni de Jean Marc, marchand chandelier, maire en 1792 et 1793, si ce n'est son décès en 1799.

La propriété, les fortunes

Nous disposons pour les évaluer des matrices de contributions et de listes des plus forts imposés, sans malheureusement disposer d'une totale continuité.
En 1790, les contributions s'établissaient ainsi, en livres :
Milliard est le décimateur, c'est-à-dire qu'il est chargé de percevoir la dîme ecclésiastique, d'où sa fortune. Tesson est fermier d'un M. de Laloux de Belleville, et S. et L. Depître sont fermiers de Coqueréaumont.
Sieur Caillot de Coqueréaumont
634
 Milliard
 François, décimateur
375
 Depitre
 Fr-P et Louis
221
 Laurent
 Louis, pére
148
 Girot
 prop. bois du Taillis
145
 Tesson
 Guillaume
139
 Letellier
 Augustin
134
 Laurent
 Nicolas
129
 Morlet
 Jean
99
 Vigor
 Louis pére
84
 M. le curé

82
 Depître
 Simeon fils
80
 Depître
 Louis
80

Une grande partie de la propriété est donc entre les mains de non-résidents. La Révolution ne va pas bouleverser ce tableau. Des noms changent, mais la terre ne commencera pas à devenir propriété des habitants avant au moins un demi-siècle.


Les maires de Pîtres de 1789 à 1850
Avant 1789, il y a dans chaque paroisse un syndic, élu par une assemblée des chefs de famille de la paroisse. Après 1789, les maires sont élus par les citoyens actifs de la commune, payant une contribution d'au moins 3 journées de travail, mais ne sont éligibles que ceux qui paient un impôt d'au moins dix journées. Avec la Constitution de 1795, chaque commune élit un agent municipal qui participe à une municipalité cantonale, préfigurant nos communautés de communes.
Avec la constitution de l'an VIII (1799), qui établit le Consulat, les maires sont nommés par le préfet pour les communes de moins de 5 000 habitants. Après 1830 (Monarchie de Juillet), les maires restent nommés mais les conseillers sont élus, pour six ans.
Avec la Seconde République (1848), les maires sont élus par le conseil municipal pour les communes de moins de 6 000 habitants.

En 1789, le syndic est Jean François Lebert, gros propriétaire, puis Augustin Laurent, marchand de bois, est élu en fonction de la nouvelle loi
18/11/1792 Marie-Étienne Corot, "bourgeois de Paris et homme de loi", instituteur à Pîtres
Jean Marc maire de Pîttres
15/7/1794 Jean Marc, fabricant de chandelles, arrivé de Rouen en 1773
Jacques Dumont maire de Pîttres
août 1795 Jacques Dumont, ancien négociant de Rouen, ex-membre du comité de surveillance, donc jacobin
21 brumaire an IV Jean-Louis Menu, marchand de bois, agent municipal, J-B François Malherbe, curé, adjoint
J-B François Malherbe maire de Pîttres
3 prairial an IV J.B.Malherbe
maire de Pîttres
22 nivose an X Pierre-Louis Lebert, cultivateur
Jacques Gandois maire de Pîttres
28 février 1808 Jean Morlet, cultivateur, nommé en remplacement de Jacques Gandois, démissionnaire, Louis Laurent, adjoint
09/01/13 Morlet, cultivateur, Jacques Mathias, instituteur, adjoint
3/6/15 Pierre-François Victor Depîtres, et Jean-Baptiste Frétigny, adjoint, nommés prêtent serment à l'empereur
juillet 1815 Morlet (maire), Mathias (adjoint)
8/11/15 Louis Nicolas Letellier, nommé, prête serment au roi
15/10/21 Pierre-François Victor Depîtres, Jean-Baptiste Mathias, tonnelier, adjoint
20/02/26 Pierre-François Victor Depîtres, Jean-Baptiste Mathias, adjoint
2/7 /26 Charles Laurent, propriétaire et marchand, remplace André Laurent, décédé
6/10/31 Jacques Mathias Thouet, cultivateur, Jean-Baptiste Frétigny, maître marinier, Jean Nicolas Mathias, propriétaire et maître meunier, ancien membre réélu, prêtent serment
Jean-Baptiste Lapôtre maire de Pîttres
de 1832 à 1840 Jean-Baptiste Lapôtre, officier en retraite, épicier, nommé, Vigor, marchand de bois adjoint
Jean-Louis  Vigor maire de Pîttres
1840-48 Jean-Louis Vigor, adjoint Louis Gossent, maître marinier,
27/8/48 J- L. Vigor, élu pour trois ans, adjoint Jean-Baptiste Bizet. Ils jureront ensuite tous deux  obéissance à la Constitution et fidélité au Président en 1852
On note l'importance d'une belle signature, certaines sont particulièrement longues à tracer, mais le nombre de documents à signer n'était évidemment pas le même qu'aujourd'hui...
  

