1946, en pleine construction
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Le C.E.T. de Pont-Saint-Pierre
Situé à l’emplacement actuel de la
piscine, le Centre d’apprentissage, devenu Collège d’Enseignement Technique,
avant de finir en Lycée Professionnel, programmé après la guerre sur une
initiative du docteur Joseph Jouannot, maire de Pont-Saint-Pierre, fut mis en
service en octobre 1947 mais n’a connu son plein régime qu’un an plus
tard. Ce fut le premier construit dans l’Eure après la guerre. On y enseignait
la menuiserie, la chaudronnerie, la tôlerie et l'ajustage à des élèves qui
devaient avoir le certificat d’études ou le niveau pour entrer en
apprentissage. Au lendemain de la guerre, à quatorze ans, c’était une chance de
pouvoir apprendre un métier.
Voici le témoignage des débuts par Michel
Cozette*, qui en fut l'artisan principal, et en restera le directeur jusqu’à ce
qu’il soit nommé au CET de Déville/Maromme, aujourd’hui lycée Bernard Palissy*.
* Elu maire de Déville en 1965 et
réélu cinq fois. Toujours soucieux d'éducation, il a pris part à la création du
Lycée de la Vallée du Cailly, du Centre culturel Voltaire, de l’école de
musique, du centre de loisirs ou des jumelages.
“ Les bâtiments étaient tous en bois (à
l’exception d’une partie de la cuisine) obtenus gratuitement du MRU (Ministère
de la Reconstruction et de l’Urbanisme) qui ne savait plus qu’en faire, étant
passé de la mise en place urgente de baraquements (au lendemain de la
Libération) à celle de la reconstruction en dur (les anciens HLM que nous
connaissons).
Les bois de construction, récupérés d’un
incendie de forêt dans les Landes présentaient de nombreux nœuds et avaient
tendance à se tordre, laissant passer la pluie et les courants d’air.
Le réseau d’adduction d’eau n’était pas en
place à Pont-Saint-Pierre et l’eau nécessaire au collège provenait d’un forage
autonome (au pied de la cuisine). Cette eau était refoulée dans un réservoir de
3 mètres cubes situé au flanc de la colline, réservoir assez peu hermétique, où
l’on trouvait parfois des vers de terre ou des grenouilles.
L’évacuation des eaux usées se faisait
dans une bétoire de 10 mètres cubes environ, implantée au point bas de
l’établissement, très rapidement colmatée et débordante, bien insuffisante pour
absorber les eaux usées produites par une collectivité de plus de 200
personnes.
fin de construction
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En 1947, l’alimentation était soumise à
l’attribution de cartes (avec supplément, il est vrai pour les collectivités).
L’approvisionnement en bois, fer, tôles pour les ateliers était subordonné à
l’obtention de bons-matières.
Je me souviens qu’un jour, en compagnie de
Monsieur Dupuis professeur de menuiserie, nous sommes allés de
Pont-Saint-Pierre à Rouen en bicyclette, pour nous rendre chez Thomas avenue du
Mont Riboudet, où l’on pouvait se procurer du contreplaqué sans bons-matières.
Thomas nous a prêté une carriole. Nous avons chargé le contreplaqué, et l’un
poussant, l’autre tirant, nous sommes allés jusqu’à la gare routière faire
enregistrer notre précieuse cargaison qui fut chargée sur le toit de l’autobus
de la STAO. Il fallait ensuite ramener la carriole chez Thomas, récupérer nos
vélos et rentrer en pédalant à Pont-Saint-Pierre.
Les élèves provenaient d’une aire de
recrutement très vaste ; non seulement de la vallée de l’Andelle, mais aussi de
la région de Louviers, Gaillon, Vernon, les Andelys. J’avais créé un service
coopératif de ramassage scolaire. La plupart des élèves étaient internes (plus
de 150 sur 200), presque tous repartaient chez eux le samedi et revenaient le
lundi matin, il m’en restait quand même souvent une douzaine sur les bras,
chaque dimanche.
A la fin de leur scolarité, tous les
élèves étaient placés chez Philbert (voir article), Dosapro, etc…, on se les arrachait. Carel
et Fouché de Gaillon (constructeur de wagons) avait supprimé sa section
d’apprentissage et l’avait confié au collège de Pont-Saint-Pierre (avec le
versement de la taxe professionnelle).
