D’un Empire à l’autre
dans les archives
municipales de Pîtres
Dans le numéro 1,
nous avions laissé les habitants de Pîtres dans une situation de quasi-famine,
en 1794, le conseil municipal tentant
tous les moyens d'y pourvoir : envoi d'une délégation à Paris (l'instituteur
Corot, ancien maire), tentatives d'achat de farine, et évidemment recours aux
réquisitions, de moins en moins efficaces : en fructidor an III, les conseillers se disent "forcés de donner des
sous" aux malheureux pour qu'ils se fassent délivrer du blé par les
laboureurs de la commune "dont la plupart n'ont pas obéi à la moitié de la
réquisition", donc ont gardé leur blé.
L'époque est
encore troublée, la chute de Robespierre
et les ennuis qu'ont maintenant ses partisans ont rendu les gens prudents,
ainsi, le 15 brumaire an IV, (6/11/1795), on trouve : " les habitants ont été convoqués au son
du tambour pour l'élection de l'agent municipal et de son adjoint; ne s'étant
trouvées que quatre personnes, l'assemblée a été renvoyée à demain soir".
La semaine suivante, Jean-Louis Menu
est installé comme agent municipal. Il est marchand de bois, était représentant de Pîtres à la réunion de
rédaction des cahiers de doléances en 1789 : c'est donc, après trois
maires venus de la ville, le retour aux
commandes d'un notable local, appartenant à ces familles de cultivateurs,
marchands de bois ou mariniers dont les noms reviennent sans cesse :
Lebert, Letellier, Laurent, Gandois, Poulain, Mathias, Morlet, Thouet, Depîtres, Menu, Frèret, Frétigny,
Tesson, Rose, Vigor….
L'Empire s'achève sur la défaite de
Waterloo. En juillet 1815, soit un mois plus tard, on demande aux principaux propriétaires et
habitants une acceptation de loger, nourrir et fournir les troupes alliées
(anglais, prussiens, russes, autrichiens) : la France est occupée.
En 1816, sur demande du district, on organise l'abattage des arbres de la Liberté, derniers symboles de la Révolution (les derniers qui existent place des Frotteaux (sic); le prix de leur vente est distribué aux nécessiteux de Pîtres, comme de l'argent dont on aurait un peu honte...
En 1816, sur demande du district, on organise l'abattage des arbres de la Liberté, derniers symboles de la Révolution (les derniers qui existent place des Frotteaux (sic); le prix de leur vente est distribué aux nécessiteux de Pîtres, comme de l'argent dont on aurait un peu honte...
La chute de Robespierre, le 9 Thermidor an II (juillet
1794) marque la fin de la Terreur, et l'arrivée au pouvoir, à la place des
Jacobins, de modérés qui veulent en finir avec ce qu'ils considèrent comme des
excès et jouir en paix des avantages qu'ils ont pu acquérir contre la noblesse et
le clergé. Ils ne veulent donc surtout pas revenir en arrière, et pour ce faire
finiront, contre le péril royaliste, par se trouver un homme fort : le général
Bonaparte.
Que reste-t-il à Pîtres des personnages en vue de la
Révolution ?
Jacques Dumont, membre du Comité de surveillance de
Pîtres, donc très engagé avant
Thermidor, au point de devoir se faire délivrer après la chute de Robespierre
un brevet de "non-terrorisme" pour échapper aux poursuites et retrouver
le droit de porter une arme, qui avait marié une fille à un Lecamus, famille de
drapiers de Louviers, en novembre 93, devient maire de Pîtres en août 1795 (fructidor an III). Plus aucune
mention de l'instituteur et maire Corot, sans doute retourné à Paris, ni de Jean Marc, marchand
chandelier, maire en 1792 et 1793, si ce n'est son décès en 1799.
La propriété, les fortunes
Nous disposons
pour les évaluer des matrices de contributions et de listes des plus forts
imposés, sans malheureusement disposer
d'une totale continuité.
En 1790, les
contributions s'établissaient ainsi, en livres :
Milliard est le
décimateur, c'est-à-dire qu'il est chargé de percevoir la dîme ecclésiastique,
d'où sa fortune. Tesson est fermier d'un M. de Laloux de Belleville, et S. et L. Depître sont fermiers de
Coqueréaumont.