La matrice de 1829

C'est la première qui soit complète, recensant tous les contribuables, au nombre de 222. Nous reportons ceux qui paient plus de 100 francs de la "contribution personnelle" qui, assise sur la valeur locative des biens, donne une bonne appréciation de la fortune. Notons au passage que Mathias, meunier, paie aussi 1500 francs de patente ( la moitié du total des patentes à Pîtres).
Le total étant de 30 933 francs, on voit que près de la moitié de la fortune appartient à des propriétaires extérieurs, un tiers se trouvant aux mains de trois d'entre eux.
de Bernouville
Evreux
6379
Bizet
Rouen
1636
Duval François
Fresne l'Archevêque
1399
Depîtres
Pierre et Louis, Pîtres
1309
Delamotte
Rouen
1107
Depitre

850
Mathias
meunier, Pîtres
699
Chardon
foulonnier, Romilly
638
Delaplace
Damville (?)
624
Levavasseur
Rouen
481
Bisson

460
Chardon A
Pîtres
310
Duflot
Quevreville
300
Dobigné

300
Rose Louis
meunier, Pîtres
284
Frétigny
marinier, Pîtres
273
Milliard
cultivateur, Pîtres
269
Frétigny
Pîtres
261
Fréret robert
Pîtres
258
xxx
cultivateur, Pîtres
256
Lainé, propriétaire
marinier, Paris
237
Delaporte
aubergiste, Pont de l'Arche
221
Delamare
blatier
220
Lesueur
boucher, Pîtres
209
Dubois
blatier
201
Caillot
Paris
155
Cotton
La Neuville
130
Malot
propriétaire du bac
120
Halle Halle

107

Dans la matrice de 1833, seuls quelques noms changent, et la propriété reste largement entre les mains de propriétaires résidant à Rouen ou Evreux.
Bernouville
Evreux propriétaire
6379
Bizet
Rouen, propriétaire
1760
Quesnay
Mt St aignan, prop
1233
Soubiramme            propriétaire
1107
Mathias
Pîtres meunier
811
Delaplace
Douville
624
Chardon
Romilly foulonnier
600
Laurent A.
Pîtres
450
Depitres
Pîtres
430
Lesueur
Pîtres boucher
299
Rose
Pîtres cultivateur
264

En 1840, le plus fort imposé est le baron Claude Le Doulx de Melleville. Un Claude Ledoulx de Melleville était conseiller du roi au parlement de Paris, en 1659, un Claude le Doulx, émigre sous la Révolution, son frère est emprisonné à Evreux. L’amnistie accordée aux aristocrates émigrés en 1802 permet à la famille de récupérer l’ensemble de ses biens … Comment devient-il le plus gros propriétaire de Pîtres en 1840 ? Cette année-là, on peut calculer que les 12 membres du conseil municipal de Pîtres n'ont pas la moitié de ce que possèdent les 11 plus forts contribuables.
Ernest Le Hardelay Pîtresfemme de Ernest Le Hardelay Pîtres

En 1847, le plus fort contribuable est Ernest Le Hardelay, propriétaire à Rouen, dont le portrait par Charles Landelle se trouve au Musée des Beaux Arts de Rouen, avec celui de sa femme. Landelle (aucun rapport avec l'Andelle, il est né à Laval) était un portraitiste très demandé sous le Second Empire, mais en 1847, il n'est pas encore très connu, on est encore sous la Monarchie de Juillet, et E. Le Hardelay n'a que 34 ans. Héritage ? En une cinquantaine d'années, on est passé de Coqueréaumont à Bernouville, Ledoulx de Melleville, enfin Hardelay.