Au fil des ans, les choses se sont
améliorées. J’ai pu refaire les toitures, clouer du grillage céramique et
garnir de mortier les murs des salles de classe et des dortoirs
Témoignage
rédigé en 1992
Adrienne Lainé, secouriste-lingère de 1953 à 1988
En 1953, il y avait environ 200
pensionnaires, venant de la vallée de l'Andelle et des plateaux, jusqu'à Gouy,
Ecouis, Lyons-la-forêt, Vernon. Les externes étaient relativement peu nombreux,
puisque l'effectif total était d'environ 250.
Ils étaient répartis dans des dortoirs de
50 avec un emploi du temps assez strict, lever 6 h 30, toilette, à l'eau
froide, petit-déjeuner, puis différent travaux collectifs : balayer, débarrasser
les tables, etc., avant le rassemblement. Pour des travaux de plus grande
importance, comme cirer le parquet des dortoirs, on avait recours aux
punitions. Dans l'ensemble ceci était bien accepté, les élèves ayant conscience
du fait que c'était pour eux une grande chance d'être là et de pouvoir y
apprendre un métier. Les bâtiments qu'on venait de récupérer du camp anglais
d'Alizay étaient très difficiles à chauffer. Des poêles à fioul avaient été
achetés un peu plus tard, mais ne tenaient que le début de la nuit et les
petits matins étaient froids. Le Centre disposait heureusement d'un bon stock
de couvertures….
Il y avait en tout quatre surveillants de
nuit. Petit déjeuner : café au lait, pain, beurre et confiture à volonté, et
pas de gaspillage ! Une bouteille de bière par table aux repas.
Tous les matins, le directeur était
présent au rassemblement et faisait une revue de tenue et de propreté avant que
les élèves descendent en rangs vers les ateliers ou les salles de cours.
La semaine de la secouriste lingère était
longue : 52 heures (elle travaillait le samedi matin). Son emploi de lingère
consistait à maintenir la propreté des draps, des couvertures, serviettes et
torchons, mais son travail de secouriste, c'est-à-dire, en pratique,
d'infirmière, l'interrompait souvent : beaucoup de petits bobos aux doigts, de
maux de tête ou de ventre divers, et ce que l'on appellerait maintenant
pompeusement un travail de soutien psychologique, surtout auprès d'internes de
première année qui pouvaient n'avoir guère plus de 13 ans.
Pour les problèmes plus graves nécessitant
recours à un médecin, elle assurait elle-même le transport dans sa voiture
personnelle à la maison médicale avant que, vers la fin, une décision venue des
hautes sphères n'exige que ce transport soit effectué par les pompiers, ce qui
ne simplifiera évidemment pas les choses...
Le premier directeur M. Cozette, était un
vrai organisateur, qui réussit même à emmener des élèves en Suède ou en
Hollande, à une époque où le voyage à l'étranger n'était pas encore banalisé.
Les élèves étaient alors hébergés dans des centres d'apprentissage des pays
concernés, et leur voyage était payé par la vente d'objets qu'ils avaient
confectionnés dans les ateliers. À la fin de l'année il y eut même des pièces
de théâtre, des bals dans une salle décorée par des objets produits par les
élèves.
Régulièrement, les élèves effectuaient des
stages chez Philbert, Dosapro, Briffault, Turquais, Pompey, la Taillanderie. La
demande de professionnels était alors forte dans la vallée de l’Andelle, très
industrielle.
Mme Lainé, fréquemment reconnue par des
anciens élèves quand elle sort de chez elle, a pu constater que nombre d'entre
eux ont de bonnes situations. L'un d'eux, qu'elle connaissait bien, et même
devenu directeur d'une entreprise importante.
Dût sa modestie en souffrir, nous
signalons qu'à la fin de sa carrière, elle fut titulaire des palmes
académiques.
Autres témoignages
Jacques Trocque, entré en 1951 au Centre
d'apprentissage après sa cinquième, a pu commencer par tourner pendant trois
semaines dans chaque atelier pour choisir sa formation. Pour lui, ce sera
ajusteur. Il se souvient d'un directeur très dynamique, M. Cozette, qui participait
aux activités de la ville, organisait des séances de cinéma auquel les
habitants pouvaient assister, ou des bals sur des thèmes particuliers qui
rencontraient aussi un grand succès.