Sieur Caillot de
Coqueréaumont
|
634
|
|
Milliard
|
François, décimateur
|
375
|
Depitre
|
Fr-P et Louis
|
221
|
Laurent
|
Louis, pére
|
148
|
Girot
|
prop. bois du Taillis
|
145
|
Tesson
|
Guillaume
|
139
|
Letellier
|
Augustin
|
134
|
Laurent
|
Nicolas
|
129
|
Morlet
|
Jean
|
99
|
Vigor
|
Louis pére
|
84
|
M. le curé
|
82
|
|
Depître
|
Simeon fils
|
80
|
Depître
|
Louis
|
80
|
Une grande partie
de la propriété est donc entre les mains de non-résidents. La Révolution ne va
pas bouleverser ce tableau. Des noms changent, mais la terre ne commencera pas
à devenir propriété des habitants avant au moins un demi-siècle.
Les maires de Pîtres de 1789 à 1850
Avant 1789, il y a dans chaque paroisse un syndic, élu par une assemblée des chefs de famille de
la paroisse. Après 1789, les maires sont
élus par les citoyens actifs de la commune, payant une contribution d'au moins 3 journées de travail, mais ne sont
éligibles que ceux qui paient un impôt d'au moins dix journées. Avec la Constitution de 1795, chaque commune élit un agent municipal qui participe à une
municipalité cantonale, préfigurant nos communautés de communes.
Avec la constitution de l'an VIII (1799), qui établit le
Consulat, les maires sont nommés par le préfet pour les communes de moins de
5 000 habitants. Après 1830 (Monarchie de Juillet), les maires restent nommés mais les conseillers sont élus, pour six ans.
Avec la Seconde République (1848), les maires sont élus par
le conseil municipal pour les communes de moins de 6 000 habitants.
En 1789, le syndic est Jean François Lebert, gros
propriétaire, puis Augustin Laurent, marchand de bois, est élu en fonction de la nouvelle loi
18/11/1792 Marie-Étienne Corot, "bourgeois de Paris
et homme de loi", instituteur à Pîtres
15/7/1794 Jean Marc, fabricant de chandelles, arrivé de Rouen en 1773
août 1795 Jacques Dumont,
ancien négociant de Rouen, ex-membre du comité de surveillance, donc
jacobin
21 brumaire an IV Jean-Louis Menu,
marchand de bois, agent municipal, J-B François Malherbe, curé, adjoint
3 prairial an IV J.B.Malherbe
22 nivose an X Pierre-Louis Lebert,
cultivateur
28 février 1808 Jean Morlet, cultivateur, nommé en remplacement de
Jacques Gandois, démissionnaire, Louis Laurent, adjoint
09/01/13 Morlet, cultivateur, Jacques
Mathias, instituteur, adjoint
3/6/15 Pierre-François Victor
Depîtres, et Jean-Baptiste Frétigny, adjoint, nommés prêtent
serment à l'empereur
juillet 1815 Morlet (maire), Mathias (adjoint)
8/11/15 Louis Nicolas Letellier, nommé, prête
serment au roi
15/10/21 Pierre-François Victor
Depîtres, Jean-Baptiste Mathias, tonnelier, adjoint
20/02/26 Pierre-François
Victor Depîtres, Jean-Baptiste Mathias,
adjoint
2/7 /26 Charles Laurent,
propriétaire et marchand, remplace André Laurent, décédé
6/10/31 Jacques Mathias Thouet, cultivateur, Jean-Baptiste Frétigny, maître marinier, Jean Nicolas
Mathias, propriétaire et maître meunier, ancien membre réélu, prêtent serment
de 1832 à 1840 Jean-Baptiste Lapôtre,
officier en retraite, épicier, nommé, Vigor, marchand de bois adjoint
1840-48 Jean-Louis Vigor, adjoint Louis Gossent, maître
marinier,
27/8/48 J- L. Vigor, élu pour trois ans,
adjoint Jean-Baptiste Bizet. Ils jureront ensuite tous deux obéissance à la Constitution et fidélité au
Président en 1852
On note l'importance d'une belle signature, certaines sont particulièrement
longues à tracer, mais le nombre de documents à signer n'était évidemment pas
le même qu'aujourd'hui...