Prestations de serment.
Le texte des serments varie avec les régimes, mais les prêteurs peuvent être les mêmes.
an IV « je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain et je promets soumission et obéissance aux lois de la République »
pluviôse an XII « Je promets fidélité à la constitution de la République française »
messidor an XII "je jure obéissance aux constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur" 
Sous la restauration (Louis XVIII)
18/9/14 « je jure et promets à Dieu de garder obéissance et fidélité au Roi, de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue qui serait contraire à son autorité, et si dans le ressort de mes fonctions ou ailleurs j'apprends qu'il se trouve quelque chose à son préjudice, je le ferai connaître au roi. »
Avec les Cents jours :
22/3/15 «je jure obéissance aux constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur » par les mêmes que le 18/9/14.
Après Waterloo, nouveau serment :
15/10/21 « je jure fidélité au Roi et obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume »
Après les Trois Glorieuses, Louis-Philippe :
13/9/30 "je jure fidélité au roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume »
9/5/52 « je jure obéissance à la Constitution et fidélité au Président »
27/2/53 « je jure obéissance à la Constitution et fidélité à l'Empereur »

Quelques dates pour se repérer :
1794 Chute de Robespierre
1795 Directoire
1799 Coup d'Etat de Napoléon Bonaparte (18 Brumaire)
1804 Premier Empire : Napoléon
1814 Abdication de Napoléon (exilé à l'île d'Elbe), Louis XVIII
1815 Retour de Napoléon (Cent jours), qui est défait à Waterloo, Louis XVIII
1830 Révolution de Juillet, Louis-Philippe
1848 Révolution de Février, Seconde République
1851 Coup d'Etat de Napoléon III, le 2 décembre, Second Empire

La population

Pendant cette période, la population oscille entre 950 et 1050 habitants. Nous trouvons ainsi, en 1841, 1026 habitants, dont 480 hommes et 546 femmes, résultat de la plus forte mortalité masculine.
L'épidémie de choléra qui frappe la France de 1832 à 1834, et l'Eure en 1832, ne semble pas avoir marqué la démographie de la commune. Les 73 décès relevés sur le dénombrement de 1838 ne peuvent être que le résultat d'un enregistrement cumulé des années antérieures, ce que confirme le registre d'Etat-civil. Correction faite, on obtient une égalité presque parfaite des naissances et décès : la population stagne.
années
naissances
décès

1838
27
73
7 décès de moins d’un an
10 âgés de 64 à 94 ans
1839
21
29

1840
27
21

1841



1842
33
18
1 suicide
1843
22
27

1844
10
26
1 variole
1850
32
27

1851



1852



1853
22
16
1 cancer


Le budget de la commune

L'examen dans le détail d'un budget est toujours une source de connaissances intéressantes, et parfois la seule, sur les prix et les salaires.
Par exemple, en l'an III (1795), on trouve :
garde champêtre
250 livres
porte-tambour
400 livres
porteur des morts
100 livres
4 jours de maçon
200 livres
4 livres de chandelle
800 livres
plume et encre
200 livres
6 mains de papier
900 livres
2 cordes de bois
300 livres
quarteron de bourrées
20 livres
On voit ainsi que l'indemnité annuelle du garde-champêtre vaut moins que 4 journées de maçon, laquelle journée pourtant ne pourrait acheter qu'une demi-livre de chandelle, ou 8 feuilles de papier (une main = 25 feuilles), mais un stère de bois, ou deux de bourrées. La livre de pain cette année-là passe de 3 à 20 livres : les prix s'envolent, et de toute façon on ne trouve plus de farine à acheter.