Les voyages de fin de formation en
Hollande, ou sur la Côte d'Azur laissaient toujours aux élèves des souvenirs
forts. Une amicale d'anciens élèves fonctionnait très bien, plusieurs sont
devenus ingénieurs, et de nombreuses entreprises demandaient à embaucher les
élèves.
1956. Bescherelle,
deviendra maire d’Heudebouville
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En compagnie d’un collègue, Michel Thorel,
il a mené une action auprès du député de l’époque, Tomasini, pour ouvrir des
cours de promotion sociale au collège. Il continuera cette action par
l’animation au Planning familial et est aujourd'hui militant de l'Association
pour le droit de mourir dans la dignité.
Jusqu’au bout, c’est cette ambiance de
petit établissement que regrettent les «anciens» : un professeur de
chaudronnerie, par ailleurs considéré comme sévère, mais qui joue régulièrement
au foot avec les élèves, un endroit où personne ne se sent anonyme (ce qui au
passage contribue aussi à limiter les problèmes de discipline).
Un bulletin annuel animé par les anciens élèves : l'établissement n'est
pourtant pas vieux en 1954 ! Mais cela montre son dynamisme et l’attachement
des élèves
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La fermeture
Le lycée professionnel va fermer en 1992,
ce qui était déjà programmé depuis quelques années puisque les demandes
d'investissement étaient refusées, car on considérait que l’ensemble des
formations dispensées ne correspondaient plus à la demande du marché du
travail. Il y avait sans doute une part de vérité dans ces arguments, bien que
par la suite on ait vu des entreprises demander des tourneurs fraiseurs formés
à la pratique pour commander les machines numériques, que la demande en
métallerie ou soudure soit restée forte. Quant aux menuisiers, les élèves bien
formés n'avaient aucun problème pour travailler à l'installation de fenêtres,
portes, cuisine, escaliers, que bien sûr ils ne fabriquaient plus à l'ancienne.
Dans l’ensemble, la réputation de l’établissement était restée bonne, et sortir
de Pont-Saint-Pierre était un avantage sur le marché local du travail.
Quoi qu'il en soit, cet établissement
était aussi considéré comme trop petit, on était en période de regroupement par
pôles sur des lycées polyvalents dépassant le millier d'élèves. On a par la
suite pu s'apercevoir que cela pouvait poser bien des problèmes de concentrer
de telles masses d'élèves.
Un des arguments était la possibilité dans
un plus gros établissement d'avoir des outils documentaires (livres, revues,
etc.) que l'on ne pouvait pas se payer dans un petit établissement. Très peu de
temps après, on constatait qu'une liaison Internet bien maîtrisée permettait
d'accéder très rapidement à une documentation bien plus étendue .
La démolition partielle, qui laissera place à la piscine certains
bâtiments étant conservés pour des activités sportives.
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L'accident
Ce qui contribua sans aucun doute à
accélérer la décision de fermeture, ce fut l'accident mortel qui eut lieu dans
l'atelier de mécanique : un élève qui, par geste réflexe, avait essayé de
rattraper un réglet vit sa manche prise par le mandrin d'un tour eut le bras
arraché et décéda avant d’arriver à l’hôpital.
À l'époque, les machines sur lesquelles
travaillaient les élèves étaient rarement aux normes de sécurité de
l'industrie, mais régulièrement un inspecteur du travail visitait les ateliers
et signait une dérogation. Sans ces dérogations, pratiquement aucun
établissement d'enseignement technique n'aurait pu fonctionner en France, tant
les mises aux normes des machines étaient onéreuses.
Il n'empêche que des crédits ont été
immédiatement débloqués pour doter les machines les plus dangereuses de capots,
d'abord à Pont-Saint-Pierre, puis dans l'Académie et dans la France entière.
Ces aménagements ne servirent guère puisque l'établissement fermait à la fin de
l'année scolaire 1992, ayant terminé avec très peu d'élèves, puisqu'on ne
recevait pas de premières années depuis 1990. on avait cessé de recruter.
Philippe Levacher
Tous nos remerciements à ceux qui nous
apporter des témoignages, et en particulier à Paul Richard, ancien professeur
puis chef de travaux, pour nous avoir transmis de nombreux documents de
première main.