La matrice de 1829
C'est la première
qui soit complète, recensant tous les contribuables, au nombre de 222. Nous
reportons ceux qui paient plus de 100 francs de la "contribution
personnelle" qui, assise sur la valeur locative des biens, donne une bonne
appréciation de la fortune. Notons au passage que Mathias, meunier, paie aussi
1500 francs de patente ( la moitié du total des patentes à Pîtres).
Le total étant de
30 933 francs, on voit que près de la
moitié de la fortune appartient à des propriétaires extérieurs, un tiers se
trouvant aux mains de trois d'entre eux.
de Bernouville
|
Evreux
|
6379
|
Bizet
|
Rouen
|
1636
|
Duval François
|
Fresne l'Archevêque
|
1399
|
Depîtres
|
Pierre et Louis, Pîtres
|
1309
|
Delamotte
|
Rouen
|
1107
|
Depitre
|
850
|
|
Mathias
|
meunier, Pîtres
|
699
|
Chardon
|
foulonnier, Romilly
|
638
|
Delaplace
|
Damville (?)
|
624
|
Levavasseur
|
Rouen
|
481
|
Bisson
|
460
|
|
Chardon A
|
Pîtres
|
310
|
Duflot
|
Quevreville
|
300
|
Dobigné
|
300
|
|
Rose Louis
|
meunier, Pîtres
|
284
|
Frétigny
|
marinier, Pîtres
|
273
|
Milliard
|
cultivateur, Pîtres
|
269
|
Frétigny
|
Pîtres
|
261
|
Fréret robert
|
Pîtres
|
258
|
xxx
|
cultivateur, Pîtres
|
256
|
Lainé, propriétaire
|
marinier, Paris
|
237
|
Delaporte
|
aubergiste, Pont de l'Arche
|
221
|
Delamare
|
blatier
|
220
|
Lesueur
|
boucher, Pîtres
|
209
|
Dubois
|
blatier
|
201
|
Caillot
|
Paris
|
155
|
Cotton
|
La Neuville
|
130
|
Malot
|
propriétaire du bac
|
120
|
Halle Halle
|
107
|
Dans la matrice de
1833, seuls quelques noms changent, et la propriété reste largement entre les
mains de propriétaires résidant à Rouen ou Evreux.
Bernouville
|
Evreux propriétaire
|
6379
|
Bizet
|
Rouen, propriétaire
|
1760
|
Quesnay
|
Mt St aignan, prop
|
1233
|
Soubiramme propriétaire
|
1107
|
|
Mathias
|
Pîtres meunier
|
811
|
Delaplace
|
Douville
|
624
|
Chardon
|
Romilly foulonnier
|
600
|
Laurent A.
|
Pîtres
|
450
|
Depitres
|
Pîtres
|
430
|
Lesueur
|
Pîtres boucher
|
299
|
Rose
|
Pîtres cultivateur
|
264
|
En 1840, le plus
fort imposé est le baron Claude Le Doulx de Melleville. Un Claude Ledoulx de
Melleville était conseiller du roi au parlement de Paris, en 1659, un Claude le
Doulx, émigre sous la Révolution, son frère est emprisonné à Evreux. L’amnistie
accordée aux aristocrates émigrés en 1802 permet à la famille de récupérer
l’ensemble de ses biens … Comment
devient-il le plus gros propriétaire de Pîtres en 1840 ? Cette année-là, on
peut calculer que les 12 membres du conseil municipal de Pîtres n'ont pas la moitié de ce que
possèdent les 11 plus forts contribuables.
En 1847, le plus
fort contribuable est Ernest Le Hardelay, propriétaire à Rouen, dont le
portrait par Charles Landelle se trouve au Musée des Beaux Arts de Rouen, avec
celui de sa femme. Landelle (aucun rapport avec l'Andelle, il est né à Laval)
était un portraitiste très demandé sous le Second Empire, mais en 1847, il
n'est pas encore très connu, on est encore sous la Monarchie de Juillet,
et E. Le Hardelay n'a que 34 ans.