Les communaux

Sur ces terrains sans propriétaires privés, chacun pouvait chercher du bois ou mener son bétail. Ils sont remis en question car on juge qu'ils seraient exploitées plus efficacement par des fermiers individuels.C'est le sens de ce règlement qui attribue les droits de parcours en fonction de l'importance de l'exploitation
19/06/09 règlement des parcours et vaine pâture : 1,5 bêtes à laine par arpent ou 3 par hectare de terre exploitée dans la commune, approuvé par le sous-préfet, soit : Jean Laurent 66 moutons, Louis Depîtres 70, Pierre Depitres 93, François Rose 100, Jean Morlet 115, etc.
18/07/09 considérant que le terrain communal est très souvent occupé à servir de port pour embarquer et débarquer sur l'Andelle le bois provenant de la forêt de Longboël, on fera payer cette occupation aux marchands de bois

Faits divers
La forêt n'est pas toujours sûre…
En l'an IV, deux habitants de Radepont se font voler leur blé dans la forêt de Bacqueville; on soupçonne trois journaliers de Pîtres
En l'an VII le garde champêtre se fait voler les bourrées qu'il avait préparées…
En 1811, rentrant de Rouen, un habitant de Poses est arrêté dans les bois par trois individus, dont un armé d'un pistolet, demandant «la bourse ou la vie »; il déclare avoir perdu 60 francs, du savon, du beurre, des bas chinés, deux cravates etc.
La Seine non plus…
an V : plainte pour vol d'une nacelle et d'un aviron à l'embouchure de l'Andelle, par un marinier domicilié à Paris, avec rappel d'autres vols antérieurs « plusieurs des auteurs de ces vols sont parfaitement connus de ceux qui ont été volés, notamment par les citoyens Vigor, Letellier, Gandois etc., tous mariniers demeurant en cette commune »
an V : vol de bois, plainte portée par un habitant du Vaudreuil; on perquisitionne chez François Rose, cultivateur, sans résultat, le plaignant avoue avoir agi "par animosité"
an VII : le passager, c'est-à-dire le responsable du bac, a refusé de faire traverser la Seine au percepteur de Pont-Saint-Pierre; il est l'objet de nombreuses plaintes, en particulier de gens qui disent "avoir appelé une heure"
an X : vol d'une montre d'argent à Parfait Gandois par un jeune homme de 20 ans environ
1811 : plainte par les aubergistes : une armoire a été fracturée, mais l'argent est resté, le voleur ayant été dérangé... "on a trouvé l'individu malfaisant, [...] dit La liberté, charpentier à Pîtres, sous le lit", "plusieurs individus au lieu de le retenir pour le mettre sous la sauvegarde de la loi se sont contentés de le corriger assez maladroitement … enfin il s'est évadé"
1814 : 410 francs sont volés sur un bateau, avec effraction, et du linge (six draps, couvertures, couverts...) chez une veuve pendant qu'elle était à la veillée chez une voisine
1815 : le tronc de l'église est fracturé
1818 plainte contre un "mauvais payeur" qui a brûlé dans sa cheminée un billet à ordre au nez du créancier
1824 vol de linge à l'église (surplis, nappes, etc.) plus fracture du tronc, le préjudice est estimé à 950 francs (somme très importante : voir budget de la commune).

Les chemins

En 1810, on répond à un projet du sous-préfet prévoyant la construction d'une route de Pont-de-l'Arche à Fleury : " il y a 20 ans les habitants déjà préféraient une route passant dans le village et non à 1200 m de la rue principale, sur les meilleur terrains". La commune n'est donc pas d'accord pour y contribuer, mais prête à verser 6000 francs de contribution si la route passe dans le village.
La retranscription d'un avis donné par un membre du conseil est éclairante : "cette route sera utile aux fonderies, à Pont-Saint-Pierre, à Fontaine Guérard mais malheureusement entraînera des pertes par destruction du flottage"
On doit cependant en ressentir l'utilité, puisque le conseil vote "par acclamation 1000 francs pour l'ouverture de la route, portés à 5000 si elle passe par la commune"
On en profite pour ajouter : « les voituriers qui transportent les draps des fabriques d'Elbeuf aux moulins foulons de Romilly et Pont-Saint-Pierre ainsi que les voituriers de la manufacture de Romilly portent des charges qui excèdent de beaucoup les règlements puisqu'elles s'élèvent jusqu'à 6, 7 et 8 milles pesant [...] ils crèvent les chemins", on demande donc l'application de la réglementation
En 1826, on vote des impositions locales extraordinaires pour la route départementale numéro 12 d'Elbeuf à Lyons passant par la rue de la commune « en suivant un alignement rectiligne d'Alizay à Pîtres et de Pîtres à Romilly » (considéré comme préférable au projet des ingénieurs)

