1914-18 Des espions partout ?
Comme nous l'avons vu dans les numéros 6 et 7, la guerre qui éclate en 1914 fait naître une vague de
xénophobie, dont le maire de Douville sur Andelle sera la victime. On se méfie de l'étranger,
plus particulièrement lorsqu'il parle avec un accent allemand, et de nombreux
Alsaciens réfugiés dans nos régions depuis la guerre de 1870 en subiront les
conséquences. On aura tendance à voir partout des espions, phénomène que l'on a
dénommé espionnite.
Une affaire particulièrement intéressante est celle de l'extrait de bouillon de viande que son promoteur, un Italien naturalisé Suisse nommé Maggi, avait choisi d'écrire Kub, mot qui d'un point de vue publicitaire accrochait bien. Maggi avait implanté certaines de ses usines en région parisienne, et il y avait également des laiteries Maggi.
Mal lui en avait pris, le sentiment anti- allemand montant à l'approche de la guerre fit de son bouillon le symbole même du produit teuton. Il faut dire que le succès de ce petit cube de bouillon de bœuf qui servait à assaisonner bien des soupes et des pâtes faisaient de l'ombre à ses concurrents. D'autres firmes comme Duval ont profité de ce rejet pour mettre en avant le côté patriote de leur entreprise. "Françaises, plus de bouillon KK, plus de potages KK, rien de MagiK ni de chimiK n'achetez que les excellents potages Duval".
Cherchez la réclame Kub, Que peut-elle bien indiquer ? |
Les démêlés avec l'Action française avaient commencé dès 1912 quand ce journal refuse de publier ses publicités car un des sièges de l'entreprise est à Berlin, et que Maggi est italo-suisse. Une véritable affaire éclate fin 1914 qui amène au saccage de bien des boutiques et plaques émaillées de la marque.
Les rumeurs vont bon train, partout en France, largement
suscitées par un télégramme du Ministère de
l'Intérieur, repris par quelques journaux dès le 4 août 1914 et qui précise...
:
On retrouve dans les archives municipales de Pîtres la trace de ces élucubrations sous forme d'un petit mot portant la mention extrême urgence….
Mais cette psychose s'étend à de nombreux départements, le témoignage ci-après émane de la région de Caen, et on y retrouve la même hantise des réclames Kub.
" Tu te rappelles combien je faisais
la guerre aux KUB. Vous avez dû apprendre que toutes ces plaques émaillées qui
se trouvaient à la porte des épiciers étaient des signaux, à l'intérieur
desquels se trouvaient des renseignements. La gendarmerie les enlève et
badigeonne toutes les affiches réclames Kub qui étaient justement collées sur
tous les ponts, tunnels, qui devaient être détruits par les Allemands."
(Bénard Henri Lettres de guerre d'un fantassin de 14-18.
Grancher, 1999).
Mais il y a aussi vraiment eu des espions….
Le 14
septembre 1914, deux berlines et deux camionnettes pleines d'une vingtaine
d'hommes du génie sous les ordres du capitaine Tilling quittent les lignes allemandes près de Noyon,
avec 500 kg d'explosifs et traversent la Picardie sans être repérés : des
hommes en armes ne peuvent être que des Français ou des Anglais... Ce commando
a pour mission de désorganiser les arrières de l'armée française en détruisant
les ponts de chemin de fer sur la Seine en amont de Rouen : Oissel est donc un
des objectifs. A l'époque, le train est le seul moyen de déplacer massivement
des troupes.
Après une
première alerte à Beauvais qui les freine à peine, leurs affaires se gâtent.
Alors qu'ils se reposent en lisière de la forêt de Lyons, une femme de 56 ans,
Octavie Delacour, les remarque. Tilling ne s'affole pas et l'éconduit,
convaincu que l'affaire en restera là, mais elle va prévenir les gendarmes, qui
interviennent. Dans la fusillade qui éclate, trois gendarmes sont tués.
Laissant un mort sur place, le commando allemand repart immédiatement en
direction d'Étrépagny, demandant son chemin à des gens qui les
prennent pour des Britanniques, malgré la marque des véhicules et les plaques
minéralogiques allemandes. Un des véhicules tombe en panne et les paysans du
coin offrent leur aide à ceux qu'ils prennent pour des Anglais, et qui
d'ailleurs leur répondent en anglais et en mauvais français. La réparation terminée,
après avoir serré des mains, ils repartent par Écouis,
Fleury-sur-Andelle, la vallée
de l'Andelle, arrivent à Pitres
et vont se cacher en forêt de Boos. Mais la traque commence, et ils sont
rattrapés à Sotteville-sous-le-Val, une partie du commando est fait prisonnier,
la deuxième berline, qui a réussi à prendre la fuite, sera abandonnée sur la
route d'Igoville avec tout le matériel destiné à faire un pont, et un blessé.
Ses occupants seront rattrapés un par un, affamés et à bout de forces.
Sources :
Archives municipales de Pîtres
Archives départementales de l'Eure
Internet Wikipédia : Combat de la Rougemare et des Flamants