Héritage ? En une cinquantaine d'années, on est passé de Coqueréaumont à Bernouville, Ledoulx de Melleville, enfin Hardelay.
Prestations de serment.
Le texte des serments varie avec les régimes, mais les prêteurs peuvent être les mêmes.
an IV « je reconnais que
l'universalité des citoyens français est le souverain et je promets soumission
et obéissance aux lois de la République »
pluviôse an XII « Je promets fidélité à la constitution de
la République française »
messidor an XII "je jure
obéissance aux constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur"
Sous la restauration (Louis XVIII)
18/9/14 « je jure et
promets à Dieu de garder obéissance et fidélité au Roi, de n'avoir aucune
intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue qui
serait contraire à son autorité, et si
dans le ressort de mes fonctions ou ailleurs j'apprends qu'il se trouve quelque
chose à son préjudice, je le ferai connaître au roi. »
Avec les Cents jours :
22/3/15 «je jure
obéissance aux constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur » par les
mêmes que le 18/9/14.
Après Waterloo, nouveau serment :
15/10/21 « je jure fidélité au Roi et obéissance à
la charte constitutionnelle et aux lois du royaume »
Après les Trois Glorieuses, Louis-Philippe :
13/9/30 "je jure fidélité au roi des
Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume »
9/5/52 « je jure
obéissance à la Constitution et fidélité au Président »
27/2/53 « je jure obéissance à la Constitution et
fidélité à l'Empereur »
Quelques dates pour se repérer :
1794 Chute de
Robespierre
1795 Directoire
1799 Coup d'Etat de
Napoléon Bonaparte (18 Brumaire)
1804 Premier Empire
: Napoléon
1814 Abdication de
Napoléon (exilé à l'île d'Elbe), Louis XVIII
1815 Retour de
Napoléon (Cent jours), qui est défait à Waterloo, Louis XVIII
1830 Révolution de
Juillet, Louis-Philippe
1848 Révolution de
Février, Seconde République
1851 Coup d'Etat de Napoléon III, le 2 décembre, Second
Empire
La population
Pendant cette
période, la population oscille entre 950 et 1050 habitants. Nous trouvons
ainsi, en 1841, 1026 habitants,
dont 480 hommes et 546 femmes, résultat
de la plus forte mortalité masculine.
L'épidémie de
choléra qui frappe la France de 1832 à 1834, et l'Eure en 1832, ne semble pas
avoir marqué la démographie de la commune. Les 73 décès relevés sur le
dénombrement de 1838 ne peuvent être que le résultat d'un enregistrement cumulé
des années antérieures, ce que confirme le registre d'Etat-civil. Correction
faite, on obtient une égalité presque parfaite des naissances et décès : la
population stagne.
années
|
naissances
|
décès
|
|
1838
|
27
|
73
|
7 décès de moins d’un an
10 âgés de 64 à 94 ans
|
1839
|
21
|
29
|
|
1840
|
27
|
21
|
|
1841
|
|||
1842
|
33
|
18
|
1 suicide
|
1843
|
22
|
27
|
|
1844
|
10
|
26
|
1 variole
|
1850
|
32
|
27
|
|
1851
|
|||
1852
|
|||
1853
|
22
|
16
|
1 cancer
|
Le budget de la commune
L'examen dans le
détail d'un budget est toujours une source de connaissances intéressantes, et
parfois la seule, sur les prix et les salaires.
Par exemple, en
l'an III (1795), on trouve :
garde champêtre
|
250 livres
|
porte-tambour
|
400 livres
|
porteur des morts
|
100 livres
|
4 jours de maçon
|
200 livres
|
4 livres de chandelle
|
800 livres
|
plume et encre
|
200 livres
|
6 mains de papier
|
900 livres
|
2 cordes de bois
|
300 livres
|
quarteron de bourrées
|
20 livres
|
On voit ainsi que
l'indemnité annuelle du garde-champêtre vaut moins que 4 journées de maçon,
laquelle journée pourtant ne pourrait acheter qu'une demi-livre de chandelle,
ou 8 feuilles de papier (une main = 25 feuilles), mais un stère de bois,
ou deux de bourrées. La livre de pain cette année-là passe de 3 à 20 livres :
les prix s'envolent, et de toute façon on ne trouve plus de farine à acheter.