En 1848, devant un projet de grand chemin Ecouis, Villerest, Bacqueville, Houville, Amfreville, Senneville, Flipou, Amfreville, Pîtres, Le Manoir, Alizay, le conseil municipal estime que "la route numéro 12 suffit et qu'il faudrait alors un pont sur l'Andelle, qui est flottable et navigable, plus une chaussée surélevée entre Pîtres et Amfreville, longue d'un kilomètre, ce qui rendrait l'exploitation dans la plaine plus difficile (un bac dessert ces communes à pied, à cheval et en voiture) ce chemin est donc inutile pour la commune de Pîtres."

Le bac sur l'Andelle

En 1811, pétition au préfet pour «restitution» (remise en état) du passage de l'Andelle : le bac est quasiment hors service; on prévoit la construction et l'entretien par la commune qui percevra les droits.
L'autorisation reçue, quatre mois plus tard, on décide que le premier passage sera fait par le maire « revêtu du costume que nous attribue la loi », et on prévoit la construction d'un bac "de 28 pieds de long sur 18 pieds 8 pouces et 30 pouces de bordée".
En 1813, l'exploitation de ce bac est mise en adjudication, "le prix étant fixé à 775 francs, valable pendant trois ans jusqu'à remboursement par la commune, tarifs arrêtés le 30 nivose an XII, avec clauses de maintenance". Louis Menu remporte cette adjudication, montant à 15 francs, contre Nicolas Mathias qui avait entamé les enchères à 5 francs.
En 1851, on révise les droits de péage sur les passages d'eau de Pinterville, le Vaudreuil et Pîtres; le tarif proposé par l'ingénieur est approuvé

Conflits entre communes
En 1820, on se plaint à Pîtres de voir les habitants du Manoir prétendre à une propriété exclusive sur les communes pâtures « en état d'indivis depuis des temps immémoriaux » (on y prend l'argile). Pour éviter un procès, on propose de cesser l'indivis et de creuser un fossé comme démarcation, et l'on menace : si le Manoir "contre toute attente" soutenait ses prétentions, la commune de Pîtres réclamerait les 14 acres dont elle paie les contributions et qui se trouvent enclavés dans son territoire, le droit de parcours sur la totalité de ladite commune pâture, et d'y tirer de l'argile….
En 1833, "malgré les tracasseries jusqu'alors intentées par les habitants de la commune du Manoir relativement au droit de propriété sur les communes pâtures de Pîtres ", on incite les habitants à les utiliser, à tirer de l'argile et à répondre par toute voie de droit
L'année suivante, la route numéro 12 de Bourgtheroulde à Gournay étant achevée, une grande partie du chemin qu'elle remplace devient inutile et pour en tirer parti on propose la vente aux riverains, ce qui entraîne une réclamation "d'un très petit nombre d'habitants de la commune du Manoir portant une opposition illégale à l'aliénation". On demande au sous-préfet de permettre l'aliénation.
En 1835 la pointe Quenet est réunie à Pîtres et les terrains sous le liseré vert sont réunis au Manoir, par lettres de Louis-Philippe
En 1841, on partage les communaux avec le Manoir "par égale fraction"

la Neuville Chant d'Oisel en 1835 réclame une partie de la forêt de Longboël; réponse : il s'agit d'une erreur récente du cadastre, la réclamation est mal fondée. En 1839, délimitation de la forêt de Longboël par le ministre de l'intérieur, qui déboute La Neuville, et estime la demande "plus qu'étrange".