Les communaux
Sur ces terrains
sans propriétaires privés, chacun pouvait chercher du bois ou mener son bétail. Ils sont remis en question car on juge qu'ils seraient
exploitées plus efficacement par des fermiers individuels.C'est le sens de ce
règlement qui attribue les droits de parcours en fonction de l'importance de
l'exploitation
19/06/09 règlement
des parcours et vaine pâture : 1,5 bêtes à laine par arpent ou 3 par hectare de
terre exploitée dans la commune, approuvé par le sous-préfet, soit : Jean Laurent 66 moutons, Louis Depîtres 70, Pierre Depitres 93, François Rose 100, Jean
Morlet 115, etc.
18/07/09
considérant que le terrain communal est très souvent occupé à servir de port
pour embarquer et débarquer sur l'Andelle le bois provenant de la forêt de
Longboël, on fera payer cette occupation aux marchands de bois
Faits divers
La forêt n'est pas toujours sûre…
En l'an IV, deux habitants de Radepont se font voler leur
blé dans la forêt de Bacqueville; on soupçonne trois journaliers de Pîtres
En l'an VII le garde
champêtre se fait voler les bourrées qu'il avait préparées…
En 1811, rentrant de Rouen, un habitant de Poses est arrêté
dans les bois par trois individus, dont un armé d'un pistolet, demandant «la
bourse ou la vie »; il déclare avoir perdu 60 francs, du savon, du beurre, des
bas chinés, deux cravates etc.
La Seine non plus…
an V : plainte pour vol d'une nacelle et d'un aviron à
l'embouchure de l'Andelle, par un marinier domicilié à Paris, avec rappel
d'autres vols antérieurs « plusieurs des auteurs de ces vols sont parfaitement
connus de ceux qui ont été volés, notamment par les citoyens Vigor, Letellier,
Gandois etc., tous mariniers demeurant en cette commune »
an V : vol de bois, plainte portée par un habitant du
Vaudreuil; on perquisitionne chez François Rose, cultivateur, sans résultat,
le plaignant avoue avoir agi "par animosité"
an VII : le passager, c'est-à-dire le responsable du bac, a
refusé de faire traverser la Seine au percepteur de Pont-Saint-Pierre; il est l'objet de nombreuses plaintes, en
particulier de gens qui disent "avoir appelé une heure"
an X : vol d'une montre d'argent à Parfait Gandois par un
jeune homme de 20 ans environ
1811 : plainte par
les aubergistes : une armoire a été fracturée, mais l'argent est resté, le
voleur ayant été dérangé... "on a trouvé l'individu malfaisant, [...] dit La liberté, charpentier à
Pîtres, sous le lit", "plusieurs individus au lieu de le retenir pour
le mettre sous la sauvegarde de la loi se sont contentés de le corriger assez
maladroitement … enfin il s'est évadé"
1814 : 410 francs
sont volés sur un bateau, avec effraction, et du linge (six draps, couvertures,
couverts...) chez une veuve pendant qu'elle était à la veillée chez une
voisine
1815 : le tronc de
l'église est fracturé
1818 plainte contre
un "mauvais payeur" qui a brûlé dans sa cheminée un billet à ordre au
nez du créancier
1824 vol de linge à
l'église (surplis, nappes, etc.) plus fracture du tronc, le préjudice est
estimé à 950 francs (somme très
importante : voir budget de la commune).
Les chemins
En 1810, on répond
à un projet du sous-préfet prévoyant la
construction d'une route de Pont-de-l'Arche à Fleury : " il y a 20
ans les habitants déjà préféraient une route passant dans le village et non à
1200 m de la rue principale, sur les meilleur terrains". La commune
n'est donc pas d'accord pour y contribuer, mais prête à verser 6000 francs de contribution si la route passe dans le
village.