Le progrès

En 1824, on choisit Pont-de-l'Arche pour y établir un bureau de poste pour les lettres
En 1844, le maire propose : "vu l'importance du pays, les mauvaises constructions qui sont presque toutes couvertes de chaume[...] l'achat de pompe à incendie". Coût : 1200 francs

Anticipations sur les biens communaux

Il est toujours tentant de déborder ( "anticiper") sur les biens communaux, censés appartenir à tous, mais qui semblent n'appartenir à personne. Le maire les défend, y compris contre sa propre famille…

7/12/34 on autorise Lapôtre, maire, à aller au tribunal contre Lapôtre Jean Jacques et Nicolas Mathias pour anticipation sur les biens communaux. Mais le conseil est divisé : François Depîtres, Ambroise Lebert, François Rose n'ont pas pris part « pour ces motifs qu'ils sont détenteurs de biens communaux et qu'ils emploient tous les moyens qui sont en leur pouvoir afin d'empêcher la restitution de ces terrains usurpés ».
28/12/34 sommation de la part des Chardon, de planter une borne pour diviser leur propriété d'avec le bien communal; menace de procès si Lapôtre (le maire) persiste à attaquer pour envahissement; celui-ci estime les demandes injustes et mal fondées et persiste.

L'école

En 1802 Jacques Mathias, qui exerce depuis quatre ans, est nommé instituteur par ordre du préfet, et perçoit 40 francs pour son logement. C'est tout ce que nous savons pour cette période. On trouve ensuite, après la révolution de 1830, sous la Monarchie de Juillet, suite à la loi Guizot de 1833 qui rend obligatoire pour chaque commune de plus de 500 habitants l’entretien d’une école primaire de garçons * :
1833 : vote de 200 francs " pour faire un sort un peu plus heureux à l'instituteur", qui touche une rétribution par élève : 1,5 francs pour la première classe, puis 1,25, 1, et 0,75 pour la dernière, et doit recevoir gratuitement 15 indigents
1835 un vote à lieu pour répondre à la question : la commune peut-elle entretenir seule une école ? La réponse est positive.

Le coût de l'école : traitement de l'instituteur : 100 francs, logement 80 francs, fournitures aux indigents 10 francs, frais 3 francs, "pour aider l'instituteur à suivre des cours à l'école normale" 34 francs. C'est donc la commune qui prend à cœur la formation de son maître, mais ne doit pas en être satisfaite, puisqu'en 1837 on révoque l'instituteur en place, Dubigny; plusieurs postulants se présentent, on choisit Pierre Louis Levavasseur, « réunissant tant sous le rapport de l'instruction que de la conduite morale les qualités nécessaires pour faire un bon instituteur »
En 1845, on décide de construire un logement pour l'instituteur et une salle de mairie, on prévoit l'acquisition d'un terrain rue de la Bise, et on vote donc un impôt extraordinaire de cinq ans de 0,15 franc par franc.
En 1847, c'est au 25 de la rue Bourgerue, qu'on achète à de P. Depître pour 2000 francs un terrain contenant un puits, des bâtiments à démolir, un cellier, un bûcher, pour bâtir "une classe, un local pour l'instituteur, une salle de mairie et un appartement pour une pompe à incendie ". En 1851, Clarisse Barette, "sous-maîtresse de pension à Rouen depuis trois ans, demeurant à Romilly" est nommée institutrice communale, c'est une conséquence de la loi Falloux*.