La retranscription
d'un avis donné par un membre du conseil est éclairante : "cette
route sera utile aux fonderies, à Pont-Saint-Pierre, à Fontaine Guérard mais
malheureusement entraînera des pertes
par destruction du flottage"
On doit cependant en ressentir l'utilité,
puisque le conseil vote "par acclamation 1000 francs pour l'ouverture
de la route, portés à 5000 si elle passe par la commune"
On en profite pour
ajouter : « les voituriers qui
transportent les draps des fabriques d'Elbeuf aux moulins foulons de Romilly et
Pont-Saint-Pierre ainsi que les
voituriers de la manufacture de Romilly portent des charges qui excèdent de
beaucoup les règlements puisqu'elles s'élèvent jusqu'à 6, 7 et 8 milles pesant
[...] ils crèvent les chemins", on demande donc l'application de la
réglementation
En 1826, on vote
des impositions locales extraordinaires pour la route départementale numéro 12
d'Elbeuf à Lyons passant par la rue de la commune « en suivant un
alignement rectiligne d'Alizay à Pîtres et de Pîtres à Romilly » (considéré
comme préférable au projet des ingénieurs)
En 1848, devant un
projet de grand chemin Ecouis, Villerest, Bacqueville, Houville, Amfreville,
Senneville, Flipou, Amfreville, Pîtres, Le Manoir, Alizay, le conseil municipal
estime que "la route numéro 12 suffit et qu'il faudrait alors un
pont sur l'Andelle, qui est flottable et navigable, plus une chaussée surélevée
entre Pîtres et Amfreville, longue d'un kilomètre, ce qui rendrait
l'exploitation dans la plaine plus difficile (un bac dessert ces communes à
pied, à cheval et en voiture) ce chemin est donc inutile pour la commune de
Pîtres."
Le bac sur l'Andelle
En 1811, pétition au préfet pour «restitution» (remise en état) du passage
de l'Andelle : le bac est quasiment
hors service; on prévoit la construction et l'entretien par la commune qui
percevra les droits.
L'autorisation reçue, quatre mois plus
tard, on décide que le premier passage
sera fait par le maire « revêtu du costume que nous attribue la loi », et
on prévoit la construction d'un bac "de 28 pieds de long sur 18 pieds
8 pouces et 30 pouces de bordée".
En 1813, l'exploitation
de ce bac est mise en adjudication, "le prix étant fixé à 775 francs,
valable pendant trois ans jusqu'à remboursement par la commune, tarifs arrêtés
le 30 nivose an XII, avec clauses de maintenance". Louis Menu remporte
cette adjudication, montant à 15 francs,
contre Nicolas Mathias qui avait entamé les enchères à 5 francs.
En 1851, on révise
les droits de péage sur les passages d'eau de Pinterville, le Vaudreuil et
Pîtres; le tarif proposé par l'ingénieur est approuvé
Conflits entre communes
En 1820, on se plaint à Pîtres de voir les habitants du
Manoir prétendre à une propriété exclusive sur les communes pâtures « en état
d'indivis depuis des temps immémoriaux » (on y prend l'argile). Pour éviter un
procès, on propose de cesser l'indivis et de creuser un fossé comme
démarcation, et l'on menace : si le Manoir "contre toute attente"
soutenait ses prétentions, la commune de Pîtres réclamerait les 14 acres dont elle paie les contributions et qui se
trouvent enclavés dans son territoire, le droit de parcours sur la totalité de
ladite commune pâture, et d'y tirer de l'argile….
En 1833, "malgré les tracasseries jusqu'alors intentées par les habitants de la commune
du Manoir relativement au droit de propriété sur les communes pâtures de Pîtres
", on incite les habitants à les utiliser, à tirer de l'argile et à répondre par toute voie de droit
L'année suivante, la
route numéro 12 de Bourgtheroulde à Gournay étant achevée, une grande partie du
chemin qu'elle remplace devient inutile et pour en tirer parti on propose la
vente aux riverains, ce qui entraîne une réclamation "d'un très petit nombre d'habitants de
la commune du Manoir portant une opposition illégale à l'aliénation". On
demande au sous-préfet de permettre l'aliénation.
En 1835 la pointe Quenet est réunie à Pîtres et les terrains sous le liseré vert sont
réunis au Manoir, par lettres de Louis-Philippe
En 1841, on partage les communaux avec le Manoir "par égale fraction"
la Neuville Chant d'Oisel en 1835 réclame une partie de la forêt de Longboël;
réponse : il s'agit d'une erreur récente du cadastre, la réclamation est mal fondée. En 1839,
délimitation de la forêt de Longboël par le ministre de l'intérieur, qui
déboute La Neuville, et estime la demande "plus qu'étrange".
Le progrès
En 1824, on
choisit Pont-de-l'Arche pour y établir
un bureau de poste pour les lettres
En 1844, le maire propose : "vu
l'importance du pays, les mauvaises constructions qui sont presque toutes
couvertes de chaume[...] l'achat de pompe à incendie". Coût : 1200 francs
Anticipations sur les biens communaux
Il est toujours
tentant de déborder ( "anticiper") sur les biens communaux, censés
appartenir à tous, mais qui semblent n'appartenir à personne. Le maire les
défend, y compris contre sa propre famille…
7/12/34 on autorise Lapôtre, maire, à aller au
tribunal contre Lapôtre Jean Jacques et Nicolas Mathias pour anticipation sur les biens
communaux. Mais le conseil est divisé
: François Depîtres, Ambroise Lebert, François Rose n'ont pas pris part «
pour ces motifs qu'ils sont détenteurs de biens communaux et qu'ils emploient
tous les moyens qui sont en leur pouvoir afin d'empêcher la restitution de ces
terrains usurpés ».
28/12/34 sommation
de la part des Chardon, de planter une borne pour diviser leur propriété d'avec
le bien communal; menace de procès si Lapôtre (le maire) persiste à attaquer
pour envahissement; celui-ci estime les demandes injustes et mal fondées et
persiste.
L'école
En 1802 Jacques
Mathias, qui exerce depuis quatre ans, est nommé instituteur par ordre du
préfet, et perçoit 40 francs pour son logement. C'est tout ce que nous savons
pour cette période. On trouve ensuite, après la révolution de 1830, sous la Monarchie de Juillet, suite à la loi Guizot de 1833 qui rend obligatoire
pour chaque commune de plus de 500 habitants l’entretien d’une école primaire
de garçons * :
1833 : vote
de 200 francs " pour faire un sort
un peu plus heureux à l'instituteur", qui touche une rétribution par élève : 1,5
francs pour la première classe, puis 1,25, 1, et 0,75 pour la dernière, et doit
recevoir gratuitement 15 indigents
1835 un vote à
lieu pour répondre à la question : la commune peut-elle entretenir seule une
école ? La réponse est positive.
Le coût de l'école
: traitement de l'instituteur : 100 francs, logement 80 francs, fournitures
aux indigents 10 francs, frais 3 francs, "pour aider l'instituteur à
suivre des cours à l'école normale" 34 francs. C'est donc la commune
qui prend à cœur la formation de son maître, mais ne doit pas en être
satisfaite, puisqu'en 1837 on révoque l'instituteur en place,
Dubigny; plusieurs postulants se
présentent, on choisit Pierre Louis Levavasseur, « réunissant tant sous le
rapport de l'instruction que de la conduite morale les qualités nécessaires
pour faire un bon instituteur »
En 1845, on décide de construire un
logement pour l'instituteur et une salle de mairie, on prévoit l'acquisition
d'un terrain rue de la Bise, et on vote
donc un impôt extraordinaire de cinq ans de 0,15 franc par franc.
En 1847,
c'est au 25 de la rue Bourgerue, qu'on
achète à de P. Depître pour 2000 francs un terrain contenant un puits, des
bâtiments à démolir, un cellier, un bûcher, pour bâtir "une classe, un
local pour l'instituteur, une salle de mairie et un appartement pour une pompe
à incendie ". En 1851, Clarisse
Barette, "sous-maîtresse de pension à Rouen depuis trois ans,
demeurant à Romilly" est nommée institutrice communale, c'est une
conséquence de la loi Falloux*.
* la loi Falloux de 1850 étend cette obligation aux écoles
primaires de filles pour les communes de plus de 800 habitants
Le logement du curé
En l'an XI
conformément au Concordat, la commune doit loger le curé; on loue alors un
local pour 120 francs car le presbytère et le vicariat ont été vendus (à un sieur Quenet)
En 1817, le nouveau prêtre refuse la maison de l'ancien;
on lui trouve une autre maison, pour 286 francs, le déménagement coûte 619
francs.