* la loi Falloux de 1850 étend cette obligation aux écoles primaires de filles pour les communes de plus de 800 habitants 

Le logement du curé

En l'an XI conformément au Concordat, la commune doit loger le curé; on loue alors un local pour 120 francs car le presbytère et le vicariat ont été vendus (à un sieur Quenet)
En 1817, le nouveau prêtre refuse la maison de l'ancien; on lui trouve une autre maison, pour 286 francs, le déménagement coûte 619 francs.
On proteste contre Le Manoir qui ne veut pas participer bien qu'il profite du curé (il n'y a pas alors de desservant au Manoir)
En 1822, on autorise à louer un local propre pour le desservant

La guerre 

Aux guerres de la révolution succèdent celles de l'Empire, la France ne sera en paix qu'après la défaite de Waterloo en 1815. On ne trouve que peu de traces de ces évènements lointains, sauf en cas de congés, convalescences, réquisitions ( fort appréciées, puis qu'elles évitent le départ à la guerre) des mariniers ou du personnel des fonderies, dispenses, réformes, dont on trouve divers motifs : inflammation du ventre, petite nature, humeur scrofuleuse, cacahisme, humeur glanduleuse, faiblesse de complexion ….

En l'an X Victor Grain (qui a combattu à Marengo) est nommé garde champêtre, c'est une forme de reconnaissance habituelle des anciens combattants.
Plus intéressant, la mention en 1810 d'amnisties après désertion, ce qui montre que le phénomène prend de l'importance, et qu'on renonce à punir systématiquement tous les déserteurs.
La conscription est mal vécue, on voit ceux qui y échappent et ceux qui partent, souvent pour longtemps : il faut 10 ans de campagne à Depître Jean-Louis pour être déclaré hors service.

Les médaillés de Sainte-Hélène

Ils feront l'objet d'un prochain article pour les communes de la basse vallée de l'Andelle. Retenons pour l'instant qu'il s'agit d'anciens soldats des guerres napoléoniennes encore vivants en 1857 (ils sont décorés par Napoléon III). On voit donc bien qu'il ne pouvait s'agir que d'une faible proportion des soldats engagés dans ces guerres. Et pourtant, rien que pour Pîtres on trouve huit médaillés, qui ne pouvaient avoir que plus de soixante ans.
A noter que l'on trouve sept morts enregistrés sur le registre d'Etat-civil de Pîtres pour la seule période 1795-1812.

Les métiers

Ce sont les registres de la garde nationale qui donnent le plus de renseignements sur les métiers pour cette période. Malheureusement, le seul qui soit complet, celui de 1836, finit par enregistrer des personnes nées de 1822 à 1827, ayant donc neuf ans en 1836 : Le registre a donc continué à servir au-delà de 1836, ce qui complique un peu les choses… Si l'on s'en tient aux métiers les plus représentés (au moins cinq occurrences), on aboutit aux chiffres suivants, sur 350 noms, ce qui correspond bien à la population masculine active :
Registre des métiers Pîtres

journalier
163
cultivateur
37
Marinier
21
domestique
21
charpentier
16
maçon
15
meunier
13
cordonnier
12
tourneur
11
fileur
5
menuisier
5
foulonnier
5
ouvrier
5




Les journaliers travaillent la plupart dans l'agriculture, mais dans les autres métiers, on comptabilise patrons et employés, considérant qu'il ont un métier. On trouve donc près de 60 % d'actifs dans l'agriculture, mais on perçoit déjà l'attrait de l'industrie (Romilly) : ouvriers d'usine, foulonniers, fileurs. A noter l'importance des mariniers, des charpentiers, dont certains précisent "de marine". Le nombre de cordonniers parait bien grand, y avait-il travail à domicile pour des marchands ? Quant aux tourneurs, un seul précise "en fer", ce qui ne veut pas dire que les autres sont vraiment des tourneurs de bois... 

La crise arrive

De mauvaises récoltes, aussitôt c'est toute l'économie qui s'en ressent, ce qui ne sera pas étranger au déclenchement de la prochaine révolution…
7/2/47 le sous-préfet rappelle : " devoir indispensable en ce moment critique qui est de secourir les pauvres et de procurer du travail aux malheureux ouvriers qui en manquent" on vote un crédit de 888,33 francs pour les ateliers de charité (c'est l'excédent des budgets primitifs et additionnels de 1846 et 1847)


Dans le prochain numéro : la grande transformation de la seconde moitié du XIXème siècle.


Michel Bienvenu

Jacques Sorel