On proteste contre
Le Manoir qui ne veut pas participer bien qu'il profite du curé (il n'y a pas
alors de desservant au Manoir)
En 1822, on autorise à louer un local propre pour le
desservant
La guerre
Aux guerres de la
révolution succèdent celles de l'Empire, la France ne sera en paix qu'après la
défaite de Waterloo en 1815. On ne trouve que peu de traces de ces évènements
lointains, sauf en cas de congés,
convalescences, réquisitions ( fort appréciées, puis qu'elles évitent le départ
à la guerre) des mariniers ou du personnel des fonderies, dispenses, réformes, dont on trouve divers
motifs : inflammation du ventre, petite nature, humeur scrofuleuse,
cacahisme, humeur glanduleuse, faiblesse de complexion ….
En l'an X Victor
Grain (qui a combattu à Marengo) est nommé garde champêtre, c'est une forme
de reconnaissance habituelle des anciens combattants.
Plus intéressant,
la mention en 1810 d'amnisties après désertion, ce qui montre
que le phénomène prend de l'importance, et qu'on renonce à punir
systématiquement tous les déserteurs.
La conscription
est mal vécue, on voit ceux qui y échappent et ceux qui partent, souvent pour
longtemps : il faut 10 ans de
campagne à Depître Jean-Louis pour être déclaré hors service.
Les médaillés de Sainte-Hélène
Ils feront l'objet
d'un prochain article pour les communes
de la basse vallée de l'Andelle. Retenons pour l'instant qu'il s'agit d'anciens soldats des guerres napoléoniennes
encore vivants en 1857 (ils sont décorés par Napoléon III). On voit donc bien
qu'il ne pouvait s'agir que d'une faible proportion des soldats engagés dans
ces guerres. Et pourtant, rien que pour Pîtres on trouve huit médaillés, qui ne
pouvaient avoir que plus de soixante ans.
A noter que l'on
trouve sept morts enregistrés sur le registre d'Etat-civil de Pîtres pour la
seule période 1795-1812.
Les métiers
Ce sont les
registres de la garde nationale qui donnent le plus de renseignements sur les métiers pour cette période.
Malheureusement, le seul qui soit complet, celui de 1836, finit par enregistrer
des personnes nées de 1822 à 1827, ayant
donc neuf ans en 1836 : Le registre a
donc continué à servir au-delà de 1836,
ce qui complique un peu les choses… Si l'on s'en tient aux métiers les plus
représentés (au moins cinq occurrences), on aboutit aux chiffres suivants, sur
350 noms, ce qui correspond bien à la population masculine active :
journalier
|
163
|
cultivateur
|
37
|
Marinier
|
21
|
domestique
|
21
|
charpentier
|
16
|
maçon
|
15
|
meunier
|
13
|
cordonnier
|
12
|
tourneur
|
11
|
fileur
|
5
|
menuisier
|
5
|
foulonnier
|
5
|
ouvrier
|
5
|
Les journaliers
travaillent la plupart dans l'agriculture, mais dans les autres métiers, on
comptabilise patrons et employés, considérant qu'il ont un métier. On trouve
donc près de 60 % d'actifs dans l'agriculture, mais on perçoit déjà l'attrait
de l'industrie (Romilly) : ouvriers d'usine, foulonniers, fileurs. A noter
l'importance des mariniers, des charpentiers, dont certains précisent "de
marine". Le nombre de cordonniers parait bien grand, y avait-il travail à
domicile pour des marchands ? Quant aux tourneurs, un seul précise "en
fer", ce qui ne veut pas dire que les autres sont vraiment des tourneurs
de bois...
La crise arrive
De mauvaises
récoltes, aussitôt c'est toute l'économie qui s'en ressent, ce qui ne sera pas
étranger au déclenchement de la prochaine révolution…
7/2/47 le
sous-préfet rappelle : " devoir indispensable en ce moment critique qui
est de secourir les pauvres et de procurer du travail aux malheureux ouvriers
qui en manquent" on vote un crédit de 888,33 francs pour les ateliers de
charité (c'est l'excédent des budgets primitifs et additionnels de 1846 et
1847)
Dans le prochain numéro : la grande transformation de la seconde moitié du XIXème siècle.